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J'irai marcher par-delà les nuages
28 février 2006

Chambre 3.......

Cela revient par la bande. Par bribes. Des petits morceaux de souvenirs. Une conversation entre les tombes du Père Lachaise. Rien de clair. Rien de net. Une torpeur épaisse et brûlante. Je ne peux rien en dire. Pourtant je sais que c’est là aussi, qu’il faut dire. Dans cette torpeur d’enfance. Ma vieille mémoire fait obstacle comme si les circuits n’existaient plus, comme s’ils n’avaient jamais existés d’ailleurs. Coupés. Tranchés dans le vif de l’oubli. Pourtant quelque chose de ma vie tourne autour de ça. De cette torpeur. De cette brûlure des yeux. Des mains. Des mains je ne sais pas… je ne sais plus… Pourtant je le sens dans mes mains aussi. Comme une tragédie. J’ai neuf ans et quelque chose, là, se passe. Quelque chose qui n’appartiendra plus à moi ou à mes souvenirs. Mais qui sera moi. En creux de l’oubli. A  l’envers de ma peau. En filigrane invisible et silencieux. Je sais que c’est collé à la paroi ; souvenir suspendu en rappel d’un vertige. Lisse comme un verre dépoli et opaque. Le désir collé au verre dépoli de sa prison. Lisse et envahi de torpeur. Un peu comme la mort. L’angoisse de mort quand elle vous submerge. Diffuse et pourtant implacable. L’impossible. L’interdit. Comme le sens. Comme le sang. Infinie volupté de l’hémorragie.
Alors, cela revient par la bande. Toujours. Une bouffée qui monte à l’intérieur, un brasier qui s’enflamme d’un coup, et ça retombe. Toujours. Dans une sorte d’étouffement du sens. Des images. Un mur infranchissable. Un au-delà impraticable, insensé. Alors ça revient, une
conversation, une lecture, une ambiance surtout, ou un espace de solitude trop grand. Un climat, une lumière. Oui, une lumière d’ombres branlantes et rouge. Le feutre d’un silence. Ca revient dans les parties évidées de la chair, par bribes et par la bande. Par derrière. Toujours par derrière. Juste entre la jouissance et la mort. Juste au début et à la fin des choses. Juste comme un déluge. Avec la mer ouverte en deux.
La mère. Blanche dans cette lumière de feutre pourpre. Dans cette chambre des cérémonies. Cette chambre des noces silencieuses et mortelles. Lente liturgie du silence et de l’effondrement. Lent passage vers la mort.
J’ai neuf ans.
J’ai neuf ans. C’est à ce moment là que ça se passe. J’ai des points de repères. A la fin des vacances de noël nous ne sommes pas repartis. Nous sommes restés à l’auberge avec maman. Celle des grands parents. Des parents de lui. De l’autre. On m’a expliqué que j’irai à l’école du village. On m’a expliqué que maman ne voulait plus revoir papa. Que ces histoires concernent les grandes personnes. Que ça arrive.  Que c’est la vie. Que maman n’en peut plus de lui. Que c’est ainsi.  Alors, j’ai été à l’école du village.
Le soir c’est mon grand père Georges qui vient me chercher. Je fais mes devoirs dans la salle de bar de l’auberge. L’hiver c’est la saison morte. Peu de passage. Quelques habitués, des représentant de commerces comme on les appelait. L’hiver, il y a toujours du feu dans l’immense cheminée du bar. Ce feu qui me fascine tant. Avec maman on occupe la chambre numéro 3. Au premier étage. Celle au bout du couloir à droite. Celle qui donne sur la cour, juste devant le gigantesque tilleul. Celle… La chambre est petite, mais elle est bien chauffée. Nous sommes les deux seuls occupants de l’hôtel, mes grands parents sont dans un autre corps de bâtiments. Nous sommes seuls. Dans cette petite chambre d’hiver. Une armoire, un lavabo, un bidet, une petite table, deux chaises et un grand lit. Un confort austère. Elle est petite, mais il fait chaud. Et il y a maman.
La journée elle dort beaucoup. Elle pleure aussi. Mais je ne vois pas. A chaque fois que téléphone sonne, elle sursaute… non, ce n’est pas lui. Lui il appelle une fois par semaine. Toujours le même jour. Toujours à la même heure. Pourtant elle sursaute.
Georges allume exprès ses fourneaux pour elle, il se met en quatre pour la faire manger. Il ressort son Escofier. Ca sent bon dans la cuisine et George à l’œil qui frise quand elle lui demande « Qu’est-ce que vous préparez papa ?.... ». Il ne répond pas. « Allez…dégagez de ma cuisine… » avec son grand sourire coquin. Ils veulent la faire grossir, ils pensent que c’est un bon moyen pour passer cet hiver de solitude.
En hiver on ne veille pas trop tard. Dans ce coin perdu de campagne il y a peu d’imprévu. Peu de clients le soir. Elle est triste. Mais je crois que je ne m’en aperçois pas. Elle est là. C’est suffisant. Le soir, avant de passer à table, ma grand-mère Claire lui dit « Montez vous maquiller Suzette… vous êtes toute pâlichonne…. ». Elle y va. Et quand elle revient c’est comme si la grâce s’invitait à notre table. Légère. Une beauté profonde, intense. Bouleversante. Comme un mystère. Comme ces femmes en noir et blanc que je vois parfois à la télévision. Jean Seberg. Tout le monde le dit. Moi, je n’en sais rien. Les enfants ne savent pas ses choses là. Les enfants savent la lumière, la chaleur, le parfum. Le geste qu’elle fait pour me recoiffer. La main qu’elle pose sur ma main. Depuis qu’on est ici, elle est plus proche. Plus silencieuse. Plus attentive. Plus calme. Plus secrète. Elle ne se sent plus obligée de relever chacun de mes faux pas. Elle ne se sent plus observée par l’autre, Elle est différente, elle est toujours maman, mais elle moins mère. Elle me regarde souvent. Souvent nos regards se croisent. En silence. Elle est là. Et c’est bien. Et c’est suffisant. C’est l’hiver. Et ça pourrait durer une vie, ou mille, ou l’éternité.
Et puis il y a la cérémonie. Chaque soir, ou presque. Avec sa tragédie de lueur opalescente. Comme un bonheur vénéneux. Comme le lent glissement d’un serpent entre les hautes herbes de l’enfance. Quand elle me rejoint, je suis déjà couché. Toujours. Je ne dors pas. Elle ferme la porte. Dehors c’est la nuit du bout du monde. Les craquements des branches du tilleul. Et le bruit de la rivière qui passe l’écluse. Grondement sourd dans la nuit. La rivière parle et crie la nuit. Je jour on ne l’entend pas ; la lumière absorbe le bruit, la vie absorbe le bruit. Mais la nuit, le bruit de l’eau occupe la profondeur des ténèbres. Un mugissement. Une plainte. Un chagrin.
Il n’y a que la petite lampe de chevet qui est allumée. Comme le cierge d’une messe noire. La chambre est petite.  Le parquet craque un peu. Je suis comme un gisant allongé. Sans doute mort déjà.
Chaque soir elle va au lavabo. Pour se démaquiller. Chaque soir elle va au lavabo pour faire son brin de toilette. Et chaque soir se passe cette chose impossible.
Il faut que je me souvienne de tout. Des gestes. L’ordre des gestes. Et de cette pénombre. Et de son corps qui se dénude. Un à un elle enlève ses vêtements. Gestes lents d’un charme bleuté. Elle se déshabille. Je me souviens de la lenteur. De la précision des gestes. Le pull, qu’elle plie et qu’elle dépose sur le dossier de la chaise. Le soutien gorge qu’elle dégrafe en tordant ses bras dans le dos. La jupe qui glisse au sol, et qu’elle ramasse en s’accroupissant. Ses collants avec lesquels elle entraîne sa culotte. Il faut que je me souvienne de son regard perdu dans le fond de la glace devant elle lorsqu’elle se démaquille. Nue. Ses seins qui bougent à chacun d ses mouvements, ses reins qui se cambre. Elle est penchée, souple, légère, délicate et céleste, gracile et pleine à la fois, le visage tendu vers le miroir. Presque sur la pointe des pieds. Il faut que je me souvienne du gant humide qu’elle passe sur sa poitrine sous ses bras. Je ne sais plus qui elle est. Un rêve. Cette première nudité, me fait mal. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu nue avant. Sauf, là. Devant moi qui gît. Avec ce gant qui passe sur ses seins lourds, durs. L’eau qui coule dans le lavabo. L’eau sur l’écluse qui gronde. Mon ventre qui me fait mal. Un désir en forme de vertige. Comme une chute au ralenti. Elle s’assoit sur le bidet. Toujours cette eau qui coule. Et ses gestes de sorcière en plein sabbat. Le ventre. Plus bas que le ventre. Qui a-t-il plus bas que le ventre ? J’ai l’impression que sa main entre à l’intérieur de son corps. . Elle se relève. Elle s’essuie. Les seins, le ventre, les fesses. Je vois la serviette ébouriffer la crinière de son sexe. Devant. Des poils noirs, incongrus, obscènes. Mon cœur frappe ma poitrine. L’image de ce sexe recouvert de poils noirs s’incruste dans ma rétine. Je sais que je ne suis plus en vie.  L’image de ce corps entièrement nu. Entièrement interdit. Entièrement là. Plus nu que nu, au-delà du nu. Ce corps blanc qui troue l’ombre de la chambre comme un merveilleux poison pour les yeux. Corps blanc de silence vers lequel rampe un désir inconnu, indécents. Corps de chairs chaudes blanchis dans ses mouvements impudiques. Et bientôt c’est la traversée de ce corps  blanc dans ma chair d’enfance tendue d’énigmes nouvelles. Révélation du silence sur le vacarme de l’eau de la rivière qui saute par-dessus l’écluse. Jaillissement de silences obscurs. Cérémonie du corps avec ses rondeurs de cuisses ouvertes, avec cette peau d’ombres blanches qui s’offre à mes regards meurtris.
Chaque soir.
La cérémonie.
Chaque soir le même trouble qui monte et me brûle, comme une éventration. Puis elle enfile une chemise de nuit. Presque trop courte. Presque trop transparente. Puis elle se glisse, là, au chaud du lit. Elle se glisse dans le grondement des eaux de la rivière. Dehors. Dans la nuit.
Je ne respire plus. Je suis toujours un gisant la tête fracassé par les images. Maintenant elle est là, allongée. Silencieuse toujours. Je sens son parfum. Je sens sa chaleur. Je ne bouge pas. Je n’ai plus de forme, plus de poids, plus de présence. Mon sexe me fait mal. Et je ne comprends pas, cette douleur de plaisir, cette douleur d’envie, cette soif, cette convoitise. Je suis dans une bulle de torpeur inepte.
Chaque soir. La cérémonie. Elle lit un peu. Souvent je m’endors à ce moment là. Parfois je la vois éteindre la lumière. Et je sens sa main sur mon front. Et je sens ses lèvres sur ma joue. Et je sens son corps près du mien. Immobile. Dans une bulle étrange, une bulle vaporeuse, initelligible, inavouable et pourtant délicieuse. Comme le premier péché, comme la première pomme et le premier serpent. Honte douce et sublime. Honte d’avant le déluge. Et souvent je m’endors dans le mugissement de la rivière qui dans la nuit souffle sa plainte. Son chant pour appeler le jour et la paix.
L’hiver est là, et nous recouvre de silence, il tend sa couverture grise sur nos corps d’amants impossibles.
C’est l’hiver, même cette nuit où je me suis réveillé. Où l’air me manquait. Dans cette chambre écrasée de noir. Nos deux corps emmêlés. Et le souffle de son sommeil sur mon front. Et nos jambes entrelacées. Et ma main au chaud de son sexe. Et sa main serrant le mien. C’est l’hiver. Je crois qu’elle est nue. Elle dort dans mes bras. Si petits. Amant suffoquant, amant tétanisé d’angoisses chaudes. Je marche dans la nuit interdite et oppressante. Et Interdite. Et oppressante. Et interdite. Je marche dans cette chair abandonnée. Cette chair ouverte. Fendue. Chair moite qui me brûle la cervelle et le cœur. Nuit de tragédie antique. Nuit de destin. Nuit de l’enferment, et l’enfantement. Nuit de mort lente, et douce, et bonne, et belle. Nuit sans étoile, sans lendemain. Nuit de l’intime, de l’unique et de la fin. Je sens ses seins s’appuyer contre moi. Même avec mon pyjama je sens ses seins. Et ma main qui touche son ventre. Et ma main sur son sexe qui s’ouvre. Comme l’appel d’un sort maléfique et envoûtant. Cortège de spectres qui parcourt ma nuit, d’enfance, vrille ma tête.  Avec la douceur de sa peau. Sa respiration lente et régulière. Juste son ventre qui ondule comme une mer apaisée. Une mer au repos qui se berce d’elle-même. Il n’y a plus rien. Plus de rivière, plus d’écluse, plus de nuit, plus de chouette. Rien, que cette respiration et ce ventre qui s’ouvre sur ma main, si petite, ce ventre qui pleure et ondule, ce ventre humide qui suce mes doigts. Oui, qui suce mes doigts. Ventre vivant, ventre qui lèche, ventre avec sa langue offerte.
Je ne sais plus le temps. Une seconde, une minute, une heure ? Les nuits du destin durent l’éternité et même au-delà. Je sais qu’elle est nue maintenant. Elle a doucement roulé sur le dos. J’entends le froissement des draps comme un tonnerre assourdissant. Froissement. Crissement. Frôlement.  Et ce petit murmure du fond de sa gorge. A peine des soupirs appuyés. Complainte, qui se faufile. Mince filet de voix. Comme un ruisseau. Comme l’ombre sur un ruisseau. Juste la plainte de l’eau qui ondule lentement dans l’écartement de la lumière. Je ne sais plus le temps. Il n’y a que la torpeur de l’instant qui chavire. Dégringolade sans fin dans l’épaisseur de l’espace noir, au cœur d’une turbulence cotonneuse. On ne chavire qu’une fois dans un naufrage. Une fois. Et vous avez la vie pour couler.
Dans cette chambre il n’y a pas d’image. Que des gestes à peine esquissés, que des sons à peine gémis, que des frottements à peine effleurés. Nuit lourde de cet :« à peine ». Comme cette main qui dort sur mon sexe d’enfant. A peine. A peine sacré dans cette cérémonie célébrée, entre la terreur et l’extase. Lente descente du sacrement dans la nuit. Dans la peur. Dans les morsures. Nuit des goules et des ombres et des loups hurlants. Ventre chaud qui danse légèrement. Et sa main qui se pose sur ma main. Et sa main qui entre dans le corps de son ventre. Et sa main qui tremble sur ses propres chairs. Sa main qui presse ses seins comme si elle donnait du lait à la nuit. Et son ventre qui se creuse de longs soupirs, comme une mer qui danse et qui rend son eau sur le bord d’une plage dévastée. Lent cheminement de la mort et de l’extase. Du sublime et de l’horreur. Jusqu’à la crispation. Jusqu’aux derniers soubresauts. Les cuisses qui se serrent. Ma main prisonnière des chairs brûlantes et poisseuses. Et ce soupir si long, quand elle se retourne et s’éloigne. Rattrapée par son sommeil. Juste ma main posée sur ses fesses. Juste la douceur de cette peau. Juste la douleur d’un mal qui grandit lentement. Juste l’oubli, après. Juste le désespoir.
Nous sommes restés trois mois dans cette chambre. Jusqu’aux vacances de Pâques. Il a fallut qu’on la libère, la saison commençait. Nous nous sommes installés dans l’annexe. La chambre était plus grande, pas chauffée, et il y avait deux lits.
Nous somme restés trois mois dans ce silence mort et cet oubli. Trois mois de cérémonies. Et une nuit de sacre mortel. Noces impures. Sans voile, sans couronne, simplement la moiteur. La torpeur qui me prend tout le corps, encore maintenant. Comme si je devais traverser une brume brûlante. Et la stridence…
C’était l’hiver. Nous étions chambre 3. Celle qui se trouve à droite au bout du couloir. Celle qui donne sur le grand tilleul de la cour. La chambre 3, la même chambre où elle agonisera et mourra neuf ans plus tard. La même chambre. Le même lit. La même chaleur. Et la mort entre nous. Depuis toujours, entre nous. Chambre 3, où neuf ans plus tard, une vie plus tard, l’hiver, je regarderai la neige tomber, lente et lourde. Et son souffle rare, rauque couvrir le bruit de la rivière qui saute par-dessus l’écluse. Chambre 3, où elle dira dans ses derniers souffles son « pardonne-moi… » énigmatique…Chambre 3, il y avait un lit, une table des chaises, deux. Un lavabo, un bidet. Et la mort cachée dans l’ombre.
Franck

 

 

 

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22 février 2006

De nos Soleils........

Souvent un silence vient se mettre en travers de la parole. Sa voix se suspend comme si elle se trouvait tout près d’un vide. La chute des mots. Et le silence. Là. Comme un lac infranchissable. Un lac d’orage et de glace. Les mots n’accrochent plus la voix, ils sont dans l’ignorance d’eux-mêmes et de la chose à dire. Ils sont habillés de points de suspension pour passer inaperçu, pour ne pas dire ce qu’ils voudraient dire, pour ne plus dire, parce qu’ils ont peur du sens et des conséquences du sens. Du vertige. De la chute. Traversée d’un espace chancelant. Traversée blanche de l’indicible. De l’instant qui se désaccorde.
Moi aussi je trébuche dans ce silence. Brusquement il claque. En fait, non, le mot est mal choisi, il ne claque pas, ça ressemble plutôt à une crevaison, la chair des mots retombe sur la chair du vide dans une sorte d’affaissement, de réduction à l’intérieur.
On trébuche dans un silence, on pourrait aussi ne pas s’en relever.

Pourtant les siens sont lumineux. Pourtant les siens sont essentiels. Car il faut s’arrêter.
Alors elle s’arrête.
Et tout son être se rassemble, et tout est là, condensé dans cette absence apparente. Toute sa présence est là. Manifeste. Souveraine. Ce silence n’efface pas sa personne. Ce silence l’appelle, la nomme, la désigne. Ce silence est un chant. Son chant. Lourd, grave, comme ces vents qui traversent la steppe mêlés à la neige, aux souvenirs, à la confession des mourants. Ce silence racle les peaux mortes de l’os, dénude de l’inutile, enlève les masques et les apparats. C’est le temps de la reconnaissance, de notre reconnaissance et de l’apprentissage, de notre apprentissage. C’est le temps de l’apprivoisement et ce silence est le jardin proposé qu’il nous faut traverser chacun de son coté, marchant l‘un vers l‘autre, tenant chacun un bout de ce silence, chacun, comme si l‘on se tenait la main. Chacun. Car ce silence sacre dans la douleur, puisqu’il oblige. Puisqu’il est contraction du ventre des mots avant l’accouchement du sens et l’accomplissement du jour. Puisqu’il est baptême, et immersion, et efforcement de vie. Puisqu’il est racine malaxant, pétrissant, façonnant les graines de joies, de rires, d’espérances. Puisqu’il est parfum avant d’être fleur. Puisqu’il est attente nuptiale. Puisque la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.

Car elle est de la naissance comme on est d’un pays, d’un lieu, ou d’une mémoire.
Elle est de ces contrées de la vie qui hésite encore. De cet endroit si fragile, qu’il nous fait trembler lorsque nous y repensons. Elle est de ce lieu premier, du premier jour. De cette aube désarmée, vulnérable. De la première goulée d’oxygène, du premier éclaboussement de soleil. Elle est de ce lieu du premier mot, celui qui se crie dans la peur, l’exaspération, l’étonnement, la colère et la délivrance.
Car elle connaît la source puisqu’elle y retourne chaque jour, puisque c’est son chemin. Puisque accueillir est la forme de son destin.
« Bienvenu parmi nous » elle dit. Même si certains matins elle n’y croit pas assez. Puisqu’elle nous sait si coupables, si étroits, si pleutres, si vains. Et pourtant elle pardonne, chaque matin, pour aller accueillir l’enfant qui naît.
Car elle est magicienne. Elle sait que les enfants naissent d’abord dans les mots. Alors elle accompagne la parole de la mère. Avant de préparer les linges elle répare la parole. C’est pour ça, le silence. Il faut bien la réparer cette parole. Il faut bien que l’enfant y trouve sa place dans cette parole de mère. La chaleur des mots vient souvent d’un silence offert. Elle est là pour ça. Pour accoucher les mots avant que l’enfant naisse. On ne le sait pas assez, ce que l’enfant tète ce sont les mots blancs du lait.

Car sa lutte commence avant. Bien sûr, elle accouche les enfants, mais elle sait que c’est avant que ça commence. Accompagner la mère c’est labourer une terre. C’est la faire respirer, c’est appeler sa voix, puisque l’enfant nait dans la voix de sa mère.
Alors elle se tait, et par le poids de sa présence elle fait venir les mots. Un à Un. Bien avant la perte des eaux. Dans le secret des murmures et des larmes, dans l’abandon et le découragement elle fait accoucher la vie bien avant que l’enfant ne paraisse. C’est presque biblique. Et c’est un long chemin. Les mères souvent croient qu’il faut préparer la chambre pour accueillir l’enfant et omettent l’essentiel. La parole. La parole disant le désir. Les mots qui s’incarneront. Et la chair qui naîtra de cet appel.
Alors chaque matin elle remonte le courant de la vie bien au de-là de la vie. Et c’est ça qui lui donne cette lumière. Et c’est ça qui lui donne cette gravité. Et c’est pour cela que son silence brûle.
Chaque jour elle va à ce puits de mystère qu’est la vie, ce long puits profond abritant une eau si claire et elle tire sur la corde des mots de la mère pour faire issir les yeux, les mains, la bouche, tout un corps de chair avant la chair. Elle tire sur la corde des mots dans le silence et la concentration, presque dans la prière, puisque la prière est don, puisqu’elle est offrande. Elle remonte des ténèbres du puits l’eau de vie, l’eau claire, l’eau des rire de demain.

En fait elle ne travaille pas, elle danse. Mieux, elle accompagne. Et accompagner c’est faire une place à l’autre. Ou danser avec lui.

La vérité du mot c’est le silence qui le suit.

La vérité de l’amour c’est le silence qui le précède.

La vérité de naître c’est le silence qui l’accompagne.

Et ce silence te grandit en enfance, donc il te grandit en vie.
Et j’aime tes silences parce qu’ils sont des promesses, comme la nuit qui se tait pour faire place à l’aurore.
J’aime tes silences, même les plus fragiles, même les plus douloureux, puisque c’est le temps des labours, des terres brassées. C’est le temps des contractions, juste avant le naître.
J’aime tes silences, puisqu’ils nous sollicitent à l’endroit de nos douleurs… à l’endroit de nos soleils.
De nos soleils…..
Franck


19 février 2006

La Dune.....

Elle m’a dit, c’est bizarre tes textes maintenant, on dirait qu’ils disent le contraire. Le contraire de ceux d’avant. Avant, tu allais vers un au-delà, tu tentais de franchir la barrière de l’impossible. Aujourd’hui, ils sont tout en concentration, en retour vers un centre.
Avant. Il y des siècles. Presque deux mois. Presque deux vies.
Avant, l’autre n’existait pas. Il n’était que l’émanation d’un fantasme, d’un désir dévoyé, la sensation d’une boursouflure qui grossi et se nourrit que d’elle-même. La sensation exaltante de combler un espace infini par la magie d’un mot, d’une phrase. Boursouflure du rêve, avec ces images d’un impossible devenu accessible. Magie de l’instant qui efface d’un seul coup l’espace et le temps. Sans limite. Comme si la marée visait un au-delà des terres. Une marée sans rivage pour pouvoir l’accueillir Avant l’autre n’était que l’image de l’autre. Ce n’était qu’un jeu de reflet, la trace prégnante d’un désir vain. Vaste champ de miroirs où les images cascadent les unes dans les autres, s’entrechoquent et ricochent sur un imaginaire blessé par ses propres blessures. Imaginaire de lambeaux ou de bandes Velpeau, bandelettes d’irréels qui cachent des plaies bien réelles. Le fantasme c’est l’océan sous la mer. Sous la mère diraient certains. Sans doute. Il y a là, un jeu avec la mort. Un je avec la mort. Toujours avec le fantasme. Puisqu’il est question, au bout du compte, d’un anéantissement. Puisqu’il s’agit que l’on perde. Il est attirant, comme le chant des sirènes. Qui voulaient tuer l’élan désirant des argonautes. On est autiste et on ne le sait pas. Un autiste qui serait hors de lui-même, hors d’atteinte de lui, et qui ne pourrait plus rentrer dans sa maison. Le chant qu’on entend, celui qui nous guide, nous vient de l’intérieur. Car l’autre n’existe pas. Même s’il a l’apparence d’un ange, il n’existe pas. Les anges n’existent pas. On le sait, tout le monde le sait. Et pourtant, on veut croire parce que on a besoin d’un signe. On a besoin que le monde nous réponde à cet endroit de l’impossible. A cet endroit de l’insensé.
Mais le monde se tait. On le sait depuis la nuit des temps.
Le monde se tait. Il nous tait.

J’ai dix-neuf ans. Je suis au milieu du Sahara. Je l’ai tellement voulu ce désert, je lai tellement rêvé. Des nuits entières penché en silence sur des cartes à fabriquer des itinéraires. Avec tous ces noms de pays des mille et une nuit. Je suis au milieu des sables de la planète, dans ce lieu du vide, dans ce lieu du rien. Mer de dune inerte, houle figée dans l’instant minéral et brûlant. Sable poussière, comme nos vies, comme nos mots, qui effritent leurs lettres et leurs sons dans la véhémence des amours inachevables. Poussières. Dans un infini indifférent. Silence des sables infinis.
Je suis sur la dune. La plus haute, la plus belle, la plus vierge. Lisse et ocrée, avec cette ondulation impossible à décrire. Nette et tranchante, et à la fois si fragile. Océan de poussières orangé ou seul le soleil et vent peuvent prendre place et naviguer des heures avec ce mutisme de lame de couteau. Effilement des crêtes où les ombres affinent toujours plus les bords coupant du regard. Je suis assis les yeux calcinés de vide et les mains enfouies dans le sable, à la recherche d’une sensation. Qui ne vient pas. Je me cherche sous le sable et je ne me trouve pas. Je suis brusquement devenu insaisissable. Je devient poussière et aussi vide que le désert. C’est à ce moment là que ça déferle. Une immense tristesse. Elle vient de nulle part. A moins qu’elle ne vienne juste de cette émotion de matière du sable sous mes doigts. De ce contact vrai. Dans lequel chutent des années de rêveries.
Je suis là où je voulais être et pourtant tout s’effondre à l’intérieur. C’est un lent et long glissement. Je regarde la magie qui m’entoure et je sens cette vague de mélancolie froide m’envahir. Depuis toujours c’est la même. Après ça sera encore la même. Je ne suis plus dans le paysage, j’en suis décollé. J’ai appelé ça l’exil. C’est la première fois où je l’ai ressenti de cette façon, aussi clairement. Assis sur la dune, la plus haute, la plus belle, la plus vierge. J’essaye de parler, je m’en souviens. A qui ? Parler au milieu des sables est une expérience incongrue. Les mots n’adhèrent pas à l’air. Ils semblent tomber en poussière pour se mélanger au sable, au sable, au sable…Ici, la parole est vaine, tout réclame des actes, du faire, de l’agir, du vivre, du survivre et je me sens écrasé entre mon rêve et la réalité. Je ne sais plus ce que je suis venir faire ici. L’émiettement. J’ai voulu cet instant et maintenant qu’il est là, tout s’effondre….

Elle m’a dit : pour la première fois, j’ai quelqu‘un en face de moi. En fait, on est l’un en face de l’autre. Cet autre là, existe, et c’est nouveau. C’est la première fois pour moi aussi. Je sais que là, il n’y a pas de fantasme, j’en ai fait déjà la traversée. On est en face l’un de l’autre. C’est pourquoi mon écriture se retourne comme la peau d’un lapin écorché. Je ne dis pas le contraire, je dis simplement l’envers.
L’envers d’Avant.
J’en suis au plus vif, au plus sanglant de la peau des mots.
Depuis quelques jours l’autre existe. Un vrai autre. Un, qui se trouve en face de moi.
Et ça change tout.
Le fantasme peut s’arrêter.
Et le rêve et la vie peuvent commencer.
Il y a de la douleur dans le décilement. Mais pas seulement. Il y a comme une mise en mouvement. Une remise en route. Au départ c’est lent et lourd. C’est pesant. On vient de si loin.

Je suis sur la dune et le chemin sera long, mes pas s’enfoncent dans le sable. Je ne sais pas où ils me mènent, mais je sais que quelque chose de pur et d’inaliénable grandi dans ma chair. La lente montée d’un désir.

Comme une fleur inexorable.

Et l’aube, enfin, peut se lever.

Franck

16 février 2006

... C'est le temps du caillou....

Il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Le juste balancement de la vague. Retrouver la marche sur le fil tendu entre mes rêves et la réalité. Il est temps de se séparer de l’inutile pour renouer avec l’essentiel. C'est-à-dire le pauvre. Le nu. L’évident. J’ai trop perdu de temps à suivre des routes qui n’étaient pas les miennes, ou des jupons trop courts sur des cuisses trop légères. Espérant l’impossible parce qu’il était impossible, en mettant du symptôme au cœur même du désir. Je suis las de moi et de mes errances vaines. De mes amours adolescents sans issue. Je suis las des anges et des diables, des saintes ou des catins, de ce cortège d’ombres qui traverse mes nuits. Je me suis tant perdu à vouloir l’impensable. Il est temps de laisser les morts aux morts et de souffler sur ce qui me reste de vie. Je suis las des trahisons, des promesses sans lendemain. Je suis las, infiniment las des bassesses, des veuleries, de ceux qui parlent trop fort, dans des écritures trop pleines, sans espaces, sans attente, sans espoir.
Au départ, tous les chemins se ressemblent, on marche insouciant la tête en l’air et les mains dans les poches. Et c’est bien après, qu’on s’aperçoit que l’on s’est trompé. On est très engagé, on est même perdu. On s’entête, on s’obstine.
Alors, il me faut remonter le temps des mots. Pas à pas. Pour retrouver le mouvement juste. Petit Poucet recherchant ses cailloux. Un à un remonter le souvenir à travers mes forêts. L’endroit exact où le chemin a basculé, où les pas se sont égarés. Remonter au premier caillou. Qu’elle est la dernière question avant le premier caillou ? Avant. Juste avant. Avant les premières morts et les premières nuits cauchemars. Avant l’obscure. Avant la fin. Il y a forcément un fil qui tient tout cela.

 

C’est l’histoire de tous les contes, le héros se morfond et s’ennui, alors il quitte sa maison, son pays, il veut voir le monde, le vent et aimer toutes les femmes, il veut sentir son sang lui brûler les veines, il veut être roi, prince, poète, capitaine, jardinier, il veut la richesse, les honneurs, les amours, il veut les plus hautes montagnes, les déserts les plus vastes, les océans les plus dangereux. Alors il part sur les routes, sur toutes les routes. Et il coure. Et il s’épuise. Et il s’ennui. Et il s’ennui toujours. Et le monde s’est rétréci, et la princesse était une souillon, et il ne fut pas capitaine et à peine sergent, et il ne fut pas poète, à peine s’avait-il écrire, et il ne fut pas jardiner toutes ses roses se fanaient, et ses montagnes ne furent que des collines desséchées, et ses déserts de pauvres landes arides et ses océans quelque mares aux canards. Et ses rêves s’usaient.
C’est l’histoire de tous les contes. Alors il s’en revint. Il revint au lieu de sont départ. Et plus il se rapproche, plus il se sent léger. Léger mais triste. Et  plus la marche lui semble douce, plus il se met à pleurer. Plus il se rapproche, plus il se dépouille de ses manteau d’illusions, et plus il est nu, et plus il se sent riche. Riche mais perdu. C’est l’histoire de tous les contes. De retour dans sa maison, il est de retour en lui-même. Il s’habite de nouveau. Il est à l’heure exacte de lui. Mais il ne le sait pas. Pas encore. Il est sans fard. Sans impatience. Sur le chemin, devant sa maison, une voix l’interpelle : « Tu ne me reconnais pas ?... Tu te moquais de moi, il y a longtemps…tu voulais conquérir le monde, et moi, tu ne me regardais pas… tu voulais des princesses, des richesses…. Alors la pauvre Fanette, tu ne la voyais pas… Et pourtant tu es là, maintenant, où sont tes princesses … où sont tes richesses ? Qu’as-tu fait de ta vie ?»
C’est l’histoire de tous les contes. Fanette tenait dans bras un enfant d’une blondeur de blé tendre. : « Ma richesse, à moi, elle est là…. à user tout mon temps dans cette terre d’enfance, à labourer chaque jour un peu plus profond cette terre d’espérance faite de chair fragile… et qu’as-tu labouré, toi, durant tout se temps ?  Ta famille avait un champ, regarde les ronces, les taillis le recouvre….Mais si tu veux, je t’aiderais…mon époux est parti, lui aussi, alors je t’aiderai…. mais d’abord aide-toi….commence à creuser ton sillon. Creuse la terre ou le ciel, mais creuse. Creuse ce qui est à toi. Creuse au centre de ton désir. Creuse et ne te relève pas. Creuse ton champ ou le ciel, creuse le chant ou la prière, mais creuse sans t’arrêter. Creuse droit. Dans le sens de ta vie. Vas toucher l’os derrière tes chairs molles. Et je t’aiderai…..C’est l’histoire de tous les contes.

Il se leva et il creusa.
Longtemps.
Profond.
Un jour il dit à Fanette : « Vient là, viens voir…. »
Ils sont devant le champ tout retourné, tout labouré. Avec la terre noire qui fait des boursoufflures, comme des cicatrices.
Il déplia un petit mouchoir. « De mes errances j’avais gardé quelques morceaux de rêves, ils sont en poussière, mais c’est ce qui me reste. Ces quelques cendres grises. Un rêve c’est comme une étoile, c’est loin et cela brille quand il fait nuit. Un rêve c’est silencieux, comme une étoile. Mais les rêves meurent comme les étoiles. Voilà ce qui me reste. Voilà ce qui reste de mes élans, de mes tentations, de mes peurs, de mes larmes, voilà ce qui reste des chemins que j’ai parcouru. Regarde, comme c’est pauvre. Regarde cette poussière de vie comme elle est fragile et triste. Comme ces étoiles qui meurent en silence et dans l’indifférence du temps et de l’espace. Voilà, tout est là… Alors si tu le veux, maintenant que cette terre noire est toute retournée, maintenant qu’elle est prête, nous allons semer ensemble. Et je crois que ces rêves là, sur cette terre là, sauront donner de belles moissons. La cendre des rêves est un bon engrais.
C’est l’histoire de tous les contes. Au départ on est là, dans l’ennui et le désespoir de nous-mêmes. Après l’on quitte sa maison, laissant tout en désordre. Sourd, aveugle, remplis de soi et d’orgueil. Et plus l’on s’éloigne, plus l’on se quitte. Mais on ne le sait pas. On est dans la distance de soi. Et puis un jour, au détour d’une aventure malheureuse de plus, on comprend, alors on consent.

On consent à ce retour vers le centre. Vers le lieu. Vers le seul endroit de soi habitable. Là où l’on est nu, et pauvre. Mais entier.

« Tu vois Fanette cette poussière, c’est ce qui me reste, et cette terre noire sera grosse de ces cendres. Et le noir de ce champ, sera demain l’or d’un blé. Et le pain qui cuira aura la saveur des aurores… »

 

Les contes naissent dans la nuit c’est pourquoi on les murmure. Ils ont besoin de la pénombre d’une flamme. Ils ont besoin d’accrocher leurs mots au rouge sang d’un feu ardent.
Ils ont surtout besoin de notre écoute, de notre attente…

Les contes naissent d’un épuisement.
Ils naissent d’un retour et d’un abandon.
Je suis las de mes errances, las du vacarme des anges maudits, las de cette mort rampante qui empoisonne mon sang, las des chants macabres, des agitations verbeuses, des danses de Saint Guy… c’est le temps du retour.
Un caillou… puis un caillou…puis un autre…
C’est le temps du début, celui de la création.
Et du silence de l’aube.

Franck.

14 février 2006

... C'est un point d'infini.....

Le texte devient une urne. Les mots y tombent et s’y rassemblent pour raconter une autre histoire. Une urne dégoulinant de cendres. Poussière de vie brûlée. Calcinée. Une autre histoire. La même, mais pourtant si différente. La même. Une vie dans la vie. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. Du désespoir sur nos larmes. Une vie vécue à l’intérieure de notre vie. En cachette de notre vie.  Une vie puissante et inconnue de nous. Une vie silencieuse et brutale, et cruelle. Savage. Quelque chose est à l’œuvre et s’oppose. S’oppose à nous et pourtant nous déploie. Et se dresse. Implacablement se dresse. Marionnette. Et seuls les mots de cendres la dise cette vie de nous vécue, cette vie par nous vécue. Le texte raconte derrière le vacarme des sons, une autre histoire. La notre. La vraie. Celle qui ne se dit pas. Celle qui se déroule derrière nos gestes, celle qui tapisse les murs de nos pensées colorant d’étrange façon les heures, les jours, les saisons. Les mots tombent au fond de l’urne funéraire du sens. Dans le vrac de notre existence. Dans l’indécence de leurs postures obscènes. Texte bribes. En morceaux. En éclats. Je voudrais brûler les cendres. Mais elle ne brûle plus. Elles sont froides ou tièdes. Ce sont des cendres. Les cendres ne brûlent pas. Eclats poudreux d’un reste d’incendie. Le texte raconte autre chose et je ne sais pas quoi. Il faudrait tout ressortir, tout étaler, là. Devant moi, les yeux ouverts, dans l’ombre et le silence. Vider la vie consumée, calcinée. Il faudrait tout étaler pour interroger à nouveau, interroger sans cesse l’autre histoire, l’autre vie. Dans le silence. Et épeler chaque mot comme si nous renommions chaque objet de la création, comme si nous appelions chaque objet, chaque visage. Longue litanie. Mes mots me parlent et je ne les entends pas. Ils disent, mais je ne comprends pas. J’ai beau les mâcher, les réduire, je n’en trouve pas la saveur. Le texte me sait, mais il me tait, il me nie. Et plus j’écris, plus je me sépare, plus je m’éloigne. Du centre. Du sens. Je sais, qu’il me sait. Même devant moi, les yeux ouverts, le thorax ouvert, je ne vois rien, je ne sens rien. Hormis le déchirant passage de la parole sur les parois du corps, comme un glacier raclant la roche. Et la glace passe gardant son mystère, sa langueur et son effroyable silence.
Cherche-t-on, le secret dévoilé ou la rémission ? Que vaut-il mieux, l’aveu ou la miséricorde ? Ou rien de tout cela. Ou tout à la fois.
L’urne des mots est un tribunal silencieux, tout nous dénonce et rien ne nous nomme.

Chaque mot possède deux couleurs, deux sons, deux sens, deux poids, deux destins. Chaque mot porte en son sein un morceau de vie et une part de mort. Chaque mot est à la fois un cri et un murmure. Chaque mot nous attache et aussi nous délie. Chaque mot est son propre contraire, il nous appelle et nous dénie, il nous frappe et nous caresse. Chaque mot nous dit pour mieux nous trahir, il nous espère pour mieux nous désespérer. Il nous accompagne pour mieux nous perdre et nous séduit pour mieux nous tromper. Le sang des mots est noir tout chargé de cendre qu’il est. C’est le poids des faiblesses qui lui donne cette couleur. Et les mots nous accusent sans nous dénoncer. Et ils nous désignent sans nous révéler.
Pourtant chaque mot renferme un silence. Le cœur de la brûlure recèle un silence intact. C’est un point minuscule, plus petit qu’un diamant. Chaque mot est percé d’un silence, c’est pour cela que l’on ne s’entend pas et encore moins les autres.
Chaque mot, comme chaque vie, est percé d’un silence, c’est par là que passent les constellations et les météores, c’est l’endroit de la parole qui ne peut être lésé, le seul endroit qui échappe à l’urne et aux cendres.
C’est un point d’infini brodé au cœur du mot.

Franck

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13 février 2006

....à l’heure exacte de nous-mêmes.....

Il y a un moment où les peaux se rencontrent. Il y a un endroit du jour qui fait comme un vertige. Où la lumière s’absorbe. On est dans l’absence de soi. Dans le silence de sa raison. Juste dans le vertige des peaux, des corps. Des souffles. Comme si l’on versait vers une fatalité ou que le réel s’accordéonait dans la stridence d’une harmonie désaccordée. Le soufflet de l’instrument s’écrase sur lui-même comme deux corps qui se rejoignent. Avec le souffle et cette respiration de fin du monde. Et cette aspiration qui brûle les entrailles. Précipitation des gestes qui cherchent l’octave, d’une symphonie inachevable. Suspension. Temps d’urgence suspendue. Accrochée aux quatre clous du destin. Juste un vertige. Quand la chair se frotte contre la chair. Juste à l’endroit du désir. Et l’abandon qui cascade et ricoche sur tous les os. Il y a des heures à angles droits. Qui sonnent dans l’aigu. Un temps qui sacre d’un poids trop lourd les battements du cœur. Comme si le passé accourait telle une meute affamée, se partager la dépouille d’un présent qui se terre entre deux caresses maladroites. Temps des proies où les ombres se lèvent en même temps et courent en tous sens dans la maison du cœur ouverte à touts les vents, la maison que vous venez de déserter. C’est un moment vent, de tempêtes, c’est un moment de landes, qui appelle au grand rassemblement de nos fantômes silencieux, qui passent et repassent entre la paupière et l’œil, juste derrière le regard. 

De quel amour es-tu, mon amour ? D’où vient ce vent qui brasse nos chairs ? D’où viennent l’attente et ce dénouement qui s’effondre ? Comme les cartes de ce château….

D’où vient cette mort étrange qui ricane dans un coin attendant son tour pour se repaitre des rêves perdus et des pleurs venu avec le crépuscule ?

C’est bien au cœur de cet effondrement qu’il faudra se relever. C’est bien ce mur de plomb qu’il faudra traverser. Il faudra bien que nos caresses et nos baisers traversent enfin la muraille. Même s’il faut des larmes. Surtout s’il faut des larmes. C’est bien de là que nous partons. Du plus loin. Si près et pourtant si loin de nos propres corps, comme si nous avions déserté l’espace d’un vertige, notre âme, comme si nous étions sortis de nous-mêmes en claquant la porte. Il nous faudra bien revenir. Et sonner à l’heure exacte de nous-mêmes.

Je n’ai pas peur d’avoir peur. Je n’ai pas mal d’avoir mal.

Franck

8 février 2006

Comme le premier jour....

Il arrive un moment où c’est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Elle me questionnait sur ces instants. Et ma mémoire refluait. Je voyais des images. La chambre. Et je n’arrivais pas à lui expliquer clairement. La journée où je suis mort. Depuis dimanche, j’y repense. J’essaye de retrouver la chronologie. Je ne vois que la chambre. Verte. C’est l’été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l’entends à peine. C’est l’été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C’est l’été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d’alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s’enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d’en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n’ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n’y a pas de temps, pas d’espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l’autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu’où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L’accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d’une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n’en finie pas. Aucune exaltation. Il n’y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d’être plein. Sans vide.
Je tombe. J’ai du tomber. Je ne m’en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j’ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Portant il est là. Un jeune. C’est un remplaçant. Je ne le connais pas. J’ai du mal à tenir debout. Il m’entraine le long de l’étang. Il parle. J’aime sa voix. Alors j’écoute. Un peu. Je voudrais lui dire Mais qu’y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m’ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Il se fait aider, on me rentre à l’intérieur. Il s’agité. Je l’entends il téléphone « Hôpital… Ambulance… urgence… ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d’ici. Pas d’ambulance, pas d’hôpital. Rien. Ici, simplement ici. Sur ce lit. Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j’entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C’est l’été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C’est ce moment-là que j’ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c’est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps. Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c’est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu’il ne faut pas que je m’endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l’on sait. Que le corps sait. C’est la nuit, et tout ce que j’ai de force continue de s’écouler de moi. Quelque chose de l’abandon. Ca n’en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n’ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n’a plus besoin d’heure. Qu’importe. Il est là en pleine nuit. Il s’est assis à coté du fauteuil, près du lit. Il parle. Au début, je ne comprends pas ce qu’il dit. Sa vois est très loin. Ou c’est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C’est l’Afrique ? Là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contraction, de spasme. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanent qui vous font chier de l’eau et après, plus rien. Quand il n’y a plus rien, il n’y a plus rien. L’intérieur du corps de tord, se presse, se convulse… et rien… après c’est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse. Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux les grands bateaux à fond plat servent d’hôtel. La cabine est exiguë. L’air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l’on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.
Là, c’est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C’est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu’il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D’instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l’aveu, celle de la prière. La parole qui s’adresse à l’absence pour révéler plus que pour manifester. C’est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D’ombre qui glisse sur l’ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même. Il faut imaginer… il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d’un autre pays. Pourtant j’entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c’est la nuit. Et je parts. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n’est qu’un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles qui appelle au-delà des membranes de la mort. On n’apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n’apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d’une nuit d’été. Qu’apprend-t-on dans les écoles de médecine ? Non, on n’apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n’apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, de la mort. Il faut qu’elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.
Je ne dors pas. Pourtant c’est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n’en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont A l’air libre. La chaleur de ce bateau ferraille me sortir.  La nuit il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante qui surgit en bouffée d’enfer des entrailles même du bateau. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n’accouche de rien. Rien. Pourtant…

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d’Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Peu à peu j’entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.
Il est à coté de moi et sa voix s’est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d’eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d’un souvenir d’Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l’océan. Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.

Sous les draps, j’ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte… ». C’est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.

Je vois son sourire. Il paraît épuisé.
Qu’as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu’as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d’été est rentrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter de faire entrer les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé. Et ce fut mon premier consentement. Il m’a dit « Dormez… maintenant. » Et j’ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

La route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit étoilée. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.

Franck.

5 février 2006

Ce grand champ de neige.....

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s’enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n’a pas de nom, ce qui n’a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Ils faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n’est dit. Il faut s’en convaincre. Puisque la vérité se trouvent dans l’entre-mot, dans l’entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe et qui pourtant nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre. Linceul de la langue.
Hors-lieu qui s’agrippe au parois vertigineuse de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l’arrête d’un temps impossible. La déchirure c’est le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l’ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.
Quand il n’y a plus rien il reste le mouvement. Le seul mouvement. L’invisible mouvement. Comme le vague qui résume l’océan. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là, qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L’écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache et révèle. Qui tait mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l’inverse d’elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu suture, lieu coupure.
Ici il n’y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d’en-bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.
Jamais rien n’est dit. Hormis le mouvement, l’élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Depuis quelques semaines, mes textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace nouveau. Textes. Sous-textes. L’espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne vois pas encore. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l’infini s’agrandissait dévoilant des étendues nouvelles et des profondeurs étranges. Je ne peux que m’accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. A la scansion. A la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d’une autre respiration. Une autre chair. La déchirure, comme la forme pure de l’avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. A l’endroit où tous les mots ont été épuisé. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige, et aux cendres. Consentir à l’hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l’aube. L’aube qui sacre la fin de l’épanchement de nuit. L’enfin, de la fin.
L’aurore arrache les derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l’alliance rayonnante de la lumière et du printemps, noce du jour et du consentement.
J’ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant, ni mort… autre…
J’ai traversé ce grand champ de neige afin que s’épuise le passé.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J’ai devant moi un océan et cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l’aurore calme, comme un premier matin.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole et pour pouvoir l’offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. Et l’aimer, puisque c’est le sens de demain. Puisque c’est le seul endroit habitable. Puisque c’est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J’ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu’à la perte du sens, grelottant d’effroi, glissant d’un vide à l’autre.
J’ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par la source d’eau claire….
Franck

 

2 février 2006

Ca sera suffisant.....

Au début on ne sait rien. Les choses se tricotent au plus loin de soi.  Comme une avancée qui commence au cœur nuit. A l’heure obscure. Tout change et on ne le voit pas encore. Cela vient de loin. Comme la brise qui sort d’un mystère, d’un lieu d’absence. D’un au-delà. Je me souviens, dans le désert. L’identique dans l’identique, la course vers l’horizon vide. Et pourtant quelque chose changeait à l’approche de l’oasis. Comme si l’eau du puits parfumait l’air bien avant son apparition. Il y a quelque chose en nous qui sait. Bien avant nous. Et plus que nous. Et mieux que nous. Une inscription dans le grand livre du temps.

Tout nous parle autour de nous, chaque heure porte le signe ou la marque d’une révélation. Qui nous dirait qui nous sommes. Et qui nous dit la route. On ne sait rien, et pourtant tout est là pour crier : avance. Pose ton pied ici, entre l’ombre et la lumière, si tu veux accéder au mystère. Ce sont les terres fragiles qui sont les plus nourricières, et les lumières tremblante qui éclairent au mieux notre route.

Au début on ne sait rien, parce que l’amour part de loin. Comme le puits du désert qui marche à notre rencontre. Ou comme le vol des oies sauvages cherchant le nord de notre désir. Cheminement silencieux. Pas lent sur nos terres inconnues. Du plus loin de notre ombre, là où même notre voix ne s’aventure pas. L’amour part de l’endroit le plus seul, de l’endroit le plus vide et remonte patiemment nos veines, traverse nos océans, pour venir submerger chacune de nos branches, chacune de nos feuille, et jusqu’à nos plus fine rémiges frémissantes.

L’insignifiance occupe nos vies, et guide nos gestes. L’insignifiance fait du bruit, c’est d’ailleurs à cela qu’on la reconnait, au bruit qu’elle fait en nous. Et le vacarme nous voile l’essentiel. Et le vacarme nous empêche d’entendre l’amour qui se met en marche. Dans le silence du lointain, dans nos lieux d’abandons. Quelque chose chuchote, et c’est là que tout se tient, que tout se rassemble, dans ce murmure d’aurore, dans cette douce pâleur.

Quelque chose chuchote et on ne sait pas qu’une armée est en  marche. On ne sait pas que l’univers double ses infinis.

C’est venu comme chuchotement. Un parfum nouveau. L’odeur d’un pain qui habite la maison du cœur. Le parfum d’une présence. La lumière du jour tremble légèrement et on sait que tout va changer. Une transparence nous accompagne, disons, une ombre claire. La vie de tous les jours est toujours un enfer, mais déjà il a le goût du paradis. Peu à peu on découvre que l’attente n’était pas vaine que les errances affectives n’étaient que des errances. On sait… on sent un havre, on sent le souffle de la terre rougir à nouveau notre sang. L’île qui approche. La fin et le début. Le picotement des chairs comme après un long sommeil. Ou le passage d’une frontière. Un autre pays.

Je suis dans l’écorchure de mon écriture, juste à la blessure des mots. Je ne serais jamais ailleurs. Rien ne dit la vérité. Rien ne dit le mensonge. Il faut accepter la fragilité d’un hors temps. L’insensé d’un hors vie. L’avancée patiente dans les mots pantelants. Dans leur misère… L’avancée, le pas à pas. Ne pas redouter l’infection sur l’écorchure. Puisque l’infection est l’éternel combat, l’éternel affrontement de la mort contre le vivant, sur la plaie jamais refermée de nos heures.

Ecrire c’est le moment où l’on n’écrit pas. C’est l’instant qui sépare deux mots. Deux phrases. Deux chapitres. C’est l’élan qui cherche à se survivre. C’est cet élancement de tout le corps dans l’espace inconnu qui sépare les mots avec leurs cortèges de sons, d’odeurs, avec le glissement du sens dans la recherche d’une couleur plus juste, un saut dans le vide toujours recommencé. Toujours à inventer. Avancer dans les mots c’est comme avancer dans l’amour. Puisqu’écrire c’est déjà aimer, c’est encore aimer. Ecrire dans cette hésitation brûlante qui nous pousse comme une fatalité à rechercher le plus claire de notre eau,  c’est faire la place à cet autre de l’amour qui nous suit en silence dans l’ombre de nos gestes, sur la pente de nos actes et jusque dans le plus intime de nos pensées ou de nos rêves. Ecrire, c’est l’accueillir, cet autre de nous. C’est cela consentir. Puisqu’il ne s’agit pas d’être sauvé, mais trop souvent d’expier. Puisque rien n’est donné hormis ce chemin sur lequel je marche et qui me mène d’un mot à l’autre, de silence en silence, hormis ce chemin qui me mène vers toi, dans ce murmure tremblant d’une aube neuve. 

Dans ce tumulte de lumière.

J’irai vers toi, lentement. Avec la juste impatience que mon errance trop longue à su dompter. Il faut juste que j’enlève les dernières souillures pour être devant toi comme l’aube blanchissant les ténèbres. Blanc du deuil souverain. Blanc des brûlures infligées. Blanc dans une parole blanche. Proche du murmure, proche du bruissement. Blanc et sans crainte. Dans la toute puissance de mon consentement.

Tu m’offriras du pain.

Ça sera suffisant.

Alors le soleil pourra se lever.

Franck.

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J'irai marcher par-delà les nuages
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