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J'irai marcher par-delà les nuages
27 avril 2008

Du dessaisissement.......

Car l'écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l'errance. C'est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est bien moins qu'un enfant qui vous quitte. Elle a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l'océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle est vouée à l'errance à la recherche d'autres solitudes, jusqu'à la cendre de la cendre.

Le destin du texte c'est la perte, c'est la désolation, c'est la mendicité. Le texte voyage entre deux absences. Un peu comme l'amour. Il erre entre deux solitudes. Un peu comme l'amour. Et le voile qui le couvre, c'est la mort qui rôde. Comme un feu qui s'étouffe par manque de souffle. Par négligence. Par abandon. Le texte posé ici, est le nom même de l'errance, de la perte, du manque sacré. De l'attente souveraine.

Le texte posé ici est un désert qui ressuscite à chaque caravane qui le traverse. Il est passage, franchissement.
Ecoulement sans fin de la fin.

Une fois posé ici, le texte n'a plus de forme, ou alors il les a toutes, il est prêt à suivre n'importe qui, n'importe quelle insuffisance, n'importe quelle bouche. Il a la forme d'un autre, d'un inconnu, d'une absente. Et à chaque rencontre il offre sa gorge, son ventre pour se faire pénétrer d'une solitude nouvelle.

Le texte posé ici se joue des présences. Il vient de l'ombre. Il y retournera. Il tient la mort par les deux bouts. Et pourtant il n'est rien, sinon la forme la plus achevée du vide. Et sa puissance est celle d'un fil de soie tendu entre deux planètes. Et c'est un vagabond entre eux exils. Et il mendie la solitude et le manque, puisque c'est sa seule nourriture. Puisqu'il vient de là, puisqu'il y retournera. De l'eau sur de l'eau. Du temps sur du temps. La désappartenance. Le dessaisissement.

Aux noces du texte il n'y a pas d'invité, ce sont des noces furtives, puisqu'elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l'absence et du silence. Fêtes de nos désespoirs où l'on consume les chairs brûlées de l'amour, et les visages perdus. Oui, tous ces visages égarés. Nos temps d'affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des bûchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.

Le texte posé ici, dans son indécence, mêle nos morts successives et nos résurrections. Les miennes, à toute les autres. Frères de mort et de résurrection avec ce texte aux paumes ouverte.

Le texte naît du silence et du malentendu qui l'accompagne. Et c'est de ce clivage, de cette séparation invincible qu'il naît. C'est de cette rupture de silence, de cet échange de silence qu'il naît. Et du malentendu qui l'accompagne. Et c'est pour cela que la voix chancelle un peu. L'oreille de l'œil est sourde au monde, elle ne sait que vibrer, frissonner de sa désappartenance. De son dessaisissement. De sa disgrâce.

Et la voix tremble, comme si toute lumière ne pouvait surgir que de ce malentendu consenti. Que de ce secret tacite, scellé au cœur de la nuit.

Chacun a dans les mains du coeur un morceau du symbole. L'écriveur, et le lecteur. Et si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelque soit la coïncidence, ou quelque soit l'ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. Et c'est là, là dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.

Le texte vit de cette apparente similitude, et il brille de l'impossible. Il brille d'un trou, d'un trou d'inconcilance par où s'échappent la vie et l'espérance dans cette hémorragie de silence.

Franck

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26 avril 2008

Un peu de poussière.....

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet. Dans l'écriture, parfois on fini, jamais on n'atteint.

Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable uni à l'invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Evanescence. Insaisissable élan de l'écriture. Des mots qui s'effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l'illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l'écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères. De la poussière au goût de cendres.

Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s'envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s'égaillent, que l'on aperçoit dans les rayons de lumière dans l'agitation d'une danse fébrile. Eperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l'âme, pour s'entasser dans les déserts de l'existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages et des vacarmes. Quand elle se rassemble c'est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe c'est pour quelques pages, le temps d'une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l'effleurant. Caresse triste d'une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d'une main ouverte. Poussière. Nuage d'une matière qui n'est rien. Rien. Un simple passage dans l'air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toute les formes et n'en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s'accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l'emportera plus loin. Ailleurs. Et les mots  se dérobent sous leurs propres pas.

Et la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infini métamorphose encourage aussi la flamme de l'âtre pour lui donner la force et le désir de brûler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Souffle, voix silencieuse de nos mots. L'armature évanescente de notre parole. Il n'est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraîchissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C'est la source des quatre coins de l'horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d'avant les mots, celui d'avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n'est rien, invisible, et pourtant il nous rend à la lumière.

Le souffle se dévoile à nous lorsqu'il passe sur la poussière. Car c'est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.

Il arrive à l'alpiniste d'atteindre le sommet, dans l'écriture, parfois on fini, jamais on n'atteint. Au bout des mots il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l'écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, toujours ailleurs, c'est la voie mystérieuse de l'écriture, sans doute sa voie divine. On est à un souffle du but.

Car le sommet s'invente au fur et mesure de l'écriture, toujours avec un souffle d'avance, toujours avec un printemps d'avance. Et peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Et on s'épuisera jusqu'à l'asphyxie, jusqu'à l'extinction des mots, jusqu'à écroulement de la parole. Jusqu’aux cendres.
A mordre la poussière.
A agrandir l’univers en aggravant la voix.

Et il ne restera que quelques poussières d’or entre la joie et la désespérance.
Et l’oubli dans l’ignorance de l’oubli.

Ecrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier, qu’oublier c’est oublier la fin. Et ce qui sauve le dernier souffle c’est qu’il ne sait pas qu’il est le dernier.

Parfois dans écrire on fini. Jamais on n’atteint.

Franck.

« L'Éternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » (

La Genèse

)

20 avril 2008

Instants impossibles.....

Les mots se lovent dans la courbure du temps, à l'endroit creux, là où les eaux se rassemblent, larges flaques de mémoires et d'oubli, comme un œil qui fixe le ciel, par défi, ou par négligence. Flaques qui s'accrochent encore à la terre mais qui savent le combat déjà perdu. Rétraction des eaux de la parole. Assèchement lent. Lent. Le chant des instants qui s'épuisent.

 

Il y a, juste après la moisson, comme une suspension, comme un temps mort, cela ressemble à une catastrophe, la terre se souvient des blés et les pleure. Il y a une souffrance, juste après. Et ça ne dure pas longtemps. Peut-être un grand soupir. Une affliction. La terre se souvient et pleure. Là aussi une rétraction. Il y avait un champ, il avait les blés, le vent glissait dans cette mer de soleil crissant. Après il n'y a plus rien, seulement un souvenir. Il y aura d'autre saisons, d'autres coquelicotsépis, mais là, juste après, c'est une tristesse.

 

Après le concerto, après la dernière note du violon, juste après qu'elle se soit apaisée, juste entre elle et le silence qui la suit, il y a comme un abîme, comme une chose qu'on ne pourra plus franchir, comme une fatalité. Ca ne dure pas, pourtant l'âme tremble. Un court instant. On sait que le cœur pourrait s'arrêter là. La musique persiste encore, elle n'est plus que son rêve et tout la fuit désormais. C'est comme une rétraction. La réduction immédiate de tout devenir. C'est un moment instable qui s'absorbe dans son propre effondrement. Comme le souffle du mourant.

 

Il y a un moment, où l'enfant, dans l’exaltation du jeu, se suspend. Il s'arrête. Ca ne dure pas longtemps. Et son visage se voile, c'est comme si une aile passait sur ses yeux.  Il est saisi. Et brusquement il a tout oublié, le jeu, son nom, sa mère, son père. Il est entre deux mouvements, entre deux rires, peut-être entre deux vies. On sent qu'il pourrait disparaître brusquement, s'effacer de la lumière du jour. Cela ne dure pas. C'est comme un hoquet du temps. Comme s'il venait d'avaler sa propre ombre, comme si sa vie à venir était là, devant ces yeux, et qu'il devait décider. Et qu'un chagrin inconnu de lui pesait sur sa respiration. Juste après le jeu. Juste après le rire. Et c'est insupportable.

 

Comme cette femme qui se replie après l'amour, après les cris, après le sang de la jouissance. Elle se replie, comme si l'offrande avait épuisée plus que l'offrande, comme si l'amour avait épuisé plus que l'amour. Juste là, à ce moment précis d'après l'amour, ça ne dure pas longtemps. Et c'est une tristesse qui n'a pas de nom. Personne ne sait la nommer. Elle traverse comme le vol d'un oiseau, le corps et toute la vie déjà vécue. Ca ne dure pas. Mais c'est presque infini. Parce que rien ne peut dire cet instant. Cette fraction de temps. Car c'est un temps arraché, une chair arrachée où la mort s'insère, comme un grand soupir. Et cette femme pourrait pleurer, là, à ce moment précis, comme la terre après la moisson. Seulement pleurer.

 

Comme à cet instant du miroir où l'on ne se reconnaît pas, où nos traits se sont défaits. Ca ne dure pas, mais juste assez, pour qu'on ait le temps de lire dans ce visage inconnu toute la vacuité d'une vie, toute la vanité des désirs. Pour qu'on ait le temps de savoir l'impossibilité du bonheur et la dérision de vouloir y croire encore. Et encore. Et encore.

 

Ces instants sont des couloirs, les dieux les fréquentent, les anges aussi. Ils ne sont pas vraiment vécus. Ils sont impossibles à vivre. Ils renferment pourtant toute l'histoire du monde et celle des hommes. Ils sont des failles dans lesquelles se condense toute une tragédie.
Et c'est là, juste dans ces instants, juste dans l'endroits impossible des heures que l'écriture suinte. Juste là. Et c'est une tragédie. Ca pourrait être un bonheur. Mais c'est une tragédie. Et ça suite. Et c’est cela la disgrâce. Des cendres qui ont perdue le goût du feu.

 

Il y a des moments, je vous l'assure, je voudrais être en enfer. Ca ne dure pas longtemps. Je voudrais y être pour ne plus avoir à l'attendre. C'est comme une rétraction. Un chant qui s'épuise.

 

Franck

 

 

19 avril 2008

Quelques pétales rouges sur un drap de neige

Quand j'y repense la première image qui monte c'est la petite chambre mal éclairée. Une lumière pâle, un peu jaune, parce que les volets sont fermés. Sur le lit il y a un grand drap blanc qui descend jusqu'au sol. On dirait un navire. Dans mon souvenir, ce lit est immense et la chambre minuscule. Dehors c'est l'hiver. Un hiver froid. Il gèle. Il ne neige pas encore. Il gèle.

 

 

 

Dans la chambre aussi il fait froid. On a coupé le chauffage. Je suis assis au pied du lit sur une chaise. Quand je rentre dans la chambre je m'assois. Toujours sur la même chaise. Je n'y reste jamais très longtemps. Parce qu'il fait froid dans cette chambre. Je suis assis et je regarde droit devant moi le lit-navire-blanc. Je n'ai plus que ça à faire, me rassembler dans un regard perdu. Etre là, à la charnière de la désolation.

 

 

 

Quand je rentre dans la chambre je m'assois et je pose ma main sur le drap blanc. En fait, je ne pose que le bout des doigts. Le silence est rigide, fragile comme une pellicule de givre posée sur l'océan. Tout est silence maintenant. Et je sais que tout sera silence jusqu'à la fin des temps. Sur le lit sont posés des pétales de roses. Je revois très bien cette couleur de sang noir, des roses jetées sur le blanc du drap.

 

 

 

Un jour, en dérivant dans une lecture fastidieuse quelques mots m'ont sauté au ventre, c'est Perceval. A la fin du livre il vient de blesser une oie avec sa flèche. L'oie blessée s'est enfuie. Dans le livre il fait froid aussi, et la neige habite toutes les lignes, toute la parole, l'écriture brusquement blanchie à son tour. C'est Perceval qui tombe en suspend devant trois goutes de sang sur le blanc de la neige. Et brusquement le livre se paralyse. Perceval est dans l'égarement de sa raison, dans l'effarement de ces trois taches de sang, et tout s'arrête, il n'y a plus d'aventures, plus de Graal, plus rien que ces trois goûtes de sang dans le blanc de la neige. Perceval oublie tout, il est dans une fascination absolue, le monde est effacé, et toute son âme lui revient en mémoire ; cette belle jeune fille, et cette mère qui tremble d'avoir enfanté un garçon si turbulent. Il ne bouge plus. Il n'entend plus. Il est dans la traversée de sa chair. Ce retrait est sans doute le premier acte de la tragédie. Plusieurs auteurs ont évoqué cette scène de Perceval. Sans doute à cause de l’abîme qu’elle dévoile et creuse en nous.

 

 

 

L'image fusionne les univers, et condense les temps. C'est un précipité. D'où cette sensation d'aspiration lorsqu'on la lit. Aspiration et carambolage. L'image c'est un accident de la langue, une catastrophe miraculeuse. Un vertige. Elle est au cœur du mystère. Puisque c'est une folie. Puisque c'est une révolte contre la raison, contre la tyrannie. Elle unit et sépare en même temps. Elle concentre et divise, rapproche et éloigne. Un feu. L'image coupe, déchire, perce, traverse, claque comme l'éclair, enfante. Elle invente un monde nouveau. Elle est promesse et refus, et abandon.
Pourtant elle est si vulnérable, si fragile, elle ne tient que sur le fil coupant du texte, elle ne tient que par le balancier des mots. Elle ne tient à rien, en fait. Elle est en suspension dans un monde parallèle, hors de toute dimension, une femme nue couverte de voiles transparents. Hors de tout, vagabonde qui a quitté sa maison. Sans feu ni lieu. Ingénue, inconvenante, elle est devant nos yeux, invisible et présente, comme le parfum de l'amoureuse apporté par le vent. Elle surprend toujours, elle maraude, entre par effraction dans l'œil des mots effarés, elle ne laisse aucune trace, pas d'empreinte, pourtant le coup de hache est là, et bien là. Car l'image a erré, longtemps traînée, longtemps braconnée avant de lâcher son coup, avant d'ouvrir le texte en deux, en mille éclats. Elle rôdait dans nos veines, cachée dans l'ombre opaque de la langue. Et elle traverse en diagonale nos sens éteints. C'est l'humeur du sang. Et vouloir la saisir, la comprendre, la tenir est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras une femme tzigane. L'image est une eau débordante et folle.

Ce qui la fait naître c'est un désarroi. L'impossibilité de signifier. C'est d'abord un échec. Les mots s'écrasent les uns sur les autres. Ils s'empilent, comme des pierres inertes, et mornes, et mortes, sur le mur plat et triste du texte. Le rêve s'enlise. La main se crispe et tremble.

Dans la chambre il faisait froid et il y avait tous ces pétales rouges sur le drap blanc. Et la vie dans mes veines s'est rétrécie. Tout semblait s'être figé en cristaux transparents, coupants, prêts à se briser, même ma mémoire s'est durcie. Même le temps s'est durci.
Il fait encore si froid ce matin quand j'y repense.

Le drap ne faisait aucun pli, chaque pliure a été cent fois repassée. Elle, elle est là, au milieu des roses. Allongée au milieu des roses. Prise dans le froid des heures. Elle ne parle plus. Quand on est allongé au milieu des roses on ne parle plus jamais. C'est une chose qu'il faut savoir. Le drap la couvrait jusqu'à la taille, ses jambes cachées, ne faisaient qu'une tout petite vague d'écume blanche. Parce qu'il faut comprendre qu'elle était devenue si petite. Si petite. Elle ne pesait plus rien. Sa vie touchait l'os. Son nez paraissait immense. A l'instant je viens d'aller regarder une des rares photographies d'elle, je la connais par cœur cette photo. Elle avait dix-huit ans. Une photo en noir et blanc dans un cadre doré accroché dans le salon. Sur la photo son nez est parfait, comme le reste. Elle avait une beauté évidente, fraîche, avec quelques ombres de gravité, un peu d'inquiétude dans le regard. A dix-huit ans c'est normal, l'inquiétude donne du mystère.

 

 

 

Mais là, dans son visage d'os, je ne pouvais plus rien lire. Les lèvres n'étaient pas jointes, de la chaise j'apercevais le reflet blanc d'une dent. La veille les hommes noirs s'étaient enfermés avec elle pour les derniers maquillages, les derniers habillages. J'avais encore dans ma poche les petits poèmes que je lui avais lus. Je m’étais assis sur le lit en désordre dans la chaleur de la chambre, dans la lumière de ses yeux, mon cœur battait, on parlait tout bas, on était juste dans le souffle de nos mots. Je lui ai lu cinq misérables poèmes. J'ai bien vu ses larmes à la fin. Il ne lui restait plus rien, et en plus elle me donnait ses larmes. Nous étions tous les deux, elle a passé sa main dans mes cheveux et son geste s'est terminé en une caresse sur la joue. Après un long silence elle a seulement dit :  " Pardonne-moi ". Pourquoi, pardonne-moi ? Pardon de quoi ? Je n'ai rien pu répondre. Pourquoi pardon, maman ? Tu n'as rien à te faire pardonner. Tu meurs, ce n'est pas de ta faute. Nous nous sommes regardés un long moment. Notre dernier tête à tête.

 

 

 

Maintenant il fait froid dans cette chambre, assis je serre les papiers de poésie, et mes yeux se perdent dans cette vison de ce corps au milieu d'un cercle de pétales rouge. Quand les hommes noirs sont sortis, quand j'ai pu la revoir, je me suis approché du lit, je me suis penché et j'ai baisé son front. J'ai sursauté. Le froid sur mes lèvres. On sait bien que les corps qui meurent sont froids, on le sait. Et pourtant c'est un savoir impossible. Je suis allé m'asseoir.

 

 

 

Deux jours. Deux jours, et je n'ai pas pleuré. Pourquoi ? Pourquoi n'ai-je pas pleuré. Je ne le sais toujours pas. Perceval, durant un instant est arraché de sa vie, arraché de son corps, il ne sent plus rien, ni le froid, ni les hommes qui s'agitent autour de lui. Rien. Je suis dans un silence hagard, pétrifié. Et le temps dure comme l’hiver. Ca fait trente ans, et je suis toujours dans un silence hagard. Je n'ai pas pleuré, est-ce que tu comprends maman ? Je n'ai pas pleuré, est-ce que tu me pardonnes ?

 

 

 

Elle est partie la petite fille
Dans un ciel boursouflé de tendres blancheurs
Elle est partie là où les mots éclatent en grelots
Elle est partie sans rien dire à personne
En chantant sur des airs symphoniques
Douce et folle musique
Qui s'étale en éternité
Dans cet espace de fluidité
Où chaque particule se tait
La petite fille est partie
Sur son nuage de folie
Emportant avec elle
Dans ses bras enserré
Un bouquet de violettes
Un bouquet de bleuets
Bleu et rouge
Comme un couchant d'hiver
Comme un pays perdu
Ou comme un enfant triste.

 

 

 

Et les mots défont la mémoire.

 

 

 

 

 

 

Alors l'image naît du mouvement, du geste, de l'élan, c'est un pas de danse qui échappe au danseur, c'est un temps de plus dans la valse, un pas décalé, invisible et lumineux. Le clair dans l'obscur. Une vision brutale et douce comme la mort. Une île dans l'immensité. A elle seule elle veut sauver le texte qui sombre. Et la main qui fait naufrage.

 

 

 

L'image naît du geste. Elle est conséquence et prémonition. Comme la vague qui n'est rien, mais qui est aussi, la mer. Et qui déploie un mouvement qui la dépasse. Car la vague, même la plus insignifiante, sait l'océan dans son entier. Et c'est cette insignifiance suprême qui nous fascine. Et c'est ce savoir fatal qui nous trouble.

 

 

 

L'image est d'un autre temps que le texte, d'une autre dimension. Et dans sa trajectoire enveloppante elle cherche un Autre, un pays, un rivage. Elle est de la saison suivante. En coupant le texte dans le gras, dans l'immobile, elle cherche une autre continuité qui devance, outrepasse, submerge, le texte qui croit l'accueillir. Car l'image connaît les lieux, parce qu'elle les visite la nuit, durant notre absence. Elle porte déjà le texte bien avant sa présence, elle sait des espaces interdits que l'écriture ne connaît pas. Elle est ignorante des lois. Et ne vaut que par l'élan silencieux qu'elle dépose entre les mots, et à la suture qu'elle laisse sur l'iris.

 

 

 

Alors l'écriture peut continuer à déployer sa lente spirale. Car l'écriture se refuse à commencer. Ecrire c'est continuer. Une façon de tendre vers l'infini. Ecrire c'est continuer, c'est partir et s'éloigner du centre ignoré. Et l'image danse et plie nos paroles, même s'il y a du meurtre en elle, même si elle sauve et tue le texte, même si elle l'affirme et le dénie dans le même souffle.

 

 

 

Elle reste le regard de l'éphémère sur la face de l'éternité.
L'œil qui la fixe, et qui la fait brûler.

 

 

 

Maintenant il fait froid dans cette chambre, assis je serre les papiers de poésie, et mes yeux se perdent dans la vison de ce corps au milieu d'un cercle de pétales rouge. Je me suis approché du lit, je me suis penché et j'ai baisé son front. Et le froid sur mes lèvres a réveillé la mort en moi. On sait bien que les corps qui meurent sont froids, on le sait. Et pourtant c'est un savoir impossible. Je suis allé m'asseoir. J’ai regardé en silence ce navire blanc bordé de pétales. J’ai regardé mon naufrage. L’attente, de ce qui venait d’advenir.
Et parfois écrire.
Franck                                                                            Suzette

13 avril 2008

Les sillons.....

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.

 

Et toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement.
Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts.
Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa sollicitude, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup, sans arrogance.
Car le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

 

Le champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Mémoire de la terre dans les feux de l’été. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

 

Et les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retournée cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons.
Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée, blessée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots, le silence du laboureur attelé. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

 

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

 

Et tous les jours recommencer à enfiler le harnais pour tirer. C’est pour cela qu’écrire, n’est pas une activité heureuse, c’est une ouvrage sublime.

 

 

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s’épuisant.

 

Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, et c'est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer et dans son oscillation, ses remous. Et s'il rêve d'un port, ce n'est qu'un rêve, qu'un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires
n'appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n'appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l'histoire de l'humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire c'est une galaxie qui dérive et avance. Ainsi le texte qui progresse sur un océan d'ombre.

 

Avant le texte je ne sais rien. Après le texte je ne sais rien. Entre les deux : l'océan. L'océan et le chant des baleines.
Et l'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.
Franck.

 

 

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6 avril 2008

Dialogue de l'ange et de l'enfant.....

Le texte est le labyrinthe obscur de la voix qui tente de le dire.
Le lieu du combat. Le lieu du serment et des dettes. Le lieu des ébranlements et des chaos.
Entre la voix et le texte il y a toujours une distance. Une résistance définitive. Des temps antagoniques. Des univers
irréductibles. La confrontation des points cardinaux.

La parole est une errance qui n'atteint jamais sa cible.
Et le destin de l'écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C'est ce qui la rend invincible

Et parfois le silence forme des îles, des portes dans l’océan infranchissable.

Et parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent et tombent, comme s'ils avaient trompés la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l'eau du seau dans son transport. C'est l'eau rare. L'eau fertile. L'eau détournée. L'eau qui ne sera jamais bue. L'eau du retour. L'eau évadée. L'eau libre. L'eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l'eau renversée.

Parfois, il y a un reste, un surcroît qui déborde du texte.
Parfois seulement.
Et c'est la poésie.

Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées ? Y a-t-il des paroles qui n'aient pas de direction ? Des paroles évadées, débarrassées des illusions, des sortilèges aussi bien que des grâces. Des paroles sans intention. Existe-t-il des paroles assez égarées, assez perdues. Existe-t-il des paroles assez pures pour être assez pauvres ?
Coquelicot dans les chaumes d'un champ de blé.
Parole affranchie de la voix des moissons.

Et la voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.

Ecrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Ecrire dans l'affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu'à l'excès, jusqu'à l’étourdissement. C'est sans doute cela la perte. L'excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.

Comme un suintement. L'exhalaison d'un soupir.
Le poème c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.

Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Et les vérités sortent de cette coupure. Et c'est pour cela quelles sont rouge.

Il n'y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans un labyrinthe sombre du texte. Et nulle connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, et ce fragile tremblement, qui ne signifie rien de plus qu'un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique. Et tremblant.

Une parole dans la pliure de l'univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, et qui s'offre au temps. A la solitude. Et au mystère de la soif et de l'attente.

Aux épousailles de l'oubli et du vent.
Alors seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.
Franck.

5 avril 2008

J'étais la poussière.....

Tu as glissé comme une ombre neigeuse sur mes cendres fragiles, et tu t'es suspendue, un temps, à ma folie dérivante.

 

J'étais la poussière et le sable, et tu fus la semence du vent. Et l'éclair.
Et j'étais naufragé, et tu t'es faite île. Et j'étais la soif, et tu t'es faite fruit. Je n'étais qu'une écorce, tu m'as fait arbre.

 

Tu m'as poussée aux frontières des enfers, aux bords de ces abîmes, de ces archipels pourpres. Infatigable. Tu étais cette lande amère offerte aux souvenirs, qu'une aurore veuve et squelettique incendiait chaque jour. Chaque nuit.

 

Et j'étais pauvre, tu m'as donné la démesure, et la sérénité, et le soulagement de l'attente. Et j'étais le chaos, tu m'as appris la grâce, l'élégance du geste qui s'enroule sur l'ombre des heures. Je n'étais qu'un son dissonant, tu m'as montré l'octave, lorsque les notes s'épuisent et se faufilent dans les harmonies immaculées. Je n'étais qu'une écume pauvre en déroute, tu as su la tisser en dentelle de givre.

 

Tu as soufflé sur mes plaies dérisoires, oubliant tes humeurs, tes rumeurs, tes horreurs, tu as soufflé sur mes plaies vaines et frivoles avec la patiente douceur d'une mère attentive, avec cette complicité de sœur câline, et la tendresse d'une femme amoureuse. La tendresse d'une flamme généreuse. Tu fus la chair de mes os, et tes mains, la peau de mes rêves.

 

Et j'étais la poussière et le sable, et tu fus la lumière et l'étoile. Et j'étais misérable, et tu m'as fait sentier, chemin, passage, pèlerin embrasé. J'étais taciturne, tu fus ventre de délivrance d'aube. J'étais un puits sans fond, tu m'as offert la chair de ta margelle, le chant de ta poulie, l’alliance de ta corde.
Je n'étais qu'un désert, tu m'as fait citadelle Je n'étais qu'une friche, tu m'as fait jardinier. Je n'étais qu'un silence tu m'as fait symphonie. Tu m'as offert tes mots pour nourrir ma parole et tes incantations pour guider mes prières. Tu étais cette voix fauve sarclée de ferveur exaltée, incandescente, étincelante. Et tu étais un orage, un tourbillon enluminé d'innocence égarée. Un royaume sans frontière.

 

J'étais la poussière et le sable et ton vent a soufflé pour disperser mes cendres, et je devins nuage poussé par ton absence. Et je devins un ciel de miséricorde traversé de lenteur blanche.
Un rêve de papier débarrassé des marges.

Franck.

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J'irai marcher par-delà les nuages
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