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J'irai marcher par-delà les nuages
26 novembre 2006

La maladie des mots.....

Un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites.

Les destins naissent au cœur des nuits. De préférence au cœur des nuits sans lune. Car chaque destin est avant tout une peur, une peur tenue à bout de bras, une peur qui vous lèche le visage au cœur des nuits sans lune. Un destin c’est l’histoire d’un franchissement de la lumière. Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Au début il a eu cette maladie. Cette drôle de maladie. Au début il y a eu cette maladie invisible, presque insignifiante. Et elle rodait, dans le souffle, dans le regard. Et elle ressemblait à l’ennui, à la lassitude. Au début on ne savait pas la nommer, et quand on la nommait on en souriait. Au début on était dans l’insouciance de l’enfance. Et il y avait trop d’enfance en nous pour s’arrêter sur si peu, sur tant d’insignifiance. Trop d’enfance.

C’est une faute. La première. Les autres suivent.

Drôle de maladie, sans formes, sans fièvre. Une maladie de rien, sans médicament. Une maladie qui n’est pas dans les os, qui n’est pas dans les chairs, à peine dans le sang, à peine dans les humeurs, silencieuse comme un serpent nonchalant. Maladie papillon, légère, aux symptômes d’enfance, cachée dans les plis de certains jeux, dans la suspension du temps entre deux rêveries, dans le hoquet entre deux rires, dans l’épuisement soudain qui envahit le ciel, l’air, le soleil. Au début c’est un voile de soie grise posé sur les yeux, sur la langue et tout au fond du crâne. C’est pour cela qu’il faut du temps pour se rendre compte qu’on en est atteint. Elle est juste un coin planté dans le fil des jours, par lequel s’échappe la joie.

C’est une maladie sans nom. Sans vrai nom. Et ceux qui la disent, ne disent rien, ou si peu. Ils en disent l’écorce, la peau, l’écume, mais taisent le long cheminement d’une douleur sans douleur, et le glissement progressif vers les ténèbres. Oui, rien ne dit cet épuisement du désir, l’effondrement du sang dans les couloirs du vide et cette vacuité insolente qui vrille chaque instant. Maladie de l’inaccessible, puisque rien n’est désormais intelligible, puisque tout est définitivement inabordable directement. Puisqu’il faut sans cesse inventer des chemins différents, pour relier en soi ce qui est disjoint, ce qui est décollé. Puisque tout est un champ d’épreuves, puisque toute la joie, tout les plaisirs se dérobent comme une eau qui s’infiltre dans les fissures de chaque geste.

Et la bougie de l’enfance se consume lentement, brûlant les dernières forces, absorbant dans sa lassitude, son accablement les dernières lumières. C’est comme un sourire qui s’efface. Ca ne fait pas de bruit un sourire qui s’efface, ça ne fait pas de bruit une enfance qui s’engourdie.

Dans les fissures du regard. Voir sans voir. Ne rien entendre aux débuts, aux fins.

La maladie des mots. C’est le nom que je lui donne. J’aurai pu dire la maladie de la vie, c’est la même chose. La maladie des mots. Il faut bien comprendre, en nous les mots sont malades. Ont peut les dire mais on ne les voit pas. On ne peut les écrire, ils se masquent, se dissimulent, se voilent. Et lire devient un champ de chardons à traverser. Et il y a 32magnifdes rivières souterraines sans fin dans lesquelles se perd la parole, et il y a des cavernes des gouffres où elle suite. Où elle goutte. Mot à mot. Et se fige dans la pierre, et dans les sécrétions de la langue, et dans les obscurs méandres d’un apprentissage impossible. Lire est un champ de chardon, comme si entre chaque mot griffait, avant qu’un néant apparaissait. Et écrire ne ressemble à rien, comme si la main se refusait, comme si l’œil s’aveuglait, comme si toutes les pensées devaient avant d’éclore traverser l’épaisseur d’un brouillard. Et il ne reste que l’oreille, qui fait ce qu’elle peut pour lire, pour écrire, pour attraper la musique derrière la stridence des brumes.

Drôle de maladie, que la maladie des mots. Elle n’empêche rien et pourtant elle entrave tout, même les rêves, surtout les rêves et le désir. Au début on est de plein pied dans l’existence, et puis la maladie des mots vous prends, et c’est comme un escalier qui se dresse devant vous, un escalier qu’il faut monter pour toutes choses, pour tous les gestes, même les plus anodins. Et vivre revient à anticiper cet escalier. Puisqu’il est là. Puisque chaque geste devra d’abord le franchir, puisque lorsqu’on arrive à la chose désirée on est déjà épuise de cette escalade.

Au début de l’enfance on reste insouciant, on croit que la vie c’est ça, que c’est cet escalier, alors on monte sans compter nos efforts, et l’on est épuisé, épuisé de tout.

L’œil, la voix, l’oreille, tout est dans le désordre et la confusion. Lorsque vous voyez un mot, votre voix ne sait le dire, lorsque entendez un mot, votre main ne sait l’écrire et votre œil est aveugle aux sons.

Il faut bien comprendre, le cerveau est parti en vacance, il gambade et vous ne pouvez le retenir, il court à travers champs et vous ne savez pas où il est. Il est en vadrouille.

Alors les mots se collent les uns aux autres, se coupent n’importe où, s’écrivent comme on les chante. Ils n’entendent rien aux règles de la vie, ils dansent et se faufilent quand on veut les saisir. Mots vagabonds, mots affranchis de tout, même de nous. Il faut bien comprendre, nos mots ne se soumettent pas, ils dictent leurs danses, leurs chants. Ils n’habitent pas chez nous.

Au téléphone Patricia me raconte. Elle est docteur des mots. Elle travaille avec des enfants dont les mots les ont quittés. Elle passe des heures avec eux à aller chercher les mots qui se sont perdus, à rassembler toutes les lettres, à les mettre dans le bon ordre. C’est un beau métier docteur des mots. Au téléphone, elle me raconte. Elle fait des associations, des sites, pour parler des mots malades, des mots perdus, des mots qui ne s’articulent pas à la langue. Elle me raconte. Surtout l’histoire de cette maman. De cette maman écrasée de honte de peur.

« Je lui ai parlé de toi… tu sais depuis l’enfance son calvaire, et toutes les difficultés, à masquer, à contourner…. Alors je lui ai parlé de toi, et de l’écriture… de la tienne, tu sais l’écriture de la maladie des mots….j’avais imprimé ton texte celui où tu parle de ça, « Je fais des fautes »…et j’ai voulu lui lire…et puis, tu sais l’instant était presque grave, comme si l’on touchait le centre de l’univers… tu sais elle ne lit jamais, à cause de l’effort, à cause que c’est impossible, alors tu imagines… à haute voix, c’est comme un chemin de croix, avec les chardons sur la langue… » A l’autre bout de la voix, j’écoute, et je sens monter la brutalité d’une émotion. Violente. Qui racle tous les souvenirs d’un seul coup. « Alors je commence à lire ton texte… et puis elle m’arrête… elle me prends le texte des mains, et elle dit : « je vais lire, moi… moi je vais lire »…. Alors elle commence… » Patricia me raconte cette femme lisant le texte, ânonnant le texte. Et moi j’ai l’impression de l’entendre, de la voir trébucher dans mes mots, oui je la vois tomber de la langue et se relever, se redresser, s’épuiser à chaque chute, mais se relever, comme si cela devenait vital de retrouver une dignité là, à cet endroit, à ce moment précis. Et j’écoute Patricia, et des larmes coulent, lentes, grosses, et dans cette fraction de temps, je sens déborder tout l’ennui et la désespérance de mon enfance. Et je sens que les chardons ne me blessent plus. « Tu sais, c’était dur, elle accrochait, elle buttait… » « Oui, je sais… les chardons… »

Il ne faut pas s’y tromper, car on pourrait en sourire, la maladie des mots n’est que la partie visible, parfois risible…mais c’est la vie entière qui est contaminée.

Chaque pensée.

Chaque geste.

Imaginez ce grand escalier en amont du désir, cette escalade qui brise tous les plaisirs. Imaginez toutes les stratégies qu’il vous faut inventer pour éviter cet escalier, pour éviter l’épuisement, l’ennui. Imaginez tous ces détours qu’il vous faut prendre, imaginez combien de fois on s’y perd, dans ces détours.

Elle me disait, au téléphone, toute cette émotion, de ces pas balbutiants dans le lire. Et je me souvenais. De ses heures que je passais dans le silence de ma solitude à lire a haute voix. A lire sans accrocher un seul mot, à lire en essayant d’effleurer le texte. Seulement. Aller, Franck, ce paragraphe, ce paragraphe sans bafouiller… tendu jusqu’à me casser en mille parties. Et immanquablement la bafouille arrivait. Immanquablement. Parfois dans les derniers mots du paragraphe.

Elle me disait toute cette émotion, de cette femme lisant mon texte…

Alors, j’ai lu envers et contre tout, passé les embûches les unes après les autres. Des milliers de livres, avec plus d’entêtement que de plaisir. Toujours les chardons dans les yeux et les escaliers. Alors j’ai écrit, envers et contre tout. Inventant mon écriture à force de l’écrire, avec plus d’entêtement que de plaisirs, parfois, mais avec la certitude que les chardons fleurissent aussi. Un jour.

Avec la certitude qu’un destin se construit toujours sur des ruines. Sur un écroulement. Comme si le délabrement était la condition, comme si la vie ne se présentait pas dans sa première évidence. Alors les ruines sont une fatalité. Et vivre c’est hanter ses propres décombres, c’est traverser les champs de batailles de nos défaites. C’est monter en premier les escaliers du désir, comme on monterait des gammes, comme on monterait des marées, avec entêtement, constance. C’est dire et redire en articulant chaque phrase de la vie, avec obstination, âpreté, en hurlant s’il le faut.

Je sais l’image qui se dresse en haut de l’escalier. Image tutélaire. Celui qui tenait la parole et les silences. Celui qui possédait les livres.

Quand je lis à voix haute j’ai le goût de tes cendres dans la bouche. Je suis sans haine, mais sans amour ni pardon pour toi. Je te dois tous les escaliers de la terre et toutes les ivresses. A dix ans je savais que j’écrirai. J’ai mis une vie à le faire, ma patience s’est habituée au goût de tes cendres. Et je t’userai, comme j’use ma langue et mes mots.

Quand j’écris je suis éternel et cela suffi à ma joie d’avoir l’éternité pour savourer ta cendre et de voir fleurir les chardons en haut des escaliers.

Tu vois, papa, j’aime les livres longs, épuisants, j’aime les textes longs, épuisants… mon âme est faite d’attente, et de cette lente montée vers les étoiles. Et contre ça, tu ne peux rien. Les marches de mon escalier sont faites de mots… et la langue est infinie.

Un voyage de l’obscur au plus clair. Du chaos à l’évidence, et chaque aube en rejoue la révélation.

Franck.

(Pour tous les dyslexiques et les dysorthographiques)

(Merci Patricia pour cette image...)

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19 novembre 2006

Une histoire de rien....

En parlant du rien, puisque c’est toujours de cela dont il s’agit. De ce lien qu’on a avec lui. Du badinage qu’on entretien avec lui. De nos nuits d’ivresse avec lui. De nos noces décomposées. Puisque c’est toujours de cela dont il s’agit. De cette longue histoire avec ce si peu. Je me souviens. De ce rien qu’on ne sait pas nommer, qu’on reconnaît à peine, de ce rien vaste comme un océan, à l’apparence insignifiante, à l’appétit d’ogre. Et puis, sa veulerie. La notre plutôt. Oui, je me souviens de ce temps d’analyse. De ce temps du divan. De ce temps de la parole et du silence. De ce long monologue jeté à un plafond fissuré. Répandu dans une pénombre d’antichambre.

Au départ, ça commence dans une profusion, une exaltation de la parole. Au départ on est dans l’aisance de l’histoire. Des histoires. On essaye tout, par chronologie, par thèmes. On départ on pense que ça ne finira pas, qu’on aura toujours quelque chose à dire.

Avant d’entrer chez la femme de l’ombre on a préparé tous les pans de notre histoire à révéler. On veut expliquer, faire comprendre.

Derrière, elle ne dit rien, ou si peu. Parfois elle pointe un détail, un mot. On s’arrête, on évite, on bifurque. Et on parle, on raconte. Notre histoire n’est pas très intéressante, pourtant à force de la dire on pourrait la croire passionnante. Au départ rien n’est très important, les mots se bousculent. On cherche des vérités qui sont bonnes à dire, enfin. Et puis des vérités plus douloureuses. Et même ces vérités douloureuses sont bonnes à dire, encore. Et le temps passe, on est de plus en plus précis. On cherche le détail, on soulève les souvenirs un à un, à la recherche du signe, de la marque qui porte notre nom, qui désigne notre fatalité. Et la femme de l’ombre accompagne cette profusion tapie dans son silence, avec l’abandon nécessaire à tout bonne patience. Papa, maman, les sœurs qu’on pas eu, ce qu’on à fait, ce qu’on a pas fait, nos femmes, nos enfants, nos amours, le sexe de nos amours, nos masturbations, nos faits d’armes, nos défaites, notre grandeur, notre misérabilité. Il faut tout dire, alors on dit tout, dans l’ordre ou dans le désordre. Nos peines, nos chagrins, nos lâchetés, l’ennui, l’enfant qu’on était, l’enfant qu’on est resté. Au départ, c’est un grand ménage, un grand déballage, on gansouille dans nos eaux saumâtres. La dame de l’ombre attend. Peut-être que si l’on se retournait on la verrait sourire, ou dormir. Mais au départ on se moque de tout cela, on est seulement dans l’ivresse des mots. Dans cette délation de nous-mêmes, dans ces aveux de confessionnal. On parle, on paye, comme si on allait aux putes et tout est bien ainsi. On se demande parfois à quoi tout cela peut servir, mais on continue. A cause de l’ivresse.

Trois fois par semaine. Et les mois passent. Bien sûr on commence à voir derrière l’histoire de drôle d’articulations. On voit bien certaines formes invisibles à l’œil nu de la vie quotidienne. On voit bien d’autres histoires sous les histoires. On voit bien d’autres mots sous les mots. On voit bien des larmes sous les sourires, ou quelque abîmes sous les vagues. On devine bien d’autres désirs sous les désirs. A chaque séance on monte une marée. Et la mer est sans fin, et le temps de l’océan sans limite. Et la dame de l’ombre devenait peu à peu mon oreille. Peu à peu mes yeux.

Et puis, un jour, l’eau des mots commence à se tarir. Le flot est moins important, de gros cailloux de silence font des remous, où les mots viennent s’enrouler. Tourbillons d’écume blanche, où la parole disparaît comme dans une sorte de vortex de la langue. Et la dame de l’ombre est toujours là. Silence contre silence. Au début cela n’est pas fréquent. Pour éviter ces écueils on prépare plus à l’avance. Mais le dernier quart d’heure devient difficile à combler. Il y a du sable sous la langue. Des cendres dans la voix. Un peu plus de rouge dans les silences. Un peu plus de sang dans l’attente. Un peu plus de peur dans les souvenirs.

Il y a une ivresse du silence. Un vertige. Presque une volupté.

Et puis une douleur.

Avec le sentiment de dérisoire. Une vie est faite de si peu de chose au fond. Même bien remplie. Il y a si peu d’événement. Si peu de encontre. Si peu à en dire.

Alors c’est le temps des silences qui commence. De ces séances vide. Vide et lourdes, et douloureuse. Le temps du rien. Des colères contre la dame de l’ombre. Des colères contre soi.

Il n’y a plus qu’un filet spasmodique d’une eau troublé, tremblante. Si peu assurée de couler vraiment. Il n’y a plus que le lit asséché d’une vie désossée. Avec un limon sombre qui se fendille. Avec ses flaques boueuses.

S’allonger sur le divan pourpre devenait pénible, presque insupportable. Le silence se nourrit de lui-même. Il s’encourage. Se fortifie. S’additionne. S’engraisse.

Il arrive que les couches de silence soient si épaisses, si compactes, qu’il devient presque impossible de le rompre, de le traverser. Chaque phrase part du plus loin du ventre, et remonte avec lenteur tout au long de l’estomac, pour venir peser sur les poumons. Chaque phrase cherche son souffle dans un air raréfié. Et les mots prennent des sens bizarres, baroques. Ce sont des mots tiroirs. Remplis de mystères.

La dame de l’ombre est à son œuvre. Elle tient ferme l’autre bout du silence. Elle tend la corde du silence. Sur laquelle quelques pauvres mots tentent de garder l’équilibre. C’est le temps des larmes, des doutes, des nœuds. Sous notre vie il y a des paysages étranges. Derrière nos souvenirs il y a des plaines venteuses, des landes tristes.

De quoi parlons nous quand nous avons tout dit. Que reste-t-il à dire. Au-delà de l’histoire, bien après l’anecdote. Bien avant.

Allongé je regarde la fissure du plafond. Je ne veux rien dire. Je ne veux plus rien dire. Plus jamais. Et cela dure, des séances entières. Parfois je sens mon corps envahi de chaleur. Parfois j’ai froid. Et je cède. Aux mots. Aux relents des mots. A leurs spectres.

Là, on ne raconte plus.

Il ne reste que des lambeaux de phrases. Des bulles qui crèvent le plafond, qui crèvent le lit du torrent asséché, bulles de souffre. Sous le lit, il y a d’autres lits, plus sombres, plus denses.

Bien après, il n’y a plus que des formes. Car peu à peu on entre dans le royaume des ombres. Et la dame de l’ombre semble bien les connaître.

Temps du rien. Souvent j’avais l’impression de construire une muraille invisible, à l’envers du décor. Temps du vide. Lancinant. Epuisant. Temps des redites. De l’usure. Comme si l’on agrandissait le vide. Comme si c’était cela l’important. Comme si à force d’être dans ce rien continuel cela donnait une consistance au vide. Comme s’il était vivant en nous. Longue traversée. Longue marche de la parole où les silences pèsent plus que les mots prononcés, où le temps vide compte plus que tous les actes posés.

Quatre ans. Quatre ans. Dans le désordre du sens. Quatre ans à être éparpillé dans ses défaites, à flotter dans ses naufrages. A creuser le son de sa voix, à border la parole, comme on borde un enfant malade. A errer. A n’être qu’uns errance.

Un jour on arrête. Pus précisément on suspend. On accroche son silence au clou de l’amour planté dans la fissure du plafond. Un jour on suspend. Il ne faudrait pas. Mais on le fait. C’est ainsi.

Après, bien après, on commence à écrire. C’est les mêmes mots, c’est le même silence. C’est la même voix. C’est la même douleur et la même exaltation. C’est aussi vain et aussi essentiel. Comme une errance souveraine. Comme une ultime dignité.

Franck.

18 novembre 2006

Longtemps...malgré les étoiles...

Longtemps. Dépouiller l’acte de toutes les arabesques du plaisir, de toutes les facilités, de toutes les passions, de toutes les excuses, de toutes les raisons, de toutes les déraisons. Le faire assez longtemps pour le dénuder de tout. De tout. Des justifications, des explications. Jusqu’à l’os. Au-delà de l’os. Etre dans la lenteur progressive de cet échange, de cette clarification. Cette décantation de l’être. Comme l’acquittement d’une dette. Même si ce n’est pas une dette. Donner à l’acte la chance de la durée. Uniquement la durée. Tenter d’atteindre la constance de la mort. Fabriquer du temps, même vain, même insignifiant, surtout insignifiant. Cette patience renouvelée. S’appliquer à l’acte, au geste. Sans rien attendre en échange, ni remissions, ni miséricorde. Accepter et s’appliquer. Et même si cet entêtement est désespéré. Désespérant. Même.

 

Dans chaque acte, dans chaque geste il y a d’abord une partie friable, fragile, faible, ça s’appelle l’enthousiasme. Après cela se durci. Cela s’appelle l’ennui. Et tout commence là. A cet endroit dur de l’ennui. Notre endroit, lâche, notre endroit inconstant, mou, indéterminé. C’est bien avec ça qu’il faut vivre.

 

Il n’y a là, ni grandeur, ni noblesse, dans cette usure du geste. Non, il n’y a rien, sinon l’affirmation et l’insistance de ne céder à rien. Tout acte prend sa dimension parce qu’un jour on consent à le faire, et à le faire longtemps. Ainsi le laboureur. Ainsi le pèlerin. Ainsi l’océan et ses marées. Ainsi l’attente amoureuse. Ainsi la solitude. Ainsi l’écriture.

 

Toute chose inutile faite longtemps allume une étoile ? Tout acte qui peu à peu nous vide, non parce qu’il nous dérobe, tout acte qui nous épuise parce qu’il réclame plus que lui-même, parce qu’il réclame notre substance, nous augmente ?

 

Le longtemps donne l’illusion du toujours et le toujours donne l’illusion de l’éternité. Illusion contre illusion. Qu’importe. Au bout du compte il ne restera que l’os. Et puis les cendres de l’os. Et puis, rien. Malgré les étoiles. Il faut bien atteindre la mort avant qu’elle nous atteigne. Il faut bien être mort avant qu’on soit mort. Car on pourrait aimer en chemin, et tout s’aggraverait, inutilement. Malgré les étoiles. Et les baisers de cendres. Crâne contre crâne. Os contre os. Illusion contre illusion. Malgré les étoiles.

Franck.

11 novembre 2006

A peine quelques mots.....

Comme une sorte de patrimoine génétique nous marchons dans nos textes avec une poignée de mots, toujours les mêmes. Et quoiqu’on fasse, il sont là, toujours les mêmes. La même poignée de cailloux qui roulent sur notre parole. Et ils sont la rocaille de notre langue. Et l’on voudrait en changer, et l’on n’y parvient pas, puisque l’on se décomposerait si l’on y parvenait. On pourrirait sur place. Dans l’instant. C’est eux, ces quelques mots de hasard, qui nous tiennent, avec les tonnerres qu’ils traînent, et les tempêtes qu’ils brassent. Tout tient sur quelques mots. Cinquante, cent, pas plus. C’est notre trésor et notre chemin de croix. Quelques mots, toujours les mêmes. Bien sûr que l’on veut les contourner, et que les chemins du texte veulent s’en éloigner, mais ils reviennent comme une vague, comme une grosse marée, comme si notre pensée, toute notre pensée se rassemblait là, en quelques mots, toujours les mêmes, comme si nos sensations, nos impressions, nos sentiments, nos élans, notre espérance tenait entiers, là. En quelques mots. Toujours les mêmes. Un petit sac de cailloux. Poussière tenace du verbe.

Ils s’inscrivent dans le texte à notre insu, on ne fait que les retrouver, on ne fait que leur céder. On butte, on trébuche dessus. Et puis on cède. On ne les a pas choisi, ils ont toujours été là, en nous, avant nous. Ils nous attendaient.

 

Ecrire c’est le double mouvement qui tente de nous en éloigner, et qui nous y ramène. Toujours. Dans chaque texte il y a une fatalité. Il y a ce mouvement de la vie et de la mort. Et il y a ces mêmes mots entre les deux élans du mouvement, cette tension de quelques mots jetés au hasard de la page et qui se regroupent, pour nous signifier, pour nous éprouver un peu plus.

Même chant de l’usure. Et ils sont la voix d’avant notre voix, et ils nous précédent dans les saisons à venir, dans les saisons passées. Nos pauvres mots. Misérables. Pitoyables.

Peut-être nous gardent-ils en nous même de peur que l’on s’enfui ? Peut-être sont-ils la terre de notre exil ? Et le seul chant que nous connaissons. Sable, restes, rognures de nos chagrins. Ils enchaînent notre langue. Ils nous signent. Ils nous saignent. Ils nous assignent. Ils sont le champ clos de nos errances, de nos courses empêchées. De notre pauvreté.

On les répète sans cesse, c’est cela qui nous effraie, qui nous sidère. Qui nous fait croire fou, déraisonné.

 

Alors on appelle le silence, pour les taire, pour les tuer, pour les blesser. Mais, même au creux de notre silence le plus profond, ils sont là, tapis dans l’ombre de la langue, ou dans un coin de désir, ou dans un éclat d’espérance.

Chacun a les siens, comme chacun a sa croix. Ces pauvres mots qui débordent de leurs significations, parce que nos vies les a dévoyé, corrompu, parce qu’on les a chargé comme des navires et qu’ils dérivent, maintenant dans notre parole, loin des ports et des escales, loin des rives, loin des âmes.

 

Alors on les retrouve de texte en texte, comme des hoquets de la langue. On les retrouve avec des habits différents, des couleurs changées, ils tentent de se dissimuler, mais toujours ils reviennent. Toujours ils sont là. Cailloux usés de notre indigence. Cailloux roulant la langue, pesant du poids du malheur, du destin, comme un enchantement ou un ensorcellement. Et ils sont la litanie de nos jours, de nos heures d’écriture, et ils conduisent le texte là où ils veulent, toujours au bord du gouffre, toujours au bord des peurs, découpant la forme de notre île, découpant nos distances.

 

Au début on les croit nos amis. Alors on les invite au festin de la parole. On croit aux noces, aux significations, aux Myosotis_20scorpioidesrévélations. Ils permettent d’avancer dans la langue. Et puis on commence à les user. Ils deviennent familiers. Trop. C’est après qu’ils se déploient. Parce qu’ils sont juste un peu plus grands qu’eux-mêmes, ils se déploient. Parce qu’ils débordent juste un peu de leur sens, parce qu’il y pend toujours un peu de notre chair. Ils se déploient, comme la toile d’une araignée. Ils sont là avant le texte. Avant nous. Pour parler le texte à notre place. Pour raconter leur propre histoire, indifférents à la notre. Ils racontent une histoire qu’on ne comprend pas toujours, une histoire dont on est exclu souvent.

D’où nous viennent ces mots, ces mots qui se répètent ? Comment se sont-ils accrochés à notre langue ? Que savent-ils que nous ne sachons pas ?

 

Peut-être qu’écrire c’est ne pas utiliser toute la langue ? Peut-être que c’est tenter de tout dire avec très peu ? Peut-être qu’écrire c’est précisément cette répétition inlassable de quelques mots ? Peut-être que c’est cette pénurie, cette pauvreté de nous, cette indigence. Peut-être qu’à force de les répéter, leur sens peut s’agrandir à l’infini. Peut-être qu’il ne suffirait que d’un seul mot ? Un et innombrable… peut-être….

 

Les plus beaux bouquets sont fait de peu de fleurs. Pas les plus grandes. Pas les plus belles. J’en ai reçu d’éternel, qui n’en avaient qu’une.

Une petite fleur de talus, froissée, nue, tenant l’univers dans ses pétales.

Franck.

4 novembre 2006

Le silence des amants...

Il y avait ces instants où nous restions silencieux. Dans cette petite maison. L’hiver. Avec simplement le feu qui crépite. Je me souviens. Les lentes après-midi. Patientes. Sereine. Chacun en soi et en l’autre. En même temps. Avec parfois un regard vers l’autre pour s’assurer de l’épaisseur du temps. Eprouver la présence. L’éclat de son œil. Son sourire. Nos gestes se ralentissaient. S’adoucissaient. Les moindres mouvements devenaient concentrés, appliqués. La lecture du livre s’approfondissait. Et le feu accompagnait nos présences. Andante. Les heures se lovaient dans de grands coquillages moelleux. Interminables spirales de ces instants où nous restions silencieux. Instants de velours pourpres. Lents affaissement. Avec seulement la respiration de nos regard. Infiniment proches. Infiniment seuls. Infiniment souverains. Deux îles d’un même océan. Même dérive dans la saison des lenteurs et des ombres amicales. Instants défaits de toute attente, dénoués de toute fièvre, déliés de tout enjeu. Le fil de soie des siècles brodait des heures lumineuses sur la dentelle de nos mystères. Je me souviens de cet hiver d’avant la fin, d’avant la neige, je me souviens de ces instants où nous restions silencieux, de sa peau blanche et de ses yeux baissé sur son livre de poésie, de la lenteur de ses gestes pour tourner les pages, du froissement de tulle de son visage lorsque sa rêverie trébuchait et qu’elle la relançait un peu plus loin, un peu plus fort. Transparence vacillante de la lumière d’hiver, souffle lent d’un voyage à travers nos temps mélangés. Hors de soi, loin de soi, et en soi pourtant. Sans langage pour le dire. Sans langage pour nous dire. Uniquement nos respirations pour le vivre. Le prolonger. Temps débordé de nous-même. Offert. Accueilli. Temps des marges, en dehors de nos chronologies. Et nous étions comme survivants de nous-mêmes. Eternels dans ce temps suspendu, à l’arrière des mondes connus, devant nos vies décomposées. Ignorants de tout sauf de ce temps incrusté dans le silence. Instants sans mémoires, dépourvus de tout. Même de l’écho. Même de la menace. Même de nos chairs. Même de nos sexes.

Instants tenus dans l’équilibre d’un songe. Tendus entre les rives d’un océan étrange, à la fois immense et tellement étroit. Familier. Bienveillant. Chaud.

Fragile.

Il y a un moment où le silence se nourrit de lui-même, il s’encourage. Il vit. Et il veut vivre plus. Il s’additionne. Alors il appuie un peu plus fort sur les yeux, sur les poumons. Il se recroqueville au fond de la gorge. Il se met à vibrer pour éprouver nos faiblesses, nos chemins, nos désirs, notre jouissance. Temps du silence où la mort est douce. Parce que nous avons quittés les lieux, le temps des horloges, quittés les malentendus. Car le silence n’est pas l’absence de bruit, ou de mots, le silence est un surcroît, la saturation de l’existence singulière, l’extrême tension de la signification. C’est entrer dans une cathédrale.

Le silence à deux c’est comme un livre aux pages blanches qu’on lirait à deux. Et au fur et à mesure des pages, le texte s’écrirait. L’histoire du monde ou des amants des neiges, texte océan, texte aux lenteurs cruelles et belles, texte étrange sans rimes ni contours, sans ponctuation, une interminable litanie aux dialogues entrelacés, aux souffles entremêlés.

Il y a dans ce silence partagé, ce silence à deux, comme l’augmentation d’une danse. Car le silence possède sa propre grâce, une élégance particulière qui appelle la miséricorde. Il vient pas à pas de l’arrière de nos vies pour nous débarrasser du poids de nos chairs et préciser l’exacte définition de notre présence ici. C’est pour cela que le silence est parfois douloureux. Comme l’amour, comme l’extase. L’extrême nudité de la parole. L’extrême passion du don, comme une épiphanie des amants.

Franck.

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