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J'irai marcher par-delà les nuages
24 juin 2006

Je sais des plaines froides.....

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d’être encore là. Ces terres d’absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères, et sa nourriture aux bouches des pierres usées. Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s’écorchent et saignent, ces lieux cabossés par tant d’oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants. Je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre préférant l’agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut, je sais les plaintes déchirées des terres sauvages et je sais les âmes qui les hantent, je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces, et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards et cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes. Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses, elles ont abandonné leurs chairs et leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence, des distances, et façonnent nos éloignements et célèbrent nos séparations et bénissent nos accablements.

J’ai souvent cherché la musique dans ces landes fracassées de vents et je crois qu’il n’y en a pas d’audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, et tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défait de tout. Des lieux qui préparent ou qui prolongent. Qui exigent avant, et qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser, mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité et de la simplification, de la première perfection et de la dernière.

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal mauves et sévères, sans arbres, sans racine. Comme une mer de bruyères tranchantes et brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue et rêche et rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitude grave, suffoquant sous la vapeur compacte des bouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs et obstinés.

Je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang froid et ces absences, et ce vent qui m’observe et ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, et mes mains si pauvres et ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L’infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l’écriture qui gratte la glace et le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l’impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Et mon œil effaré fixe dans l’ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s’approche. Et cet épuisement. Et cette envie de nord. De glace. De fin….

Franck

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20 juin 2006

L'heure myosotis....

C’est l’heure du myosotis et du bouton d’or, l’heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. Les bras des dieux pressent les restes de pulpes de la journée. Pressent l’orange du soleil dans cette rumeur de bleu, et le gémissement des fleurs qui s’étirent dans leurs ultimes exhalaisons. Et ce canal oublié, sans bateau, ce canal nu, dépeuplé, ce canal devenu inutile et beau, comme si sa beauté calme et tranquille n’était venue que bien après le départ des hommes et des bateaux. Etrange destin que celui des ouvrages humains quand ceux-ci s’affranchissent des volontés qui les ont crée. Désormais impraticable il a gagné en perfection ce qu’il a perdu en utilité. Alors ce sont les eaux myosotis, bouton d’or, chèvrefeuille qui s’allongent dans le soir étrennant les premières ombres et les premières senteurs d’étoiles. C’est l’heure où l’on est dans la plus grande distance de soi et pourtant au plus près, l’heure des louanges, l’heure des condensations, des allongements de l’âme. Marcher sur les bords du canal, à cette heure, c’est marcher avec application, presque avec précaution à la rencontre du rêve, en fouillant le silence, en le ciselant, en se laissant étourdir d’une réconciliation de l’espace et du temps, certes éphémère, mais essentielle. A l’endroit du coude le canal s’élargit, et juste là, sur la berge, une vieille chapelle, à l’angle des eaux, comme si celles-ci avaient fait un détour exprès. Simplement pour passer sous les vitraux pour les saluer et mélanger un court instant leurs ruissellements.
Instants du soir et des terres promises et du myosotis, du bouton d’or et du chèvrefeuille. L’heure où penser ne suffit pas puisque c’est le temps des constellations naissantes, c’est le temps de la voix, du murmure, de l’appel, où la lumière déboutonne peu à peu ses gloires. Les pensées se défont, se brisent, les raisonnements se cassent pour libérer enfin l’esprit, le désenvoûter de sa propre fascination. Alors marcher dans la délicatesse de cette suspension à fleur d’eau comme si c’était la première fois, ou comme si c’était la dernière. Ou alors la seule. Marcher dans cette lenteur sereine et attentive, comme lorsqu’on marche dans un livre pas à pas, page après page, cueillant et respirant chaque mots, et n’être que ce pas abandonné à lui-même, sans direction, hormis la fin des temps et l’effusion de phosphorescence qui l’accompagne. Marcher dans cette lenteur c’est marcher vers son amour avec élégance et pudeur, c’est passer entre les couleurs du soir et les reflets du canal sans défier le silence et le bouleversement des arômes. C’est accepter l’oubli et les brûlures de la mémoire et tenter d’agrandir l’espace entre la chair et l’os et faire entrer en soi l’immense par la porte du grave et du léger et du vulnérable et de l’infime. C’est déployer son corps dans le seul intervalle possible ou la danse et le chant peuvent surgir. Salut des heures pauvres, soulagement des douleurs dans cette convalescence du jour où le miracle s’insinue dans le tremblement des arbres, où la joie prend la forme d’une cabriole d’hirondelle dans un chahut de bleu volubile et une confusion de rouges exubérants. Il y a dans ce jour qui meurt la puissance d’un accroissement, une aggravation d’espérance qui s’appui sur l’engourdissement des eaux et sur l’effleurement des mains qui se joignent entrecroisant nos silences, comme le froissement des ajoncs pour appeler les dernières libellules, comme cette marche qui assemble le jour à la nuit, qui passe du clair au mystère, du chaud au fervent, du brûlant à l’intense.
C’est l’heure du myosotis et du bouton d’or, l’heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. C’est l’heure secourable, l’escale, l’heure rouge et violette, l’heure safran où les corps s’accoutument à leurs exactitudes, à cette verticalité qui les devance, devinant déjà les caresses, appelant déjà les saisissements, les exaltations. Mais c’est l’instant d’avant, celui qui prépare son élan, celui qui contient, celui qui rassemble, celui qui épouse, celui qui arrondi les minutes et qui aiguise chaque seconde. C’est un temps qui précède, c’est la marche lente et mesurée avant l’offrande des chairs, avant les fièvres lunaires. Il faut traverser l’heure myosotis et en sortir vainqueur et assez nu pour aborder sans crainte la convulsion des corps. Il faut traverser l’heure bouton d’or sans remord pour atteindre l’orée du désir sans effroi. Il faut traverser l’heure chèvrefeuille sans espoir pour inventer le geste unique qui enchevêtrera et son souffle et mon souffle, et son ventre et mon ventre, et sa voix et ma voix, et sa nuit et ma nuit…

Franck

17 juin 2006

Nuit du ventre.....

Le jour replie sa lumière, tire le grand voile clair avec lenteur et faste, avec ce geste large et ample du crépuscule. Le jour se retire emportant dans sa ruine les lambeaux, et les hardes usées par le soleil et les images fatiguées et les paysages exténuées et toutes ces couleurs éreintés et ces nuances élimées par tant de regards frivoles, irréfléchis. Et la pauvreté de nos regards. Et l’insignifiance de nos croyances incertaines portées sur les lieux, le monde, les âmes. Capitulation du jour, défaites des vérités éphémères. Déroute de nos fraternités provisoires. Et nos amours qui s’effilochent, nos amours trop lourdes, impossibles à endurer, impossible à hisser, oriflammes froissés, chiffons délaissés.

La nuit.

J’ai une nuit sur le bord des paupières et jusqu’au fond de l’oeil. Une nuit entre mes mots. Au creux de ma parole. Une nuit ouverte comme une déchirure florissante. J’ai une nuit plantée dans le ventre, une nuit de viscères. Une nuit intestinale. Une nuit archaïque, séculaire. Une nuit d’avant les temps, d’avant les saisons. D’avant le jour. Nuit ouverte et sans fin. Et noire. Et Noire. Et noire. Flots noirs de ténèbres. Hémorragie d’ombres inquiétantes. Car c’est la nuit que les choses viennent, c’est la nuit que les choses naissent.

La nuit. Sans partage. Vaste lande de solitude et du dénuement. Nuit du ventre. Car nous venons de là. Du ventre et de la nuit. D’un ventre opaque et abondant et d’une nuit interminable. Nuit sans regard. Nuit du chaos décisif. Abyssal. Liquide de nuit. Flottement aveugle de nos peurs. Je suis de cette première nuit qui ne porte pas ne nom, de celle qui ne se dit pas, de celle qui s’invente elle-même, de celle qui se prolonge de sa propre épaisseur. Je suis de cette nuit qui s’arrache au néant, de celle d’avant la mort et d’après la mort. Temps cloaque. Temps du bercement. Temps sans mémoire, sans lendemain. Temps élémentaire, informe, brutal. Sans issue. Temps plat de mes premières noyades, de ce premier naufrage. Inondation des gestes, de la respiration dans cette mer saturée de nuit, dans ce débordement d’exigences sans forme, sans mot. Rien. Rien, que cette nuit et ce premier désir confus. Rien, que cette surenchère, que cette excroissance, que cette tumeur d’envie cellulaire. Je suis un débordement de chair, de néant, d’ombres flottantes, une simple exagération de la nuit, une outrance des ténèbres. Je suis la démesure de ce rien, qui s’épuise à s’ennuyer et à vouloir malgré tout. Vouloir comme une fatalité. Un vouloir sans grandeur et pourtant illimité. Monstrueux.

Nuit.

Je suis d’une nuit sans possible. Une nuit bordée d’aucun crépuscule, d’aucune aube. Une nuit sans étoile. Une nuit effarée. Affolée. Une nuit d’épouvante. Et de linceul. Une nuit sans rivage, sans continent. Une nuit faite de nuit. Sans autre recours qu’elle-même. Enfantement de nuit. Ombre sur ombre. Agonie sur agonie. Océan sur océan. Pierre sans visage. Pierre tremblante. Pierre recouverte de la peau d’un seul rêve. L’unique soie d’un rêve sans sommeil. Unique viatique pour passer de la nuit à la nuit. Toujours de la nuit à la nuit. L’unique muqueuse d’un rêve interminable. Membrane inquiète du désir.

L’écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Ecriture du ventre. Ecriture intestinale. Ecriture ouverte, béante. Ecriture qui n’a pas d’autre issue qu’elle-même. Ecriture de viscères et d’ombres. Ecriture du premier mouvement, qui s’exagère pour se survivre. Car juste après le chaos, il y a le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui qu’on ne sait pas dire, celui qu’on cherchera tout au long du jour, celui qui s’effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d’avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin des marées infatigables. L’écriture vient de l’impossibilité de dire ce mot, de l’inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l’affût de nos renoncements et de nos bandons. L’écriture est ce retour incessant au ventre, ce retour à cette première nuit sans forme. A cette première solitude débordante, comme un engloutissement. Et c’est un désastre. Et c’est une exaltation. Et c’est le seul chemin. De nuit. Toujours de nuit. Puisque c’est là que tout s’élabore. Puisque que c’est là que tout macère. Nuit, avec son suintement d’aurore. Nuit où les mots se vidangent, du cœur au sang et du sang aux premières lueurs du jour. Là où le rien s’effondre un peu plus pour laisser la place à la plus fragile des paroles, la plus faible, la plus vulnérable, celle naît de sa propre impuissance à se dire et de cette douleur qui accompagne les résurrections, et de ces chagrins accablants et de ces souvenirs poisseux.

 

Ecriture du néant posée sur la nuit, avec juste la peau d’un rêve autour des mots. Juste une membrane frissonnante dans la chair de la langue, juste ce désir comme la première étoile dans le tout premier ciel.

 

Franck.

13 juin 2006

Ce soir à la bougie.....

Il y a dans cette flamme de bougie quelque chose qui souffre. De l’infime qui souffre. Tout ce qu’il y a de pauvre sur terre se rassemble et se reconnaît dans cet étirement du feu, dans cette hésitation verticale. La chandelle dit l’infinie solitude et le dénuement, elle dit aussi la foi comme si celle-ci avait besoin de deux ailes pour s’envoler. Le simple et le pauvre marche de concert, ainsi la chandelle qui offre ses ombres pour taire l’insupportable, et sa lumière pour clamer l’irréductible. La flamme nous défait de nos rages, elle accompagne nos remisions, et parfois elle sacre nos résurrections. Elle est une amie silencieuse qui nous apprend le silence, une l’amie généreuse qui écoute en dansant, une amie qui console parce qu’elle ne juge point. Un soleil à notre dimension, bleu, jaune, orange, rouge, blanc. Soleil du pauvre et du seul. Elle berce, elle adouci, parfois elle chante, elle enveloppe d’une soie étrange notre rêverie. Il y a dans cette flamme quelque chose qui rassemble nos morceaux éparpillés, qui maintient l’unité de notre désir, qui contient notre abandon. Il y a là un espace de temps et lumière qui nous protège de nous-même, de nos affaissements, de nos écroulements. La vie suffisante. La vie tolérable. Tolérante. Et les ombres deviennent conciliantes. Il y a dans cette chandelle quelque chose de grave, d’infiniment sérieux et grave, une gravité dépossédée de sa lourdeur. Rouge. Etrange silence que celui de cette flamme solitaire. Etrange lumière vacillante, qui appelle en nous la mesure et la lenteur. Etrange puissance que cette fragilité tremblante. Et le temps de la flamme pauvre est toujours le temps des aveux, et le temps des chandelles est un temps de soupirs, de respiration profonde, comme s’il s’agissait de faire remonter nos douleurs sur la mèche du cœur et de les consumer. Temps sombre et clair à la fois, temps de puissance désarmée, temps qui fabrique du temps. Comme si le temps du feu était un temps gagné, arraché au néant. Comme si ce feu, précisément, ne pouvait plus être brûlure, comme si sa vocation ultime était la caresse et le murmure. Au coin des chandelles les larmes peuvent être douces et les chagrins pardonnables. Il y a du sang dans cette lumière c’est pourquoi on la sait vivante, il y a des chairs dans ses ombres c’est pourquoi on la sait aimante. Il y a des lèvres et peaux à aimer dans ce feu isolé, dans ce singulier instant chancelant, comme si l’émotion trouvait enfin une issue, un devenir qui la dépasse et la bénit. Temps concentré, temps rassemblé. Lumière pour les corps nus et les effleurements, lumière des baisers indécents, couleur rouge comme les chairs qui s’offrent ou comme les laves volcaniques. Au creux de bougies qui éclairent, l’ivresse disparaît et la folie s’efface, car c’est le temps des premières ou dernières vérités, et même au-delà des vérités, car si les vérités simples on besoin du soleil pour se dire, les vérités essentielles ne se libèrent que dans cette presque lumière de ces presque ombres.

Les âmes de la chandelle sont des âmes errantes, elles ont perdu leurs corps et cherchent un point d’appui pour porter leur voyage, comme des navires qui recherchent l’escale. Parce que plus qu’une flamme elle est lieu, parce que plus que lieu, elle est refuge, parce que plus que refuge, elle est royaume. On y naît et on y meut, mais y vit-on vraiment ? Est-ce un temps réel ? Ou le simple raccourci de nos destins inquiétés ?

Quelque chose habite cette lumière, quelque chose soupir dans sa danse, est-ce une plainte ? Est-ce un gémissement ? Est-ce que mon âme cri ce soir à la bougie ? Ou n’est-ce qu’un songe, ce songe lancinant qui plie mes veines et ma chair, un songe toujours cassant ?

Oui, quelqu’un habite ici, au cœur de cette flamme, quelqu’un qui me connaît mieux que je ne le connais, quelqu’un qui me regarde et qui choisi mes mots.

Il y a dans ces petites flammes le chant d’une présence. Du vivant qui exige, des visages qui implorent, il y a des mains qui se joignent, comme si l’humanité avait besoin d’opposer aux enfers ce simple feu humain.

La lueur des bougies, comme celle des cierges éclaire en nous ces endroits oubliés, ceux qu’on a délaissé, cette part de nous-même qu’on ne visite plus, nos jachères, nos ronciers, elle préside a l’office de nos noces intimes comme un fuseau ardent qui déroule le rêve et tisse entre nos larmes un voile charitable et console et soulage et apaise et apaise et apaise…Ce soir, j’ai vu dans cette flamme un doigt incandescent qui me montrait les cieux….

Franck

10 juin 2006

Des mains pleines de terre.....

Nos actes ne sont que la peau. Une forme. Nos actes recouvrent la chair du sens qui se tait. Comme si un geste recouvrait toujours un silence. L’acte n’est rien. Il est le reste visible d’un autre combat. Il est cadavre. Humus. L’acte seul ne vaut rien, s’il n’est pas porté par un murmure. Par une prière. Il n’est rien s’il ne s’accompagne pas du souffle, de la respiration d’un rêve. Ce qui compte ce n’est pas nos actes, mais ce qu’il y a entre. Le désir qui le précède, le désir plus grand encore qui le suit. Car agir n’est pas s’agiter. Ainsi l’arbre. Ainsi le lion et son frère l’aigle. Ainsi l’homme qui rentre dans sa maison de silence. Car agir c’est rentrer dans la matière, s’est épouser l’inconnu et le mystère, entrer dans la matière pour que celle-ci nous arrache à nous-même. Agir c’est s’arracher. Voilà. Peu d’actes, contre beaucoup d’agitation, jalonnent notre vie, de cette agitation qui nous épuise le sang.

Ne rien faire, avec intensité et conviction, c’est la première marche de l’agir, comme s’il fallait nourrir longtemps l’œuvre de ce non-faire.

L’œuvre. Le grand-père d’Isabelle était un vieil homme. Un vieux paysan. Un vieux paysan de la Creuse. Avec une face ravinée de labour épais, et des mains pleines, des mains abondantes et lourdes, encore nerveuses quand elles agrippaient un coin de table ou une chaise pour aider sa marche chaotique de vieil homme. De vieil homme usé. Une armature en acier lui tenait la colonne vertébrale, une armature à l’intérieur des chairs. Cela lui donnait une attitude raidie, empruntée. Alors ses gestes étaient lents, engourdis, presque cassants. Quand il se déplaçait, malgré cette fragilité, il donnait l’impression de tirer une charrue. A quatre-vingt ans passés, se dégageait de lui une puissance de cheval de trait. Sans doute l’entêtement du pas. Même usé, même déformé, un pas de seigneur. De seigneur de la terre. De sa terre. De ce petit plateau qui surplombe la vallée de la creuse, tout près de St Médard. Mais la plus part du temps il restait assis, pour économiser ses os dans lesquels étaient plantées les broches d’acier. Assis appuyé sur sa canne, avec sa casquette légèrement sur l’arrière de la tête. Il maniait le silence avec la dextérité d’un vieux sage, l’entrecoupant de quelques paroles sur le temps, les bêtes, le jardin. Quand son dos lui faisait mal, on voyait à peine ses mains se crisper sur la canne, et ses yeux se perdre au loin. Des yeux bleus, délavés par les ans et la pluie et le froid et la pauvreté de chaque jour. « Appelle moi pépé, comme la petiote… »

C’est quoi l’œuvre sinon une façon d’être présent. D’être là, et pas ailleurs. D’être là dans ce lieu de misère. Sa voix avait une drôle d’intonation, une sorte de fléchissement et de remontée vers l’aigu. Chaque phrase dans sa modulation donnait l’impression de l’évidence. Un étonnement inattaquable. « Moi ? j’ai rien fait…. Je suis resté là… à la ferme… j’y suis né, et je vais y mourir… là… ».

Chaque matin il partait au jardin. Il ne pouvait plus y travailler comme avant à cause de son dos. Mais il arrivait encore à gratter la terre, à la racler, pour s’assurer par ses bras, par ses doigts de sa propre existence. Avec un tabouret il pouvait atteindre le sol, pour cueillir, arracher, être là, utile. Utile aux siens, à lui, à la terre, pas au monde, à la terre, la sienne. Celle incrustée dans ses rides, dans les sillons de ses mains. Sa terre noire et dépourvu, gorgée de douleurs et d’hivers froids, rassasiée de souffrances. Sa terre de lenteur, d’affrontement. Il était d’un lieu, qui l’avait désigné, assigné, nommé. Mazeaubouvier. La maison du bouvier. C’était lui. C’était son lieu. C’était inscrit. « Ici, la terre tu la transforme pas… tu l’accompagnes… tu essayes de marcher à son pas, à chaque saison…. Tu n’imposes rien, ici… pour rester… il faut que la terre le veuille… et si elle veut pas, alors tant pis pour toi… Ici, tu ne peux pas te plaindre, personne t’entend… le bon dieu, il vient pas ici, il sait même que ça existe, ici… personne ne sait… mais moi, oui… je sais… et ça suffit.

Tout autour, c’est une terre vallonnée, chaotique, faite de parcelles, de petits prés, de bosquets, de talus, de ronciers. Chaque parcelle est un lignage, une histoire, une généalogie Chaque morceau raconte la vie et la mort, les drames des familles, la race, les ancêtres, la descendance. L’âpreté du destin. Ici la terre ne vaut rien, c’est pour cela qu’elle n’a pas de prix. Elle s’achète, parfois elle se loue, parfois on en hérite, avec les mariages certaines parcelles s’agrandissent. Terre des hommes. Terre d’échange. Terre de malheur, et d’usure, et de clôture, et de cailloux et de rochers qui brisaient les socs des charrues. Il aurait fallu la travailler à mains nues, pour s’assurer de sa définitive conciliance. Terre à vaches. Mazeaubouvier. C’était inscrit. Tout aurait été différent si le lieu c’était trouvé un peu plus haut sur le plateau, ou un peu plus bas dans la plaine. Mais là, il était coincé dans ce vallonnement où l’eau ne se trouvait jamais au bon endroit.

C’est quoi l’œuvre « pépé », sinon accorder tout son temps à la sauvagerie tranquille d’une terre oubliée des dieux. Sinon s’arque bouter à chaque heure des jours. Sinon résister aux insuffisances, aux manques, aux appétits, à la faim. A la faim et à l’épuisement.

« Moi ? Je n’ai rien fait, j’ai essayé de m’appliquer, c’est tout… m’appliquer… Quand je suis rentré de captivité, après la guerre, j’avais deux vaches. Deux. Ca a été dur. Dur, vraiment dur. J’allais louer mes bras dans les fermes, ici c’étai plus petit, il y avait l’étable et une pièce à coté et la porte restait ouverte pour la chaleur, il n’y avait pas l’électricité, simplement le puit, dehors… » Avec ses doigts noueux il me montrait l’endroit, il me montrait la petitesse de sa pauvreté quotidienne entre la paille et le granit des murs. On pouvait imaginer la lampe à huile, et les ombres flottantes dans cette caverne, et les jours, et les nuits, et les longs silences, et l’empilement de la fatigue. Facile d’imaginer cette constance et le renoncement qui l’accompagne, facile de définir ce qu’est le courage et de quoi est fait un homme simple.

« Ici, ça sert à rien de courir, c’est trop petit ou trop immense. Vivre ici, c’est trouver la juste mesure du geste, pas par économie, mais pour l’accord… sans l’accord tu fais une mauvaise musique… » Souvent je l’ai vu, au jardin, prendre une poignée de terre et l’effriter lentement dans sa main, souvent je l’ai vu respirer cette terre. Il aurait pu la manger ou s’en couvrir le visage cela ne m’aurait pas étonné.

« C’est la mémé qui a été courageuse…. ». Il lui arrivait de passer de long moment à regarder la vieille femme qui s’activait dans la cuisine. Il ne s’en lassait pas de la regarder, comme au premier jour. Avec admiration. Elle était là, elle aussi. Là sur cette terre. Là, se déplaçant en claudiquant entre les silences du pépé. Elle aussi, a accompagné chaque saison, elle aussi a eu froid l’hiver, elle aussi c’est épuisée sous le soleil d’été, elle aussi à craint l’orage et la foudre, elle aussi a tiré sur les pattes des vaux pour les faire naître. C’est elle qui comptait chaque sou, reprisait chaque bouton, pétrissait chaque pain, préparait chaque soupe avec cette mine coupable quand elle était trop claire.

« C’est un drôle d’endroit ici, avec cette terre qui se refuse comme une jeune vierge… alors il faut l’apprivoiser, et tous les matin tu dois te préparer comme si tu allais la demander en mariage. Il faut que ton cœur soit propre ici, et que tes gestes ne viennent rien blesser. C’est un long apprentissage que d’être un homme ici. Quand tu es jeune tu forces, tu as des muscles, alors tu forces et rien ne vient plus vite, au contraire. Faire vite, pour faire quoi après ? Le temps de la terre te rattrape toujours, le temps des saisons te fait mettre au pas. Alors tu apprends à écouter… Ici, tu ne fais pas de grandes choses, tu en fais de petites, souvent, longtemps, toujours les mêmes, mais toujours un peu plus juste, toujours un peu plus près et c’est sans cesse. Ici, ce n’est pas toi qui décide, c’est la terre, et c’est bien ainsi. Elle sait ce qui lui faut la terre, c’est elle qui fait de toi un homme, un paysan. Tu ne pars pas à sa conquête, elle te choisi et toi tu la sers comme une reine ombrageuse… »

Et comme en écho ses paroles : « Moi ? j’ai rien fait…. Je suis resté là… à la ferme… j’y suis né, et je vais y mourir… là… » et il rajoutait « eh, oui… » de son ton d’évidence tranquille. L’acte seul ne vaut rien, s’il n’est pas porté par un murmure. Par une prière. L’acte n’est que la croûte d’un silence longtemps mûrit. Le geste qui ne sait pas se taire est souvent un geste inutile. Une agitation toujours vaine. Un bruit qui s’ajoute au chaos. Agir sur le monde c’est agir contre lui. Alors peut-être agir avec ? C’est sans doute cela trouver l’accord. L’accord, malgré la mort qui hante. Surtout à cause de la mort qui hante. Ainsi l’arbre. Ainsi le lion et son frère l’aigle. Ainsi l’homme nourrit de son seul silence dans la lumière tremblant d’une bougie.

Franck

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6 juin 2006

L'étoile de l'attente....

Il est un temps d’attente. L’extrême tension du vide. Avec l’appel de la mort en écho. Un temps hors des horloges. Temps dépeuplé. Même la solitude fuit ce temps. Temps d’absence, de pénurie de sang rouge, les veines gorgées d’ombres et de souvenirs muets. Pesanteur de sa propre chair qui s’affaisse sur elle-même. Empilement de la vie morte sur de la vie morte. Vide et pourtant sans espace. Un vide plein. Plein d’un impossible dire. D’un impossible à habiter. Il est un temps d’attente où les gestes se recroquevillent dans leurs intentions. Simplement à l’abri du désir, comme si le ciel s’était débarrassé du bleu une bonne fois pour toute, ou des étoiles, ou de sa neige, débarrassé des orages, un ciel où l’oiseau ne saurait plus y laisser sa trace, son trait, l’écriture même de son vol. Temps des marais et des oublis, des odeurs taciturnes et fades. C’est un temps d’avant. Un temps qui précède. Un temps qui prend son temps. Qui prend le notre surtout, et le dépense sans compter, avec une prodigalité de forcené. Et par lâcheté on le lui laisse, on l’abandonne comme abandonne notre enfance, et nos amours, et nos jardins. L’abandon à nos complaisances. Temps des lacs aux paupières baissées, et des pierres prudentes. Car les pierres savent l’attente. Elles en sont la mémoire, et la forme. Avec l’usure qui arrondit les cristaux, et la pluie qui épuise leurs derniers mouvements.

Il est un temps d’attente. L’extrême tension du vide. Temps divisé où l’on ne s’appartient plus, quelque chose nous a quitté et l’on reste dans l’hébétude. La désolation de l’âme. Comme ces fenêtres qui cachent l’ombre d’un visage perdu dans l’horizon de la vitre.

Souvent je la voyais assise, les mains posées sur ses genoux, à la fois droite et ratatinée, dans ces poses que nous inflige la vieillesse. Elle était là, callée dans un fauteuil. Calée dans l’inconfort de ses douleurs, des articulations qui se coincent, et qui craquent comme du bois mort. Là, le regard accroché à des souvenirs. Là, prête à partir. Souvent elle restait ainsi. Des heures. Des après-midi entiers, les mains posées sur ses genoux, ne fixant rien de précis, sinon l’invisible présence tu temps. La face droite, la face faisant face à cet au-delà des choses. Sans jamais dormir, sans jamais s’assoupir ne serait-ce qu’un instant. Vigilance calme. Vigilance opiniâtre. Ne rien lâcher, le temps qu’on est là. Ne rien brader. Elle n’avait plus rien, sinon ce temps pauvre et dénudé qu’elle dépensait comme si elle était riche de tous les royaumes. « Qu’est-ce que tu fais, mamie ? » « J’attends… » « Tu attends quoi ?... » « J’attends….j’attends…..un jour tu verras, toi aussi tu attendras…. » Elle rajoutait : « J’attends… et j’ai pas peur… » Quand elle disait « pas peur », il y avait une drôle de petite lumière qui s’allumait dans son œil. Elle restait dans le silence, puisque toutes les paroles étaient devenues vaines, imprononçables. Elle était là, dans l’attente, à user son impatience et son reste de vie. Non, elle n’était pas sereine, elle n’était pas dans la plénitude de la sagesse. Claire, n’était pas sage. Claire n’a jamais été sage. Etre sage, maintenant cela aurait été démissionner. Elle trouvait l’attente plus digne. Et son énergie pouvait brûler encore pour ça. Alors elle attendait, les mains posées sur ses genoux. « J’ai passé ma vie à attendre, alors j’ai appris….à force on apprend, même que l’attente ne nous use plus, c’est nous qui l’usons… » Attendre c’est encore tirer sur le fil. C’est d’être encore dans un temps à venir. « J’ai attendu parce que je ne voulais pas attendre… j’ai été enceinte à quinze ans…. Après, j’ai passé le reste de ma vie à attendre… Attendre qu’Albert ton grand-père, remonte du fournil… toutes ces nuits seule à l’attendre….et puis sa tuberculose et son agonie… attendre chaque jour un peu plus la mort de celui qu’on aime. Ce n’est pas de l’attente, c’est un incendie… Et puis la guerre, cette attente pourrie, avec l’arthrose qui m’a attaqué si tôt…Et ton père, quatre ans en Indochine. Quatre ans d’attente, comme si la guerre n’avait pas suffi… Attendre…. »

Du plus loin que remonte mes souvenirs je la vois voûtée sur sa canne dans une marche bancale, écrasée, traînant ses jambes devenues lourdes et sans forme. « L’urgence et l’attente ce ont les deux maladies de la jeunesse…on les attrape en même temps, elles se nourrissent l’une de l’autre…. Après la mort d’Albert, il y a eu Georges… là aussi j’ai attendu…ses virées le soir, ses absences, ses retours dans des états pas possibles…au début à l’auberge on attendait les clients, on attendait les saisons. En hiver on attendait l’été, et l’été on attendait l’hiver, toujours en retard d’une saison, d’une paix, d’un repos… et puis l’arthrose toujours, jamais en retard, elle… j’avais l’impression qu’elle me prenait tous les os, les uns après les autres…. »

Alors je la regardais, bien calée dans ses dernières résistances, les mains posées sur ses genoux. Ses mains tordues, noueuses comme de vieilles racines déterrées. Et ses yeux qui ne savent plus fixer vraiment, parce que les images qu’ils voient n’appartiennent plus au présent de l’horloge. Elle n’avait plus réellement de lieu, sinon cet entre temps de l’attente. « Tu comprends…l’attente c’est l’arthrose de l’âme, et une fois qu’elle est déformée aux articulations de la joie, les mouvements du coeur sont aussi douloureux que mes genoux, que mes pieds, que mes doigts….un jour tu as quinze ans et c’est la foudre et les flammes dans ton corps, dans ta tête… un fétu de paille… après il te reste les cendres…. Là, je suis sur un lit de cendres…et je n’ai pas peur… je n’ai plus peur…J’attends… Je ne sais faire que ça, alors je le fais. Toi aussi tu as de l’arthrose à l’âme…soigne-la, ne fait pas comme moi, l’attente c’est une vraie maladie. C’est la maladie du temps qui passe… en fait c’est la maladie du temps perdu, une sorte s’excroissance de temps, comme un cancer, une prolifération de temps sur le temps à vivre… »

« L’attente vide ta parole, elle avale tous tes mots…dans l’attente jamais rien ne vient, jamais, ou si peu, ou si décevant….moi, j’ai été au bout de ce temps vain, alors parfois j’en ressens une sorte de jouissance… mais tu sais, c’est rare…. »

Souvent je la voyais assise, les mains posées sur ses genoux, à la fois droite et ratatinée, dans ces poses que nous inflige la vieillesse. Elle accompagnait ainsi le déclin de la lumière, sans bouger, comme si elle s’exerçait à l’immobilité, ce n’était pas la paix, pas la sérénité, c’était l’attente tenace et orgueilleuse, inutile, mais qui valait mieux que l’abandon. Comme si la dernière attente portait une révélation glorieuse.

Quand elle partit, quand tout fut éteint, elle était paisible, dans son lit. C’était au petit matin. Claire avait anticipé la pose en croisant ses mains sur sa poitrine sur les draps blancs à peine froissés. Ses mains calleuses, ses mains de racines amères et douloureuses. Les traits de son visage étaient adoucis, soulagés. Elle était à l’heure au rendez-vous.

Pourtant, l’attente est l’autre folie de l’amour… Elle, elle l’attend. Lui, il est parti pour quelques occupations d’homme vain, le travail, la guerre. Elle, elle est restée derrière la porte, elle a embrassé une dernière fois ses lèvres, puis le creux de sa main et elle a fermé la porte. Elle a respiré à plein poumon ce silence nouveau. Peut-être qu’elle a pleuré… un peu…en silence, et elle s’est assise au plus profond de son cœur. On pourrait la voir s’agiter en tous sens, on pourrait la croire aux prises avec mille taches, mille travaux….non, même vibrionnante elle est assise, elle attend. Elle est dans la pénombre de son amour, elle veille sur la flamme qui la consume, elle brûle d’une joie indicible et secrète. Et plus les jours passent, plus elle grandit. Et plus les heures s’étirent, plus elle devient immense. Souveraine. Elle rentre dans la toute puissance de l’amour. C’est l’attente folle, déraisonnable. En accueillant cette attente, loin de s’éteindre, elle s’augmente. Et chaque heure est un échange lumineux. C’est l’offrande pure. Car il est des attentes qu’aucun retour ne saurait retenir ou apaiser, il est des attentes inaltérables. Elles sont aussi blanches qu’un paysage de neige, aussi profondes qu’un océan. Ce sont des attentes folles. Les premières marches pour l’éternité.

Mamie, je suis de cette attente folle sans raison, c’est ma façon de déchirer mes chairs assez fort pour y faire tenir le ciel et son infini. Ce soir je respire le silence, et j’attends. Je n’attends rien ni personne, j’attends large et ouvert offrant ma béance aux étoiles….

Franck.

3 juin 2006

La vague....encore....toujours....

Parce que la vague est un envoûtement. Sa puissance vient de loin. D’ailleurs. D’un autre temps. Elle a commencée bien avant notre regard, comme la lumière des étoiles. Comme un long écho du temps. Les vagues naissent d’un endroit secret de l’océan. Nul n’en sait le lieu. Tous le redoutent. C’est un lieu de puissance et d’effondrement. C’est un lieu de la mer qui invente les naufrages. Là, au centre de ce lieu, il a un point, un point minuscule, si petit qu’il n’a pas d’espace, c’est sans doute un point d’orgue, on sait qu’il existe, mais nul ne l’a vu, et nul ne pourra jamais le voir, c’est là que naissent les vagues. Toutes les vagues. Elles naissent d’une inquiétude de la terre et d’une résonance, une sorte de vibration, elles naissent d’un murmure des dieux, elles naissent d’un désenchantement, d’une affliction, comme ces mères qui accouchent, et au moment de l’apparition de l’enfant hésitent entre la joie et le désespoir. Il y a dans la naissance des vagues comme un haussement d’épaule de l’océan. A peine. Mais suffisant, comme un désintérêt, une sorte de dédain ou d’indifférence, comme si l’océan était déçu par les rêves de l’humanité, comme s’ils s’en retournait chez lui au centre des abîmes, et que le haussement d’épaule, ce tremblement de colère rentrée fasse naître les vagues. Un long frissonnement venu des âges de l’univers. Dans l’envoûtement de la vague il y a cette mémoire douloureuse et cette oscillation, cet ébranlement des eaux du dédain, et le rappel incessant de notre indigence, cette espèce d’absence, cette perpétuelle défaillance. L’écriture de l’eau qui roule tente de reprendre le mouvement d’avant, celui dont on vient. Reprendre la main sur le tangage des rêves et la vacillation de la raison. Comme la danse du chamane, comme s’il s’agissait de rappeler les forces premières, celles du sang ancestral, de retrouver le pur, le non corrompu. L’inaltérable. Appeler la démence et l’ivresse du balancement, les faire rentrer sous sa peau les faire glisser le long des os, tendre ses viscères à ce brassement monotone jusqu’à l’écoeurement, jusqu’au vomissement. C’est l’écriture de la mémoire et de l’oubli, de l’amour impossible, et de la mort trop lente et trop loin, c’est une écriture qui s’aveugle sur l’horizon, et qui tremble, et qui s’essouffle. L’écriture de la mer ce n’est pas l’écriture du voyage, elle n’a pas cette tension secrète et sourde, ce n’est pas l’écriture de l’ailleurs, du partir, elle a trop de retour dans sa langue, trop de langueur dans sa perte, trop de folie dans son ignorance. L’écriture de la mer ne porte pas l’espérance, elle n’est pas la bouteille qui contient le message, elle n’est qu’une vague. Que la vague. Une et innombrable. Elle n’est qu’une eau dans l’agitation de son errance, elle n’est qu’elle-même, dans cet au-delà d’elle-même. Elle n’est que simple extension de la clarté. Expansion de l’abandon. Elle n’est que son instant dilaté, sans autre volonté que de l’être pleinement. Infiniment perdue, infiniment retrouvée. Elle se contient, elle se résiste et si elle ploie parfois, si on l’entend se briser, c’est pour mieux se recomposer, mieux se concentrer. Aller de l’éclat du mot à l’esquille de la parole. Aller de l’identique défait de l’habitude, à l’identique enveloppé de sa propre recomposition. Embrun paradoxale de l’infime et de l’immense. Paradoxe de la plénitude et du doute. De la dérive.

Il y a dans l’écriture de la vague une sauvagerie insoupçonnée, née des profondeurs immobiles qu’elle recouvre, et de cette résignation à ne signifier rien d’autre que le mouvement, que la présence. Une présence débarrassée de l’ombre, car elle est l’égale du soleil. Elle porte sa propre lumière, c’est ce qui la rend si étrange. Si envoûtante. Et le soleil si révérencieux à son égard.

Il y a sur le bord de la vague un rire d’enfant ou un rayon de lune, c’est ce qui la blanchit et lui donne la force d’aller au bout de son enroulement, d’aller au bout de son outrance dans la profusion du verbe, et dans cette démesure lancinante.

Le soleil dit : « Je suis… ». La Mer dit : « Je consens… ». Et la vague murmure : « Je m’efforce…. Comme la graine et la fleur, je m’efforce… comme l’arbre, je m’efforce. »
Que pourrais-je dire, moi l’insolent, moi le piètre, moi le vivant fragile ? Que pourrais-je dire, sinon, je m’efforce.
Dans l’écriture de la vague je m’efforce, comme dans une prière débarrassée de ses faux dieux. Une prière sans adresse, comme le rire d’un enfant qui perce la lumière….

Franck.

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