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J'irai marcher par-delà les nuages
31 juillet 2013

Une marée à l'envers...

L’écriture ne tient que dans le renoncement à la littérature. Que dans le constat toujours renouvelé, que nous sommes à la fin d’un monde.
Le corps n’est plus le lieu de passage de la langue, les chairs ne tremblent plus d’une ferveur sacrée. Le corps qui fut le lieu de la mémoire, n’est aujourd’hui que le lieu des records…
Ecrire suppose une ignorance définitive et absolue ; la non espérance en un devenir littéraire.
Ecrire est un geste déjà advenu. C’est parler une langue morte. Ecrire, c’est maintenir le geste qui en se dévoilant, défait la langue même dans laquelle il prétend se déployer. Une marée à l’envers, où la mer ravale une à une ses vagues, découvrant un vide toujours plus grand….
Saturne dévorant ses enfants.

Franck.

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21 juillet 2013

La chair et le corps.....

L’âme n’est qu’une chair défaite. L’écriture n’est qu’une chair défaite. L’amour est le brasier dans lequel se consume cette défaite. Là se tient toute l’équation. Une équation où tous les termes sont inconnus. Une équation qui ne sera jamais résolue. Le corps est le lieu muet et constant de nos énigmes.
L’écriture épuise le corps.
L’amour épuise le corps.
L’âme est un corps déjà mort et ressuscité.
Nos pensées ne dépassent jamais les contours de notre corps.
Nos rêveries ne sont que de la chair en déroute.

Franck

 

« Car un cheval s’affaiblit beaucoup plus facilement qu’un homme, bien que la différence entre leur ancienne et leur nouvelle condition soit incomparablement moins grande que dans le cas des hommes. On a souvent l’impression – et il en est probablement ainsi – que l’homme a émergé du règne animal, qu’il est devenu un homme, c’est-à-dire une créature capable d’inventer des choses comme nos îles(1) avec toute l’invraisemblance que comporte leur vie, justement parce qu’il était plus endurant sur le plan physique que n’importe quel animal. Ce n’est pas la main qui a fait d’un singe un homme, ce n’est pas un embryon de cerveau et ce n’est pas non plus l’âme : il y a des chiens et des ours qui agissent plus intelligemment et de manière plus morale que l’homme. Et ce n’est pas non plus parce qu’il a maîtrisé la force du feu : tout cela est arrivé bien après que se fut réalisé la condition essentielle de sa transformation. A une époque, dans des conditions semblables pour tous, l’homme s’est révélé le plus solide, le plus endurant sur le plan physique, de tous les animaux….
Un cheval ne tient même pas un mois d’hiver ici, exposé au froid de l’écurie et soumis à un travail pénible et prolongé en plein gel. A moins que ce soit un cheval iakoute. D’ailleurs, on ne les fait pas travailler ceux-là. Il est vrai qu’on ne les nourrit pas non plus. L’hiver, comme les rennes, ils creusent la neige de leurs sabots pour mettre à nu l’herbe desséchée de l’année précédente. Quant à l’homme, il survit. Peut-être vit d’espoir ? Pourtant il n’y a aucun espoir. Si ce n’est pas un imbécile, il ne peut pas vivre d’espoir. Voilà pourquoi il y a tant de suicides. L’instinct de conservation, le fait s’accrocher à la vie et de s’y accrocher justement sur le plan physique – cet instinct auquel est également subordonnée sa conscience -, voilà ce qui le sauve. Il vit de ce qui fait vivre la pierre, le bois, l’oiseau et le chien. Mais il s’accroche à la vie. Et il est plus endurant que tous les animaux. »

Varlam CHALAMOV : Récits de la Kolyma (p129)

(1)Il s’agit des camps, des îles de « l’archipel du Goulag »

20 juillet 2013

Le corps de l'autre aimé....

Je ne sais plus où j’ai lu cela, l’ai-je lu vraiment ; la chair que nous avons aimée habite à jamais notre corps.
Cela ne ressemble pas à des souvenirs, cela touche une mémoire plus profonde, plus archaïque. Cela touche au sang, à la respiration. On ne sait pas dire cette chose, les mots de notre conscience vive se dérobent. La chair en nous de l’autre aimé est une ombre silencieuse qui accompagne notre regard, parfois notre joie, souvent notre tristesse.

Nous sommes faits de temps dévastés, comme une aurore qui se lèverait sur le champ des combats enfin terminés, avec ces dépouilles, cette apocalypse, ces vols d’oiseaux noirs, ces gémissements. Nous sommes des survivants hagards, errants dans les silences d’une mémoire incompréhensible, buttant sur les traces, les restes, les ombres, qui hanterons jusqu’à la fin nos nuits.

Seuls les mots de l’écriture effleurent, en nous, ce corps de l’autre aimé. L’écriture, et le corps de l’amour sont de la même espèce, de la même terre, faits d’absence, d’oubli, de surgissement.

Nous avons en nous, au moment où nous venons au monde, un livre déjà écrit dans nos chairs, vivre c’est tenter de le décrypter, écrire c’est en continuer le récit.
Ce livre ne raconte pas notre vie (rien ne peut la dire), il nous dit les temps passés et à venir, les ombres, les peurs, la nuit, il nous dit toutes nos défaites, nos prières, et encore la nuit, il nous dit tout ce que notre langue n’ose pas prononcer.
Le corps de l’autre aimé est là.
Plus vivant que nous, sans doute ; présence brûlante, palpitante, parfois brutale comme la foudre.

Les souvenirs ne disent rien, ils sont comme les écorces abandonnées d’une forêt impénétrable, nous n’avons que ce récit ancien, ce livre et ce corps, modelé dans une trop vieille parole.

Franck

13 juillet 2013

L'hiver des sillons....

Toujours ce qui fascine c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement. Ecrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. La forme produit du sens, le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Et ainsi, de sillon en sillon, toujours le même et à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. Et la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait. Le goût du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croûte de la terre pour en faire apparaître la mie. Et chaque sillon est l'histoire d'une vie. Et chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts. Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure et de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa peine, car il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coup. Le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte et pain. Et la forme du champ appelle la veillée, et les ombres, et le silence du repas partagé. Et le pain a la couleur de la terre. Et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Et elle porte une croissance qui la dépasse et qui l'anoblit.

Ce champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Et le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, et par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.

Les champs de blé nous émeuvent parce qu'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retourné cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons. Ce qui nous plait dans le balancement des épis c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ c'est le souvenir de cette terre nue et noire, cette terre hachurée, éraflée. Ce qui nous saisi dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots. Des contre temps, dans le temps des saisons. Ce goût de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.

L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

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