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J'irai marcher par-delà les nuages
29 novembre 2009

Chambre 3 ....

Cela revient par la bande. Par bribes. Des petits morceaux de souvenirs. Une conversation entre les tombes du Père Lachaise. Rien de clair. Rien de net. Une torpeur épaisse et brûlante. Je ne peux rien en dire. Pourtant je sais que c'est là aussi, qu'il faudra dire. Dans cette torpeur d'enfance.

Ma vieille mémoire fait obstacle comme si les circuits n'existaient plus, comme s'ils n'avaient jamais existés d'ailleurs. Coupés. Tranchés dans le vif de l'oubli. Pourtant quelque chose de ma vie tourne autour de ça. De cette torpeur. De cette brûlure des yeux. Des mains. Des mains je ne sais pas... je ne sais plus... Pourtant je le sens dans mes mains aussi. Comme une tragédie. J'ai neuf ans et quelque chose, là, se passe. Quelque chose qui n'appartiendra plus à moi ou à mes souvenirs. Mais qui sera moi. En creux de l'oubli. A l’envers de ma peau. Dans l’angle. En filigrane invisible et silencieux. Je sais que c'est collé à la paroi ; souvenir suspendu en rappel d'un vertige. Lisse comme un verre dépoli et opaque. Le désir collé au verre dépoli de sa prison. Lisse et envahi de torpeur. Un peu comme la mort. L'angoisse de mort quand elle vous submerge. Diffuse et pourtant implacable. L'impossible. L'interdit. Comme le sens. Comme le sang. Infinie volupté de l'hémorragie.
Alors, cela revient par la bande. Toujours. Une bouffée qui monte à l'intérieur, un brasier qui s'enflamme d'un coup, et ça retombe. Toujours. Dans une sorte d'étouffement du sens. Des images. Un mur infranchissable. Un au-delà impraticable, insensé. Alors ça revient, une
conversation, une lecture, une ambiance surtout, ou un espace de solitude trop grand. Un climat, une lumière. Oui, une lumière d'ombres branlantes et rouge. Le feutre d'un silence. Ca revient dans les parties évidées de la chair, par bribes et par la bande. Par derrière. Toujours par derrière. Juste entre la jouissance et la mort. Juste au début et à la fin des choses. Juste comme un déluge. Avec la mer ouverte en deux.
La mère. Blanche dans cette lumière de feutre pourpre. Dans cette chambre des cérémonies. Cette chambre des noces silencieuses et mortelles. Lente liturgie du silence et de l'effondrement. Lent passage vers la mort.
J'ai neuf ans.
J'ai neuf ans. C'est à ce moment là que ça se passe. J'ai des points de repères. A la fin des vacances de noël nous ne sommes pas repartis. Nous sommes restés à l'auberge avec maman. L’auberge des grands parents. Des parents de lui. De l'autre. On m'a expliqué que j'irai à l'école du village. On m'a expliqué que maman ne voulait plus revoir papa. Que ces histoires concernent les grandes personnes. Que ça arrive.  Que c'est la vie. Que maman n'en peut plus de lui. Que c'est ainsi. 

Alors, j'ai été à l'école du village.
Le soir c'est mon grand père Georges qui vient me chercher à la sortie des classes. Je fais mes devoirs dans la salle de bar de l'auberge. L'hiver c'est la saison morte. Peu de passage. Quelques habitués, des représentants de commerces comme on les appelait. L'hiver, il y a toujours du feu dans l'immense cheminée du bar. Ce feu qui me fascine tant. Avec maman on occupe la chambre numéro 3. Au premier étage. Celle au bout du couloir à droite. Celle qui donne sur la cour, juste devant le gigantesque tilleul. Celle... La chambre est petite, mais elle est bien chauffée. Nous sommes les deux seuls occupants de l'hôtel, mes grands parents sont dans un autre corps de bâtiments. Nous sommes seuls. Dans cette petite chambre d'hiver. Une armoire, un lavabo, un bidet, une petite table, deux chaises et un grand lit. Un confort austère. Elle est petite, mais il fait chaud. Et il y a maman.
La journée elle dort beaucoup. Elle pleure aussi. Mais je ne vois pas. A chaque fois que le téléphone sonne, elle sursaute... non, ce n'est pas lui. Lui il appelle une fois par semaine. Toujours le même jour. Toujours à la même heure. Pourtant elle sursaute.
Georges allume exprès ses fourneaux pour elle, il se met en quatre pour la faire manger. Il ressort son Escofier. Ca sent bon dans la cuisine et George à l'œil qui frise quand elle lui demande « Qu'est-ce que vous préparez papa ?.... ». Il ne répond pas. « Allez...dégagez de ma cuisine... » avec son grand sourire coquin. Ils veulent la faire grossir, ils pensent que c'est un bon moyen pour passer cet hiver de solitude.
En hiver on ne veille pas trop tard. Dans ce coin perdu de campagne il y a peu d'imprévu. Peu de clients le soir. Elle est triste. Mais je crois que je ne m'en aperçois pas. Elle est là. C'est suffisant. Le soir, avant de passer à table, ma grand-mère Claire lui dit « Montez vous maquiller Suzette... vous êtes toute pâlichonne.... ». Elle y va. Et quand elle revient c'est comme si la grâce s'invitait à notre table. Légère. Une beauté profonde, intense. Bouleversante. Comme un mystère. Comme ces femmes en noir et blanc que je vois parfois à la télévision. Jean Seberg. Tout le monde le dit. Moi, je n'en sais rien. Les enfants ne savent pas ses choses là. Les enfants savent la lumière, la chaleur, le parfum. Le geste qu'elle fait pour me recoiffer. La main qu'elle pose sur ma main. Depuis qu'on est ici, elle est plus proche. Plus silencieuse. Plus attentive. Plus calme. Plus secrète. Elle ne se sent plus obligée de relever chacun de mes faux pas. Elle ne se sent plus observée par l'autre, Elle est différente, elle est toujours maman, mais elle moins mère. Elle me regarde souvent. Souvent nos regards se croisent. En silence. Elle est là. Et c'est bien. Et c'est suffisant. C'est l'hiver. Et ça pourrait durer une vie, ou mille, ou l'éternité.
Et puis il y a la cérémonie. Chaque soir, ou presque. Avec sa tragédie de lueur opalescente. Comme un bonheur vénéneux. Comme le lent glissement d'un serpent entre les hautes herbes de l'enfance. Quand elle me rejoint, je suis déjà couché. Toujours. Je ne dors pas. Elle ferme la porte. Dehors c'est la nuit du bout du monde. Les craquements des branches du tilleul. Et le bruit de la rivière qui passe l'écluse. Grondement sourd dans la nuit. La rivière parle et crie la nuit. Je jour on ne l'entend pas ; la lumière absorbe le bruit, la vie absorbe le bruit. Mais la nuit, le bruit de l'eau occupe la profondeur des ténèbres. Un mugissement. Une plainte. Un chagrin.
Il n'y a que la petite lampe de chevet qui est allumée. Comme le cierge d'une messe noire. La chambre est petite.  Le parquet craque un peu. Je suis comme un gisant allongé. Sans doute mort déjà.
Chaque soir elle va au lavabo. Pour se démaquiller. Chaque soir elle va au lavabo pour faire son brin de toilette. Et chaque soir se passe cette chose impossible.
Il faut que je me souvienne de tout. Des gestes. L'ordre des gestes. Et de cette pénombre. Et de son corps qui se dénude. Un à un elle enlève ses vêtements. Gestes lents d'un charme bleuté. Elle se déshabille. Je me souviens de la lenteur. De la précision des gestes. Le pull, qu'elle plie et qu'elle dépose sur le dossier de la chaise. Le soutien gorge qu'elle dégrafe en tordant ses bras dans le dos. La jupe qui glisse au sol, et qu'elle ramasse en s'accroupissant. Ses collants avec lesquels elle entraîne sa culotte. Il faut que je me souvienne de son regard perdu dans le fond de la glace devant elle lorsqu'elle se démaquille. Nue. Ses seins qui bougent à chacun d ses mouvements, ses reins qui se cambre. Elle est penchée, souple, légère, délicate et céleste, gracile et pleine à la fois, le visage tendu vers le miroir. Presque sur la pointe des pieds. Il faut que je me souvienne du gant humide qu'elle passe sur sa poitrine sous ses bras. Je ne sais plus qui elle est. Un rêve. Cette première nudité, me fait mal. Je n'ai pas le souvenir de l'avoir vu nue avant. Sauf, là. Devant moi qui gis. Avec ce gant qui passe sur ses seins lourds, durs. L'eau qui coule dans le lavabo. L'eau sur l'écluse qui gronde. Mon ventre qui me fait mal. Un désir en forme de vertige. Comme une chute au ralenti. Elle s'assoit sur le bidet. Toujours cette eau qui coule. Et ses gestes de sorcière en plein sabbat. Le ventre. Plus bas que le ventre. Qui a-t-il plus bas que le ventre ? J'ai l'impression que sa main entre à l'intérieur de son corps. . Elle se relève. Elle s'essuie. Les seins, le ventre, les fesses. Je vois la serviette ébouriffer la crinière de son sexe. Devant. Des poils noirs, incongrus, obscènes. Mon cœur frappe ma poitrine. L'image de ce sexe recouvert de poils noirs s'incruste dans ma rétine. Je sais que je ne suis plus en vie.  L'image de ce corps entièrement nu. Entièrement interdit. Entièrement là. Plus nu que nu, au-delà du nu. Ce corps blanc qui troue l'ombre de la chambre comme un merveilleux poison pour les yeux. Corps blanc de silence vers lequel rampe un désir inconnu, indécents. Corps de chairs chaudes blanchi dans ses mouvements impudiques. Et bientôt c'est la traversée de ce corps blanc dans ma chair d'enfance tendue d'énigmes nouvelles. Révélation du silence sur le vacarme de l'eau de la rivière qui saute par-dessus l'écluse. Jaillissement de silences obscurs. Cérémonie du corps avec ses rondeurs de cuisses ouvertes, avec cette peau d'ombres blanches qui s'offre à mes regards meurtris.
Chaque soir.
La cérémonie.
Chaque soir le même trouble qui monte et me brûle, comme une éventration. Puis elle enfile une chemise de nuit. Presque trop courte. Presque trop transparente. Puis elle se glisse, là, au chaud du lit. Elle se glisse dans le grondement des eaux de la rivière. Dehors. Dans la nuit.
Je ne respire plus. Je suis toujours un gisant la tête fracassé par les images. Maintenant elle est là, allongée. Silencieuse toujours. Je sens son parfum. Je sens sa chaleur. Je ne bouge pas. Je n'ai plus de forme, plus de poids, plus de présence. Mon sexe me fait mal. Et je ne comprends pas, cette douleur de plaisir, cette douleur d'envie, cette soif, cette convoitise. Je suis dans une bulle de torpeur sidérée.
Chaque soir. La cérémonie. Elle lit un peu. Souvent je m'endors à ce moment là. Parfois je la vois éteindre la lumière. Et je sens sa main sur mon front. Et je sens ses lèvres sur ma joue. Et je sens son corps près du mien. Immobile. Dans une bulle étrange, une bulle vaporeuse, inintelligible, inavouable et pourtant délicieuse. Comme le premier péché, comme la première pomme et le premier serpent. Honte douce et sublime. Honte d'avant le déluge. Et souvent je m'endors dans le mugissement de la rivière qui dans la nuit souffle sa plainte. Son chant pour appeler le jour et la paix.
L'hiver est là, et nous recouvre de silence, il tend sa couverture grise sur nos corps d'amants impossibles.
C'est l'hiver, même cette nuit où je me suis réveillé. Où l'air me manquait. Dans cette chambre écrasée de noir. Nos deux corps emmêlés. Et le souffle de son sommeil sur mon front. Et nos jambes entrelacées. Et ma main au chaud de son sexe. Et sa main serrant le mien. C'est l'hiver. Je crois qu'elle est nue. Elle dort dans mes bras. Si petits. Amant suffoquant, amant tétanisé d'angoisses chaudes. Je marche dans la nuit interdite et oppressante. Et Interdite. Et oppressante. Et interdite. Je marche dans cette chair abandonnée. Cette chair ouverte. Fendue. Chair moite qui me brûle la cervelle et le cœur. Nuit de tragédie antique. Nuit de destin. Nuit de l'enfermement, et l'enfantement. Nuit de mort lente, et douce, et bonne, et belle. Nuit sans étoile, sans lendemain. Nuit de l'intime, de l'unique et de la fin. Je sens ses seins s'appuyer contre moi. Même avec mon pyjama je sens ses seins. Et ma main qui touche son ventre. Et ma main sur son sexe qui s'ouvre. Comme l'appel d'un sort maléfique et envoûtant. Cortège de spectres qui parcourt ma nuit, d'enfance, vrille ma tête.  Avec la douceur de sa peau. Sa respiration lente et régulière. Juste son ventre qui ondule comme une mer apaisée. Une mer au repos qui se berce d'elle-même. Il n'y a plus rien. Plus de rivière, plus d'écluse, plus de nuit, plus de chouette. Rien, que cette respiration et ce ventre qui s'ouvre sur ma main, si petite, ce ventre qui pleure et ondule, ce ventre humide qui suce mes doigts. Oui, qui suce mes doigts. Ventre vivant, ventre qui lèche, ventre avec sa langue offerte.
Je ne sais plus le temps. Une seconde, une minute, une heure ? Les nuits du destin durent l'éternité et même au-delà. Je sais qu'elle est nue maintenant. Elle a doucement roulé sur le dos. J'entends le froissement des draps comme un tonnerre assourdissant. Froissement. Crissement. Frôlement.  Et ce petit murmure du fond de sa gorge. A peine des soupirs appuyés. Complainte, qui se faufile. Mince filet de voix. Comme un ruisseau. Comme l'ombre sur un ruisseau. Juste la plainte de l'eau qui ondule lentement dans l'écartement de la lumière. Je ne sais plus le temps. Il n'y a que la torpeur de l'instant qui chavire. Dégringolade sans fin dans l'épaisseur de l'espace noir, au cœur d'une turbulence cotonneuse. On ne chavire qu'une fois dans un naufrage. Une fois. Et vous avez la vie pour couler.
Dans cette chambre il n'y a pas d'image. Que des gestes à peine esquissés, que des sons à peine gémis, que des frottements à peine effleurés. Nuit lourde de cet :« à peine ». Comme cette main qui dort sur mon sexe d'enfant. A peine. A peine sacré dans cette cérémonie célébrée, entre la terreur et l'extase. Lente descente du sacrement dans la nuit. Dans la peur. Dans les morsures. Nuit des goules et des ombres et des loups hurlants. Ventre chaud qui danse légèrement. Et sa main qui se pose sur ma main. Et sa main qui entre dans le corps de son ventre. Et sa main qui tremble sur ses propres chairs. Sa main qui presse ses seins comme si elle donnait du lait à la nuit. Et son ventre qui se creuse de longs soupirs, comme une mer qui danse et qui rend son eau sur le bord d'une plage dévastée. Lent cheminement de la mort et de l'extase. Du sublime et de l'horreur. Jusqu'à la crispation. Jusqu'aux derniers soubresauts. Les cuisses qui se serrent. Ma main prisonnière des chairs brûlantes et poisseuses. Et ce soupir si long, quand elle se retourne et s'éloigne. Rattrapée par son sommeil. Juste ma main posée sur ses fesses. Juste la douceur de cette peau. Juste la douleur d'un mal qui grandit lentement. Juste l'oubli, après. Juste le désespoir.
Nous sommes restés trois mois dans cette chambre. Jusqu'aux vacances de Pâques. Il a fallut qu'on la libère, la saison commençait. Nous nous sommes installés dans l'annexe. La chambre était plus grande, pas chauffée, et il y avait deux lits.
Nous avons vécu trois mois dans ce silence mort et cet oubli. Trois mois de cérémonies. Et une nuit de sacre mortel. Noces impures. Sans voile, sans couronne, simplement la moiteur. La torpeur qui me prend tout le corps. Encore maintenant. Comme si je devais traverser une brume brûlante. Et la stridence...
C'était l'hiver. Nous étions chambre 3. Celle qui se trouve à droite au bout du couloir. Celle qui donne sur le grand tilleul de la cour. La chambre 3, la même chambre où elle agonisera et mourra neuf ans plus tard. La même chambre. Le même lit. La même chaleur. Et la mort entre nous. Depuis toujours, entre nous. Chambre 3, où neuf ans plus tard, une vie plus tard, l'hiver, je regarderai la neige tomber, lente et lourde. Et son souffle rare, rauque couvrir le bruit de la rivière qui saute par-dessus l'écluse. Chambre 3, où elle dira dans ses derniers souffles son « pardonne-moi... » énigmatique...Chambre 3, il y avait un lit, une table, des chaises. Deux. Un lavabo, un bidet. Et la mort cachée dans l'ombre.
Franck

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22 novembre 2009

Où......

« Où vas-tu ? »

« Droit devant, je vais droit devant. »

 

« Devant n'est qu'une illusion. Devant n'existe pas. Il n'y a que l'ailleurs qui existe. Et l'ailleurs c'est l'exil. Une géographie déboussolée. C'est le lieu de l'écriture. Un lieu démembré. Traversé d'un temps à rebours. Incertain. L'ailleurs se définit par sa résistance à l'ici. Et par le départ, et par la débâcle qui s'en suit. Il faut se presser de se mettre en route, sinon on ne part jamais. Devant n'existe pas. Nulle part est ton pays.
Et si tu écris tu n'auras ni lieu, ni maison, ni saison. Si tu as cette honnêteté folle d'écrire avec les yeux désorbité de l'enfance. »

 

« Où vas-tu ? »
« Je vais m'allonger un instant sur ma tombe. »

 

« Prends garde aux théologies du bonheur. Vas ailleurs. Seul. L'ailleurs est toujours le lieu de la séparation, de l'abandon. Bienheureuse déréliction.

Pleurer dans l'océan est la seule distraction sensuelle, comme écrire avec la semence des saints.

Regarde derrière toi. L'origine est un abîme. Plus loin il y a une passerelle. Elle s'appelle l'extase. Non, elle s'appelle l'écriture, ou la mort c'est pareil... »

Franck.

21 novembre 2009

La pierre.....

Je sais que c'est là, maintenant, qu'il faut que je m'arc-boute à l'écriture, que j'y applique mon corps tout entier, comme pour soutenir une falaise. Ou la faire sortir de ma poitrine.
Je sais que c'est là, maintenant que commence le temps de la pierre.
Le geste réclame la résistance. La rugosité. Se défaire de l'orgueil et de la prétention.
La pierre dans son silence immobile dicte sa leçon.
Briser le premier élan sur la roche. Et revenir, plus lentement. Être défait de cet élan du début. Le premier lait, tout en promesse, mais qui ne tient pas au corps.
Revenir au geste pur. L'épuiser de ce qui le déborde.

Faire monter dans le ventre, dans la poitrine, chaque mot, un à un, et les poser sur la pierre pour en éprouver, l'audace, le sens et la couleur. Et refaire, sans cesse. Sans exaltation.
D'abord trouver sa place dans le mot, au lieu de lui faire jouer un rôle.
Il n'y aura pas de réponse. Il n'y a jamais de réponse. Aurais-je le courage de maintenir la question ? Sans faiblir. Sans dévier. Et accueillir la trajectoire nouvelle, et le mouvement, que cette tension sans conflit fera naître.
C'est le temps de la pierre. Je la pose au centre de mon grand champ de neige. Et la forme du texte doit naître de cette absence de forme. Le mouvement juste sera sa propre fin, sont propre accomplissement.
Le sens est une question secondaire. Au mieux il est un surcroît. Le sens s'oppose aux rythmes, aux couleurs, à toutes les sensualités furtives et surgissantes qu'un geste dénudé d'intention préalable inspire ou provoque. Désarmer les forces pour leur rendre leurs puissances initiales. Préférer l'étonnement à la surprise. Le texte doit être traversé d'une forme simple et pure.  Une ligne, un cercle, l'arabesque du vent. Faire son profit du vol des oiseaux ou de la ligne d'horizon. Observer longuement, la montagne, l'arbre, la fleur, le printemps. Le texte n'est qu'un échange. Ce n'est pas moi qui évoque l'arbre, mais l'arbre en moi qui parle. J'ai un océan en moi, sa voix est bien plus intéressante que toutes mes raisons ou déraison. Si tu veux tracer un cercle, regarde la vague et son mouvement, regarde-la se creuser, se rétracter, regarde-la aspirer l'air et déployer sa puissance dans ce mouvement d'enroulement. Inspiration, expiration. Respiration du cercle. Ligne pénétrée d'un souffle. Et l'océan recommence indéfiniment, comme pour parfaire sa nature d'océan.
Il y a dans la constance un défi serein fait à la mort.
Il y a dans l'effacement de soi une renaissance possible.
Il y a dans la prière assez d'abandon pour faire jaillir une source.
Il y a dans l'amour tous les printemps et leurs cerisiers en fleurs.
Il y a dans la solitude une humanité à sauver.

 

 

 

Il y a dans cette pierre la patience d'une étoile.
Et la bonté fervente d'un silence.

Franck

14 novembre 2009

Plus loin sur la lande...

Ecrire, c’est toujours dire la fin du monde, c’est mettre le passé comme horizon, mettre la mort à sa table et la disparition dans chaque temps du souffle. Ecrire c’est finir, c’est toujours finir, avec assez de joie pour recommencer, inlassablement, dire la fin avant la fin, dire l’insoutenable avec assez d’espoir. Déployer son regard sur la lande, sans frayeur, regarder le désert de la lande, et des brumes, et du vent, et du froid, et aller, aller sans cesse plus loin, plus au froid, plus au vent, toujours plus vivant.

Franck.

7 novembre 2009

Accomplir la défaite.....

L'inaccompli se prolonge indéfiniment. Dans une tension singulière. L'inaccompli du texte. L'inaccompli de l'amour. L'inaccompli est la marque. Notre sceau. Le poinçon qui perce nos chairs jusqu'aux os. L'inaccompli comme l'empreinte de l'éternité. Le sans fin chutera toujours. Et nous porterons le deuil de l'infini. Nos cercueils brillent haut dans le ciel. Et nous applaudissons au spectacle frémissant. Et le texte se déploie dans un espace de tragédie. Le temps nous attend au détour d'un baiser. Comme une vague scélérate. Le texte s'aggrave dans sa chute. Le renouveau, renouvèle toujours la fin. L'inaccompli. La blessure.

Il n'y a pas de sagesse, simplement un désespoir qui se renie. Chaque jour j'avance et je m'éloigne. En même temps. Chaque geste, chaque pensée, est imprégné par cette plaie, ce suintement de vie. Ce double mouvement impossible. Incompréhensible. Et le texte s'effondre, là, dans cet espace de misère. Le sans fond de cette misère.

De tout temps nous sommes séparés. Inachevable. Il manque toujours un morceau à l'histoire. Il manque toujours de la chair sur l'os. Il manque toujours un baiser à l'amour. Il manque toujours un jour à l'éternité.

Et vivre, c'est être dans le décalage, la non-coïncidence. Et écrire c'est prolonger cet espacement. C'est l'agrandir. C'est l'aggraver. Jusqu'à l'impossibilité de vivre. Il y a une tension singulière dans cet espacement. Comme ce tonnerre qui tarde à venir après l'éclair. L'espace, après l'éclair, est le lieu du langage. Dans cette synchronicité défaillante, perpétuellement défaillante, la parole trouve son chant. Dans cette tension du vide, dans cette brûlure du rien. Dans cet insupportable.

Je vis dans l'attente folle du tonnerre, et cette suspension me laisse sans signification.

Nous vivons des approximations. Tout se tient, mais rien n'est jointif dans nos vies.

Nous faisons des détours. Ecrire est le plus sacré de ces détours, mais c'est quand même un détour. Nous arriverons à Samarcande le jour venu, pour le sacre de l'inaccompli. Ecrire c'est danser sur ses propres ruines. C'est accomplir la défaite.

 

Franck

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5 novembre 2009

Une hémoragie....

Il y a dans l’amour la simplification d’une prière, un silence engourdi, un vertige immobile, comme un deuil lancinant, le sacrifice accablant d’un être inconnu en soi. Une mort sans mort d’une immense fatigue. Il y a dans l’amour, à l’ombre des fulgurances, la lenteur d’une fatalité.

 

 

 

Il y a dans l’amour l’instant du froid. L’hiver. Et l’arbre aux fruits se glace, se fige. Et le dénuement recouvre lentement la nudité. Il y a dans l’amour un point sans retour, sans arrivée, sans lieu…un point lourd, inhabitable, écrasant. La chair durcit, c’est l’hiver des caresses, les baisers sont cassants, et la tendresse est un givre blanc sur nos entrailles pantelantes.

 

 

 

Au cœur de la grâce gît le poids des fautes, c’est ce qui lui donne sa densité et cet éclat incomparable.

Apprendre le silence. Le chemin le plus droit de l’amour. Le sentier droit et fleuri de l’amour.

Les mots ne disent rien, c’est pour cela que nous écrivons, pour être dans ce dépouillement de la langue, plus loin que le dépouillement de la chair.

 

 

 

L’amour qui brûle nous jette dans l’urgence, exige des réponses sans poser de questions. Des bûches en offrande aux flammes. La mort rode toujours près des amants flamboyants. Elle attend son heure dans la lenteur des temps.

 

 

 

L’amour qui brûle est sans issue. Des cendres, des cendres dans bouche, dans le creux des mains. Des cendres dans le regard. De grandes plaines de cendres grises. Poussière de temps. La promesse est une porte ouverte sur l’enfer. L’amour qui brûle n’a plus de temps. Il brûle, c’est tout. Vivant, plus que vivant. Et les cendres. Mort, plus que mort.

 

 

 

Sang contre sang. Douleur contre douleur, même pour la fin nous avons tout additionné. Une autre façon d’aimer encore plus fort. L’au-delà a ses sentiers creux. Les chemins de croix sacrent aussi le printemps et l’amour.

 

 

 

L’amour qui brûle défie les dieux.

L’amour à vif ne laisse pas de souvenirs. Seulement des trous dans l’âme, des espaces d’où s’échappent des torrents de lumières. Une hémorragie.

 

Franck

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