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J'irai marcher par-delà les nuages
30 juin 2005

Pour Chris....

Ce texte de St Jean de la Croix me poursuit de puis longtemps. Aujourd’hui je le dédie à Chris, qui elle aussi parle de source, de bleu, et de nuit…

Chant de l’âme

" Je sais bien la source qui coule et fuit
malgré la nuit

Cette éternelle source est bien cachée
Moi je sais bien le lieu d’où elle surgit
malgré la nuit

Je n’en sais l’origine n’en a point
Mais je sais que toute origine en vient
malgré la nuit

Je sais qu’il n’est nulle chose si belle
Et que les cieux la terre boivent en elle
malgré la nuit

De fond je sais qu’on en peut découvrir
Et que nul à gué ne peut la franchir
malgré la nuit

Sa lumière jamais n’est obscurcie
Et je sais que tout éclat en surgit
malgré la nuit

Je sais qu’ils sont si puissants ses courants
Qu’ils baignent tout l’enfer les cieux les gens
malgré la nuit

Issu de cette source le courant
Est si vaste je le sais si puissant
malgré nuit

Le courant qui de ces deux-là procède
L’une ou l’autre je sais ne le précède
malgré la nuit

Cette éternelle source elle est enfouie
En ce pain vif pour nous donner la vie
malgré la nuit

C’est là qu’on appelle les créatures
Qui boivent de cette eau même en l’obscur
car c’est la nuit

Cette source vive que je désire
C’est de ce pain de vie que je la tire
malgré la nuit  "

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30 juin 2005

Puisqu'à la fin il ne doit rien rester.......

L’errance est un chemin de cailloux. Un chemin sans borne, sans destination. Ce n’est pas un retour en arrière, non, cela serait trop simple. L’errance vous fera passer par un temps écrasé et des lieux désossés. C’est un long apprentissage que de défaire sa vie. Mais l’errance exige de tout défaire. Puisqu’à la fin il ne doit rien rester. Rien. Il y a ceux qui veulent marquer la terre, laisser la trace d’un passage, quelques pierres, quelques argents et les errants. Les errants ne marqueront pas la terre, les seules traces qu’ils laisseront iront se perdre entre deux nuages, ou plus loin encore.

Un jour j’ai su que je ne pourrais pas tout traîner avec moi. La question pratique est venue percuter de plein fouet celle existentielle. C’est souvent comme ça. C’est la pierre contre laquelle vous buttez qui vous parle du chemin.
C’était, il y a six ans de cela. J’étais à l’âge où normalement on accumule, on acquiert, on se pose plus ou moins définitivement, l’âge où si vous avez été sage et respectueux des normes et des conventions vous pouvez commencer à espérer récolter les dividendes de votre abnégation. Je n’ai jamais été très sage, sans pour autant être un rebelle. J’ai toujours eu le sentiment de marcher à coté, jamais très loin, mais à coté. Donc il a six ans j’avais de quoi meubler trois appartements. Mes meubles, augmentés des récupérations, des héritages. Tous ces meubles racontaient plusieurs vies ; ils étaient beaux, émouvants pour certains. Je m’y trouvais bien dans ces meubles. Il y avait les meubles, et puis les bibelots, les tableaux, certes pas de maîtres, mais dont chacun avait une histoire.

Ca serait le moment de dire : " Objets inanimés avez-vous donc une âme, qui s’attache à…. " Mais je ne le ferais pas. Pas comme ça.
Parce que dans l’errance on ne peut pas se déplacer avec un semi-remorque de meubles et de souvenirs. Il faut choisir. L’errance est exigeante.

J’ai dit au gars : " Je garde ça, ça et ça… vous prenez tout le reste. " Le dixième antiquaire a compris ce que je disais. Il était jeune, des yeux pétillant d’intelligence, le front haut. Une belle prestance. Sa voix était calme, plutôt douce. Il parlait peu, mais toujours avec gentillesse. On s’est assis à mon bureau :  " Voilà, je garde uniquement de quoi meubler un petit studio, de quoi coucher, mes livres, et les ustensiles de cuisine, pour le reste faites-moi un prix.. " Lui, il a compris. On s’est mis d’accord sur le principe, et il a commencer à faire l’inventaire. Trois pages. En face de l’objet quelques signes connus de lui seul.
Une des pire journée de ma vie.
La bibliothèque Empire, celle que ma mère avait achetée chez un petit antiquaire de Cassis, lorsque nous habitions Marseille. Beau meuble entièrement chevillé, qu’il fallait démonter comme un puzzle à chaque déménagement. Le secrétaire second empire-lui aussi, en acajou, avec ses petits tiroirs mystère, que ma mère avait acheté au village Suisse à Paris. Le bureau Napoléon premier, avec son tapis vert, le petit secrétaire anglais, ou je pouvais installer plein de bibelots, la table chinoise, véritablement chinoise, sur laquelle, petit, je faisais parfois mes devoirs. Les bergères Louis Philippe, dont ma grand-mère Simone était si fière. Les fauteuils crapaud. L’armoire en bois de rose, l’armoire Louis XIV, la vendéenne, le lit bateau, le coffre espagnol, le buffet en acajou, la table ronde qui se dépliait, on pouvait y manger à dix, douze en serrant, des ménagères, de la porcelaine, du cristal, des lustres à pampilles, des lampes, des lits capitonnés de broderies…

Trois pages, d’objets hétéroclites, d’objets de chair et de sang. A chaque fois qu’on arrivait devant un objet, il me regardait d’un œil interrogateur, pour savoir s’il l’inscrivait sur la liste. Je faisais oui de la tête, en silence, on est passé devant le moindre des bibelots, toujours avec le même cérémonial. Et à chaque fois j’avais l’impression de faire un crime. Trois pages de crimes. La visite n’en finissait pas. J’en voulais à la terre entière. Non, pas ça, ça je le garde…. Non Franck, tu ne gardes rien. Tu comprends l’errance… c’est, ne rien garder. Oui, mais ce petit truc… rien, rien du tout….Tu comprends, Franck, l’errance ce n’est pas qu’un concept littéraire, l’errance c’est n’avoir rien, pour commencer. Après, l’autre étape, c’est n’être plus rien. Mais pour cela il faut grandir.

Il a fait trois voyages avec son camion. Au fur et mesure de nos rencontre douloureuse nous avons sympathisé. Il avait de la culture et de la sagesse. Il aimait la poésie, les livres, à dix neuf ans il était entré au séminaire, et puis il avait abandonné. Peut-être que j’y retournerais, m’a-t-il dit. Il m’a dit aussi : je vois l’arrachement que c’est pour vous, ces meubles… mais cela marque aussi le début d’autre chose, d’une autre vie. A chaque fois qu’il venait, on s’arrangeait pour déjeuner ensemble. C’était un mec bien.

Quand tout fut fini, que je fus seul, et que je me suis retrouvé face à ce vide, j’ai éclaté en sanglots. J’avais mal au plus profond, mal jusqu’à l’os, là où ça racle. Cette décision de vendre, engageait plus que ma vie, plus que moi et je me sentais un salaud d’avoir fait ça. Vendre de l’intime. Pas pour l’argent, mais pour être plus mobile. Voilà, pour être plus léger, on commence par se séparer des choses, des objets. Ce fut mon premier grand pas d’errance, de véritable errance. Il faut commencer par un arrachement brûlant.

Je sais qu’il y a des choses plus grave dans l’existence, mais c’est un long apprentissage que de défaire sa vie. Il ne reste que cette page blanche, pour continuer à défaire, à défaire sans cesse, jusqu’à la dernière maille, le tricot de ma vie.

Franck

29 juin 2005

La cour des miracles.....

Après la guerre Georges voulu quitter la ville. Georges, mon grand-père. Il était restaurateur. La ville, les gens de la ville l’ennuyaient. Le restaurant marchait bien mais il s’ennuyait. Il avait besoin d’espace. Surtout après la guerre. C’est là que son goût de l’humanité devint amer. Il avait été mobilisé. Il y avait été. Et puis rien. La France était sur les routes. Plus de chefs, plus d’armée. Alors il est rentré chez lui. Il a continué à faire de la cuisine. Il n’aimait pas la politique, il pensait que sa cuisine était plus propre et plus digeste. Quand tout ça fut finit, sa seule idée fut de trouver un petit coin de campagne pour ouvrir une auberge. Loin de tout et tous. Il avait l’art de trouver des lieux impossibles. Mais là il s’est surpassé. Quelques bâtisses en ruines au bord d’une rivière : en fait, une vieille forge. Tout était effondré : les murs des maisons, les toits, les écluses de la rivière, les canaux qui avaient servi à amener de l’eau vers des roues en bois lesquels actionnaient les soufflets des forges, tout était par terre envahi par les ronces. Il s’est dit : c’est là. Il voyait la lumière à travers la misère des choses. Il n’était pas pressé. Alors il a acheté ces ruines. Sans en parler à personne. Il aurait fallu expliquer, justifier, et comment dire un coup de foudre. Il a acheté les ruines. Plusieurs fois par semaine, après le service, il partait les visiter. Un jour il y a amené Claire, ma grand-mère. La nationale, la départementale, et puis le petit chemin de terre et au bout les ruines….  " Tu es devenu fou, Georges ! " " je ne mettrais jamais les pieds ici ! !"
Il aimait les lieux impossibles, parce qu’il avait des rêves impossibles. Mes premiers souvenirs sont dans cette auberge. La rénovation à pris plus de dix ans. Il n’était pas pressé. Mais il y est arrivé. Les écluses remontées pierre à pierre, les canaux drainés, les roues de bois refaites, les maisons consolidées retoiturées…L’auberge du Vieux Moulin…. Pas très original, mais cela correspondait bien à l’endroit.

Et tout cela seul. Presque, et c’est où je veux en venir…..Il y avait autour de mon grand-père une cour des miracles. Des âmes perdues, blessées, des vagabonds. Il me semble les avoir toujours connus, ils faisaient partie de l’air qu’on respirait. Ils aidaient Georges à la cuisine, dans ses travaux, parfois ils l’accompagnaient dans ses virées.

Il y avait René, le maçon. D’où venait-il celui-là ? Je ne sais pas. Il est arrivé en même temps que les ruines. Et il est resté. On savait seulement que dans le temps il avait été compagnon du tour de France, on savait seulement que s’était un artiste de la pierre. Il y en avait pas deux comme lui, pour observer vivre la pierre, pour l’écouter, et quand il frappait jamais il ne les blessait. On avait l’impression qu’entre ses doigts les pierres se laissaient faire, comme si elles sentaient qu’il allait les embellir. Je me souviens de ses mains, larges fortes, puissantes, crevassées par le ciment, des mains faites pour la pierre. Quand je venais l’été, c’est avec lui que je passais mon temps. Je le suivais partout. J’aimais l’odeur du ciment, le bruit de la pelle qui se mélangeait à l’eau et au sable. J’aimais tremper mes mains dans cette drôle de bouillie. René, dormait dans un petit cagibi dans la grange. Drôle de lieu pour vivre. René buvait beaucoup, c’était une époque où ces choses là étaient fréquentes. Le soir, il buvait, le dimanche aussi il buvait. Mais le lundi, ses murs étaient droits. Jamais il ne prenait de fil à plomb, il savait se faire obéir des pierres. Souvent quand il buvait, il se mettait en colère, il voulait partir, loin… jamais il ne partait, il rangeait sa colère dans sa boite à outil, descendait au bord de la rivière pour y tremper ses mains et les passer sur son visage. Drôle de visage aussi, épais, fendillé par le soleil, un visage de gargouille de cathédrale…

Il y avait José. L’Espagnol. Le républicain. Georges l’avait récupéré après la guerre d’Espagne au abord d’un camp de réfugiés. Il était seul. L’histoire du monde l’avait abandonné. José, grand, maigre et sec le dos légèrement voûté. Lui, il aidait à la cuisine. José n’était pas artiste lui, il était taciturne. Il a vécu à coté de mon grand-père, dans son ombre, derrière les fourneaux qu’il rechargeait, qu’il astiquait. Le feu s’était son affaire, à lui, José. Il ne laissait à personne le droit de venir toucher à ses fourneaux, il savait quand il fallait rajouter du charbon, il savait comment gagner quelques degrés de température quand George le commandait.

Il y avait Charles. Il ressemblait à Fernandel. Son domaine s’était le bar, la cave, les apéritifs. Il vivait à plein temps à l’auberge. Pas de famille, pas de lieu où partir. Je l’ai toujours vu derrière le bar avec son grand tablier bleu de caviste. Charles était artiste lui aussi. C’était le dessin son talent. Le dessin et la bonne humeur. Il dessinait les menus, les motifs à broder pour les nappes, des petits tableaux. Charles avait des secrets dans sa vie, des trous. Pourquoi était-il là ? Charles nous faisait rire, il savait raconter les histoires avec sa bouille de Fernandel. Charles avait de l’instruction, de la culture. Que faisait-il là ? On en a jamais rien su. Quelqu’un qui dessinait si bien le visage et le corps des femmes cachait certainement quelques chagrins. Alors il dessinait des petites maisons, des petits châteaux et René construisait, c’est comme cela que le golf miniature est né. Chaque obstacle du golf était une vraie composition, des arches, des tours, des ponts et les grosses mains de René cassaient des pierres toutes petites pour ces petites maisons. Tout ce que Charles pouvait dessiner, René se faisait un point d’honneur de pouvoir le réaliser.

Il y avait Berthe. La folle. Vraiment folle. Mais pas tout le temps, pas tous les jours. Elle s’occupait du linge, du lavage, du repassages des nappes, des serviettes, des draps. D’où venait-elle ? Je ne l’ai jamais su. Elle me faisait un peu peur. A cause des grimaces, et souvent elle passait sa main grande ouverte devant son visage, les yeux exorbités. Berthe était inquiétante pour un enfant. Charles se moquait parfois : " Berthe, les rotules à l’horizontale ! " Et Berthe se redressait et se mettait à marcher comme un pantin articulé. On me couchait tôt, dans l’annexe. Et on fermait la porte à clé. Parce que Berthe rodait le soir. Elle n’était pas méchante, mais elle rôdait. Alors on m’enfermait à clé, dans cette annexe du bout monde. Un jour des infirmiers sont venus la chercher, elle était partie plusieurs jours dans les bois. Quand elle est réapparue elle ne ressemblait plus à une femme ; le corps couvert de terre, les habits déchirés, les yeux perdu. Je l’ai entendu hurler quand ils l’ont emmenée.

Et puis il y avait Mickey. Mickey était petit, mais costaud. Petit mais teigneux. A la cuisine il aidait ma grand-mère, qui marchait avec beaucoup de difficultés. Ils travaillaient ensemble avec José. Ils dormaient dans la même chambre. Ils buvaient la même chose. Ils ne s’aimaient pas beaucoup, mais ils se supportaient. En fait, ils étaient jaloux l’un de l’autre. Alors il fallait gérer l’équilibre. Quand un prenait verre de vin, on en servait aussi un à l’autre. Mickey était d’origine belge. Avant la guerre il avait été coureur cycliste. Mickey quand il était saoul, il pleurait. Mickey quand il en avait marre, il prenait son vélo et il partait. Jusqu’à Paris s’il le fallait. Et puis il revenait. Et tout continuait. Un dimanche il est allé au village boire. Il a pris un petit vélo d'enfant sans doute le mien. Le vélo n’avait pas de freins, ou pas assez de freins pour l’ivresse de Mickey. Il est tombé. Il est mort. A vélo et ivre. Pas si mal, dans le fond.

Quand je repense à tout ses gens, a toutes ces figures défaites, à ces destins brisés, à cette misère, je me dis que c’était une drôle d’époque. Je ne sais pas comment et combien ils étaient payés, je sais seulement qu’ils étaient attachés à Georges. Dans sa cour des miracles Georges trônait comme roi débonnaire, jamais je ne l’ai vu avoir des mots durs envers ceux-là, j’ai toujours eu l’impression que son seul regard les faisait exister. Et que pour moi enfant, ils avaient toujours des sourires, et que leurs gueules cassées étaient belles aussi. Et puis c’est eux qui on construit cette auberge, pierre à pierre, jour après jour, dormant sur des paillasses, buvant beaucoup trop de vin. Je ne sais même pas leur âge, pour moi ils ont toujours eu la même tête, des têtes de gargouilles cabossées. Ils ont accompagné mon enfance, c’est peut-être mes anges gardiens. D’ailleurs, j’en suis sûr ce sont eux, mes anges gardiens.

Franck.

28 juin 2005

Sur le bord de la fenêtre.....

Ce matin dans la voiture j’écoute la radio. Lelouch. Il parle. On l’interroge. Il sort un nouveau film. Celui-là tout le monde l’aime. L’autre, le précédant tout le monde a détesté. Il parle. C’est quoi l’amour ? : " aimer c’est quand on aime l’autre plus que soi même. " Aller, vlan une définition de plus ! Aimer c’est quand on aime… on s’en serait douté. Mourir c’est quand on meurt un peu plus que la veille etc…Moi, je ne m’aime pas. Aimer plus que moi ne serait pas difficile. J’ai toujours du mal avec ces définitions. Pourtant je n’échappe pas à ces tentatives d’approcher une vérité avec quelques mots. Mais comment définir notre sang ? Ou l’air qui nous entoure… Et puis aimer ce n’est pas forcément aimer bien, ça aussi ça se saurait. On passe notre vie dans l’amour et le désamour, c’est l’encre de notre vie.
L’amour c’est quand on y est plus.
Qu’on a quitté sa maison. On est ailleurs, mais surtout pas ici. Dans la petite église, celle-ci était à genoux, la tête baissée, les mains croisées sous le menton, le dos légèrement voûté. Ces yeux étaient fermés. C’est sans doute cette lumière de vitrail qui la traversait qui m’a fait comprendre qu’elle n’était plus là. Plus là, dans ce corps. Son immobilité avait quelque chose de terrifiant. Terrifiant et céleste. Tout était sombre, sauf ces éclats de soleil brisés, cette coulée lumineuse répandue sur cette ombre à genoux.

Nous parlons tous d’amour, nous en parlons en silence, ou dans nos poèmes.. nous en cherchons l’empreinte dans les lettres chiffonnées, dans les albums de photos, nous tournons autour sans cesse, puisque nous aimons si mal et qu’il nous faudra toujours commencer à nouveau.
Nous savons bien que c’est une folie. L’amour ne se connaît que par la trace qu’il laisse quand il nous abandonne, il ne se connaît que par l’ombre entrevue.

On écrit avec nos manques, on aime aussi avec nos manques c’est pour cela que c’est le même mot. Et que c’est la même détresse. Et qu’on ne saurait espérer autre chose que l’amour.
Je ne sais pas définir les choses comme l’amour, c’est pourquoi il me faut beaucoup de mots pour tenter de l’approcher, c’est pourquoi je ne parle que ça, et que sans cesse j’y reviens comme une mouche entêtée vient se cogner à la vitre.

L’amour c’est quand je n’y suis plus, que quelque chose en moi tremble alors qu’il fait chaud, que quelque chose en moi pleure alors qu’il fait rire. L’amour c’est quand ma raison s’efface et que la folie me noie.
Mon dieu, je veux être fou comme cette femme à genoux dans le silence de cette église, cette femme perdue, cette folle ruisselante de couleurs, mon dieu donnez-moi ce silence et cette absence absolue, donnez moi le courage de fermer les yeux et de tendre mes mains, donnez moi la force de pleurer et de pleurer toujours.
Mon dieu, donnez moi la puissance d’être comme cette autre, qui seule, dans sa maison des morts, a trouvé l’énergie et le pouvoir de déchirer son âme comme la peau d’un lapin mort, et qui chaque jour immole des mots de sang en pure miséricorde, et qui chaque jour a besoin d’être nue pour affronter l’enfer. L’amour c’est quand on y est plus. Plus dans son corps, plus dans sa vie, c’est quand on marche dans le feu et pour le feu. C’est un temps égaré ou un lieu perdu, un temps affolé ou un lieu effrayé….
Mon dieu donnez moi une source pas pour y boire mais pour y prier, un chemin pas pour y marcher mais pour y prier, une montagne pas pour y grimper mais pour y prier.
L’amour c’est quand on y est plus, on quitte le monde et on choisit l’envers des mots, puisque rien ne dit l’amour, sinon le souffle, le vent, le vide, le vol de l’oiseau et ce pétale qui tombe au ralenti sur le bord de la fenêtre entrouverte….

Franck

26 juin 2005

Merci à tous.....

Je vous remercie tous

Je ne sais que répondre à tous ces commentaires plus brillants les uns que les autres. Je vous remercie tous. Pardonnez-moi de ne pas le faire individuellement je suis à la fois ému et débordé. Je trouve vos échanges passionnants. Vos éclairages successifs apportent, au final, une lumière que je ne soupçonnais pas au départ. Vos sensibilités colorent mes mots de façon étonnante. C’est, sans doute le privilège de l’écrivant, que d’être aveugle quand il marche vers les mots…

Vous avez raison Pant, j’ai tenté d’approcher quelque chose qui touche à la spiritualité. La porte entrouverte joue un rôle important. Il y a un en-deça et un au-delà de la porte entrouverte, deux mondes peut-être inconciliables et qui n’ont rien à voir avec la différence des sexes. Nous l’entrevoyons par la fascination. Le fasciné sent sa mort imminente. C’est sa vie qui se joue, là. Plus, même, la vie éternelle. Entrer romprait le " charme ", nous serions dans la banalité, et si la porte avait été fermée : soit je ne l’aurais pas ouverte, soit je l’aurais ouverte et dans ce cas, à coup sûr réveillé les dormeuses. L’instant, tient du mystère parce qu’il nous échappe, il nous dit seulement : cette chose ne vous appartient pas, mais l’entrevoir vous donne déjà l’éternité.
Je viens d’ouvrir St Jean de la Croix :

" La vierge qui porte
le verbe divin
vient sur le chemin
ouvrez-lui la porte "

Les dieux s’amusent souvent de nous avec les portes. Sur terre les choses sont simples elles sont ouvertes ou fermées. Pour nos dieux elles sont " étroites " ou entrouvertes, on n’y passe jamais en entier. Nous devons laisser quelque chose… une obole… celle faite à Charon… le prix de nos âmes…. A nous d’en fixer le prix.

Hier, en écrivant ce texte j’avais le sentiment d’être sur fil ténu, tendu entre ombre et lumière. J’avais l’intuition qu’il fallait frôler, effleurer, mais c’est Isabelle qui m’a guidée. Isabelle est une sainte non parce qu’elle est vierge mais parce qu’elle touche Dieu avec les yeux… et puis à cause des petits bouquets minuscules et des deux fraises. Hier au soir j’étais épuisé. Heureux, mais épuisé.

Demain je ne proposerais pas de texte. Je vais poster celui-là, et me laisser couler paisiblement jusqu’à demain. J’ai envie de profiter pleinement de vos témoignages de sympathie et d’affection, et que rien ne vienne les effacer.

Franck

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26 juin 2005

Abandon, exaltation et crainte....

Nous habitions une petite maison. Un ancienne ferme. Elle se trouvait au milieu des champs. Presque en bordure de la Creuse. Avec quelques travaux rapides nous en avions fait un lieu chaud et accueillant. Un peu anachronique pour la région. Souvent elle partait faire des promenades, seule. Elle aimait ça. A chaque fois qu’elle revenait, elle m’offrait ses trouvailles. Un petit trèfle à quatre feuilles (c’est elle qui m’a donnée la manie de les chercher), une petite fleur sauvage accompagnée de deux brins d’herbes, je n’ai jamais vu d’aussi petits bouquets. C’était adorable. A chaque fois mon cœur se perçait. Elle aimait les riens, les petits riens, les choses minuscules, elle pensait que les petites choses de rien pouvaient dire mieux que les grosses. Un jour elle est revenue avec deux toutes petites fraises des bois. Deux. Une pour elle et une pour moi. Minuscules les fraises. Elle a ouvert sa main comme si elle enfermait un trésor, où le souffle d’un ange, et nous avons savouré ces deux petits cœurs rouges. Quand j’ai embrassé le creux de sa main je crois que j’ai pleuré. Un peu. Pleuré d’amour. Elle, elle s’appelle Isabelle. Elle était plus jeune que moi, pourtant elle m’a appris tant de choses. Les fraises, les bouquets, les trèfles à quatre feuilles. Que des choses importantes, des choses qui manques au monde quand on ne les fait plus. Isabelle était fragile son cœur était fait de pétale de roses, alors elle aimait le silence des petites chapelles, elle faisait des prières qu’elle inventait. Pas des prières de religion, mais des prières de respiration, des prières pour vivre. Le monde la ravageait souvent, elle écoutait distraitement la télévision et brusquement les larmes la submergeaient, elle aurait voulu tant faire pour le monde, pour les blessures du monde, certains jour elle avait presque honte de notre bonheur précaire. Alors on s'asseyait sur le pas de la porte, elle mettait sa tête sur mon épaule et elle me serrait fort. Très fort. On ne disait rien. On met toujours trop de mot en travers du silence, au bout d’un moment la parole est encombrée et on trébuche sur un malentendu.

C’était le premier été que nous passions dans cette petite maison, pour une fois le temps de Creuse était magnifique. Les journées étaient chaudes, brûlantes. A midi on entendait les champs craquer sous le soleil, un léger crépitement de contentement. Isabelle à souhaitée recevoir une de ses amies de l’école d’infirmière. Elle voulait lui montrer la Creuse sous le soleil. Cécile, je crois. Je ne m’en souviens pas avec certitude. Deux sœurs. Sitôt arrivée, Isabelle l’a entraînée dans une longue promenade, aussi longue que leurs discussions. Elles se tenaient par main. Deux sœurs. Elles riaient, avec plein de fous rires dans la gorge. Elles tournaient dans la lumière du soir tombant, faisant voler en corolle leurs jupes aériennes. Elles étaient légères toutes les deux dans leurs retrouvailles. Elles se touchaient des yeux avec grâce. Deux sœurs qui s’enlacent dans la moiteur de l’été, à peine essoufflée de leur courses, les joues rougies, les bouts des doigts tremblants.

Le lendemain je suis rentré plutôt que prévu. Juste après le déjeuner. La porte de la cuisine était ouverte, et la maison était dans l’ombre, pour la protéger du soleil. Pas un bruit. Personne. Rien qu’un peu de fraîcheur. La porte de la chambre était entrouverte. Et c’est là que je les ai vues. C’est plutôt une vision. Une vision qui m’a laissé un trouble infini. Quelque chose d’irréel. Enfin, presque. Je me suis approché. Elles étaient allongées nues sur le lit. Elles dormaient. Cécile était sur le dos, Isabelle sur le ventre une jambe repliée et coincée entre les cuisses de Cécile. Un bras d’Isabelle reposait sur la poitrine de son amie, de sa sœur de lit, et sa bouche effleurait son épaule. Leur sommeil était bordé de calme de sérénité, il m’a semblé qu’elles étaient sur une île entourée d’un lac de bonheur bleu. J’étais fasciné. A cause de l’inattendu. Surtout à cause d’une chose impossible à décrire, la sensation d’une perfection inatteignable. Le sentiment que ce qui ce passait, là, ne concernait pas notre terre. Que rien ne pourrait en être dit. Quelque chose qui n’a rien à voir avec la sexualité. L’envie qui m’a traversé l’espace d’une seconde n’avait rien à voir avec le sexuel, mais avec un absolu qui toujours m’échapperait. Elles étaient nues et leur enchevêtrement les rendait encore plus nues. L’image d’un rêve surréel. Atténuée par les volets fermés, la lumière du soleil créait une atmosphère rose orangé, les draps eux-mêmes étaient d’un rouge très pâle. Je ne pouvais pas détacher mes yeux de leurs deux corps mêlés, de ce jardin de torpeur. De leur sommeil. De ce calme. Il y avait dans cette chambre une douceur fondamentale inaccessible qui me figeait. Isabelle bougeait, sans agitation. Elle bougeait lentement. Comme si s’était son sommeil qui la guidait, un sommeil de déesse ; elle a replié sa cuisse et sa main est venue se poser sur le sexe de Cécile. Une main d’oiseau qui regagne son nid. Cécile a juste écarté un peu plus les cuisses, pour accueillir cette aile tranquille, son ventre s’est à peine creusé. Et toujours cette chaleur inébranlable. J’avais le sentiment d’être de trop ici, l’homme que j’étais ne pourrait jamais comprendre cet instant, ces gestes, cette sensualité. Je ne reconnaissais pas Isabelle, elle prenait là une existence singulière. Je ne savais pas jusqu’à quel point elles dormaient. Je ne savais pas ce qui les avait amenées à ce sommeil. J’apercevais de très fines gouttelettes de sueur sur la poitrine de Cécile, une poitrine large, ronde, dont les bouts érigés semblaient attendre les caresses. J’aurais aimé savoir peindre parce que les photos ne racontent pas les même histoires ; la peinture réinvente les couleurs et les formes et les corps, et la chair qui vit dans ces corps et le sang qui traverse l’espace. Et là, il fallait inventer. Elles dormaient comme deux sœurs de sommeil, de rêves, de chair. Vision de grâce voluptueuse. Les corps se touchaient, se cherchaient mais sans jamais vouloir aller au-delà d’une frontière mystérieuse. Les corps que je voyais ne cherchaient pas le plaisir, mais quelque chose d’autre, qu’on pourrait appeler la joie. Voilà, il y avait dans cette chambre un souffle de divin et de joie. Elles étaient belles. Pures. Elles détenaient une vérité miraculeuse en cet instant. Les cuisses n’étaient pas écartées mais juste un peu déployées, les mains ne touchaient pas des sexes mais recueillaient des larmes d’anges. Isabelle s’est retournée ; elle n’a pas ouvert les yeux, mais sa main a cherché celle de Cécile pour la poser au creux de ses cuisses, et Cécile s’est tournée vers Isabelle, elle l’a enlacé, leurs cuisses à nouveau se sont liées, leurs deux toisons sombres se sont mélangées, leurs seins ce sont touchés, leurs reins se sont creusés, elles n’étaient plus qu’un seul corps, j’ai cru entendre un soupir….c’est là, que je me suis éclipsé . Il y a des choses qu’on ne peut pas regarder. Le soleil par exemple, et bien là, c’était pareil, un soleil éblouissant dans ce lit. Je suis revenu plus tard, à l’heure prévue. J’étais encore bouleversé de ce que j’avais vu. Isabelle était radieuse. Elle s’est serrée contre moi et m’a donné un baiser qui sentait le paradis… je ne lui en ai jamais parlé… j’avais l’impression d’avoir volé une image pieuse. Une fois seuls dans notre chambre, nous nous sommes aimés dans le recueillement, le silence et la fièvre. Elle me rendait là, une chose qu’elle avait été chercher ailleurs, dans les cieux je crois. Elle m’a offert sa chair comme si c’était la première fois, avec cette sorte d’abandon, d’exaltation et de crainte. En fait, elle faisait l’amour comme elle priait. Abandon, exaltation, et crainte… Abandon, exaltation, et crainte…

Franck.

25 juin 2005

Tamanrasset......

C’est sans doute à cause de la chaleur. Et puis des phrases lancées comme ça à la fin du repas : " Aller Franck ! Raconte-nous quand tu as traversé le désert… ". Je n’aime pas raconter. Parce que l’autre qui écoute attend l’anecdote exotique. Et je n’en ai pas d’anecdote exotique. En fait, je n’en veux pas. Quand on raconte, on ne peut jamais dire l’essentiel, tout ce qu’on dit devient plat, une enfilade de cartes postales sans intérêt. Je ne peux pas dire à Matthieu douze ans et à Luc dix ans, les enfants de mes cousines, : " Voilà, un jour j’ai rêvé fort…. Et j’ai voulu rencontrer le Petit Prince…. ", je ne peux pas leur dire, ils n’ont pas été éduqués dans cette oreille. Pourtant l’essentiel est là. Tout le reste n’a aucune importance. Personne ne leur a expliqué que je venais moi aussi d’une autre planète, et que ce qu’ils croyaient voir de moi n’était qu’une écorce perdue, une ombre silencieuse, légèrement mystérieuse. Il faudrait reprendre depuis le début. C’est pour ça je n’aime pas raconter.

Enfant, je m’ennuyais.
Fils unique c’est imparable. Le vrai mot c’est : je m’emmerdais. Chez moi, à l’école, tout le temps et partout, alors je rêvassais comme disait l’autre (mon père). Je me souviens : j’étais allongé sur la banquette, je me recouvrais entièrement d’une petite couverture, pour me faire une petite bulle de " chez-moi ", je prenais le haut-parleur de l’électrophone (le fameux Tépaz), et je passais en boucle, pendant des heures, le disque du Petit Prince, enregistré avec la voix de Gérard Philippe. " J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec parler véritablement. Jusqu’à une panne dans le désert du Sahara il y six ans (je ne sais plus si c’est six ou cinq). Quelque chose c’était cassé dans mon moteur, et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparais à réussir seul une réparation difficile, c’était pour moi une question de vie ou de mort, j’étais bien plus isolé qu’un naufragé au milieu de l’océan, je n’avais de l’eau à boire que pour huit jours, a mille milles de toutes régions habitées. Alors vous n’imaginez ma surprise au lever du jour lorsqu’un drôle de petite voix m’a réveillée…. " Je devais avoir sept ans. L’âge des décisions capitales. Cette phrase c’est l’histoire de ma vie, sauf que la petite voix ne m’a toujours pas réveillée. Bref, c’est sans doute à cause de la chaleur que je dis tout ça. A dix neuf ans il fallut que j’en aie le cœur net. Un copain, un sac à dos. L’aventure. Pendant les deux années précédentes je passais des heures penché sur des cartes d’Afrique, je fabriquais des itinéraires, je me laissais bercer par des noms : Adrar, Tamanrasset, Bobo-Dioulasso, Tombouctou, le grand erg Chech, Ghardaia… alors il faut comprendre, un jour on prend un sac et c’est parti…J’avais deux choses à voir là bas, le Petit Prince, et Tamanrasset, à cause du père de Foucault. En fait, c’était la même chose, la même personne mais à l’époque je ne le savais pas, j’étais presque trop vieux pour le savoir. Il faut être très, très enfant pour savoir les choses importantes. Le père de Foucault, j’ai toujours aimé les âmes brûlées. Et lui, quel bel incendie son âme fait au ciel. Parti de l’ivrognerie, de la luxure, de l’oisiveté et arrivé à Tamanrasset. Ta – man – ra – set. Que des pierres et du soleil. Mais pas un soleil de chez nous, un soleil apprivoisé qui fait des mines le soir dans nos maisons au moment de la météo. Non, un soleil sans météo, un soleil d’enfer. Soixante degrés. Un soleil qui vous éclate la gueule, et pour se protéger : des pierres. Foucault, s’est dit le paradis commence là, et mon silence je le fais d’ici, et mes prières je les brûle là, et l’ombre de dieu (ou de qui vous voudrez) l’a accompagné. Mais dieu aime rire, alors dans cet endroit où rien c’est encore quelque chose, il lui a envoyé deux balles perdues. Il fallait l’inventer celle-là. Il n’y que dieu, pour être aussi drôle.
Certes il était pressé de retrouver le bon père, et il manquait d’idée ce jour là, alors deux balles perdues, c’est facile pour lui, même en plein désert, même à mille milles de toutes régions habitées.

Bref, je voulais voir Tamanrasset. Certains c’est Vesoul, moi c’était Tamanrasset. Elle a vu Vesoul et je n’ai pas vu Tamanrasset. Il m’a fallu des années pour comprendre qu’à un moment de ce voyage initiatique, quelque chose a dérapé. C’était à Reggane qu’il fallait bifurquer, prendre une transversale pour rejoindre Tamanrasset.

C’est là que j’ai renoncé. Nous avons été tout droit. Je ne me suis pas aperçu qu’à ce moment précis de la route j’étais en train de renier un rêve. C’est l’occasion qui fait le Larron, pourtant on sait comment ils finissent les Larrons, cela aurait du me mettre la puce à l’oreille, un camion nous proposait de faire la descente vers Tessalit, la piste Bidon V. Adieu Tamanrasset, je le paierai cher ce renoncement. Parce qu’un rêve qu’on abandonne pèse d’un poids infini dans votre sac à vie. Au départ on ne s’en rend pas compte, et au bout de quelques années on s’aperçoit qu’on a du mal à avancer, la plus part du temps c’est un rêve abandonné qui se prend dans les rouages, ça grippe, un peu comme un grain de sable, un grain de sable du Sahara, qui ne passerait pas.

Comme il fallait s’y attendre j’ai raté mon rendez-vous avec le Petit Prince, Pourtant un soir, c’était un peu plus au sud de Reggane, on a quitté la piste, droit vers l’Est, pour arriver dans un petit village perdu, un village fait de torchis, aux toits enchevêtrés, un village qu’on aurait dit sorti des dunes riens que pour nous, un village presque abandonné, lui aussi, comme un rêve, quinze, vingt maisons, A cent mètres des maisons une petite oasis. Le soir tombait. J’étais sur un toit de maison. J’ai bien cru que j’allais le voir apparaître. C’était grandiose, je voyais que s’était grandiose, je le savais, mais au fond de moi je ne sentais rien. Un vide encore plus grand que le désert qui m’entourait. Pourtant j’ai tout vu, le soleil qui disparaît, l’orange qui monte peu a peu et le rouge qui brusquement embrase tout le ciel, j’ai vu le mélange des bleus, du plus clair au plus sombre qui se noie dans le sang du ciel, j’ai vu les premières étoiles, puis ce tapis constellé, j’ai senti le froid venir glaçant chaque astre comme un givre scintillant, j’ai vu l’ombre de dentelle de l’oasis barrer de noir l’horizon, j’ai même éprouvé le poids du silence quand il est absolu. Et je ne sentais rien. Alors il n’est pas venu. L’espace d’une seconde je sus que je ne méritais pas ce désert. Mon sac était trop lourd. J’étais encombré. L’espace d’un instant je me crus sentinelle d’un ciel entier, mais je ne me rendais pas compte que je mettais trop de moi dans un lieu qui n’appelait que la nudité. L’espace d’une minute je fus capitaine perdu aux frontières de l’empire, et je ne voyais pas qu’il n’y avait pas de frontières et pas d’empire. Je me croyais riche alors que j’étais pauvre. Ce voyage a duré près d’un an. Je n’en ai aucune photo. Je suis rentré comme le fils prodigue et l’on m’a demandé de raconter. Et les mots sont tombés de ma bouche.

Ce qu’il a de bien avec le désert c’est qu’il n’y a rien à en dire. Une fois énoncé les dunes et le soleil, c’est fini, on a tout dit.

Jamais on ne pourra raconter le temps, le silence, la solitude, l’infini, la nudité. Vous passez une vie à y retourner, à refaire le voyage à rebours à remonter vers la naissance comme un saumon qui va mourir. Le temps le silence, la solitude, l’infini, la nudité, il vous faut une vie pour l’obtenir…. une vie…. et quelques fois ce n’est pas suffisant. Mais ça, vous ne pouvez pas le raconter, vous ennuieriez votre interlocuteur. On met une vie à revenir à Reggane, pour prendre la route de Tamanrasset cette fois ci. Une vie à mettre un désert dans son cœur, parce que le temps, le silence, la solitude, l’infini, la nudité ça prend une place considérable. Je suis d’un voyage raté, à cause de cet embranchement que ne n’ai pas pris. A cause d’un rêve qui est resté en travers de l’âme, comme ce sanglot qui m’étrangle un peu, là, maintenant….

Franck

24 juin 2005

Merci Chris.....

Cette nouvelle bannière je la dois à Chris. Elle a laissé courir son imagination… et voilà….. Elle a tous les talents, l’écriture, la peinture, les enfants et ces choses rares faites de tendresses, de délicatesses… Il faut comprendre, son amour est généreux, et j’aime qu’elle vienne en déposer un peu ici. Merci mille fois Chris. Tu fais de belles choses parce que tu es belle, dans ta vie, tes élans, tes offrandes. Sans connaître ton regard je sais qu’il est beau, parce qu’il donne aux êtres qu’il touche la couleur fragile de l’espérance.

Merci Chris…. Merci Chris….
Tendresses

Franck

24 juin 2005

L'amor et la mourt.....

L'amour, la mort. Banalité des idées. La mort, la vie, l’amour, dans n’importe quel ordre.
A cette époque j'étais jeune marié. J’ai toujours été un jeune marié, nous avons divorcé après trois ans de vie commune. Avec Ghislaine nous passions nos vacances dans ma famille, chez mes grands-parents, en Dordogne. La maison était grande, en pleine campagne, posée au milieu d'une propriété qui nous isolait du monde. Devant la maison, juste devant, un étang d'eau turquoise transparente. Mon grand-père, c'est lui le héros du souvenir, n'en finissait pas de sa vie terrestre. Il s'ennuyait dans sa retraite.

C'était un homme bon. Vous voyez ce que je veux dire. Il était bon. Dans le fond de son âme il était bon. Pourtant il n'aimait pas l'humanité. Il était sans illusion sur les hommes. Souvent il regardait le monde en souriant, le reste du temps il buvait. Trop. Mais il avait l'ivresse impériale et triomphante. Certains soirs, grandiose. Gabin dans " un Singe en Hiver ". Il ressemblait à Gabin. Une tête puissante sur un corps puissant. Une peau de marin tatouée. Et dans son style s'était un vrai poète. Lui, il n'écrivait pas, il ne lisait pas. Il plantait des arbres. Pas quelques arbres. Des milliers. Il transformait les lieux qu'il habitait. Mais il ne parlait pas aux humains.

L'étang, c'est lui qu'il a inventé, d'abord dans sa tête. Après il fait creuser la colline. Il éventre la banalité, pour déposer cette grande flaque bleue au pied de sa maison. Il adorait les enfants. Pour lui les humains n'étaient supportables qu’en état d’enfance.

Il m'apprenait des grimaces, il me faisait fumer, il m'apprenait des gros mots, il me gavait de bonbons et me faisait boire du Pchit (je ne sais pas si c'est comme cela que ça s'écrit)à l’orange.

Toute sa vie il fut cuisinier. Aubergiste pour être précis. Mais ce n’est pas lui qui s’occupait de l’accueil des clients.

Même à la retraite il continuait, encore, à faire la cuisine, surtout l'été, quand la maison se remplissait. Sur la pâte des gâteaux de pommes de terre, avant de les mettre au four, il écrivait : " Je vous emmerde tous ", et hop au four. Il jubilait de voir la tête de tous quand le plat arrivait sur la table. Il aimait les animaux, surtout ses chiens et le perroquet (j’en ai parlé ici). Le perroquet dormais dans la cuisine, dans un grand cage. Un matin, mon grand-père c’est aperçu que le perroquet était couché sur le dos, les pattes en l’ai (mauvais signe pour un perroquet). Fuite de gaz. Pepé l’a saisit, sortit, a rentré le bec dans sa bouche et lui a fait la respiration artificiel, cela à duré un temps fou. Et le perroquet est toujours là.

Il parlait peu aux humains, à part aux enfants, mes cousines, ou moi, ou quand il était ivre. En fait, il préférait parler à ses chiens. Il avait inventé plein de mots, tout un vocabulaire, pour leur parler, des phrases incompréhensibles et mystérieuses. Quand il leurs parlait, c'était drôle de voir les chiens faire des mines, pencher la tête, froncer ou écarquiller les yeux, agiter la queue en couinant. Je l'aimais cet homme. Avec Claire, ma grand-mère, les choses n’allaient pas très bien. Ils se supportaient.
On passait nos vacances, avec Ghislaine.

Une nuit, nous ne dormions pas. La chaleur certainement. Comme en ce moment. Nous nous sommes levés. Toute la maison dormait en silence. Quelques rayons de lune éclairaient le grand salon. Les dalles étaient fraîches. Nous nous sommes assis sur la banquette. Et puis nos mains se sont égarées sur nos corps. Ses seins, ses cuisses qui s’écartent, nos bouches, nos salives mêlées à la sueur, les soupirs, les peaux qui se collent à cause de la transpiration, qui se frottent, les sexes qui se dénudent de plus en plus, qui se cherchent, qui s’appellent. Les chairs qui s’exaspèrent. Ghislaine s’est assise sur moi. Il ne fallait pas faire de bruit. Elle donnait de grands coups de bassin. Nos ventres cognaient, s’engluaient. J'avais saisi ses fesses pour aider ses mouvements. Elle respirait fort cherchant l’air la bouche grande ouverte. En revoyant la scène j’ai l’odeur de son corps qui revient, je sens ses cheveux qui chatouillent mon visage, et sous mes doigts la boursouflure de sa petite cicatrice dans le bas du dos. Ca n'a pas duré très longtemps. Intense. Ravageur. Nos corps n'étaient que des ombres. Des ombres secouées, convulsées. Nous sommes restés emboîtés un long moment. Mon sexe recroquevillé restait dans la chaleur du sien. Nous nous sommes recouchés. Appaisés.
C'est au matin que les choses ont basculées.
D'abord les hurlements de ma grand-mère dans le couloir des chambres. Mes grands-parents faisaient chambre à part. Leur corps ne se supportaient plus. Les hurlements. Elle criait : Georges ! Georges ! Tout le monde a accouru, ma tante, mes cousines, moi, mon père (il était là lui aussi). Ma grand-mère était face à la porte de la chambre de mon grand-père entrouverte, et elle hurlait. Georges !
Et puis les aboiements du chien à l'intérieur. Buck le boxer.
Alors on a vu. On ne pouvait pas rentrer, le chien était fou de rage, grognant bavant. Mais on a vu. Mon grand-père la tête congestionnée, tirant la langue.
Il était allongé, tout habillé, raide et il tirait la langue. On ne voyait que ça. Le chien voulait que personne ne rentre. Mon père toujours plus malin que les autres c'est avancé, le chien a bondit. Mon père a reculé. C'est moi qui ai parlé à Buck. Avec les mots de mon grand-père. J'étais dans une tourmente, mais j’ai pu retrouver les mots de chiens qu'il fallait. Je crois qu'on s'est compris. J'ai pu rentrer, le caresser, il m'a suivi. Pendant que tous se précipitaient autour du lit du mort. Moi, j'ai regardé Buck, le cerbère, s'éloigner calmement, il semblait effondré. Dans le couloir il ne s'est même pas retourné. De toutes façons, il savait ce qu'il y avait a savoir. Il savait qu'on ne lui parlerait plus jamais. Il est retourné à sa vie de chien.

Mon grand-père était déjà froid. Le docteur a dit embolie. Moi, je pensais qu'au moment où il expirait j'exultais dans le corps de Ghislaine. La vie, la mort, l'amour. Je pensais qu'il tirait la langue. Je me demandais quel vent avait pu souffler sur cette maison, durant la nuit. Il avait les traits apaisés, malgré sa langue en forme de pied de nez.
Je l'aimais cet homme. Je l'aime toujours je crois. En y repensant, je suis ému et content d'avoir pu accompagner ses derniers souffles par les gestes de l'amour. Je me dis que son âme s'est appuyée sur nos deux corps pour monter un peu plus haut. Sans doute, cela lui a donné l’élan nécessaire pour son envol. Tout est bon pour une âme.
Le jour de l'enterrement, j'ai voulu le porter. J'ai demandé, qu'on me laisse une poignée. Il était lourd. J'ai aimé cette lourdeur.
Bizarre, je ne pense jamais à la mort de mon grand-père avec douleur. Il faut comprendre, il tirait la langue, pendant que je faisais l'amour. Ce n'est pas triste.
La langue tirée, les fesses de Ghislaine, ses seins qui bougeaient juste devant mes yeux….L’amor et la mourt qui se tiraient la langue…

Franck

23 juin 2005

Aimer c'est avant d'aimer....

C’est toujours avant, que le moment se construit. Au départ c’est la jungle, des ronciers partout, des herbes folles. Car c’est cela nos vies. D’abords des ronciers. A chaque fois on croit qu’en semant par-dessus cela suffira. On a l’âme dans tous les sens, avec des trous, des tourbières, souvent on ne peut même plus avancer dans notre vie. Un jardin perdu. Tout s’agrippe, tout s’attache, tout déchire, même le soleil n’arrive plus à chauffer la terre, et la pluie fait des flaques, des vases, des boues. Ce n’est plus un jardin. Ce n’est plus une âme. C’est une brousse où l’on ne se reconnaît plus. Où l’on n'est plus soi-même. Mais l’on continue à semer. On pense que les roses auront assez de convictions, assez d’épines pour étouffer cet abandon. Comme si s’était la rose qui sauvait le jardin. Nos amours arrivent dans nos vies comme sur ces ronciers. Et nos amours meurent comme les roses. Aimer c’est avant d’aimer que ça arrive.

Certaines âmes, les plus rares, brûlent. Elles brûlent en permanence. On les croit même perdues. Non, elles font la terres des roses. Les plus exceptionnelles deviennent une étoile. Il faut le savoir. Chaque étoile est une âme consumée d’amour. J’en connais une ; et vous ne pouvez pas savoir le feu qu’elle a mis sur sa terre, chaque mot était un incendie et certains jours on pouvait croire que l’enfer brûlait, chaque jour le feu embrasait ses chairs jusqu’à ses os, et chaque mot, chaque parole grattait les tourbes, les vases, les boues. Un jour je l’ai vue nue dressée dans les flammes tenant à la main son cœur qu’elle arrachait, une vision bouleversante, saisissante. Aujourd’hui c’est une étoile et je sais le coin du ciel où elle se trouve. Mais je ne le dirais pas, c’est un secret.

Le feu n’est pas à la portée de tous. Alors c’est à la main qu’il faut y aller. Car il n’existe pas de désherbant pour les ronciers de la vie. Il faut y aller à main nue. Parce qu’il faut saigner. Aimer c’est avant d’aimer que ça arrive. Pourvu qu’on ai assez rêvé. Car les roses naissent d’abord dans les rêves. D’ailleurs elles y meurent aussi. Dans les rêves. Le jardinier rêve de sa rose et c’est cela qui lui donne cet air absent. Parce qu’il faut d’abord s’absenter, de soi, de sa maison, il faut se préparer au vide et au désespoir du vide, et plus loin que le vide il y a le néant qu’il faudra traverser. Rêver ce n’est pas s’endormir sur ses ronciers, le rêve n’a rien à voir avec le sommeil, non, le rêve c’est d’abord le silence. Le jardinier se tait parce qu’il rêve. Il supprime des mots, sa langue devient incompréhensible, il augmente les silences, et un jour tout n’est plus que silence. Alors il peut rêver. Le rêve s’appuie sur les silences. Il peut commencer à creuser, à retourner sa terre, à arracher une à une ses herbes folles, les lianes… il peut tirer sur chacune de ses racines. Rien n’est assez profond, rien n’est assez silencieux pour le jardinier. L’avant de l’amour est épuisant. On ne le dit jamais assez. Comment accueillir un sourire si on ne lui fait pas de la place ! Surtout qu’un sourire cela prend une place énorme. Alors imaginez une rose ! C’est impossible, quelque fois il lui faut un ciel entier. Je connais un petit prince, sa rose prenait tout l’espace du ciel, parfois je les croise tous les deux, mais pour ça il me faut un gros silence, un beau silence, un silence d’eau de source, un silence bleu, et dans un affaissement de lumière je les vois passer. Oui, l’avant de l’amour est épuisant, votre sang déborde des blessures, la vie semble s’écouler, et vous n’en voyez pas la fin, derrière un souvenir, une autre ronce, derrière chaque buisson, vous buttez sur vos faiblesses ; le pire c’est les pierres d’oublis. Tous nos manquements se transforment en pierres. En pierres énormes, sur lesquelles nos rêves se brisent. Ce n’est pas la vérité qui brise un rêve, ni la réalité, non, ce sont nos oublis, nos manques et quelques fois nos peurs. Et seules nos larmes arrivent à les user ses pierres. L’avant de l’amour est épuisant.

Le jardinier se lève tôt, il sait que l’aurore lui est douce, il sait qu’il a besoin de rosée pour survivre, il sait surtout qu’il doit se mettre au travail, parce que son amour est en marche depuis longtemps. Il ne le connaît pas, mais dans la brume du jour qui naît, il peut sentir la lumière chanceler, c’est un indice. Quand l’air chancelle c’est qu’un amour est en marche et qu’il est en train de traverser l’univers. Un véritable amour vient toujours de loin. Il doit, après l’univers traverser les mers d’indifférence, passer sur les ponts branlants du doute, affronter les déserts des mystères, croiser des foules hostiles et hurlantes, il doit lui aussi s’épuiser. Car c’est juste dans cet espace écroulé que la rencontre peut se faire.

Je dois retourner à mon jardin me taire, pour continuer à faire ma terre accueillante, peut-être que c’est aujourd’hui que quelques poussières d’or tomberont… me taire… j’ai tellement envie d’aimer.

Franck

22 juin 2005

Stridence.....

Je crois avoir perdu la mémoire au fond d’une chambre d’enfance, la chambre noire des premiers cauchemars.
Expérience insignifiante, banale. L’ordinaire de l’enfance.
Mais quelque chose, ici, s’est cristallisé dans un silence absolu. Un silence noir.
Au départ il y a cette effraction de peur fulgurante, insondable, brutale qui réveille. Une peur comme un vertige à quoi rien de réel ne semble correspondre.
C’est une peur absolue puisqu’il n’y a pas de mot pour la dire. Elle est là comme si rien ne pouvait l’arracher. Elle vient de l’écoulement même du sang.
Du plus profond de cette peur j’ai appelé.
J’ai appelé avec des cris de sanglots.
J’ai appelé pour que la mère, le père viennent d’un coup d’aile dissiper l’horreur indicible, pour qu’ils viennent effacer la nuit.
Personne n’est venu. Personne n’est jamais venu.
Poussé par l’Autre de la peur je me suis levé quittant le chavirement du lit. Fuir. Rejoindre un continent clair. Rejoindre l’amour, la tendresse, la chaleur. Rejoindre la solidité du temps réel. Rejoindre un rivage. Rejoindre sans fin et pour toujours.
Rejoindre les bras de la mère.
Chaque pas m’éloignait de cette peur, chaque pas me rapprochait d’une autre menace. Impossible traversée.
Cette autre menace avait la force des yeux de mon père. Un regard sévère. Une face crispée. Un masque fait d’éclats de verre brisés d’où des reflets d’éclairs jaillissaient. Chaque pas me rapprochait de la menace de mon père de ce regard violent que je recevais en plein cœur à l’endroit même de la joie, de l’amour, de la lumière. A l’endroit même de l’enfance, du cœur battant de la vie.
Sa voix suivait le trajet précis de ses yeux, en avait la couleur, la brutalité de hache.
Il fallait que j’aille me recoucher, il fallait que j’arrête de pleurer. Il fallait que j’arrête ma comédie. Il fallait… il fallait……
Cette voix ne laissait aucun espace, rien qui ne permette le moindre espoir. Voix pleine de vacarme. D’écume.
En face de lui ma mère.
Silencieuse.
Ma mère qui le regarde. Ma mère qui me regarde. Ma mère que je regarde cherchant un salut, un souffle d’espace.
Je n’ai jamais vraiment compris ce regard.
Elle désapprouvait mais ne bougeait pas. Peut-être désapprouvait elle autant mon père que mon insomnie. Peut-être avait-elle peur.
Je n’ai jamais rien su de son immobilité, pourtant j’en ai encore la cicatrice aux contours frémissant.
Il y a dans cette scène quelque chose d’une violence banale et pourtant absolue. Une violence toute dans la contrainte. Violence accrue par l’économie des gestes. Presque silencieuse. Situation sans issue, sans espoir.
A chaque fois sans espoir.
Toujours sans espoir.
Alors je repartais lentement vers le noir, vers l’autre peur. Je repartais vers ma nuit constellée d’insectes, de gouffres, de forêts sans fond ; l’amour abdiqué, calciné de stupeur, enseveli par un revers de silence et une parole fendue par le fer.

Il y a une stridence dans la peur, une haute fréquence invisible, inaudible qui perdure. Je l’entends encore. Elle semble avoir toujours existé. Elle est là depuis le commencement des temps. Elle sera la dernière musique.

Alors je repartais vers le noir.
Encore aujourd’hui je repars toujours vers le noir.
Procession amère désarticulée.

Dans la peur il y a une stridence une haute fréquence. Quand la vie sature elle vient résonner avec cette stridence. C’est pourquoi les blessures ne se referment plus. L’âme à jamais reste recroquevillée, tassée dans le noir d’enfance. Lente décomposition de l’âme à la fadeur de cire.

La porte est à nouveau fermée. Silence étourdissant. Vertige obscur.
La nuit crépite sur un océan instable. Je suffoque. Noyade. Des algues filandreuses ondoient la gueule ouverte prêtent à mordre dans le gras du cœur, là où j’ai trouvé refuge.
J’ai fermé les yeux. Je vois un ciel où pullulent des ombres guerrières aux regards de père. Tonnerre d’absence.
Personne ne viendra.
Peu à peu l’incendie dévore mes résistances.
S’abandonner dans les trous noirs des galaxies affamées.
S’abandonner aux assauts de la solitude.
Glisser dans le vide du sommeil. Epuisement du monde. Mort de fatigue.
Mort.

Mes nuits furent longtemps écaillées d’angoisses. Une partie de moi est restée prisonnière de cette nuit archaïque et sauvage avec son cortège d’ombres.
Maintenant je suis de cette nuit d’enfance. Nuit sans réponse. Plus que la confiscation de la lumière c’est amour, la tendresse, la confiance qui à jamais furent dépouillées.
Abîme de nuit.
Je suis de cet appel qu’aucun baiser n’est venu apaiser, qu’aucune caresse n’est venue soulager.
Le monde et ceux qui le peuple sont restés définitivement muets.
Et moi sourd, chacun de son coté de la lumière.
A part cette stridence venue d’un néant infini et qui continue à me vriller les oreilles.
Vriller l’âme.
Nuit éventrée, blessée.

La stridence oblige à une crispation. Celle-ci se niche au creux du ventre, au creux fragile de l’oubli. Pesanteur sourde, constante. Tension des muscles de l’âme au lieu précis du corps par où l’hémorragie de vie s’écoule.

Franck.

22 juin 2005

Les petits papiers

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Au fur et à mesure, on aime, enfants qu'on prenne des photos de vous. J'ai de la chance d'avoir beaucoup de photos de moi, lorsque j'étais petite, (comme c'est mignon), je connais des gens, dont mon ami Jean qui n'a pas beaucoup de photos de lui, en plus son père l'a obligé à devenir garagiste. "J'avais pas le choix". Les gens n'ont plus le choix de rien de nos jours. Je comprends, en fait. Je riais, mon père en prenait plus que ma mère, des photos, parce que ma mère, objectivement, était une garce. Non pas qu'elle ne m'aimait pas, il est indiscutable que c'est une mère amoureuse de ses enfants, surtout de son fils d'ailleurs, sans ironiser sur l'inceste, qu'à ma connaissance ils n'ont pas vécus, elle m'aime mais elle m'aime très mal. Elle aurait pu seulement m'aimer mal, j'aurais préféré, mais non. Bref, ce n'est pas grave, c'est pire pour elle : elle a raté avec sa mère ce qu'elle a manqué avec moi, sa fille. Unique. Je suis unique pour deux trois personnes au monde. C'est déjà ça. Mon père a pris beaucoup de photos de son fils, de moi, sa fille, il a mis tout ça dans un album pourri, à la couverture hideuse : des tournesols éteints. J'ai trop honte de voir mes photos d'enfance, parce que je vois dans les yeux de mes parents, même de ma mère, la pauvre, le sentiment qu'on leur appartiendra toujours, charnellement, on vient d'eux, Marguerite-Marie avait dit à Jézous : chair de ma chair. Enfin, dans le film de Mel Gibson, dans la Bible je me souviens plus. Et je suis en âge de faire des enfants, je ne veux plus être à eux. J'ai un homme dans ma vie, dans mon coeur, dans mon lit, je ne suis plus l'enfant de personne lorsque je suis avec lui. C'est pour dire : les photos sont des horreurs sur papier glacé. Pourtant je fais des sourires, petite, je tends les bras, dans le jardin, je cherche des papillons, un papillon je dois trouver ça érotique à l'époque, c'est très érotique les animaux, la matière vivante sur cette planète. Petits on trouve ça : waouh, c'est merveilleux. Enfin, pour les petits qui sont heureux. Ensuite, j'ai de moins en moins de photos et j'ai arrêté de sourire à l'aube de mes quinze ans. Là, effectivement, les photos sont rares, on me voit mal, mes parents aussi tirent des tronches pas possible avec l'enfer que je leur fais vivre : une adolescente ça peut vous faire une enfer à la maison, une personne. C'est un enfer, au moins on sait où il existe, comment ça fonctionne. Même à la recherche de papillons, je devais sentir que l'enfer il était dans le bonheur d'un papa qui prend des photos de son enfant, tout autour il y a les ténèbres, certainement, qui attendent. Les lions attendent, sauf une lionne qui adoptait des bébés antilopes (de la même famille). Cette lionne était stupéfiante. Elle était dans la transgression, un peu comme une pute, on ne prend jamais en photo les putes, où sinon on les filme, tout au plus, pour les émissions de Jean-Luc Delarue, ou presque. C'est mieux que rien, remarquez. Donc les photos, de mon mariage, j'ai tout jeté, tout brûlé, tout foutu en l'air, je ne pouvais pas garder ces petits papiers. Foutre tout ça à la poubelle, c'est bien de pouvoir jeter des souvenirs à la poubelle, de par nature, les souvenirs un jour deviennent  les souvenirs d'eux-mêmes. Je ne sais pas combien de photos Franck a brûlées, jetées, si c'était le genre de personne à faire ça. Lui qui ira marcher par delà les nuages. En tout cas, c'est vrai que jeter à la poubelle des papiers qui étaient notre vie, ça peut faire un bien fou. Parfois, j'aimerais jeter mes parents à la poubelle, ainsi que le monde. Comme hier tenez. J'avais envie de faire ça. Parce que chercher les papillons dans les jardins, ça ne dure qu'un temps, la dure réalité du plancher des vaches revient sauvagement vous agresser les yeux, les oreilles, le cerveau, le coeur. Les mains, les côtes et le reste. Vous avez mal au ventre. Vous avez envie d'être ailleurs. Je ne sais pas si c'est votre cas ? C'est quand qu'on pourra habiter plus loin que la lune ? Vite vite... Là-bas, très certainement, je m'avance mais sans craintes, je prendrai des photos de la terre. Comme elle si belle à l'extérieur et si moche à l'intérieur. Comme certaines personnes que je connais et qui ne seront jamais mise dans des albums à tournesols. Les tournesols s'ouvrent la nuit maintenant. Vous ne le saviez pas ?

A N G E L I N E

(Les Coquelicots sont des Mauvaises herbes).

21 juin 2005

Alors je chante.....

C’est une photo noir et blanc. Je dois avoir trois ans. C’est l’été. Derrière est inscrit " Royan ", je reconnais l’écriture de ma mère. La photo est prise à hauteur d’homme, elle est bien cadrée. J’y suis seul, debout, les deux mains dans les poches, un pantalon large coupé à la moitié des mollets, style corsaire, des sandales blanches, un tee-shirt à manches longues, lesquels sont relevées au-dessus des coudes. Un vrai petit bonhomme. Je lève la tête, je regarde en l’air. Déjà. Il paraît que mes cheveux n’ont poussé que très tardivement. Sur cette photo, je semble n’avoir qu’un fin duvet blond. Tous les enfants sont beaux à trois ans. Je ne déroge pas à la règle. Sur cette photo je donne l’impression d’être un petit garçon plein de promesses.
Ah ! … Un détail. Je ris aux éclats.

J’ai beau fouiller dans tous les cartons, les albums : c’est la seule photo où je ris.
Donc, j’ai arrêté de rire à trois ans.

Cette photo me fascine, comme si elle recelait un secret. A chaque fois je me dis : il y a quelque chose ici que tu as perdu. Pourtant ce rire, je le sens encore en moi. Il est quelque part. Mais où ?
En fait, l’histoire de la photo : ce sont les premières vacances de mes parents. Ma grand-mère, Simone, (j’en ai parlé ici) les accompagne. Si je lève la tête, c’est que je regarde quelqu’un au balcon. Longtemps j’ai cru que c’était ma mère. Mais en vérité c’était ma grand-mère.
Bref, je regarde le ciel et je ris aux éclats.
Dans ma pose il y a une aisance, une décontraction qui m’étonne encore aujourd’hui. Ca aussi je l’ai perdu.

Et je me dis que cette photo sait quelque chose de moi que j’ignore.
Bien sûr il m’arrive de rire aujourd’hui, mais ce rire si spontanée, si évident, si naturel, si lumineux…
Que devient un rire qui s’efface ? Je regarde toujours le ciel et j’ai toujours la tête en l’air. Mais plus le rire. Je crois qu’un rire qui s’efface vire, tourne, ou bien il se condense, il y a comme un précipité vert dans le corps. Oui, le rire qui s’effondre est vert, vert acide. Avec une pointe de jaune. Les éclats de rire pourtant si légers, quand ils ne sont pas offerts au ciel, viennent tapisser le fond du corps d’une couche épaisse d’humeurs saumâtre. Un rire qui n’est pas ri devient lourd, parfois c’est impossible à porter.

Il ne faut pas confondre cela avec le malheur. Le rire est cet accord spontané avec l’existence et souvent le rire s’effondre bien avant que le malheur n’arrive. Mais le rire peut s’effacer sans raison apparente. C’est une question de lumières et de reflets. Dans le rire d’enfance il y a bien entendu, les yeux, les joues, la bouche, la gorge, mais il y a toujours la lumière. En fait, le rire dévit la lumière, il l’absorbe. Et dans le même temps il la rend. Quand un enfant rit, on remarque toujours ce vacillement de l’air autour de lui, ; bien sûr il y a le battement des ailes de l’ange à coté, mais je ne parle pas de ça. Ou bien si, je parle de ça. Pour qu'ils apparaissent les anges, ils doivent souvent s’appuyer sur le tremblement que fait la lumière pour sortir de l’ombre. Donc, le rire et l’ange c’est la même chose. L’effacement du rire c’est d’abord un effacement de la lumière. Parce que rire c’est un navire chargé d’azur, un calice gorgé de rêves, un éclat de ciel constellé de lucioles, des aurores porcelaines allumées en corolles…

Le rire s’efface mais ne disparaît pas définitivement. Souvent, dans ma nuit, je crois l’entendre encore, il prend des formes variées : c’est mon rire étouffé qui m’oblige à partir, à errer, à ne considérer la vie qu’à l’envers, c’est lui qui m’arrache l’âme, c’est lui surtout qui porte mon chant…

Alors je chante… je chante….je chante…. C’est la seule façon pour que mon rire revienne avec mille anges en farandole autour…

Franck

20 juin 2005

La première nuit du monde....

Hier au soir la nuit était douce. Un peu de fraîcheur. La lune était presque ronde et sa lumière blanche faisait surgir les ombres alentours. Au loin les cris des chouettes, plus près, sur les bords de l’étang, ceux des grenouilles et des crapauds. La nuit nous parle. Longtemps j’ai regardé le ciel. Les étoiles. Combien sommes-nous sur terre à faire la même chose au même moment ? Mon intérêt pour l’astrologie m’a souvent poussé à planter mon nez dans les étoiles. Comme ça, sans chercher à les reconnaître ou à les nommer. Simplement regarder et se laisser envahir. Nous sommes rarement silencieux sous les étoiles la nuit. On se tait, mais la nuit nous parle. Alors il y a comme un dialogue secret. J’ai souvent essayé de retrouver l’impression première de ces hommes d’avant, devant ce spectacle de la nuit et des étoiles.

Au tout début ils sont dans la grotte. La nuit ils se serrent les uns contre les autres. Ils ont peur. Il y a bien un feu qu’il faut entretenir. Mais dehors….la nuit les bruits inconnus. Le plus courageux ou le plus seul sort parfois. En fait c’est le plus seul. Il sort et regarde les étoiles. C’est un mystère, mais il regarde fasciné. Ces minuscules incendies dans le ciel lui parlent. Lui, il répond. Il dit sa journée, sa solitude, ses espérances. A force de parler aux étoiles, il commence à les connaître, ce sont ses sœurs. Et ce ciel toujours pareil et à chaque fois différent. Les autres le croient fou, à sortir comme ça, toutes les nuits. Lui, souvent il pleure devant les étoiles, parce qu’il est seul et que les autres de la horde le rejettent. Chaque nuit il apprivoise un peu plus ces lueurs. Des éclats comme des yeux scintillants. Il restera mille ans dans cette fascination silencieuse. Mille ans à taire ses secrets, mille ans à cacher ses larmes. Surtout le soir, juste à la tombée de la nuit, à l’apparition de la première étoile, celle qui appelle les autres, elle est belle comme un pomme celle-là. Il sait dans son cœur qu’il l’offrira, cette étoile, à celle qui voudra bien l’accompagner, la nuit, loin de la grotte. Il restera mille ans à attendre sa belle qui jamais ne viendra. C’est pour ça que le ciel pleure, de temps en temps, les soirs d’étés

.Plus tard, après la grotte, il est sorcier, sage, il veille toujours sur la destinée des siens, ceux du village, les guerriers, les chasseurs, les cueilleuses, les enfants, les anciens. Ils comptent tous sur lui, pour soigner, comprendre, expliquer. Il sais désormais le monde, ils sait que chaque choses est habitée d’une âme, d’un esprit. Il sait que tout est vivant autour de lui, même les morts sont encore là, il les reconnaît dans le vol de l’aigle, dans les cris de l’ours, dans les feuilles qui bruissent dans le vent. Tout est vivant et l’orage lui rappelle son devoir de protéger chacun, et surtout le plus faible. Alors il veille. Il parle aux ombres. Pour leurs dire toute la difficulté de vivre, de survivre. Toute sa solitude. Il lit les étoiles ; il connaît leurs dessins, presque tous. Elles aussi sont vivantes, elles aussi sont tristes comme lui. Elles lui parlent, et lui, il invente des chants pour elles, pour les séduire. De longues incantations. Tristes. Certaines nuits il voudrait mourir pour rejoindre celle-là, à coté du soleil. Il trouve ça beau, les étoiles. Mais il ne peut pas le dire aux autres. Ils ne comprendraient pas. Alors chaque nuit il dessine des rêves dans le ciel, il raconte des histoires où chacune joue un rôle. Parce qu’il les appelle par leurs noms. D’ailleurs il aime prononcer leurs noms. Chaque soir il épelle un chemin différent du ciel, il chante une route d’étoiles toujours nouvelle, il invente, il peuple le firmament de ses mots, de ses chants, il serait presque joyeux, si ce n’était cette solitude. Mais il a jeté son âme au ciel et en retour, son cœur, sa chair, sa peau sont des champs constellés. Il a arraché une à une ses peurs et les a remplacé par des astres étincelants, c’est pour cela que ses yeux sont brûlés, c’est pour cela qu’il ne sait plus parler. Il ne fait que murmurer. C’est lui qui a inventé les prières, cette façon de s’abandonner entièrement, cette façon de n’être plus rien, d’être absent de lui-même. Une fois par an il demande à l’aigle d’aller déposer ses prières sur les étoiles les plus belles, les plus flamboyantes. Et puis celle-là, cette prière inachevable, qui parle des yeux éclatants de cette jeune femme, de ses cheveux soyeux et de son rire. S’il pouvait accrocher son rire là-haut… ? Il choisit toujours l’endroit du ciel le plus reculé pour que l’aigle y dépose sa supplique, et l’étoile la plus pauvre… parce qu’il sait qu’il faut être humble avec les astres. Et que la lumière c’est pour les siens, pas pour lui. Il sait que c’est là-haut qu’il ira un jour, le dernier jour, il sait qu’il a sa place dans cette partie du ciel si effondrée.

Je n’ai plus de grotte, plus de village, je ne suis d’aucun pays, aujourd’hui j’ai un clavier pour écrire, pour parler. Les calculs se font tout seul. Je manie les symboles, les concepts, pas toujours bien. Personne ne craint plus la nuit sauf les enfants qui savent tous, ou les vieux qui ont tout oublié, le monde est devenu tout petit, si petit que les esprits sont partis. On est écartelé entre le trop plein et le trop vide et de toute façon toujours poussé par le trop vite…

Et ce soir je regarde le ciel comme à mon premier jour du monde, et je suis toujours aussi seul. Ici le cri des grenouilles, là-bas le rire des chouettes, la nuit est pleine de voix. Oui je sais des étoiles aux couleurs singulières, je sais des étoiles à la voix mélodieuse, aux regards délicats, à la peau irisée de frémissants rayons. Je connais leurs histoires, leurs amours, leurs détresses, je connais leurs batailles, leurs échecs, j’ai appris à cueillir dans les marées du ciel ces gouttes de soleil, ces perles de lune, ces sanglots de comètes et pourtant ce soir je suis aussi seul qu’au premier jour du monde. Ce soir je suis d’une grotte, je sens monter en moi des hurlements sauvages, et je tends à la nuit mes mains rougies pour éprouver le souffle noir des cieux, et je tends mes mains rougies pour offrir mon sang, pour me déchirer l’âme, pour effacer ce mal qui court, là, sur notre terre. Ce soir je suis d’une grotte lointaine, et j’ai peur comme au premier jour du monde, peur, mais je suis vivant… vivant… vivant, nourrit seulement de ces cendres d’étoiles qui gisent dans ma chair.

Franck

19 juin 2005

Quatre lettres suffisent....

Samedi matin 7h45

La journée s’annonçait belle. Le soleil. La chaleur.
Et puis quelque chose se casse. Un tout petit bruit. Vous savez le bruit que fait un rayon de lune qui se brise. Mon Ange me fait savoir qu’une de mes paroles l’a blessée. Un mot. Un mot de trop. Mal venu. Un mot de quatre lettres trop désinvoltes.
En quelques secondes toutes les portes entrouvertes sur cette belle journée se sont fermées une à une.
Et j’entendais claquer les portes à l’intérieur. Et le noir se faire, comme si la bouteille d’encre s’était renversée. A l’intérieur. Une immense tache d’encre noire, épaisse, lourde. J’ai provoqué une blessure par négligence, par désinvolture, par manque d’attention. Je voulais envoyer un sourire et c’est une claque qui est reçue.
Là, maintenant, il fait sombre. C’est monté comme une vague. Une marée d’un seul d’un seul bloc, d’un poids infini.
D’abord ça prend au ventre, au creux de l’estomac, puis ça envahi toute la poitrine et l’écume sombre se diffuse dans les membres, jusqu’au bout des doigts. Peu à peu je n’entends plus rien et je deviens aveugle. Ma tête n’est remplie que d’une seule phrase : " Tu lui as fait du mal ", et peu importe que tu l’ais voulu ou non, l’important c’est qu’elle attendait un sourire et qu’elle à reçu un coup.
Un mot qui tombe mal, juste sur la tranche, fait un dégât insensé en se brisant. Un bruit sec, que rien ne vient effacer, un bruit planté dans la tête comme un clou.

Attentif. On n’est jamais assez attentif, en éveil…

Un tout petit mot de trop, à coté, qui ne paye pas de mine et qui fait un ravage, parce qu’il est tombé dans ce coin de l’âme si fragile et que ces quelques lettres sont venues mettre la confusion, le doute, la douleur.
Et regretter ne sert à rien.
Et être désolée sert à rien.
Quelque chose saigne au loin.
A l’heure où j’écris, il fait déjà chaud, c’est une belle journée. Je le vois et pourtant elle ne m’atteint pas. Je me maudis mais ça ne sert à rien. Mes dragons sont là, tous. Je les connais si bien, ils déferlent en train bleu, bleu nuit, bleu d’amertume. Mon eau s’est troublée, la source hoquette.
Je jette avec rage les mots sur le papier, je voudrais les rentrer un à un dans ma chair, pour saigner plus noir, pour effacer. Quatre lettres suffisent, à détruire un sourire, quatre lettres suffisent à éteindre une étoile…
Quatre lettres, quatre gouttes rouge suspendues à leurs clous aux quatre coins du cœur pour qu’il se souvienne.
Quatre lettres de suie sans couronne d’épines avec dans leurs flancs cette page blanche et ses cicatrices obscènes d’où suintent de froids copeaux de lettre qui crissent sous la plume grimaçante.
Quatre lettres qui se noient dans une flaque de mots morts, oubliés dans une langue croupie.
Mes phrases sont titubantes, parce que quatre lettres suffisent pour éteindre une étoile.
Quatre lettres aux arêtes de verre, brûlantes et tranchantes….

Dimanche matin. Même heure.

Hier une vague de lumière a succédé au noir de l’encre. Mon coeur a fait le grand écart.
Il est un peu courbatu.
Le soleil est en train de se lever. La même journée qu’hier. Le noir en moins.

Franck

18 juin 2005

Nul n'est une île....

Au départ quand j’ai ouvert ce blog je ne savais pas où j’allais et je ne suis pas sûr de le savoir aujourd’hui. Au départ je croyais que je n’arriverais jamais à poster plus de vingt textes. Au départ ce n’était qu’une expérience personnelle, égoïste presque. Je n’étais confronté qu’à moi-même, il fallait que je titille mon désir d’écrire, que je me mette dans une situation d’écriture quotidienne. Pour voir. Au départ ma marraine d’écriture m’avait conseillée de ne pas m’occuper de savoir si j’étais lu ou non, mais de baisser simplement la tête et de pédaler. C’est ce que j’ai fait, avec le cœur rempli de doutes, d’hésitations, sur moi, sur mes écrits, sur qu’est-ce que cela veut dire de proposer à tout le monde des choses plus ou moins intimes. Quelle est la part d’exhibition là-dedans ? Est-ce que c’est de la littérature ou non ? Plein de questions sûrement intéressantes mais qui au fond n’avaient pas d’importances.

Et puis un fait majeur est intervenu, certains lecteurs ont commencés à se manifester en posant de temps à autre des commentaires, tous les deux trois jours je regardais mes " statistiques " en n’y accordant qu’un œil distrait. J’ai reçu des encouragements, des témoignages touchants, des compliments, toutes ces choses auxquels je ne m’attendais pas. J’avais la tête dans le guidon : produire mon texte quotidien en tentant le plus souvent possible d’être au plus près de ma veine. Et rien que cet " exercice " mobilisait une grande partie de mon énergie. Dés le début j’avais décidé, d’être dans une démarche de vérité, d’où pas de pseudo, et de me permettre tout sur cet espace d’écriture, tout ce que ma liberté me permettait, espérant ainsi l’étendre. Très souvent j’ai douté, entre fiction, fantasme, réalité, très souvent ces choses ce sont mélangées, très souvent j’ai voulu arrêté. Qu’est-ce que le vrai ? Qu’est-ce que le réel ? Et la vérité, quelle part d’elle, nous est accessible ? Quel " je " écrivons-nous ? A quel " jeu " participons-nous ? Rien d’original dans ces questions, chacun se les pose à un moment donné. Mais bien sûr, le plus souvent, les réponses nous échappent.

C’est alors que les témoignages des uns et des autres sont venus m’épauler, et peu à peu l’expérience prenait une autre forme, plus complexe, mais plus vivante. Avec quelques fidèles j’avais l’impression d’une sorte de fraternité. Parce que j’ai eu la grande chance d’avoir des lectrices et des lecteurs bienveillants, généreux.

Coumarine, la première à m’encourager, au moment où je commençais à faiblir, Coumarine, qui a la tête et le cœur pleins de jolis mots, et qui donne tout sont temps aux écrits des autres, des plus aboutis aux plus débutants, qui ne se lasse jamais, des merveilles qu’ils offrent, elle cherche de l’âme est souvent dans ses jolis textes elle nous offre les fruit de ses trouvaille. Merci Coumarine.

Chris, ma sœur, si entière dans ses élans, dans ses emballements, si tendre et si généreuse, elle repeint le monde, avec ses pinceaux, avec ses mots, qui ne manque jamais de rappeler que l’amour n’est pas un vœu pieu, mais qu’il frémit dans notre chair et que l’amour qui n’est pas donné est perdu définitivement. Alors elle en met plein, d’amour, dans ses commentaires, dans les images qu’elle nous propose et dans ses textes si sensuels, si près de la peau, si près du frémissement. Elle est vivante Chris. Merci Chris.

Lechantdu pain, qui avance avec la retenue, et la pudeur des âmes sensibles, qui pèse ses mots parce qu’il en connaît le prix et le poids. Je suis sûr, Lechantdu pain, que nous pourrions échanger de beaux silences ensembles. Tu sais, à la lueur d’une bougie. Merci Lechantdu pain.

Alix, douloureuse parfois, mais qui fait monter le soleil en elle, et qui n’hésite pas à dépenser toute cette chaleur nouvelle en commentaires pleins de douceurs et d’espérances. Un jour elle prendra sa plume et elle ira chatouiller l’ange qui dort en elle. Bientôt Alix. Merci Alix.

Amélie qui hier encore cherchait des mots pour dire l’amour et qui aujourd’hui, dans le désordre de sa jeunesse fougueuse place un à un des petits cailloux de poésie qui feront demain cette belle route d’écriture et de passion. Merci Amélie.

Arcadia qui de temps à autre ouvre la porte du blog pour apporter une senteur provençale, si douce à ma mémoire. Merci Arcadia.

Oui, merci à vous tous qui me donnez le courage de continuer, mais surtout l’envie.

Merci aussi, aux autres anonymes, qui passent par hasards, ou discrètement.

Je comprends mieux cette phrase titre de Thomas Merton : " Nul n’est une île ", je crois qu’il l’a prise à John Donne : " Nul n’est une île en soit suffisante… "

17 juin 2005

Le plus court chemin pour le mot....

Je n’ai jamais rien lu d’aussi proche de ce que je ressens et de l’idée que je me fais de la poésie. Tout y est. Tout ce que je pourrais écrire tentera de redire en plus gauche, en plus maladroit, ces paroles lumineuses. Parfois un artiste, un poète un écrivain atteint une sorte de grâce. Brusquement tout se condense en même temps, les mots ruissellent comme une pluie généreuse laissant apparaître un arc-en-ciel. On pourra faire toutes les exégèses possibles, cette parole de Bobin reste pour moi la plus claire sensation de la poésie.

La poésie on l’attrape avec les yeux et elle passe tout de suite dans le sang, elle inonde d’abord le cœur et la chair et bien plus tard elle monte au cerveau, d’ailleurs pas toujours, ce n’est pas obligatoire. Le cerveau. Dès que le cerveau s’en mêle, la poésie s’assèche, se désincarne, elle se vide de ses sucs, de ses odeurs, de ses nuances, et perdant ses larmes, sa nostalgie, elle s’éloigne et ses mots deviennent prétentieux, comme s’ils voulaient exister pour eux-mêmes. Les troubadours ne faisaient pas d’art, ils chantaient seulement, ils parlaient uniquement de cette délicieuse douleur d’amour, ils voulaient toucher la paupière des princesses ou leurs lèvres, ou leur peau, ou simplement leurs solitudes, leurs chagrins. Et ils ont inventé le souffle et le silence qui le dit. Ils enlevaient patiemment des siècles d’amures brutales. C’est eux qui ont blanchi la langue la première fois, à force de l’user sur des chemins de solitudes. Et à force d’user la langue ils ont trouvé de cœur des mots. Combien fallait-il en briser, des mots, pour obtenir une seule fois un cristal brûlant de tendresse ! Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Alors chaque chant fut un chemin, chaque poèmes une étoile pour guider, et chaque mot un baiser. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils vous échappent et se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoins de toute votre attention pour rejoindre à force de couleur une parole juste et attendue. L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure, la rosée qui l’abreuvait, le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce qu’on appelle le sang du poète.
Le plus court chemin pour le mot c’est le baiser.

Franck.

Ce qui suit est de C. Bobin, je n’ai pas les références du livre avec moi.

" La parole poétique est une parole nue, sans appui. Elle se dissout dans l’air qui la porte. Elle s’efface dans la voix qui l’énonce. Ce n’est pas une parole intelligente. Elle n’est pas plus intelligente qu’elle n’est bête. C’est une parole délivrée du langage. C’est une parole détachée de tout – et même de soi. Elle ne propose aucun sens. Elle ne dit rien qu’elle-même. C’est une parole offerte. C’est une parole ouverte à l’offrande infinie. C’est l’offrande lumineuse d’une solitude à une autre. Elle rend la terre à la terre. Elle redonne notre vie à la vie. Elle redonne à l’éternel son goût de périssable. La parole poétique est une parole amoureuse. Elle invente – dans le temps de la dire et dans celui de l’entendre – une communauté invisible, une fraternité silencieuse. Dans le monde, à qui demande du pain, on donne une pierre. Dans l’amour, à qui n’ose demander, on donne l’eau fraîche d’une parole. " (Bobin)

16 juin 2005

Etoile filante....

Elle était une étoile miraculeuse et scintillante
Dans l’opacité de mon ciel sombre
…et l’étoile est passée
…et mon firmament retourne à ses nuits ténébreuses
…maintenant crépusculaires
Etoile filante, comète à longue traîne, à peine entrevue, déjà disparue…
Pourtant le ciel est débordant d’étoiles…..

Franck

16 juin 2005

Je déborde dans le désordre.....

Là au moment où je suis en train de taper sur le clavier je n’ai pas envie d’écrire. Je me sens vidé. Pourtant je me dis que c’est maintenant que je dois insister.
Ecrire….un mot plus loin, plus haut, une note de plus dans l’arpège…
Sans jamais trouver une réponse sereine.

J’ai longtemps cherché mon style d'écriture, celui qui me correspondrait, celui avec lequel je me sentirai à l’aise, et ce que j’ai trouvé est un peu particulier, souvent cela me donne la sensation d’appartenir à mon style et non l’inverse.

Avant le blog, l'acte d'écrire pour moi est un acte grave. Je l'ai sans doute trop sacralisé, ce qui m'empêchait d'avoir vis-à-vis de lui une attitude simple, légère, naturelle, évidente. D'ailleurs, il en va de même pour beaucoup de chose, entre autre pour mes relations avec les autres, ou mes relations avec le monde. Je n'aborde rien de façon simple, apaisé.
Je suis un être douloureux, sensible, trop sensible. Mon écriture n'est pas une écriture d'histoires, de scénario, c'est une écriture d'émotions.
Mon rêve serait de transmettre avec des mots une émotion la plus pure possible.
Mais quand on y réfléchis, les émotions qui me stimulent sont peu nombreuses : le chagrin, la tristesse, le désespoir, l'amour et plus généralement tous ces instants où l'âme est "effondrée". J'aime cette idée d'effondrement. Elle me parle. Je la ressens très fort.
Écrire pour moi c'est atteindre un monde particulier, ces couches obscures qui gisent en nous, ces sensations souvent contradictoires qui nous bousculent. Le monde de l’autre coté des paroles, de l’autre coté de la vie, un monde fait de choses sans importances, comme les prières, les chants, les murmures, les silences, les larmes, les dons, le dépouillement, toutes ces choses gratuites, qui ne servent à rien et qui pourtant nous sauvent.
Exprimer l'inexprimable, se situer sur les bords de l'indicible.

Je n'ai pas d'inspiration au sens où on l'entend généralement. Les choses arrivent (quand elles arrivent) souvent pas surprise. J'attends qu'un rythme vienne, une sorte de musique (j’en ai déjà un peu parlé), pas une musique normale, mais une espèce de hômmmmm, qui se module, et qui peu à peu raisonne en moi ; puis il y a des sensation de lumières, plus ou moins claires, alors des mots viennent, comme si je mettais des notes sur une portée de couleurs(l'image n'est pas tout à fait juste, mais elle se rapproche de ce que je sens). J'ai l'impression de descendre en moi. C'est profond, c'est au fond. Quand parfois une association de mots, une image, la rencontre de deux sons ou la collision de plusieurs sens touchent au plus précis de mes os, j'ai une bouffée émotionnelle qui m'envahis et les larmes me montent aux yeux. C'est une expérience bizarre, exaltante et douloureuse. Mais une expérience forte, que je ne peux pas renouveler à la demande.
Il y a une pente et je m'y laisse entraîner, avec un sentiment de vertige, d'ivresse, c'est ça que j'appelle l'effondrement.
Il me semble que ce que j'écris s'adresse à l'âme. C'est-à-dire à cette partie centrale et profonde de l’être. Pour moi, l'âme n'a rien à voir avec la religion (catholiques, chrétiens, juifs, musulmans...), mais avec le sentiment religieux, avec la spiritualité ; cette sensation qui nous pousse à nous relier à l'humanité, et même, au-delà de l'humanité. On a quelque chose en nous qui résiste à tout et sur laquelle on s'appui sans le savoir. C'est la partie incorruptible de nous-même. Elle nous fragilise et nous rend fort dans le même mouvement.
C'est de "là" et pour "ça" que j'écris.
.........
Bref, tout ça pour dire que pour moi ce n'est pas si simple. Je pense même que je me crée de façon inconsciente des conditions d'impossibilités, ou pour le moins de difficultés, comme en amour d'ailleurs. Je suis le spécialiste des amours impossibles, douloureux, mais c’est une autre histoire.

J'ai l'impression d'être dans une solitude absolue (ce qui n'est pas toujours vrai), de ne pas être à ma place, nulle part.

Ne pas parler, ne rien dire à personne, ne pas être de ce monde... Bien sûr, c'est artificiel, mais je le ressens très fort, comme une source qui n'a pas trouvé son ruisseau, je déborde dans le désordre en pure perte.

Franck

15 juin 2005

Les mots croisés de Scipion....

Nous avons passé les derniers mois de sa vie ensemble. Un hasard. J’aurais du être loin. Mais j’étais là, un petit appartement pas très éloigné du sien. Je prenais mes repas avec lui. Le midi et le soir. En silence les repas. Le plus souvent. Dans sa cuisine, chacun à un bout de la table. Lui et moi, face à face. Jean et Franck. Le père et le fils. Deux miroirs face à face. Deux images irréelles. Il parait que nous nous ressemblions, physiquement. C’était vrai. Un jour on l’a pris pour mon frère, ce genre de remarque le flattait. Moi, cette ressemblance me donnait la nausée. Au moment où l’on se retrouve, comme ça, face à face, on ne sait pas que ce sont les derniers mois de sa vie. Lui, devait s’en douter. Enfin, je crois. Entre nous, le silence, plein, compact, il n’existe aucun espace. On s’est déjà tout dit, plusieurs fois. Et puis, je n’ai plus envie de lui parler. De toutes les façons, les mots n’arriveraient pas à traverse ce silence trop écrasant, trop épais, trop dense, trop solide. On était au bout de la route. On avait tout épuisé, seul le silence avait résisté. Ses journées étaient vides, sauf son verre qui lui était plein. Et le soir, c’est lui qui était plein. Histoire de vases communicants. Chez lui il n’y avait plus que les vases qui communiquaient. Les vases. La vase. La boue. La haine. La rancœur. Je voyais tout ça dans ses yeux, ses gestes, la crispation du visage, cette rigidité du corps. Soixante douze ans, pas très vieux pour notre époque, et encore bien conservé. L’alcool conserve. La haine aussi. Comme la rancune et la colère. L’alcool et la haine c’est la même chose, c’est le même mot. Au départ on se hait soi-même, après on hait les autres. On est en face l’un de l’autre. Il ne mange pratiquement plus rien. Plus d’appétit. Tu m’étonne, avec ce que tu bois. Avec ce que tu ressasses toute la journée toutes ces détestations, ça nourrit. Je ne t’aime pas, je ne te maudis pas, je suis simplement prisonnier d’un lien. Être, ta mère ça a été un long apprentissage du désespoir, être ta femme un long apprentissage d’avoir été méprisé et de la peur, être ta sœur un long apprentissage de la trahison, être ton fil… qu’ai-je bien pu apprendre avec toi ? J’ai envie de répondre : rien. Mais en fait c’est la colère qui parlerait à ma place. Chez nous ce n’est pas les Ténardiers . Chez eux les choses étaient claires. Sordides, mais claires. Chez les choses étaient discrètes. Invisible pour l’extérieur. Ton truc à toi, c’était le pouvoir. Posséder les gens. Tu cherchais les faiblesses et tu appuyais dessus. Au départ tu appuyais un peu, après tu appuyais très fort. Mais c’était trop tard. Tu aimais être fort en humiliant les autres. Comme tu étais intelligent et patient tu arrivais toujours à tes fins. Dans la cuisine désormais il n’y avait plus que nous deux. Janine ta dernière compagne, ne mangeait jamais avec nous. Elle t’allait bien celle-là. Pourtant comme les autres tu la méprisais, tu disais en parlant d’elle : " Janine , c’est un insecte…. ".
Tu écoutais la radio. France-inter. Et tu faisais des mots croisés. Et là, tu m’épatais toujours. Même bourré, tu y arrivais. Ceux de Scipion dans Paris-Match. Non, au départ ce n’était pas les Ténardiers. Tu étais ce qu’on appelle un père sévère, parfois tu avais la main lourde. Mais rien de plus que dans beaucoup de foyers. Trois ou quatre fois tu as frappé maman. Mais ce n’était pas tous les jours. Ta violence à toi était d’une autre nature : tu taisais les gens. Tu te mettais à ne plus leur parler. Une fois, j’avais dix ans, non, onze tu ne m’as plus parlé pendant deux mois. Pas un seul mot. C’était un jeu pour toi. Mais je peux te garantir que là, il y avait une vraie violence. Tu faisais du dressage. Tu n’étais pas un frustre, pourtant, jamais un geste d’affection, jamais un mot d’encouragement. Sur toutes les vieilles photos, pas une seule fois où l’on est tous les trois, toi, maman et moi, comme une famille normale.

Quand maman est morte, c’est là que nous entré tous les deux dans le face à face. C’est là que j’ai été piégé. Captif de ton regard. Je commençais à te connaître, et à savoir éviter le pire avec toi, mais cela m’obligeait à beaucoup de contorsions. Il y avait le " lien ", un ramassis de sentiments atrophiés, pervertis, il m’aura fallu quatre ans d’analyse à raison de trois séances par semaine pour m’en défaire.
Ce que tu aimais en moi c’était toi. Tout ce qui te rappelait toi. Tu écoutais la radio, le soir l’alcool aidant, tu parlais un peu, tu commentais les nouvelles. Tu étais devenu lepéniste et j’étais obligé d’entendre tes conneries et les siennes. J’aurais pu partir, mais dans la vraie vie ce n’est pas comme ça que ça se passe. On reste. Tu étais devenu raciste, et tu me parlais de la race supérieur. Pour le coup c’est moi qui te taisais, mais je restais. Tes yeux étaient rouges d’alcool et de colère, et de hargne, et le soir tu titubais et ta haine sortait dans tes mots. Je mangeais, je te regardais, et je me taisais.
Nous étions arrivés au bout du chemin, pourtant je n’avais oublié aucune de tes insultes, quant à bout d’argument tu cherchais à blesser l’autre au plus profond du cœur ; dans le fond tu me méprisais aussi. Mais toi aussi tu étais prisonnier du lien. D’ailleurs pour te faire perdre, pour te faire échouer j’ai du échoué moi-même. Il a fallu que je me perde, pour te faire perdre. L’âme humaine est complexe. Rien n’a résisté à ton désir de détruire ceux qui t’entouraient. A la fin, nous nous sommes retrouvé face à face, avec l’insecte à coté.
Plusieurs fois tu as dépassé les bornes, plusieurs fois nous nous sommes battus, physiquement. Je me souviens, tu bavais des injures sur moi sur ma femme, c’était insupportable. Je ne le supportais plus.
Chez nous il n’y avait pas de brutalités quotidiennes, il n’y avait pas de misère, il n’y avait pas de choses sexuelles, mais il y avait cette tension insidieuse permanente. Ce rapport de force constant.
Et puis il fallait que tu salisses tout, quand maman est morte, quinze jour avant tu es venu la voir. Déjà elle n’avait plus de force, plus de respiration. Tu es resté trois jours. Pour Noël. Le jour de l’enterrement, tout le monde était effondré. Et toi tu la ramenais plus haut que tout le monde. Tu voulais absolument souffrir le plus fort. Je me souviens de ta phrase : " Avec Suzette, on s’est bien battu, mais on s’est bien aimé, d’ailleurs quand je suis venu à Noël, je lui ai fait l’amour… " Qu’est-ce que tu voulais prouver, pauvre fou ? Crois-tu que j’avais besoin d’entendre ça ? Crois-tu que sa mère, à elle, Simone, avait besoin de ce genre de détail, un jour pareil ? Ne crois-tu pas que tu as atteins un sommet de vulgarité ce jour là ? Je me suis levé. C’est ta sœur qui m’a arrêté.
Donc, à la fin, nous sommes tous les deux. La boucle est en train de se boucler. Tes journées sont les mêmes. Radio, mots croisée, et la valses des verres : après ton café, tu commence à la bière, la bière ça compte pas, deux, trois, quatre ; midi, porto une bouteille tous les trois jours, du vin quand même pour faire passer tes deux sardines. Sieste. Puis, bière, une, deux, puis un porto pour faire passer le goût de la bière. Puis à dix-huit précise la soirée commence. Ricard. Mais pas des Ricard de fainéants. Tu appelais ça des " soupes ". Un, deux, trois… Et chaque jour la même choses.

C’est en allant chercher ton ravitaillement que c’est arrivé. Dans tes sacs, que du liquide, Tu étais trop pressé ce jour là. La soif, qu’est-ce que ça fait faire ! C’était un lundi. Tu as fait un léger malaise dans la rue. Samu, hôpital. Je suis là quelques instants après ton arrivé. Tout semble aller bien. Sauf, cette petite toux. Mardi la toux s’aggrave. Je m’inquiète au près de l’interne, la veille j’avais signalé sa dépendance à l’alcool et à la cigarette. A vingt heure quand je pars, il est mal. Déjà intubé. A une heure du matin l’hôpital m’appelle. C’est fini.
J’ai fais ce tu m’avais dit de faire dans ce cas là. Le feu. Et tes cendre dans la baie de St Raphaël. Et puis j’ai désobéi. La moitié seulement. L’autre moitié je l’ai amenée en Creuse, là où est maman. Je me suis dit qu’elle avait deux trois trucs à te dire, et que vous n’aurez pas assez de l’éternité pour vous expliquer.

Le lien était coupé. Non, pas vraiment. Le lien ne se coupe jamais totalement. Je continue de l’user. Là encore, en écrivant ces mots.
Je crois que je ne t’aime pas papa. Même avec le temps je n’y arrive pas. S’il y avait quelque chose à te pardonner je le ferais, mais je ne trouve rien. Alors on en restera là. Je n’ai pas de haine, pas d’indifférence, pas de sentiment. Quand je regarde en arrière pour considérer mon enfance. Je ne vois rien. Un long tunnel noir et gris. Pratiquement aucun souvenirs. Un long ennui. Une longue solitude impartageable. Et cette difficulté à rencontrer les autres. Mais je me soigne papa, j’écris des trucs, c’est pas terrible, mais cela met un peu de lumière sur les choses et le monde. Tu vois papa, j’ai quarante neuf ans et je me sens intact. Il y a des jours où au détour d’un mot je me sens heureux. Je ne suis pas celui que tu aurais voulu que je sois, mais ça cela me rassure un peu. Je vais te dire, je ne suis rien, mais mon cœur bat, et chaque jour j’ajoute un pétale de plus à la fleur de mon âme. Tu ne m’as pas appris l’amour, mais ne t’inquiète pas, pour cela il n’y a pas besoin de professeur, il suffit de se dépouiller un peu et de s’offrir au vent, à l’orage, et chaque jour j’aime un peu plus, c’est parfois troublant, désarmant, même douloureux à certain moment, mais plus le temps passe plus je suis léger. Parce que ce que tu ne savais pas, papa, c’est que j’étais un ange. Et que j’ai besoin du ciel et des étoiles. Tu m’as vendu un monde irrespirable. Et sur bien des aspects tu étais dans le vrai, mais le mien de monde, est un vitrail ruisselant, une source d’eau fraîche, il est fait de quelques prières qu’on jète en l’air pour fabriquer des étoiles, il est fait de rien mon monde, il n’a pas d’épaisseur, pourtant le sang qui le traverse est rouge comme un feu de St Jean. Je ne te dois rien, puisque la vie qui me reste j’ai du la réinventer. A part les mots croisées de Scipion. Que je fais de temps en temps avec rage. Rien, puis que je suis mort une fois, et que là c’est du rab. A part les mots croisés de Scipion. Le reste du temps je les décroise les mots, je rajoute un peu de lumière, quelques notes de musique et je les laisse s’envoler. Pas besoin de grille pour les tenir en respect, pas besoin de définition pour les dire ou les trouver, tu comprends, mes mots sont libres, certains s’envolent, d’autres flottent, ils sont ni horizontaux, ni verticaux, ils sont dans tous les sens, dans les yeux, la bouche, les doigts, les oreilles, et chacun d’eux chante chaque jour un peu plus l’amour, et les plus beau sont les plus silencieux, on ne les prononce pas, on les murmure à peine, on les laisse courir comme une longue caresse qui chercherait la peau d’une amoureuse. Mes mots ne sont pas les tiens, même s’ils saignent c’est leur propre sang qu’ils offrent ; les tiens provoquaient des blessures et les miens sortent de celles que tu as faites. Tu t’appelais Jean, et comme lui au début c’était le verbe, et comme lui à la fin c’était l’apocalypse. Moi je n’ai plus de nom. Et certains jours je les ai tous. Et tout va bien. Je ne suis plus de toi. Je suis d’une errance.

Franck

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