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J'irai marcher par-delà les nuages
30 septembre 2006

L'écrivaine.......

La parole du matin n’efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.

Inconsolable.

Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

ÐÑ

Dans ce coin d’univers où elle est posée, elle nous dit l’attente sombre, et le monde qu’elle voit au balcon de sa mémoire. Ses jardins. Ses jachères.
Il faut imaginer, c’est une silhouette ballottée par les remous d’une onde fraîche, une forme frissonnante dans la marge transparente des jours frivoles, une figure dénudée et chaste, une figure d’horizon dans le reflux des saisons. Chaude icône aux cheveux de brouillards à la peau blanchie d’écume.
Et ses yeux ont cette brillance singulière, où dans le même mouvement des paupières apparaissent la joie gourmande de la vie et la tristesse, sans laquelle cette joie n’aurait aucun sens.
Des yeux ardents écarquillés sur l’envers du décor.
Un regard ruisselant qui donnent de la lumière au royaume qu’elle habite.

Un sourire la pare souvent, un sourire de perle dessiné avec un souvenir d’enfance, le sourire lunaire des consolations enfantines avec son infinie douceur, son infinie langueur. Oui, l’infini de l’amour fragile prêt à défaillir.
Un sourire la pare, à moins que cela soit des larmes d’une jeunesse arrachée au ciel.
Elle confectionne un paysage de textes avec une incomparable aisance, ainsi elle le ferait d’un bouquet tumultueux de fleurs sauvages. Fleur à fleur. Mots à mot.
Chez elle chaque texte est une chrysalide. Et de ses seuls doigts elle fait naître les papillons des mots. Et parfois sa main glisse sur le clavier, elle caresse les touches comme si elle traversait mille vies.
Chaque jour elle s’embarque pour un voyage qui pourrait la déposer sur les rivages brûlants des passions crépitantes. Navigation incertaine, presque hésitante, toujours au bord d’un naufrage. Les textes sont les nuages qui la guident. Qui la sauve, ils sont les alizés qui portent sa dérive, les albatros qui lui composent et saisissent l’âme.

Tout le jour elle est dans le mouvement des mots, dans leurs couleurs, leurs cendres, elle est dans le blanc de la page entre le noir des lettres, elle écoute leurs histoires.

Alors elle se sent pénétrée par un grand fleuve.

Chaque texte est fait de sa chair et de l’attente, de l’attente et de l’amour, de cet amour inachevable et son souffle se suspend lorsque survient des réponses inconnues, réponses de blessures ou de solitude claire. C’est un vertige enivrant, car elle connaît leurs folies désarmées, leur transparence secrète, cette part épuisée qu’ils charrient. Elle sait les secourir en les enchantant d’un regard d’amour, en leur prodiguant le geste d’abandon essentiel : ce baiser protecteur qui les éclairent.

Et lorsque le lecteur, ombre de passage, traverse son temple pour cueillir quelques mots, tel le promeneur absent dans un champ de coquelicot, elle n’oublie jamais un dernier frôlement comme elle le ferait sur la joue rose d’un enfant.

Quand vient la nuit dans l’obscurité religieuse de sa petite maison de mots, bien calée entre deux silences, elle entend laLady_20Writing_20a_20Letter_20_vermeer__jpg voix des textes, leurs chants. Et le chuchotement des heures. Elle est alors un port scintillant qui veille sur le balancement des barques, la sentinelle des mots, la gardienne d’un phare sur l’océan de la langue, une lueur de crépuscule sur nos chemins d’espérance. Elle est assise, attentive, et sa beauté est émouvante par l’évidence de son regard qui dit l’amour dans sa part de murmure, de don, dans sa part la plus effondrée, celle qui gît au plus profond, dans sa part d’enfance ressuscitée presque sauvée de la nuit, des blessures et des souillures, et des oublis, et des méprises.

Calme et douce, elle ressemble aux souvenirs comme une source, comme une eau gorgée de musique, de nuances étranges, une eau qui laverait le ciel de nos peurs, un baume de vie pour l’errance.

Chaque nuit elle chante, parfois elle vole, et la course des étoiles s’organise autour d’elle avec lenteur et mesure, car elle a le pouvoir d’arrêter le temps, de le suspendre. Elle n’est pas une ombre, son sang est rouge et il coule comme un torrent fier. Et elle ne dort jamais, parce qu’il faut veiller sur tous les fantômes de sa maison hantée, ils pourraient envahir la terre. Alors elle surveille. Armée de ses mots et ne laisse rien passer. Surtout pas nos faiblesses, nos complaisances. Elle est là, dans la nuit. Elle veille.

Elle écrit.

« Mon amour, tes plus longs silences sont mes plus beaux poèmes...

Mon amour sais-tu que l'étreinte est la forme la plus accomplie du langage.
Mon amour sais-tu que l'absence de l'étreinte est la forme la plus accomplie du dénuement.
La puissance d'un désir abandonné.

Mon amour crois-tu que c’est le début de la folie….

Mon amour que pourrais-je taire afin que tu m’entendes... »

ÐÑ

La parole du matin n’efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.

Inconsolables.

Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

La parole du matin

Se reconnaît à ce qu’elle n’a pas d’ombre,

Elle s’avance, nue,

Dans l’éclat éblouissant de la lumière,

C’est une parole qui brûle la langue

Et qui consume l’âme.

Franck

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26 septembre 2006

Imminence.....

Avec l’écriture de la neige, m’est revenu cette nuit, ces instants de la Creuse. Et d’autres neiges, et d’autre temps. Et c’est un samedi de février. C’est l’hiver. Dehors il fait froid. Le ciel est bas. Il faut l’imaginer, lourd. Pesant. Il attend. Nous venons de finir le repas de midi. Isabelle est silencieuse. Comme le ciel. Comme tout ce qui nous entour. C’est un temps d’imminence, d’approche. Dans la cheminée le feu résiste au poids qui l’écrase. Il brûle avec effort. Avec tristesse. Résignation. Le bois suinte, craque. Les flammes ne chantent plus, on pourrait entendre leurs plaintes. Comme si la chaleur se brisait sur le froid, le silence. Dehors le ciel laisse tomber des morceaux de laine grise qui s’accrochent aux arbres nus. Le jour a du mal à traverser l’étendue de tristesse de ce ciel épuisé, saturé de gris, affaibli par l’hiver. Notre petite maison semble encore plus isolée, plus solitaire, plus mélancolique. Les horizons ont disparu. Une embarcation à la dérive dans cette saison interminable, et le silence, et le froid, et l’attente. C’est un samedi de février. Dehors il fait froid. Le ciel est trop bas. Trop lourd. Trop pesant. Isabelle est trop silencieuse. Elle a sur le visage ce voile d’inquiétude qui fait pâlir son regard. Et maintenant elle est pelotonnée dans le petit fauteuil rouge. Sa tête repose sur le dossier. Pour parler il faudrait que la parole traverse tout un engourdissement, et l’épaisseur d’un ciel. Et c’est impossible. Elle a remonté ses genoux contre sa poitrine. C’est un temps d’imminence, qui prend son temps puisqu’il connaît déjà l’issue à sa pesanteur. Je suis devant la fenêtre. Je regarde le grand champ se faire peu à peu dévorer par ce ciel taciturne, accablé. Il a perdu ses couleurs. Cela commence toujours comme ça. Les couleurs disparaissent. Au bout du champ la rivière s’est asphyxiée entre les souches et les pierres grises. L’univers s’est rétréci, il perdu son sang. On étouffe de froid, et d’hiver, et de silence, et de lenteur. Je regarde le grand champ s’effilocher sous cet immense nuage, trop lourd, trop bas. Dans la pièce résonne en sourdine Rachmaninov, « L’île des morts ». Un aveu. Un présage. Lent ressac d’une mélodie obscure. Noire. Quelque chose vient, à pas lourd. Quelque chose est parti il y a des siècles et va arriver là, maintenant. Après des siècles de grossesse la mort peut naître. Le cocon pour l’accueil est prêt. Le monde est en ordre. Rachmaninov s’accroche aux ombres des flammes tremblantes de froid et va se perdre tout au bout du champ dévoré par le gel austère. Et l’attente. Paysage délavé, qui a perdu son énergie, sa vigueur, qui s’abandonne à sa déchéance. Isabelle ne bouge pas. Elle est adossée à l’hiver et à la lenteur du jour. Elle a remonté sur elle une couverture de mélancolie. Temps creux des défaites. Temps vide. Et pourtant si chargé, si compact, si serré. Abondance de tristesse, abondance de fins, de limites. La mort généreuse, complaisante, prévenante. Patiente. Attentive. Scrupuleuse. Méthodique. Oui, temps raidi par le froid. Figé dans l’imminence. Seule la musique a ses excès. Elle occupe désormais, seule, l’espace et temps. Ce qu’il en reste. « L’île des morts », mouvements amples et sombres. Lancinants. Grave. Je regarde à travers la vitre, et je sens la montée du naufrage, comme une évidence. Isabelle est immobile. Et le feu râle, comme si ses poumons ne suffisaient plus à alimenter son ouvrage. Et la lumière du jour s’affaisse un peu plus, l’ombre se tasse et devient plus dense. Il faudrait que tout cela finisse. Mais il y a des instants qui n’ont pas d’issues.

Et puis cela commence. D’abord on ne le voit pas. Rien n’a changé et pourtant rien n’est plus pareil. On dirait qu’il y a surcroît de douleur, une dernière expiration. On dirait que l’on vient de traverser un monde, que l’on est aux confins de l’univers. Et quelque chose lâche. Le jour, qui s’agrippait avec férocité à la pierre grise heures lâche.

Au début c’est imperceptible. Les flocons sont si fins, si ténus, si fragiles, qu’on les voit à peine. Ils flottent. Ils ne savent pas encore s’ils vont réussir se poser au sol ou s’ils vont remonter d’où ils viennent. Ou s’évanouir. Voilà, ça commence par cette danse hésitante et légère. Ça commence par la voix hésitante et légère d’Isabelle. Ça commence par un trou dans lequel s’engouffre la parole. « J’ai besoin de faire le point…. Il faudrait que je prenne une chambre à Guéret… pendant quelque temps…. Le temps de…. » Je regarde dehors, la pluie blanche peu à peu s’épaissie. Peu à peu la grisaille humide du champ s’éclaircie. « Tu comprends… ? ». A cet instant je sais que je ne peux pas répondre. Non, je ne comprends pas. A cet instant je ne veux pas comprendre. Il n’y a rien comprendre, là. Simplement à assister à cet écroulement blanc. Maintenant les flocons sont épais. Lourds. Serrés. C’est un déluge de silence blanc, massif. Je ne dis rien. Je regarde dehors. Me revient à ce moment précis, cet autre hiver, cette autre neige. Ma mère suffoque ses dernières respirations. Et je vois la neige tomber sur le grand tilleul, au milieu de la cour. Blancheur mortelle des temps de neige. Isabelle attend ma réponse. Ma parole. « L’île des morts » est en train d’expirer ses dernières mesures. Mon regard se perd au loin du souvenir. Je suffoque, j’étouffe. J’entends la respiration haletante de maman. Et la neige comme un effondrement du ciel. Silence blanc pour étrangler l’extrémité des râlements. « Franck… ! Parle-moi….! » Sa voix est douce, mais quelque chose a brusquement débordé plus loin. Le ciel dans son déluge. Le temps dans sa tension. Et seul le feu semble revivre. Il rejoint sa flamme. J’entends à nouveau des crépitements clairs. Dehors c’est une avalanche. Tout est blême. Déjà sur le sol, grossit le linceul crayeux. Quand la neige tombe c’est la fin d’un monde. Et on ne sait rien du suivant. On est envahi, par la suffocation des mères, par la mort vêtue de blanc. Isabelle s’est levée. Elle est derrière moi. Elle ne me touche pas. J’entends sa respiration. Elle aussi regarde dehors. C’est une après-midi qui n’en fini pas. Qui ne peut pas finir. Il semble que la blancheur du dehors éclaire un peu plus l’intérieur de la maison. Ecrasement des ombres dans les angles de ce temps de profusion laiteuse. Quelque chose halète dans ma mémoire. Essoufflement du souvenir. Maman racle les derniers instants de la vie. Les dernières miettes. Je l’entends et je vois de gros flocons blancs, presque gras, tomber comme une désespérance, éteignant tous les bruits inutiles. Je suis derrière la vitre du coté des râles, du coté de l’essoufflement. Sur le carreau la condensation rajoute de l’opaque aux heures. La petite maison dévire dans l’océan blanc. J’entends les derniers raclements de notre histoire avec Isabelle. Les dernières miettes. Le froid est passé à l’intérieur. Il colle aux parois de ma chair. Cristaux étoilés de givre blanc. Et j’ai la sensation d’avoir de la neige plein la bouche, de la neige comme de la cendre. Et chaque mot que je pourrais dire irait se perdre dans l’étendue blanche devant mes yeux, derrière ma mémoire. Et cette neige qui tombe a signé un pacte avec la mort, avec la fin. Couverture de silence sur l’oubli.

Et il y a comme une colère qui coure dans mes veines. Un peu comme une avalanche. Et c’est froid et bouillant à la fois. « Pourquoi tu ne dis rien… ? » « Parce que c’est la fin, et qu’à la fin on ne dis jamais rien…parce que c’est trop tard… », « J’ai simplement dis que je voulais faire le point…. » « Je dis simplement que c’est la fin…. » «  Pourquoi tu dis que c’est la fin… ? » «  A cause de la neige…. » «  Peut-être un mois ou deux, peut-être c’est rien… » «  C’est déjà plus que l’éternité… » « Peut-être que ça va passer… tu sais mon analyse, ces séances épuisantes… » « Oui, je sais… à ce moment là du temps, elle ne pouvait plus respirer… » «  De quoi tu parles ? » « Je parle de la neige, de ce froid, de notre séparation, de cet effondrement dehors… et là, à l’intérieur… ». Alors, Isabelle c’est rapprochée encore, et elle a murmuré comme un enfant fautif : « Pardon…je… » «NON ! Tue-moi, mais ne me demande jamais pardon… ! Non, pas pardon !... Maintenant tu dis pardon, ma mère a dit pardon… pardon, pardon…. Vous dites toutes ça… pardon… parce que la neige tombe… c’est facile, pardon… . Non, je ne pardonne rien… ni à toi, ni a elle, ni à la neige, ni a personne… on ne négocie pas l’amour… c’est tout, ou rien !» Je regarde dehors, la lumière faibli. «  Tu vois, là devant toi, derrière cette brume, derrière cette neige, sur la colline. Tu vois, elle est là, depuis toujours elle est là. Ses derniers mots pour moi ont été,  « pardon », après elle a pliée les gaules et on l’a posé sur cette colline, sous une grosse pierre. Et son « pardon » est resté là, bien dehors lui, comme une question impossible, comme un mystère… tu comprends je n’ai rien à pardonner….au nom de quoi j’aurais quelque chose à pardonner !... ». Et la nuit est venue. L’éclairage de la maison faisait un halo de lumière pâle sur le grand champ de neige, dehors. Je voyais cette pluie immaculée traverser l’ombre et la nuit. Et je sentais une éternité de neige à venir…

Et tout fut dit.

Franck.

23 septembre 2006

Entre l'avant et l'après.....

Il y a un avant et il y a un après. Entre les deux, un grand champ de neige. Et l’écriture, blanche, sur la neige blanche. L’impossible inscription de l’instant. De l’eau sur de l’eau. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Si peu. A part ce mouvement qui remonte des viscères, qui roule sur le thorax, froisse les poumons, et qui vient s’effriter dans la bouche. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Rien. L’objet du texte invente le sujet. Ecrire pour maudire la parole. Invoquer le silence dans des phrases trop bruyantes. Parler est vain, se taire impossible. Vivre l’écriture entre les deux. Le grand champ de neige. Blanc. Et l’écriture trop blanche. Le pas de l’écriture s’enfonce. Tasse. Disparaît sousraquettes_trace le poids de son insistance. La phrase ne tient rien. Et je ne retiens plus la phrase. Elle m’entraîne dans le blanc.

L’anachorète a fait trois tas devant sa grotte. A droite il a posé ses gestes, tous ses gestes, toutes ses actions. A gauche, il a fait un tas de tous ses vêtements. Et au centre il a déposé sa parole. Toute sa parole. Tous les mots de sa langue, même son nom. Puis il est entré dans la grotte, il s’est assis. Il a fermé les yeux. Alors il n’y eut ni avant, ni après. Il n’eut plus à traverser le grand champ de neige. Il était la neige. Une et innombrable.

 

L’écriture tient les bords du temps.

 

 

ÐÑ

 

 

La vérité du mot c’est le silence qui le suit, la vérité de l’amour c’est le silence qui le précède. Car il nous faut conquérir l’âme du monde pour l’accomplir ou le brûler. Pour l’accomplir en le brûlant.

 

 

ÐÑ

 

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Nous sommes issus d'une fièvre ou d'une folie, nous sommes une trace qui s'épuise dans l'infini des cieux, une ivresse à la dérive, une note qui s'obstine, un rêve qui s'effiloche, un simple souvenir dans la mémoire des dieux.

 

 

ÐÑ

 

 

Ecrire conjure le vide.

C'est la tentative d'un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s'agit de côtoyer les ombres de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire pour lui donner sa dimension de silence. De fièvre.
En fait, écrire nous dit l'ombre de nos actes, de nos paroles et le trou décelé dans l'écorce crevassée de nos vies démembrées.
Ecrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit
Ce qui n'a put être dit sera écrit
Ce qui n'a put être écouté sera écrit
Ce qui a été refusé sera écrit
Ce qui a été perdu sera écrit
Ce qui a été espéré sera écrit
Ce qui a été pleuré sera écrit
Ce qui a été sali sera écrit
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

 

ÐÑ

 

neige_champs

Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils nous échappent et se brisent aussi facilement qu’un souvenir, ils ont besoins de toute notre attention pour rejoindre, à force de couleur, de musique, d’élan, une parole juste et attendue. Peut-être secourable.

L’amour court sur la lame d’un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c’est la blessure. La rosée qui l’abreuvait, qui le nourrissait, se transforme en sang, c’est ce qu’on appelle le sang du poète.

Le plus court chemin pour le mot c’est le baiser.

 

Combien de temps pourrais-je encore tenir les bords tranchants de l’écriture ?

Franck.

17 septembre 2006

La couleur du silence.....

A regarder en arrière de l’écriture je me rends compte d’une chose, c’est de l’instabilité du mouvement. Il y a les textes de surface, ceux plus médians et d’autres au ras de l’os. L’humeur de l’écriture navigue entre ses trois niveaux, ces trois élocutions. Plus on perd en lumière plus on gagne en intensité.

La peau, la chair et le sang, l’os.

L’évidence est dans les « Marie Madeleine » de Georges de La Tour. Trois tableaux. Pas trois essais. Trois niveaux d’écriture. Trois temps du temps. Trois temps de l’arrachement.

gdelatour_madeleine_metrop_artchiveJe regarde. Fasciné. Avec cette émotion confuse, envahissante. Brûlante. Ce n’est plus une peinture, c’est un chant. Dans cette avancée dans le noir, dans le silence de la couleur il y a un mystère. On touche là, l’os du peintre. L’épure du mouvement.

Il y a une progression. Au premier tableau, Marie Madeleine se trouve au tout premier instant de sa révélation, elle a encore ses vêtements de fille de plaisir. Elle vient d’arracher ses bijoux. Elle est en marche vers l’inconnu de la foi. L’expérience intérieure.

Elle appelle le noir, et le peintre lui répond. Lui aussi se met à genoux pour peindre le silence. Il s’applique à cette lumière. Invente des lieux de regard qui n’existaient pas. Il invente un pays de recueillement. Il s’applique dans ce noir qui n’a rien de tragique. La lumière n’est qu’un reflet. Même la bougie disparaît. Traversée. Perforation. Envoûtement. Il s’applique à inventer la lumière de l’amour. Avec le silence qui va avec. Il nous met a distance, pour nous prévenir. Pour protéger Marie Madeleine aussi. Elle est plus nue, qu’elle ne l’a jamais été. Elle touche le dénuement de la foi. Eteindre le monde bruyant, sauvage. Eteindre la lumière des agitations vaines. Attendre. Aller au bout du désespoir. Ne plus rien espérer. User ses humeurs. Qu’il ne reste rien. Que la voix du silence. Oum Kalsoun. Déchirement du ciel. Mahler. Eteindre chaque mot de la langue, un par un.

Au premier tableau, Marie Madeleine vient de faire le saut. Après elle apprend dans la douleur sacrée à consentir. C’est l’histoire du vol ébloui. La chute dans la lumière obscure. Saint Jean de la Croix. Les expériences artistiques qui n’auraient pas de versants spirituels n’auraient aucun intérêt. Et par ailleurs cela n’implique aucunement l’existence d’un quelconque dieu. Avant il existait la peinture, Goya invente le peintre. Il lui fallait un pays à ce peintre, de La Tour l’imagine. Il fallait un lieu de l’âme.

Noir, lent, lourd. Pesanteur de la grâce. Fragilité de nos destins. Désarticulation de la langue. Atteindre la coupure, l’entaille, la morsure.

09magdalRembrandt peint la nuit, Goya aussi, mais là… Dans ce troisième tableau de de La tour, ce n’est pas la nuit, c’est autre chose. De plus profond, de plus insensé, c’est le lieu impossible de notre vie. Faire sortir la lumière de toute cette ombre, la chercher au centre obscur. La faire venir de derrière le tableau. Voir le destin de la flamme dans ces trois tableaux c’est voir notre propre destin. D’abord double, tout en richesse et en reflet. Puis simple et droite. Enfin en manque, en chaleur, en irradiation. La lumière de de La Tour suggère sa disparition, son absence. Elle n’est jamais si présente que lorsqu’elle disparaît.

Nous sommes entrés avec Isabelle dans la petite chapelle de St Médard. Souvent nous y allions. C’est une fin d’après-midi d’été. Il a fait chaud. Le granit des pierres transpire de fraîcheur tendre et tranquille. Quelques cierges sont allumés. C’est une fin d’après-midi d’été. Dehors le jour s’apaise dans les derniers crépitements de chaleur. Dans la chapelle d’ombres il fait bon. Il fait bien. Il fait heureux. Temps fragile. Je sens les lèvres d’Isabelle se poser sur ma joue. Ses yeux rient et elle pose son doigt sur sa bouche. Chut… ! « Ne dis rien… ». Elle s’avance. Et elle se met à genoux. Et elle est prise dans l’onde de lumière du grand cierge. Et ça aussi c’est un tableau. Elle est à l’intérieur. Non, elle est partout, sauf là. Pour s’enfuir elle est passée par son centre de silence et puis hop ! Pâle, blanche, perdue. Belle, infiniment belle les yeux clos, la face tendue vers le petit vitrail. C’est étrange, j’ai brusquement l’impression qu’un voile la nimbe. Je suis tout près. Je ne peu détacher mon regard de sa figure blanche, pâle, infiniment belle. Le temps n’a plus de prise sur le jour. Et plus le soir arrive plus sa pâleur ressort. Maintenant il fait nuit. Le cierge absorbe tous les restes de lumière. Sur les joues d’Isabelle je vois rouler de minuscules larmes. Silence contre silence. « Sortir de la prière c’est comme accoster, on regagne la terre ferme et pourtant on a encore dans le corps la houle du voyage…on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Elle aimait comme elle priait. Avec abandon, et blancheur. Avec cette intensité calme. Avec ces larmes qui n’étaient pas toutes chagrin.  « Tu as fais un beau voyage ? ». Elle se sert contre moi, prend mon bras. Nous sortons. « J’ai frais, et c’est si bon… »

gdelatour_madeleine_ngwash_cgfa_agrandieLe chemin d de La Tour est un chemin d’écriture. De tableaux en tableaux, il n’allège pas, il développe, il accentue, il aggrave. Il rend grâce. Le noir n’est pas une absence de couleur, c’est la couleur de nos vies d’écriture. A coup de grands à-plats d’ombres il traduit le silence le plus radical. Dans le dernier tableau Marie Madeleine est à son œuvre. Elle prie, médite ou écrit, qu’importe, elle est au plus près de sa désolation et de sa joie. Elle est là, mais elle est ailleurs. La main gauche posée sue le crâne des vanités lui rappelle la fragilité des entreprises humaines. Maintenant elle ne sait que brûler. Si dans le deuxième tableau on peut encore imaginer qu’elle doute, il n’est plus question de doute au troisième. Un tel silence ne peut naître que de la certitude d’une âme franche, humble et droite.

Avec lenteur le peintre pose le noir du tableau. Lentes et profondes couches de noir. Il est dans son atelier. Il se tait. Il peint. Il n’en fini pas de redire la même chose, les mêmes couleurs, la même espérance. Silence sur silence. Il pense à Marie Madeleine. A sa solitude. Lui aussi il est arraché. Seul. C’est une montagne ce tableau. Ce noir. C’est un océan. Un ciel. Il s’applique, là plus qu’ailleurs. Ne pas succomber à l’envahissement. A la folie. Et pourtant c’est bien une folie ce tableau. Ne pas trembler. Il se souvient de sa première Marie Madeleine, il en avait peint la peau, presque la poitrine. Et puis…. Comment écrire le dénuement de l’âme ? Comment sans détruire la couleur ? Comment sans essayer de créer la plus improbable lueur ? Comment dire la fragilité et la force dans le même éclat ? Comment dire l’impossible travail du peintre. Tout enlever en gardant tout, et plus encore. Comment peindre le souffle ?

Et c’est un long poème de vie et de mort. Peindre la gravité c’est comme l’écrire, c’est peindre le blanc de l’os avec le rouge du sang. Et recommencer…. Et recommencer…. Et recommencer….

« …on sait qu’il fait jour et pourtant on est encore dans la nuit. Et pourtant c’est un bonheur… »

Franck.

16 septembre 2006

Le présent du passé.....

C’est étrange, reprendre un texte d’avant, c’est comme être dans le présent du passé. Ce n’est pas du souvenir, ce n’est pas de la mémoire, c’est… un temps déchiré.

Il me faudrait dénuder le temps. Défaire chacune de ses couches, chacune de ses peaux.

Je suis une eau errante dessourcé. Je n’en finis pas de couler hors de toute direction, de tout sens. Je cherche un lieu, une âme, un parfum, une voix, un chemin. Il n’y a pas d’issue à l’errance, c’est d’ailleurs comme cela que nous la reconnaissons. Pas d’issue.

Défaire temps de ses exils. Avec la patience du tailleur de pierre.

« Il me faut dénuder le temps.
Il gît nu maintenant, dans son impudique pureté, étendu dans le lit de la langue, et je pose mon cœur sur l’oreiller des mots, et je recouvre mon corps d’un linceul transparent…
Temps nu…
Il plante sa lame tranchante dans le gras de ma vie jusqu’à en toucher l’os…

L’os.
Temps nu d’attente verticale et crépusculaire, parenthèse frémissante aux paupières du rêve.
Faux blanche dans un champ d’asphodèles…
Temps nu du silence…. Ecoulement bourdonnant de substances misérables dans la veine des heures… »

Ces mots sont habillés de pénombre tremblante. Il y a la bougie qui éclaire à peine le bureau. Pas un bruit. Je m’entends respirer. C’est un vertige ce retour en arrière de l’écriture. Ces mots là, étaient partis au loin, et les voilà qui reviennent. Je les accueille comme une marée. Sombre déferlement. C’est avant, et pourtant c’est maintenant, c’est le même temps.

Je parle du plus profond de ce grattement d’os. De ce temps arrêté.
Pourtant… j’essaye de rejoindre avec quelques mots murmurés, avec l’écriture la plus virginale, avec rien, une rive inconnue couleur de l’ambre…
L’écriture est le geste le plus dénué de sens. C’est une pure folie. Vivre à l’intérieur l’expérience du serpent sacré. Et de l’exil.

Mon rapport au temps est insolite, il est entré en moi par la porte de l’ennui. Donc de l’oubli. Seule la rêverie permettait d’effacer l’épaisseur, la consistance, résistance d’un temps douloureux. Attendre lorsqu’il n’y a rien à attendre. Faire passer, user l’immuable est le poison de toute une vie. Dans l’ennui il n’y a pas de début, il n’y a pas de fin. Il n’y a que l’interminable noyade. Quelque chose en soi, ne cesse de chavirer.

D’où venait-elle ? Quelle partie de ma mémoire brûlait ? Quel océan m’appelait ? Avait-elle un visage ? seulement un visage…..Quelle drôle d’espérance m’habitait.  J’écrivais à l’ombre d’une bougie. Dans une faible lumière chancelante, recueillie, d’une bougie toute simple. C’était un temps ou écrire était écrire à quelqu’un.

« Pour toi j'ai labouré la terre du ciel avec ce glaive de cristal capturé aux rayons scintillants d'une étoile.
Pour toi j'y ai semé des perles de printemps
J'ai creusé l'écorce inquiète des jours pour faire issir de chaque désir des essaims de cerisiers fleuris… »

Après vient le temps ou l’on écrit à personne. Les mots ne sont plus destinés. Ils sont « la » destiné. On les décharge peu à peu des intentions, bonnes ou mauvaise. On éteint progressivement leur lumière. On les veut plus silencieux. On les veut plus lents. Plus justes.

Je me voulais jardinier. Je ne suis qu’un laboureur.angelus

« Pour toi j'ai puisé au puits de mon sang dans cet étrange étranglement de ténèbres.
Pour toi j'ai affronté les pentes vertigineuses des ravins de la nuit,
Et dix fois traversé l'échancrure du néant,
Et cent fois prié les entrailles du temps,
Et mille fois bénis la grâce tournoyante des galaxies… »

Il y a une exaltation née de la couleur des mots et du rythme de la phrase. Comme si les mots se fascinaient eux-mêmes, comme s’ils étaient pris dans leur propre ivresse. Leur propre délire d’invocation. Je me souviens de ce brassage intérieur. Déraison que tout cela. Je n’étais qu’à la surface des mots. Sillon superficiel.

J’utilisais les mots. La vérité, c’est eux qui doivent nous utiliser. Le mot juste doit blesser. Les mots vrais peuvent tuer.

« Je me suis fait mage pour guetter ta venue dans les dessins des cieux.
Oui, j'ai labouré l'immense cosmos arrachant inlassablement les racines fibreuses de tes cauchemars, déchiquetant sans trêve les ronciers du soupçon.
J'ai poussé les murs de l'horizon pour te faire de la place,
Attisé les aurores pour réchauffer ton cœur,
J'ai tissé le grand voile des nuées pour habiller la nudité de tes rêves,
J'ai tremblé de tes frémissements… »

Trop bruyant. Infiniment trop bruyant. Il n’y a pas d’espace dans cette parole. Pas même de quoi y glisser un silence. Respiration d’essoufflé. L’incantation appelle la magie et le mystère, et la révélation. Et c’est une eau hésitante, malgré le ton la marée ne monte pas. Il y a là, un entêtement désespéré.

« J'ai chargé des montagnes de mots dans le char de

la Grande Ourse

pour verser, au matin, sur les bourgeons galactiques cette pluie fine de lueurs de hasards dérobée aux velours de la nuit.
Dans le champ des abîmes j'ai incendié les brumes pour guérir tes détresses et leurs cortèges d'ombres neigeuses.
Pour étancher ta soif j'ai recueilli l'écume laiteuse d'un astre neuf,
Et tressé dans les spirales étincelantes des comètes une couronne divine pour parer ton front haut,
Et d'un seul baiser sur la fêlure vulnérable de tes lèvres immobiles je déposé le souffle incandescent du firmament… »

Pourtant ce texte ancien résiste. J’aurais voulu l’attaquer, le défaire, le réduire. Mais je n’y parviens pas. Comme s’il portait autre chose, comme si cette autre chose invisible me tenait encore. Quelque chose de l’ordre de l’affranchissement.

« J'ai voulu l'impossible, surtout l'impossible, pour me croire délivré des terreurs du déclin… »

Exhortation qui cherche avec accablement à se survivre. Presque à se convaincre, comme dans une transe vaudou. Parole de danse macabre.

« Epuisé, foudroyé par la chaotique et bourdonnante espérance je me suis allongé au pied des grandes meules de l'univers, sur ce tapis de brindilles claires, lambeaux de silences oubliés par le temps
Voilà ce que j'ai fait
Voilà ce que je dirais sous le voile de ton sommeil, de ma parole la plus blanche au cœur de ma nuit la plus noire… »

Mais mon amour va l’amble, battement désaccordé au creux d’un monde désarticulé.

Brûlure sacrée des instants rares
Orchidée cueillie sur les lèvres du jour

Je t’ai vu allongée les yeux fermés
Ni vivante
Ni morte
Plus que vivante
Plus que morte
Plus vraie qu’un soleil
Sur le coussin fragile des mots j’ai rapproché ma bouche pour souffler sur ta gorge une caresse rouge.
Sous l’arche de ton sommeil vacillant ma voix devint rumeur innombrable…
Murmure ruisselant…

Et ton innocence flotte auréolée d’un tremblement limpide.
Et ta chevelure noire déverse des champs de comètes frémissantes.
Et ta bouche savoureuse s’arrondie dans la chair sanguine des oranges.
Et tes yeux effarouchés chancellent comme des guirlandes de chandelles.
Et tes mains délicates en éventails balaient les poussières désargentées de la nuit comme l’aile du papillon effleure le cœur des roses.
Et ton sourire amande a la chaleur des étreintes.
Et ta voix captivante connaît le luxe et l’harmonie des plus grands paradis.
Et ton front réfléchit la lumière et la grâce des lys.
Et ta peau séraphine se perle de rosée.
Et ton corps élégant traverse enfin l’aurore……

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve.

Traverse enfin mon rêve…….

Trop de parole dans ces mots. Car le monde s’enchante de la parcimonie, de la rareté, cela l’allège du trop plein, de l’excès, de la tonitruance de nos vies.

Car le monde a besoin du peu et du rien. Il a besoin de ce temps suspendu, presque perdu.

Comme ces prières qui montent des cloîtres : silencieuses, invisibles, cris inaudibles à force de s’opposer au vide, au néant, à nos insuffisances…

Tous ces riens, ces si-peu jetés dans l’espace.

Car le monde s’enchante d’une seule présence invisible, d’un seul geste, d’un seul baiser, d’un seul mot prononcé dans le dénuement et dans l’absence de toute réponse.

Franck.

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14 septembre 2006

Merci Belle amie....

Encore…. Chris (Sperenza et In memoriam ) vient encore de frapper. C’est elle  qui s’est chargée de la nouvelle décoration de ce lieu. Et là, elle a fait très fort, comme d’habitude…

D’abord il a fallut qu’elle traduise mes désirs, plutôt vagues, imprécis, plutôt dans tous les sens, puis en y apportant toute sa sensibilité son intelligence et son talent évident de réalisation.

Le résultat est là.

Je trouve la bannière superbe. Je me suis tout de suite senti bien dans cette ambiance. Et puis le pavé de liens…. Formidable et original !

Alors merci Chris, de tout ce travail, car il t’en fallut du temps surtout pour le codage des liens dans la mosaïque du tableau. Oui, merci de m’offrir ce cadeau, là comme ailleurs on reconnaît ta générosité, et cet élan spontané, entier vers l’autre. Là, comme ailleurs on reconnaît ton talent à multi facettes, aussi douée pour trouver les mots que pour les peindre ou les abriter…

Alors merci de tout mon cœur Chris.

Franck

10 septembre 2006

Reprendre.....

J’ai repris « ma » tentation de Saint Antoine. Du temps a passé. Quand je relis cette écriture je sais bien que du temps a passé. C’est dans l’avant. L’avant de quoi ? Je n’écris plus vraiment comme ça.  Mon Saint Antoine cède. Il y a quelque chose en moi qui cède. Toujours cette même impression de digue débordée. D’écoulement. D’hémorragie. Des sensations d’eaux. Flaques, sources. Océans.

Marais.

En se moment c’est un marais qui suinte.

« J’ai marché en marge de ma vie.

De longues années

Sans doute même de longs siècles

Pour m’arrêter un jour au bord de votre visage

Et j’ai voulu m’asseoir

Et ne plus bouger

Jamais

Simplement vous regarder

Toujours… »

L’image de cette reine de Saba a toujours traversé mon imaginaire. Reine boiteuse. Mais reine quand même. Et l’improbable rencontre du désert. Chair contre oraison. Bruit contre silence.

« Au creux d’une défaillance de lumière j’ai vu au fond de vos prunelles les grandes étendues de poussières blanches du royaume de Saba

Aux confins de tous les déserts

Là où les prières deviennent de simples souffles

des chants d’azur éparpillés

Souvenez-vous, en ces temps là vous étiez reine

Reine gracieuse à la pâleur singulière

Reine du pays du vent

Vous trôniez au centre d’un temple de sable, d’étincelles d’éternité

Souveraine majestueuse d’une citadelle de lumière et de tourbillonnement

Princesse immaculée miraculée des limbes juste assez boiteuse pour ne point offenser Dieu

Votre présence effleurante flottait légèrement comme un lambeau de rêve

Ni tout à fait ici, ni tout à fait ailleurs

Oui, vous étiez reine vos gestes le dessinait

Déesse, vos yeux le révélaient

Et votre voix chantait le chuchotis des amants éternels… »

Mes souvenirs du désert sont construits sur le manque. Sur l’absence. Sur le malentendu aussi. Sur la fuite que je n’ai pas reconnue, sur la lâcheté que je n’ai pas voulu voir. Pendant des mois j’ai attendu ce qui ne viendrait jamais. J’ai interrogé le vide des sables. Je n’ai eu aucune réponse. Pouvait-il en être autrement ?

« En ces temps là, ermite désolé, je vous ai vu venir, vous sortiez de la nuit emmitouflée d’ombres claires, drapée d’un grand voile constellé

En ces temps là mes os grinçaient de peur

Je passais de dune en dune, de jour en jour, de blessure en blessure, conquérant d’un vide toujours à venir dans la seule espérance d’une stridence inattendue

Le cœur vert

Je passais les bras ouverts au grand vent chaud étreignant des mirages si lointains

Entre mes doigts coulaient déjà ces cendres de temps

J’étais une étoile noire tombée dans de trop grands hasards

De sombres hasards

Un baiser m’eut sauvé

Pas même un baiser

Rien

Pas même une enfance

Seulement des restes d’amours effilochés

En ces temps là votre silhouette délicate est passée sur mon cœur

A glacée mon sang

Votre parfum disait l’infini de l’espoir… »tentation

Mon rapport à la solitude est étrange. Plus le temps passe, plus je la ressens comme une évidence. Nécessaire. Je n’ai jamais pu vivre dans le monde. Je le traverse à mon pas, avec mes hésitations, mes élans. Mais je ne m’arrête pas vraiment. Voyageur immobile.

Je relis. Je n'écrirais plus comme ça. Pourtant je n’arrive pas à reprendre le texte. Je sens bien ma volonté dans ces lignes de m’accrocher à une sorte de lyrisme. Je me revois écrire. A nouveau je ressens le mouvement premier d’aller chercher les mots.

Mais je ressens aussi très fort une distance entre moi et le texte. Il manque une adhérence. Il manque le frottement.

La solitude est le travail de toute une vie. Elle n’est pas donnée tout de suite. Comme s’il fallait la mériter.

Dérision, que de devoir se diriger toujours vers le plus invivable.

« Alors au fond de l’horizon le soleil tout à coup bascula dans son lointain sépulcre

Souvenez-vous

J’ai vu votre beauté, légère comme un ciel d’été, glisser avec douceur vers le seuil inconsolée de ma retraite obscure, votre lumière bleue avait la transparence envoûtante de ces jeunes mamans penchées sur un sommeil d’enfance, dans vos yeux scintillait cet espace d’éternité qui appelle la joie pure d’une prière lancée au firmament.

Votre présence fut comme un souffle de mésange, un frôlement rayonnant, une pluie étincelante semée sur mon océan de langueur

Une fleur mystérieuse plantée au jardin de mes absences…. »

Non, décidément je n’écrirais plus cela. Pourtant je n’arrive pas à me renier. Comme si cette forme était le premier sillon. La première griffure. L’entame. Se débarrasser de la lumière. Ne travailler les mots qu’à la bougie. Il faut une tremblance, un vacillement. Des jeux d’ombres. Le sentiment d’une perte possible. D’un effondrement. Il faut l’imminence d’un danger derrière la phrase. Ce n’est pas une question de sobriété, mais d’élan. Du lieu de départ de la parole. La tension de la corde. Le tireur à l’arc, le sait. C’est aussi le travail d’une vie. Tendre l’arc de la parole dans un mouvement ample. Sans crispation. Sans effort. C’est une respiration. Lâcher la flèche du mot requiert un accord, c’est un geste de prière. Accord et consentement. Lâcher se fait sans la volonté. C’est une nécessité du corps aussi ben que de l’esprit. Ce n’est pas la main qui lâche, c’est la foi qui nous étreint. Quelque chose en nous se condense. Le fond et la forme. Et la scansion, le rythme, le battement du cœur. A cet instant le texte respire à notre place. Échange. A cet instant du lâché on se retrouve au point exact de la vie et de la mort. Sans le tragique. L’inéluctable. L’embrassement du monde. Car le mot doit trouver sa place, seule le geste pourra la lui donner. L’abandon n’est pas ici une déroute. Pas encore. Pas tout à fait.

« Nous sommes entrés sans prononcer un mot dans la chambre nuptiale de la nuit

laissant grand ouvert les cristallines portes de l'infini pour laisser passer la clarté nuageuse des songes et la fourmillante folie des séraphins éthérés.

Et j’ai bu votre bouche fondante comme l’hostie sacrée et me suis enivré d’une sève à la saveur irréprochable

Dans ces heures rougies au feu des extases éruptives, blanchies aux soupirs de vos invitations ma mort fut percée d’une flèche de lumière argentée.

Sur votre épaule nue un ange a déposé ses ailes de silence et sur vos seins opalins j’ai pu laisser couler mes larmes quand votre ventre orageux traversait mon âme transfigurée d’éclairs rougeoyants.

Vos entrailles de chairs pourpres brûlaient mes oraisons laborieuses dans une fulgurance invincible, vertigineuse. Je me noyais sous l’arche inespérée de vos émois, balayé par des rafales de joie… »

J’aime l’idée que Saint Antoine ait pu céder à la reine de Saba. Un saint qui n’aurait pas cédé à sa propre lâcheté qu’aurait-il à nous dire ? Nos actes ne sont pas purs. La flèche en partant nous atteint en plein cœur. Et nos blessures nourrissent nos jours. Même innocents nous nous voulons coupables. J’aime l’idée d’un Saint Antoine débordé par la chair, par la luxure et la sensualité. Que vaudrait la prière sans le souvenir de la véritable chair.

La peau d’Isabelle était blanche. J’ai encore le parfum de son corps dans ma mémoire.

« Et j’ai vu mes mains de prières sur votre corps de louanges… »

Souvent les yeux d’Isabelle étaient envahis de larmes. Comme si jouir et souffrir était la même chose. Le corps repu, elle restait silencieuse. Blottie. Avec les larmes qui coulaient. Ce n’était pas un chagrin, c’était autre chose, qui dépasse tous les mots qu’on peut dire. C’était le pays des landes, des vents, des brumes. Perdre ou gagner n’a plus de sens.

« Et j’ai vu votre ventre lieu infini de la mort exacte

Et j’ai eu soif de vos eaux généreuses, ce rien à l’âme qui bouleverse toutes les certitudes : marée sauvage, sans retour, sans rémission, effroyablement délicieuse

Et j’ai ouvert les mains pour recueillir jusqu’à l’ultime goutte de vos bruissements et je n’ai pu saisir que l’or de vos silences… »

Isabelle avait ce don étrange de la pudeur et le l’indécence, presque dans le même mouvement. Allongée sur le lit, un bras replié sous sa tête, une cuisse légèrement relevée et écartée, une main posée sur son sexe.

Nous ne parlions pas. Elle, comme moi étions dans l’impossibilité d’accrocher la moindre parole à ces instants. Je la regardais. Je baisais ses larmes.

Parfois cela durait longtemps.

« Nous avons partagé la nuit et ses gerbes étoilées recouvert d’un seul manteau de paix jusqu’à ce que l’aube de sable pousse un large soupir incandescent.

Une rose des sables, rouge.

Dans l’athanor creusé par nos corps, là où votre peau s’est irisée de désir vertical a germé une rose des sables, rouge… »

Il y a un mystère dans les corps. Dans la rencontre des corps. Dans leurs odeurs, leurs tremblements, leurs sueurs, leurs liquides. Au-delà de la jouissance brutale il y a un mystère, comme un appel, comme une rémission.

Parfois dans l’écriture cette sensation revient. Quand on a tout épuisé. Et que le texte s’étale impudique et souverain. La flèche trace, vole droite, et perce la cible. Et la cible vibre de son centre troué.

« Il ne me restait qu’à attendre l’achèvement des temps en recueillant l’écumeuse blancheur des jours indifférents et de regagner à pas lent mon impatience souveraine à nouveau consentie. Erosion lancinante sous l’œil noueux du souvenir

Frontière sablonneuse inviolable de l’exil… »

Saint Antoine n’était pas artiste, il ne fut que saint.

« Au départ il n’y a rien

A la fin il n’y a rien

Entre les deux la mer

L’abîme

Oh, mon Dieu je suis là et je cherche à comprendre

Oh, mon Dieu la nuit n’est plus la nuit

Elle était une source…..elle devint l’océan

Elle était une étoile ….elle devint l’univers

Oh, mon âme brûle et je suis si pauvre seigneur

Je n’ai plus d’espérance mon seul désir est de prier sans fin au cœur de la nuit du monde.

La prière s’enroule au feu de nos secrets, seul l’écho de cette nuit du monde la porte, légère, douce, tendre, on croirait la voir s’élever sur les ailes d’un ange

… Et jusqu’au royaume des cieux… »

Il y a un acte de purification dans l’écriture, d’où la brûlure.

Après le tir, l’archer est comme un orphelin. Quelque chose l’a quitté. Quelque chose de lui, mais du monde aussi.

A la place un grand champ de neige et dans le lointain le cris des oies sauvages vers le nord.

Franck.

3 septembre 2006

Un peu de la fin.....

J’ai repris la lecture des « Carnets » de Louis Calaferte. Encore un maudit. Ca commence par la censure, ça fini par l’ostracisme des intellectuels.

Puissance de la création. Evidence brutale.

Rédemption.

Au fond du couloir de l’écriture, tout au fond, il y a une porte. On ne sait pas que l’on va vers elle. C’est « la porte étroite ».

Je n’avais jamais relevé la véritable dimension religieuse de l’oeuvre de Calaferte. Plus précisément, mystique. Un Christianisme, débarrassé du catholicisme.

Au creux du poème gît l’absolu. Irréductible confrontation.

Et je sens mes défaillances, chaque fois que ne donne pas assez généreusement ce qui m’est demandé. Qui en soi, demande, exige ? A qui refusons-nous ?

Le texte exige tout. Tout et tout de suite. Que signifie : tout. Parfois, je sens le danger. Un vrai danger. Mais parfois seulement.

Accepter le mystère. L’idée d’un mystère.

D’un inconnaissable.

Avec son frère l’indicible.

« Ce qu’on appelle « inspiration » est capacité de s’introduire mentalement dans la zone de notre infra conscience, domaine des puissantes attaches cosmiques ; en même temps aussi, probablement, que d’un amalgame de lointains « existant », qui sont comme nos fondations psychiques. A condition d’être en disposition de l’utiliser, le coup de sonde est toujours récompensé. »

« Capacité de s’introduire mentalement »… j’aurais rajouté physiquement.

L’art du sorcier.

Sourcier.

Chercher le vivant dans l’inanimé. Ou l’inanimé dans le vivant. « Le coup de sonde… »

Il y a des jours de découragement. Et cette révolte contre soi. L’impossibilité de maintenir l’élan. Le geste.

Le texte déchire le présent. Parfois il l’efface.

Même la mémoire se dit au présent.

Ecrasement des temps.

« Le coup de sonde… »

Les fleurs blanches des grands acacias flottent dans l’air de l’automne qui s’avance. Fin de partie. Les branches lourdes des lumières de l’été font leurs révérences.

Obstination des saisons. Dans la rue, les femmes font encore danser leurs ombres dorées. Peaux dénudées. Poitrines solaires parfumée d’huile amoureuse. Regards étoilés de chairs. Dernières danses avant la blancheur des temps. Femmes acacias.

J’ai un hameçon fiché dans le présent. Qui peut bien tirer sur la ligne ?

J’ai des souvenirs plein les mains. Un humus odorant. Pétrissage vain.

Il y a un abîme. Sans fin.

Le manque. Et l’absence, et le silence que je tisse. Non, qui « me » tisse.

Il y a un abîme, qui pourtant finira bien.

En creux. L’existence au pochoir. Le silence suit les contours de ma parole. Il dégage des formes. L’abîme du silence, j’ai souvent l’impression que je n’en reviendrai pas. Vertige. Peur. Exaltation.

Violence. Absurde, mais nécessaire.

Le lyrisme comme une forme sublime de la violence. La volonté de dépasser. Redoublement de la vague. Explosion de l’écume. Joie brutale de l’exaltation. Comme dans le désespoir. Extase misérable.

Je suis d’un pays qui n’a pas de frontière.

Pas de roi, pas de sujets.

Quel est le sujet de l’écriture ?

Il manque lui aussi. Un grand vide.

Dans chaque mot. Une lande à traverser.

Claude Louis-Combet arpente les landes de la parole, accroche sa plume aux buissons ardant de la conscience : « Que sommes-nous hors des mots qui s’efforcent de dire ce que nous sommes. Cette conscience qui, dans l’écrit, prend conscience d’elle-même et se découvre soudain comme chose de texte parce que le texte est, tout entier chose d’humanité particulière, ne peut mener à bien son opération de métamorphose et de transsubstantation que dans l’immobile mouvement d’une adhésion toujours plus complète au silence qui la fonde (dans son origine) comme au silence qui l’attend (dans a fin). »

Je suis d’un pays qui n’a pas de frontière.

Aux terres désossées.

Les saisons en mourant emportent avec elles un peu plus que tu temps, un peu que des souvenirs. Un je ne sais quoi qui blesse.

Peut-être qu’elles tirent sur l’hameçon.

Le texte déchire le présent. Parfois il l’efface.

La question de la fin se pose toujours.

Ecrasement des temps.

Franck.

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