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J'irai marcher par-delà les nuages
27 janvier 2008

Elle écrit.....

La parole du matin n'efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.
Inconsolables.
Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.

 

 

 

 

****

 

 

 

Dans ce coin d'univers où elle est posée, elle nous dit l'attente sombre, et le monde qu'elle voit au balcon de sa mémoire. Ses jardins. Ses jachères.
Il faut imaginer, c'est une silhouette ballottée par les remous d'une onde fraîche, une forme frissonnante dans la marge transparente des jours frivoles, une figure dénudée et chaste, une figure d'horizon dans le reflux des saisons. Chaude icône aux cheveux de brouillards à la peau blanchie d'écume.
Et ses yeux ont cette brillance singulière, où dans le même mouvement des paupières apparaissent la joie gourmande de la vie et la tristesse, sans laquelle cette joie n'aurait aucun sens.
Des yeux ardents écarquillés sur l'envers du décor.
Un regard ruisselant qui donnent de la lumière au royaume qu'elle habite.
Un sourire la pare souvent, un sourire de perle dessiné avec un souvenir d'enfance, le sourire lunaire des consolations enfantines avec son infinie douceur, son infinie langueur. Oui, l'infini de l'amour fragile prêt à défaillir.
Un sourire la pare, à moins que cela soit des larmes d'une jeunesse arrachée au ciel.
Elle confectionne un paysage de textes avec une incomparable aisance, ainsi elle le ferait d'un bouquet tumultueux de fleurs sauvages. Fleur à fleur. Mots à mot.
Chez elle chaque texte est une chrysalide. Et de ses seuls doigts elle fait naître les papillons des mots. Et parfois sa main glisse sur le clavier, elle caresse les touches comme si elle traversait mille vies.
Chaque jour elle s'embarque pour un voyage qui pourrait la déposer sur les rivages brûlants de passions crépitantes. Navigation incertaine, presque hésitante, toujours au bord d'un naufrage. Les textes sont les nuages qui la guident. Qui la sauve, ils sont les alizés qui portent sa dérive, les albatros qui lui composent et saisissent l'âme.
Tout le jour elle est dans le mouvement des mots, dans leurs couleurs, leurs cendres, elle est dans le blanc de la page entre le noir des lettres, elle écoute leurs histoires.
Alors elle se sent pénétrée par le grand fleuve charriant la peur et l’extase.
Chaque texte est fait de sa chair et de l'attente, de l'attente et de l'amour, de cet amour inachevable et son souffle se suspend lorsque survient des réponses inconnues, réponses de blessures ou de solitude claire. C'est un vertige enivrant, car elle connaît leurs folies désarmées, leur transparence secrète, cette part épuisée qu'ils déplacent. Elle sait les secourir en les enchantant d'un regard d'amour, en leur prodiguant le geste d'abandon essentiel : ce baiser protecteur qui les éclaire.
Et lorsque le lecteur, ombre de passage, traverse son temple pour cueillir quelques mots, tel le promeneur absent dans un champ de coquelicots, elle n'oublie jamais un dernier frôlement comme elle le ferait sur la joue rose d'un enfant.
Quand vient la nuit dans l'obscurité religieuse de sa petite maison de mots, bien calée entre deux silences, elle entend la voix des textes, leurs chants. Et le chuchotement des heures. Elle est alors un port scintillant qui veille sur le balancement des barques, la sentinelle des mots, la gardienne d'un phare sur l'océan de la langue, une lueur de crépuscule sur nos chemins d'espérance. Une île qui garde l’océan. Elle est assise, attentive, et sa beauté est émouvante par l'évidence de son regard qui dit l'amour dans sa part de murmure, de don, dans sa part la plus effondrée, celle qui gît au plus profond, dans sa part d'enfance ressuscitée presque sauvée de la nuit, des blessures et des souillures, et des oublis, et des méprises.
Calme et douce, elle ressemble aux souvenirs comme une source, comme une eau gorgée de musique, de nuances étranges, une eau qui laverait le ciel de nos peurs, un baume de vie pour l'errance.
Chaque nuit elle chante, parfois elle vole, et la course des étoiles s'organise autour d'elle avec lenteur et mesure, car elle a le pouvoir d'arrêter le temps, de le suspendre. Elle n'est pas une ombre, son sang est rouge et il coule comme un torrent fier. Et elle ne dort jamais, parce qu'il faut veiller sur tous les fantômes de sa maison hantée, ils pourraient envahir la terre. Alors elle surveille. Armée de ses mots et ne laisse rien passer. Surtout pas nos faiblesses, nos complaisances. Elle est là, dans la nuit. Elle veille.
Comme une île fière et farouche.
Elle écrit des poèmes qu’il ne lira jamais.
« Mon amour, tes plus longs silences sont mes plus beaux poèmes...
Mon amour sais-tu que l'étreinte est la forme la plus accomplie du langage.
Mon amour sais-tu que l'absence de l'étreinte est la forme la plus accomplie du dénuement.
La puissance d'un désir abandonné.
Mon amour crois-tu que c'est le début de la folie....
Mon amour que pourrais-je taire afin que tu m'entendes... »
Elle écrit infiniment patiente, infiniment brûlante, infiniment perdue.
Elle écrit dans les heures lentes et graves, cadençant dans ces silences, la force du pardon et la grâce d’un désir toujours naissant.
Elle écrit... Elle écrit.....

 

 

****

 

 

 

La parole du matin n'efface jamais totalement la nuit. Dans la rosée des mots on décèle parfois quelques chagrins inconsolés.
Inconsolables.
Et chaque matin il nous appartient de réinventer la langue. Et chaque matin il nous faudrait renommer toute la création.
La parole du matin
Se reconnaît à ce qu'elle n'a pas d'ombre,
Elle s'avance, nue,
Dans l'éclat éblouissant de la lumière,
C'est une parole qui brûle la langue
Et qui consume l'âme.

 

 

 

 

****

 

 

 

C’est lorsque que j’ai su que je ne la reverrai plus, que j’ai commencé à l’attendre…

Franck.

 

 

 

 

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26 janvier 2008

L'horizon consumé....

Car il m'a fallut considérer les étendues devant et celles derrières. Et j'ai voulu les mesurer, comme si elles recélaient un savoir, peut-être un pouvoir. Et j'ai regardé longtemps ces espaces fragiles. Et j'ai additionné, et j'ai soustrait, et j'ai fait toutes sortes d'opérations vaines, inutiles. Et j'ai voulu peser chaque souvenir et chaque espérance.

Car il m'a fallut considérer toutes les étendues et n'être qu'un naufragé au milieu d'un océan de vagues amères.

 

***

 

Je suis resté sur le bord du fleuve. Je ne sais plus combien de temps. Plusieurs jours. Là, sur le bord brûlant du fleuve. Et il n'y avait rien, hormis le fleuve, le désert, et moi assis entre les deux. Juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. A l'endroit où le fleuve se met bien à plat, là où il s'étire pour passer sur les sables incendiés. Un fleuve à plat ventre, ondulant lentement comme s'il traversait des sables mouvant. Temps contre temps. Usure contre usure. Etalé dans le plus large de ses eaux aux risques de perdre ses rives. D'ailleurs elles se perdaient parfois derrière un pli de dune ou dans l'œil humide d'un mirage.
Si la mer parle à notre âme, le fleuve, lui, parle à notre histoire. Il y a dans le fleuve l'ébauche d'un dialogue avec ce qui était avant nous, et ce qui sera après. L'homme au bord du fleuve se sait mortel. Et cela le rend triste. Infiniment triste. Comme ces journées assis sur le bord du fleuve. Le Niger. Au Mali. Il y a longtemps. Tout au début des temps.

 

Six, peut-être sept jours à attendre. Assez de temps pour la création des mondes et des univers, assez de temps pour que s'écoule l'infini tristesse, et pour sentir la lente mélancolie du fleuve. Fleuve des terres brûlées, fleuve des enfers aux langueurs mystérieuses. Fleuve lent. Grave. Aux flots austères et silencieux. Car il y a des lieux où les paroles n'accrochent pas. Rien ne peut se dire. Tout est écrasé par lutte lente des éléments. Lutte antique, immémoriale, puissante confrontation des silences, celui du désert, celui du fleuve et pour les sacrer tous les deux, celui du soleil. La rencontre du temps et de l'espace. Je suis resté sur le bord du fleuve. Assis, sur le lieu même de la folie, de l'incommensurable folie de l'existence, à regarder le fleuve, comme si l'apocalypse devait surgir de l'horizon consumé. Car il y a des lieux où la pensée devient inutile, et vaine, et indécente, où la raison ne peut plus se survivre, où l'intelligence n'est qu'une excroissance du malheur et d'un mauvais hasard. Il y a des lieux où toute pensée n'est qu'une écorce morte, l'enveloppe desséchée de nos vanités. Il y a des lieux où si tu ne sais rêver, tu meurs.

 

Six jours, peut-être sept, à me demander ce que je faisais là, sur les rives du fleuve, pris dans l'étau primitif, originel, radical des lieux. Lieux métaphores. Assis dans la gueule même des mythes. Il est paradoxale d'imaginer que toutes les paroles son parties de ces lieux impossibles. Sans doute que pour poser le premier mot il fallait un espace infini. Peut-être fallait-il un feu solaire pour compenser le feu du mot. Peut-être est-ce le premier mot qui brûla tout. Peut-être...Peut-être faut-il faire traverser à notre verbe un néant embrasé, et rester assis six jours, ou sept, pour qu'il puisse signifier. Prends une parole, fais lui traverser un désert, et si au bout tu peux la dire sans trembler, sans pleurer, si tu sais dire chaque mot, articuler chaque syllabe, sans que ta langue tombe de ta bouche, alors cette parole est vraie. Alors cette parole est puits qui désaltère, fruits juteux qui nourrit, elle est chemin des étoiles, et ceux à qui tu l'offriras, entendront le puits, et recevront les fruits, et recueilleront l'or de chacune des étoiles apportées. C'est comme si les portes de la cathédrale s'ouvraient.
Le silence est beau d'une parole qu'il porte, comme le désert qui recèle un puits. Le silence est riche de l'enfant qu'il porte. Il est un champ labouré gorgé des graines de la moisson à venir, il est mûrissement de l'absence. Ainsi dieu et son infini mesure, et son immense retrait. Car depuis qu'on fait parler les dieux on ne les entend plus.

 

Six jours, peut être sept, sans action, à rester là, assis, à ajuster les gestes, à façonner l'attente et à se laisser pénétrer par le fleuve, lent, large, comme un sang ancien chargé du temps qui passe. Comme un arbre qui devine la sève dévorer sa fibre.
Car il y a des lieux où toutes actions s'épuisent, il y a des lieux où agir est dérisoire, où l'acte n'atteint plus que son propre néant, où précisément le désir de l'acte s'effondre sur lui-même. Il ne reste plus que les gestes simples. Dénudés. Chercher l'ombre ou l'inventer, préparer le thé, manger des gâteaux secs avec quelques dattes, arpenter la rive pour trouver assez de petits bois pour faire un feu le soir. Étirer chaque geste, pour lui donner l'ampleur suffisante, le souffle et la parcimonie, et l'efficacité nécessaire pour maintenir la vigilance, l'attention précautionneuse. Ne rien oublier de l'essentiel, regarder le ciel, se perdre dans les horizons, et tout le jour désirer intensément la nuit. Et la nuit venue souhaiter, encore avec plus de force, le jour.
J'ai peu prié dans ma vie. Pourtant, là, je me souviens avoir risqué mes premières prières. Je me souviens de la timidité de ces premiers élans. Les lieux imposent bien sûr, encore faut-il vouloir s'y soumettre. Accepter, et ne pas craindre l'immense vide au fond de soi. Et cette peur qui surgissait. Accepter l'envahissement par le fleuve, par le sable, et cette sensation de perte absolue, comme si rien ne pourrait jamais nous sauver. Et que désormais c'était sans importance. Oui, sans importance...

 

Durant six jours, peut-être sept je me suis appliqué à mettre une majuscule pour honorer l'aube naissante et j'ai mis des virgules après chaque heure, et j'ai ouvert des parenthèses pour envelopper le fleuve, et posé un point à l'instant du zénith. Et au bord de la nuit je n'avais plus que des étoiles à accrocher aux points de suspensions...

 

***

Alors, écrire me renvoie à ces temps où je pouvais m'assoir juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. Bien avant mes premières morts, bien avant mes premières renaissances. Et chaque texte est comme un jour passé sur les bords du fleuve, à retenir les gestes, et à ramasser quelques mots, comme des brindilles sèches pour allumer le soir venu le feu de ma parole, afin qu'il ne reste rien. Rien. A chaque fois rien. Car écrire est un horizon consumé.

 

***

 

Car il m'a fallut considérer les étendues devant et celles derrières. Et j'ai voulu les mesurer, comme si elles recélaient un savoir, peut-être un pouvoir. Et j'ai regardé longtemps ces espaces fragiles. Et j'ai additionné, et j'ai soustrait, et j'ai fait toutes sortes d'opérations vaines, inutiles. Et j'ai voulu peser chaque souvenir et chaque espérance. Et j'ai voulu équilibrer les plateaux du trébuchet à chaque pesée. Et j'ai pris des microscopes pour voir ce qui ne se voit pas, comprendre la molécule des rêves, étudier l'atome du moindre silence. Et j'ai lu les savants, et les sages, et les poètes. Et j'ai été scrupuleux, attentif, et les étendues devant et celles derrières, restaient toujours aussi muettes et inconnaissables. Et j'ai étudié les astres et leurs mouvements secrets, et j'ai mélangé les siècles passés et les siècles à venir, et j'ai fait parlé les étoiles et j'ai interrogé les anges et même les démons, et plus j'avançais dans les étendues devant, plus les étendues derrières me paraissaient lourdes. Lourdes, si lourdes.
Car il m'a fallut considérer toutes les étendues et n'être qu'un naufragé au milieu d'un océan de vagues amères.
Car chaque leçon apprise fut une leçon oubliée, chaque connaissance un fardeau de plus.

 

***

Alors je flotte. Je flotte sans direction, considérant toujours les étendues devant et celles derrière, déchirant l'instant, écorchant les heures avec des mots, encochant chaque jour comme un bagnard, qui mesure le rêve à l'aulne de l'éternité. Prison sans porte, sans barreaux, simplement traversée de suspensions, de lassitude, d'affaissements inépuisables.

Alors je flotte au centre de cet espace borné par les étendues devant et celles derrière. L'espace infime, vulnérable, précaire.

 

***

Faute d'aller loin, j'ai cru aller profond, j'ai cru traverser l'épaisseur de mes catacombes, briser l'arche gothique de ma mémoire, désensabler l'édifice ombrageux, enseveli sous les gravas des jours, des saisons, ces citadelles invincibles et arrogantes. 

 

***

Le temps fuit par les deux bouts comme une hémorragie de braises palpitantes, une messe d'adieux. Le temps fuit par tous les bouts avec cette indolente désinvolture.

 

***

Sur la page d'écriture il y a une tache. Juste à l'endroit du mot. Une encre noire. Epaisse qui absorbe. Elle n'est ni grande, ni petite. Elle est là, et elle absorbe. Chaque parole écrite semble y tomber, comme si elle était un puits, comme si elle trouait toutes les pages de la création. La tache. Récif inéluctable où chaque mot se brise. Elle est le lieu de l'instant, comme si toutes les étendues de langue, celles devant, et celles derrière, venaient y mourir.
Il est une tache. Une souillure qui s'élargit sous ma peau, entre mes lignes. Souveraine. Corrosive. 

 

***

Qu'est-ce qui peut se dire une fois que tout a été dit ? Qu'elle est le premier mot qui vient, juste après les dernières paroles ? Quelle œuvre s'édifie sur les décombres de la langue ?
Car l'écriture n'est pas le radeau, elle n'a ni voile, ni rame, l'écriture c'est la mer, avec son infini mouvement, son infini tristesse solitaire. Elle épuise sans s'épuiser, elle s'étend sans rassembler, elle appelle sans jamais répondre. Nul secours dans ses vagues, nul pardon dans son écume, nul recours dans ses lancinantes marées. Que l'horizon qui se déploie. On ne traverse pas la mer. On ne traverse pas l'écriture.

 

***

Il y a une tache, juste à l'endroit du mot, large comme une mer. Une mer d'encre noire. Epaisse. Souveraine. Inévitable. Corrosive.
Car écrire est un horizon consumé.

Franck.

20 janvier 2008

Alors....

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile. Les grands événements sont si rares. Il y a tant d'heures oubliées, vaines. Tant de gestes ternes, inconsistants. Tant de faiblesse et de lâcheté. Un immense gruyère où ne subsiste que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d'eux-mêmes.
Et chaque heure se tisse dans la banalité, l'imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l'infinie tristesse des flots qui s'écoulent.

 

Car ce qui composent nos vies c'est le malentendu, c'est l'espérance désenchantée, c'est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées. C'est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n'a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible et au bout à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.
User jusqu’au bout la comédie de l’espèce.

 

Alors c'est là au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c'est là dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d'orgue de notre irrésolution, que l'écriture déploie sa palette la plus tremblante.
Car l'écriture nous vient d'abord d'un creux, d'une insuffisance et de l'hémorragie qui s'en suit, d'une rareté, d'un déficit.

Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l'être, en nous, s'abandonne et se perd.

Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s'arrête et que l'océan est ici, devant, démesuré et terrifiant, et que tout en nous se projette vers l'infini. L'écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l'immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.
Pour écrire il ne faut rien puisque l'écriture vient delà. Et puisqu'elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

 

L'essentiel de nos vies se construit à l'insu de nos envies, à l'insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Accepter la faille comme l'unique possible. La faille qui recueille l'encre, l'encre des mots de l'écriture. La faille qui nous nomme. Interminablement. La faille comme dernière exigences, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges.

 

Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l'agonie de nos jours, affronter à chaque texte l'effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu'aux dernières chairs. Jusqu'au dernier sang.

 

Car l'écriture, c'est bien déterrer des ciels vacillants d'étoiles en réveillant les gisants, c'est bien ce creusement de l'ombre. Et toujours cette avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l'arche à l'autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l'aube, des secrets au mystère. Et accepter l'envoûtement. Et l'appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de nous. C'est bien ça, hein ? C'est bien cette folie ? C'est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N'avoir rien, que sa langue, que des mots, qu'une musique. Rien d'autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder, les excéder. C'est bien cela, hein ? Dites-moi que c'est bien cela, parce que sinon il faudra que je brûle chaque mots prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien.
Et si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j'ai la force de m'y clouer. Si la pauvreté de nos vies n'est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu'à nos plus intimes paroles. Si consentir n'est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs.

 

Puisque pour signifier, j'ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j'ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres, et caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j'aurais pu être roi, puisque j'ai tenu des étoiles au creux de mes mains, et puisque j'ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j'ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n'en reste que les cendres. Et que demain le vent les effacera. Et qu'au bout de tout, rien ne fut signifié. 
Alors...
Alors, en attendant la révélation de la fin des temps, le dévoilement des limbes, il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole, et à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu. Il faut bien risquer l'équilibre pour tenter de le trouver. Il faut bien écrire puisque c'est ça qui nous reste, puisque c'est la seule dignité possible avant la prière. Puisque je n'ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n'ai qu'une ombrelle de désir dans la main droite et quelques notes de musique dans la main gauche.
Alors...
Alors, il ne me reste que l'incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l'endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l'instant du mot. Alors il me faudra rassembler toutes les forces de l'amour. Aller au bout de la jetée et tenter une autre fois le saut dans l'immense. Au plus nu. Au plus près de l'étoile. Au plus près du désespoir.
L’inouï. Absolument.

Franck

19 janvier 2008

Le jour où je suis mort.....

Il arrive un moment où c'est le bout. La fin. Même le corps ne veut plus. Ma mémoire reflue à nouveau. Incessant mouvement. Je revois les images. La chambre. Je déroule à nouveau la journée où je suis mort. J'essaye de retrouver la chronologie.
Au début je ne vois que la chambre. La chambre verte. C'est l'été. Par la fenêtre la masse de la verdure, les bois brûlants de vert. Le ciel. Bleu. Et la rivière en bas. Je l'entends à peine. C'est l'été les eaux sont basses. La fenêtre est ouverte. C'est l'été, il fait chaud. Je ne sais plus vraiment la chronologie. Trois quatre jours d'alcool absolu. Je ne me souviens que de la rage. La rage à boire. Aller au bout. Les grandes rasades de whisky bues au goulot qui arrachent une grimace à la déglutition. La brûlure de la gorge et le sang qui s'enflamme. Trois ou quatre jours impossibles. Sans chronologie. La seule compulsion du geste comme fil rouge. Et le dégoût, et la grimace, et la cigarette qui cautérise la plaie. Simplement la rage d'en finir. Deux, trois bouteilles de whisky dans la journée. Je ne sais plus. Et ce train bleu de tristesse foudroyante, comme des éclairs. Je n'ai plus de pensée. Rien. Hormis des sensations, des impressions. Il n'y a pas de temps, pas d'espace. Je bois un marais amer aux herbes filandreuses. Haut-le-cœur, vomissement qui ne vomissent rient. Je revois ma main qui tient la bouteille, je dévisse le bouchon métallique du plat de l'autre main. Scansion. Répétions du geste qui tue. Stridence de la brûlure dans le sang. Jusqu'où le corps peut tenir. Trois, quatre jours. Je ne sais plus. Déjà je sens le rétrécissement. L'accélération et le rétrécissement. Chaque mouvement traverse un coton grattant, chaque regard sort d'une pâte lourde. Les jours sont une longue gorgée qui n'en finie pas. Aucune exaltation. Il n'y a plus que la rage, qui livre son dernier combat contre désespoir infini. Infini, est le mot qui convient le mieux. Sans borne. Aller au plus droit, au plus vite. Remplir au plus vite. Plein. Déborder même. Pour être sûr d'être plein. Sans vide. Extase vertigineuse de la dernière chute.
Je tombe. J'ai du tomber. Je ne m'en rappelle plus. Au bout de trois ou quatre jours j'ai du tomber. Ma tante me dit que le docteur arrive. Je ne veux pas le voir. Pourtant il est là. Un jeune. C'est un remplaçant. Je ne le connais pas. J'ai du mal à tenir debout. Il m'entraine le long de l'étang. Il parle. J'aime sa voix. Alors j'écoute. Un peu. Je voudrais lui dire. Mais qu'y a-t-il à dire ? Rien. Il faudrait tout reprendre depuis le début. Quel début ? Où est-ce que ça commence tout ça ? Avant Jésus Christ ? Et puis mes jambes ne me portent plus. Il m'ausculte. Il est inquiet. Je le vois, il ne dit rien, mais il est inquiet. Je ressens cette inquiétude dans ce corps qui n’est plus le mien. Il se fait aider, on me rentre à l'intérieur. Il s'agite. Je l'entends, il téléphone « Hôpital... Ambulance... urgence... ». Il dit qui rappellera. Il revient me voir. Je lui dis que je ne bougerai plus d'ici. Plus jamais je ne bougerai d’ici. Pas d'ambulance, pas d'hôpital. Rien. Ici, simplement ici. La mort ou n’importe quoi d’autre. Sur ce lit, de la chambre verte.
Il est inquiet. Perfusion. Toutes les heures il revient me voir. La tension chute. Il a peur, je sens sa peur. Dans le couloir j'entends des bribes de conversations.
Je suis allongé dans la chambre verte. C'est l'été. Je ne bouge plus. Je sens le poids les couvertures sur mon corps de gisant. C'est à ce moment-là que j'ai senti que ça partait. Petit à petit, quelque chose c'est mis à quitter mon corps. Plus ça quittait mon corps et plus je sentais une pesanteur. Ca ressemblait à un fluide qui quitte le corps. Les jambes, les bras, les mains, les doigts. Le bout des doigts. Surtout le bout des doigts. La vie qui fuit un corps percé. Epanchement. Ecoulement. Cela dure longtemps.
Il ne sent plus mon pouls. Piqûre. Le soir tombe. La fraicheur entre dans la chambre. Et c'est la nuit. La lampe de chevet est allumée. Je sais qu'il ne faut pas que je m'endorme. Je sais que si je le fait ça sera la dernière. Ce sont des choses que l'on sait. Que le corps sait. C'est la nuit, et tout ce que j'ai de force continue de s'écouler de moi. Quelque chose de l'abandon. Ca n'en finit pas. Je ne peux faire aucun geste. La tension continue de baisser encore un peu. Je n'ai plus peur. Je suis arrivé. Le bout. Il faut simplement laisser. Laisser aller. Il revient en pleine nuit. Quelle heure est-il ? Mon endroit n'a plus besoin d'heure. Qu'importe. Il est là en pleine nuit. Il est assis sur le fauteuil, près du lit.
Il parle.
Au début, je ne comprends pas ce qu'il dit. Sa voix est très loin. Ou c'est moi qui ne suis déjà plus ici. Où suis-je ? Dans quel pays ?
C'est l'Afrique ? L’Afrique me revient….là aussi je suis allongé sur une couchette. Ca fait trois jour que je me vide. La dysenterie. Trois jours de douleur, de contractions, de spasmes. Dans cette cabine, il doit faire plus de cinquante degrés. La déshydratation vient vite. La transpiration et les spasmes permanant qui vous font chier de l'eau et après, plus rien. Quand il n'y a plus rien, il n'y a plus rien. L'intérieur du corps de tord, se presse, se convulse... et rien... après c'est le sang, qui vient. Il coule le long de ma cuisse.
Mopti, sur le Niger. A la période de basses eaux, les grands bateaux à fond plat servent d'hôtel. La cabine est exiguë. L'air est irrespirable. Trois jours et quatre nuits de spasmes ininterrompus. Il y a un point de chaleur où l'on ne pense plus. Comme un seuil de douleur qui empêche toute réaction salutaire. On me traînera au dispensaire des pères blancs.

Là, c'est la nuit. Le jeune docteur parle au loin de ma vie. C'est un murmure. Sa voix semble traverser les siècles. Il veille un mort qu'il voudrait ressusciter. Il ne se sert que de sa voix. Et de la parole blanche. D'instinct il a choisit la parole du lait. Celle de l'aveu, celle de la prière. La parole qui s'adresse à l'absence pour révéler plus que pour manifester. C'est une voix de cierge tremblant. Une voix de catacombe. De Crypte voûtée. Voix de chair qui parle à la chair. D'ombre qui glisse sur l'ombre. Froissements du silence comme un léger éclat de lumière dans une nuit sans lune. Chemin de voix et de paroles obscures sorties du seul désir de se survivre à elle-même.
Il faut imaginer... il est très près de moi. Mais sa voix, au départ vient d'un autre pays. J'entends sa respiration. Son souffle. Ses silences. Parfois il se tait. Et c'est la nuit. Et je pars. Dans ce coton noir. Velours de ténèbres. Ce n'est qu'un son monocorde, mélopée lancinante de la voix humaine. Qui appelle. Depuis des siècles, qui appelle au-delà des membranes de la mort. La voix des mères immémoriales.
On n'apprend pas la voix dans les écoles de médecine. On n'apprend pas le chant de la voix sous la lampe écrasé d'une nuit d'été. Qu'apprend-t-on dans les écoles de médecine ? On n'apprend pas le murmure de la vie quand il faut le mêler au souffle du mourant. Non, on n'apprend pas la flamme bleu et rouge qui colore chaque mot venu du ventre comme un râle, comme une plainte, comme une complainte obstinée, entêtante, démesurément humane et vivante. Vivante. Il faut que la voix soit faible, si faible pour passer dans les couloirs du vide, et de la mort.
Il faut qu'elle soit si puissante pour porter une respiration si éteinte.

Je ne dors pas. Pourtant c'est la nuit. Peut-être la dernière. Et ces morceaux de souvenirs. Le fleuve. Le Niger. La nuit du fleuve. Cette douleur qui n'en finie pas. Avec les spasmes. La nuit, je me traine à travers les coursives pour accéder au pont. A l'air libre. La chaleur de ce bateau de ferraille me fait sortir.  La nuit, il semble régurgiter tous les feux du soleil. Chaleur étouffante, qui surgit en bouffée d'enfer des entrailles même du bateau. Les bateaux portent dans leur balancement la mémoire des naufrages. La nuit je me traine sur le pont pour respirer. Je suis recroquevillé dans un coin de nuit, plié sur cette douleur, et ces contractions. Et je me cache dans la nuit, tordu par des douleurs de parturiente. Je n'accouche de rien. Rien. Pourtant...

 

Maintenant la voix remonte le fleuve. La voix a pris le chemin du fleuve d'Afrique. La voix suit les lentes courbes du fleuve. Et peu à peu j'entends la voix de la nuit qui traverse les membranes de la mort. Qui suit la veine du fleuve. Le sang du fleuve.

Il est à coté de moi, et sa voix s'est accrochée à ce souvenir, et elle remonte lentement mes veines. Le fleuve de mon corps. Je sens la fraîcheur douce des eaux du fleuve prendre possession de mes chairs. Centimètre par centimètre. Et sa voix devient de plus en plus claire. Audible. Comme si le souffle du lait se transformait en eau cristalline. Avec lenteur. Ca commence par les extrémités, les bouts des doigts, les mains, les pieds, les bras, les jambes. Le fleuve de sa voix me recouvre peu à peu, rendant plus pesant le poids des couvertures. Avec ce picotement d'eau claire sous la peau. Quelque chose remonte. Je le sens. Je le sang. Ca vient de sa voix et d'un souvenir d'Afrique. Ca vient du fleuve. Du grand fleuve qui traverse mon corps. De ce fleuve qui traverse tous les Sahara pour chercher l'océan dans les corps.
Simplement porté par la voix de ce si peu docteur.
Sous les draps, j'ai bougé.
Un peu.
Il me reprend la tension.
« Putain, elle remonte... ! ». C'est alors que je vois briller ses yeux. Je vois ces petites gouttes de larmes de fleuve sur le bord de ses yeux.
Les eaux remontent, comme une grande marée sortie du néant.
Je vois son sourire. Il est épuisé.

Qu'as-tu-dit petit docteur pendant toutes ses heures ? Qu'as-tu-dit ? Quelles sont tes incantations de sorciers ? Où es-tu allé me chercher ?
Tu as ouvert la fenêtre, la fraîcheur de la nuit d'été est entrée dans cette chambre verte. Tu as éteins la lumière pour éviter les insectes. Je voyais un morceau de ciel étoilé. Etoilé.
Et ce fut mon premier consentement.
Il m'a dit « Dormez... maintenant. »
Et j'ai dormi. Calme. Bercé simplement par un chant mystérieux. Qui avait brassé mes eaux, mes chairs.

 

Et la route fut longue. Mais elle a commencé là. Sur les contreforts de cette nuit singulière. Avec ce premier consentement au fleuve, et à la voix insensée qui a su glisser sur ses eaux. Voix de cierge vacillant, comme le premier lait, comme le premier jour.
Franck.

11 janvier 2008

Traverser l'heure......

C'est l'heure du myosotis et du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. Les bras des dieux pressent les restes de pulpes de la journée. Pressent l'orange du soleil dans cette rumeur de bleu, et le gémissement des fleurs qui s'étirent dans leurs ultimes exhalaisons. Et ce canal oublié, sans bateau, ce canal nu, dépeuplé, ce canal devenu inutile et beau, comme si sa beauté calme et tranquille n'était venue que bien après le départ des hommes et des bateaux. Etrange destin que celui des ouvrages humains quand ceux-ci s'affranchissent des volontés qui les ont crée. Désormais impraticable il a gagné en perfection ce qu'il a perdu en utilité. Alors ce sont les eaux myosotis, bouton d'or, chèvrefeuille qui s'allongent dans le soir étrennant les premières ombres et les premières senteurs d'étoiles. C'est l'heure où l'on est dans la plus grande distance de soi et pourtant au plus près, l'heure des louanges, l'heure des condensations, des allongements de l'âme. Marcher sur les bords du canal, à cette heure, c'est marcher avec application, presque avec précaution à la rencontre du rêve, en fouillant le silence, en le ciselant, en se laissant étourdir d'une réconciliation de l'espace et du temps, certes éphémère, mais essentielle. A l'endroit du coude le canal s'élargit, et juste là, sur la berge, une vieille chapelle, à l'angle des eaux, comme si celles-ci avaient fait un détour exprès. Simplement pour passer sous les vitraux pour les saluer et mélanger un court instant leurs ruissellements.
Instants du soir et des terres promises et du myosotis, du bouton d'or et du chèvrefeuille. L'heure où penser ne suffit pas puisque c'est le temps des constellations naissantes, c'est le temps de la voix, du murmure, de l'appel, où la lumière déboutonne peu à peu ses gloires. Les pensées se défont, se brisent, les raisonnements se cassent pour libérer enfin l'esprit, le désenvoûter de sa propre fascination. Alors marcher dans la délicatesse de cette suspension à fleur d'eau comme si c'était la première fois, ou comme si c'était la dernière. Ou alors la seule. Marcher dans cette lenteur sereine et attentive, comme lorsqu'on marche dans un livre pas à pas, page après page, cueillant et respirant chaque mots, et n'être que ce pas abandonné à lui-même, sans direction, hormis la fin des temps et l'effusion de phosphorescence qui l'accompagne. Marcher dans cette lenteur c'est marcher vers son amour avec élégance et pudeur, c'est passer entre les couleurs du soir et les reflets du canal sans défier le silence et le bouleversement des arômes. C'est accepter l'oubli et les brûlures de la mémoire et tenter d'agrandir l'espace entre la chair et l'os et faire entrer en soi l'immense par la porte du grave et du léger et du vulnérable et de l'infime. C'est déployer son corps dans le seul intervalle possible ou la danse et le chant peuvent surgir. Salut des heures pauvres, soulagement des douleurs dans cette convalescence du jour où le miracle s'insinue dans le tremblement des arbres, où la joie prend la forme d'une cabriole d'hirondelle dans un chahut de bleu volubile et une confusion de rouges exubérants. Il y a dans ce jour qui meurt la puissance d'un accroissement, une aggravation d'espérance qui s'appui sur l'engourdissement des eaux et sur l'effleurement des mains qui se joignent entrecroisant nos silences, comme le froissement des ajoncs pour appeler les dernières libellules, comme cette marche qui assemble le jour à la nuit, qui passe du clair au mystère, du chaud au fervent, du brûlant à l'intense.
C'est l'heure du myosotis et du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. C'est l'heure secourable, l'escale, l'heure rouge et violette, l'heure safran où les corps s'accoutument à leurs exactitudes, à cette verticalité qui les devance, devinant déjà les caresses, appelant déjà les saisissements, les exaltations. Mais c'est l'instant d'avant, celui qui prépare son élan, celui qui contient, celui qui rassemble, celui qui épouse, celui qui arrondi les minutes et qui aiguise chaque seconde. C'est un temps qui précède, c'est la marche lente et mesurée avant l'offrande des chairs, avant les fièvres lunaires.

Il faut traverser l'heure myosotis et en sortir vainqueur, et assez nu pour aborder sans crainte la convulsion des corps.

Il faut traverser l'heure bouton d'or sans remord pour atteindre l'orée d’un désir sans effroi.

Il faut traverser l'heure chèvrefeuille sans espoir pour inventer le geste unique qui enchevêtrera et ton souffle et mon souffle, et ton ventre et mon ventre, et ta voix et ma voix, et ta nuit et ma nuit...

Franck

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6 janvier 2008

Plus l'air est pur dans ce pays, plus ça devient irrespirable.....

Attention, ici c’est un blog fumeur…. Si vous y restez trop longtemps, vous pourriez passivement attrapez des maladies honteuses.

Tous les textes d'ici ont été écrit dans des bistrtos parisiens perdu dans une longue méditation, seulement accomagné de ma pipe et de quelques cafés....

Une page se tourne....

Et je ne sais plus où écrire....

Ce n'est pas très important puisque tout le monde va beaucoup mieux respirer.... et ça nous permettra de mourir d'autre chose, c'est ça le changement....

Franck

5 janvier 2008

L'océan glacé......

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue. Il roule son indifférence hautaine. Il y a de l’arrogance dans sa houle. Du dédain. Il parle fort, d’une voix musculeuse, avec le détachement des dieux, la désinvolture des puissants. Et parfois de sourds ricanements.

 

 

 

L’hiver, l’océan est un défi. Une menace. Largement ouverte sur le froid. Une béance froide et mugissante. Et la menace vient qu’il n’y a pas d’interruption dans la virilité frontale de l’océan. L’hiver. Et le vent glace toute pensée. Glace et efface toute pensée. L’homme ne s’articule plus à l’espace, au mouvement. Droit sur la plage il est une écharde. Moins qu’un galet, moins qu’un coquillage. Et brusquement il le sait. Il est dans l’évidence. Aucune parole ne tient. Et il le sait. Alors il se tait. Et silence et vacarme vont du même pas, l’hiver, quand l’océan roule son indifférence hautaine.

 

 

 

Et les portes de l’exil sont ainsi. Bruyantes et muettes. Inconciliantes. Incommensurables. Il n’y a pas de méditation du froid. Là, toute pensée est d’abord résistance. Tenir l’affirmation d’une résistance. Il n’y a pas de poésie du froid. L’imaginaire du froid est un imaginaire séparé. Coupé. Tranché. C’est d’abord l’imaginaire d’un refus.

 

 

 

L’hiver, l’océan nous parle une langue inconnue et que l’on comprend parce qu’on l’a toujours su. Le vacarme et le silence de la mort. L’écrasement et le froid. Le vent et son murmure lancinant. Litanie d’une mémoire inaccessible. Comme la mer dans son avancée impossible et constante. Interruption des vagues, de la terre, de la mémoire. Invraisemblable mouvement en avant. Enroulement du temps qui nous lie en se déliant. Et la parole qui accompagne. Parole inaudible hormis la voix qui la porte et la pose, là, au bout des terres connues, à l’orée de l’hiver et de l’océan.

La voix chante, et c’est une plainte. On sait que c’est une plainte, même si l’on n’entend pas le sens. On sait que c’est une plainte. L’oubli est le râle de la mémoire, son chant plaintif. Quel est ce temps d’hiver ? Quel est ce temps dans le temps ? Cette vague dans la vague ? Cet océan qui bat en moi ? Et ce froid qui glace ma voix.

 

 

 

Je suis un égaré. Je n’ai pas trouvé ma question. Alors toutes les réponses sont fausses. Inadaptées.
Nous oscillons sur nos lignes de fuite, funambule de l’errance avec toujours une liberté de retard, à contre temps des marées, tâtonnant à travers nos phrases à la recherche des mots, des rythmes qui sauraient s’allier à notre voix. Adoucir la discordance. L’annuler. Effacer l’horizon. Tout recommencer. Ou tout finir. Bâcler la fin.
Car l’écriture ne nous rend pas la vue. Tout juste nous introduit-elle au silence. Et à l’absence. Tout juste nous pose-t-elle à un endroit de nous-même un peu plus supportable. Elle n’efface pas l’illusion. Peut-être, est-elle l’illusion suprême.
La seule qui vaille, ou la plus dérisoire.

 

 

 

Il n’y a pas d’écriture du bonheur. Et aucun savoir ne nous guette au bout de la phrase. Aucune rémission. Les mots s’effacent les uns les autres, les suivants renieront ceux qui précédent, et jusqu’à l’épuisement. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, tout au plus une redite, une tentative toujours échouée. Une aggravation. Un enroulement. Un retour. Et un effondrement d’écume dans la voix.
L’océan n’a pas de centre. Il n’a que des rives perdues, des lieux de fin, des morts toujours recommencées, et jamais assouvies. Il est l’épuisement inépuisable. La permanence effrayante. La mort qui s’avance en nous comme une arabesque. Pleine. Dépourvue d’ombres. Pure présence, qui nous assigne à la notre, la suggère, parfois la révèle.

 

 

 

Il y a dans l’écriture comme le sacre des saisons, un surcroît de présence, un dévoilement, un océan patient. L’écriture dans son incessant retour, élève notre voix pour l’accorder à celle de l’océan. Il n’y a pas d’accroissement de la parole, simplement une élévation, une aggravation, le sens d’un redressement, sans doute pour que la mort nous frappe à l’endroit le plus haut. Juste à l’endroit de l’étonnement.
L’éblouissement des ténèbres.

Franck

1 janvier 2008

La paume ouverte.....

Il faut blanchir beaucoup d’heures pour n’en sauver que quelques essentielles.

Des aubes bleues, presque violines.
Il faut recommencer souvent le même poème pour se dire que rien ne s’achèvera.mains_accueil2
Il faut balayer beaucoup de souvenirs pour faire entrer dans sa maison l’envie de demain

 

 

 

Pour alléger sa langue, la soulager de l’ombre, elle écrit ses poèmes au dos des ailes des papillons.
Peu de mots, beaucoup de couleurs. Et cette précision pour ne jamais rien froisser.
Et cette poudre d’or dans le soleil du cœur.
Et ses baisers sur les lèvres du temps.

 

 

 

Dans le creux de ses mains elle m’a fait boire l’eau de l’enfance.
Ainsi elle m’a rendu le temps de l’infini.
Et des folies.
De son regard brûlé elle efface les ténèbres.

 

 

 

Tu m’as rendu le temps des vagues et des embruns.
Tu m’as tendu ta paume dénudé, m’offrant l’ardeur d’un feu nouveau.

 

 

 

Ecrire est ce chemin d’orphelin qu’on parcourt en silence pour consoler la mort de notre étourderie.

 

Franck

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