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J'irai marcher par-delà les nuages
30 novembre 2013

Ce soir à la bougie.... (Nocturne)

Il y a dans cette flamme de bougie quelque chose qui souffre. De l'infime qui souffre. Tout ce qu'il y a de pauvre sur terre se rassemble et se reconnaît dans cet étirement du feu, dans cette hésitation verticale. La chandelle dit l'infinie solitude et le dénuement, elle dit aussi la foi comme si celle-ci avait besoin d’une aile éphémère pour s'envoler. Le simple et le pauvre, marchent de concert, ainsi la chandelle qui offre ses ombres pour taire l'insupportable, et sa lumière pour clamer l'irréductible.
La flamme pauvre nous défait de nos rages, elle accompagne nos rémissions, et parfois elle sacre nos résurrections. Elle est une amie délicate qui nous apprend le silence, une amie généreuse qui écoute en dansant, une amie qui console parce qu'elle est attentive et qu’elle ne juge point. Un soleil à notre dimension, simplement du bleu, du jaune, un peu de rouge, du noir, du blanc. Soleil de l’accablé et du seul, elle berce, elle adouci, parfois elle chante, elle enveloppe d'une soie étrange notre rêverie épuisée.
Il y a dans cette flamme quelque chose qui rassemble nos morceaux éparpillés, qui maintient l'unité de notre désir, qui contient notre abandon. Il y a, là, un espace de temps et lumière qui nous protège de nous-même, de nos affaissements, de nos écroulements, c’est la vie suffisante, la vie tolérable, la vie tolérante. Là, les ombres deviennent conciliantes. Il y a dans cette chandelle quelque chose de digne, d'infiniment sérieux et sage ; une gravité dépossédée de sa lourdeur. Rouge. Etrange silence que celui du rouge de cette flamme solitaire. Etrange lumière vacillante, qui appelle en nous la mesure et la lenteur. Etrange puissance que cette fragilité tremblante.
Le temps de la flamme pauvre est toujours le temps des aveux, le temps des chandelles est un temps de soupirs, de respiration profonde, comme s'il s'agissait de faire remonter nos douleurs sur la mèche du cœur et de les consumer. Temps sombre et clair à la fois, temps de puissance désarmée, temps qui fabrique du temps. Comme si le temps du feu était un temps gagné, arraché au néant. Comme si précisément ce feu frissonnant, ne pouvait plus être brûlure, comme si sa vocation ultime était la caresse et le murmure. Au coin des chandelles les larmes peuvent être douces, les chagrins pardonnables, les regrets légers. Il y a du sang dans cette lumière, c'est pourquoi on la sait vivante, il y a des chairs dans ses ombres, c'est pourquoi on la sait aimante. Il y a des lèvres et des peaux à aimer dans ce feu désolé ; dans ce singulier instant chancelant, comme si l'émotion trouvait enfin une issue, un devenir qui la dépasse et la bénit. Temps concentré, temps rassemblé. Lumière pour les corps nus, et les effleurements, lumière des baisers indécents, couleur rouge comme les chairs qui s'offrent, ou comme la gorge des volcans.
Au creux des bougies qui éclairent, l'ivresse disparaît et la folie s'efface, car c'est le temps des premières ou dernières vérités, et même au-delà des vérités, car si les vérités simples ont besoin du soleil pour se dire, les vérités primordiales ne se délivrent que dans cette presque lumière, dans ces presque ombres, dans cette presque nuit.
Les âmes de la chandelle sont des âmes errantes, elles ont perdu leurs corps et cherchent un point d'appui pour porter leur voyage, comme des navires effarés  qui chercheraient une île pour faire enfin escale. Parce que plus qu'une flamme elle est un lieu, parce que plus qu’un lieu, elle est un séjour, parce que plus qu’un séjour  elle est un refuge, parce que plus qu’un refuge, elle est un royaume. On y naît, on y meurt, mais y vit-on vraiment ? Est-ce un temps réel ? Ou le simple raccourci de nos destins inquiétés ? Ou le simple squelette de nos chimères démantelées ?
Quelque chose habite cette lumière, quelque chose soupir dans sa danse, est-ce une plainte ? Est-ce un gémissement ? Est-ce que mon âme appelle ce soir à la bougie ? Ou n'est-ce qu'un songe, ce songe lancinant qui traverse mes veines et ma chair, un songe toujours exténué ?
Oui, quelqu'un habite ici, au cœur de cette flamme, quelqu'un qui me connaît mieux que je ne le connais, quelqu'un qui me regarde, qui parle dans ma voix et qui choisit mes mots.
Il y a dans ces petites flammes le chant d'une présence. Du vivant qui exige, des visages qui implorent, il y a des mains qui se joignent, comme si l'humanité avait besoin d'opposer aux enfers ce simple feu humain.

La lueur des bougies, comme celle des cierges, éclaire en nous ces endroits oubliés, ceux qu'on a délaissés, cette part de nous-même qu'on ne visite plus, nos jachères, nos ronciers, elle préside à l'office de nos noces intimes et nocturnes, comme un fuseau ardent qui déroule le rêve, et tisse entre nos larmes un voile charitable, et console, et soulage, et apaise, et apaise, et apaise...Ce soir, j'ai vu dans cette flamme un doigt incandescent qui me montrait les cieux....

Franck

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24 novembre 2013

La vague...encore...toujours... (sonate)

Parce que la vague est un envoûtement. Sa puissance vient de loin. D'ailleurs. D'un autre temps. Elle a commencée bien avant notre regard, comme la lumière des étoiles. Comme un long écho du temps. Les vagues naissent d'un endroit secret de l'océan. Nul n'en sait le lieu. Tous le redoutent. C'est un lieu de puissance et d'effondrement. C'est un lieu de la mer qui invente les naufrages. Là, au centre de ce lieu, il a un point, un point minuscule, si petit, qu'il n'a pas d'espace, pas d’épaisseur, pas de poids, c'est sans doute un point d'orgue, on sait qu'il existe, mais nul ne l'a vu, et nul ne pourra jamais le voir, c'est là que naissent les vagues. Toutes les vagues. Elles naissent d'une inquiétude de la terre, et d'une résonance, d’une sorte de vibration, elles naissent d'un murmure des dieux, elles naissent d'un désenchantement, d'une affliction, comme ces mères qui accouchent, et au moment de l'apparition de l'enfant hésitent entre la joie et le désespoir.
Il y a dans la naissance des vagues comme un haussement d'épaule de l'océan. A peine. Mais suffisant, comme un désintérêt, une sorte de dédain ou d'indifférence, comme si l'océan était déçu par les rêves de l'humanité, comme s'il s'en retournait chez lui au centre des abîmes, et que le haussement d'épaule, ce tremblement de colère rentrée, fasse naître les vagues. Un long frissonnement venu des âges de l'univers. Dans l'envoûtement de la vague il y a cette mémoire douloureuse et cette oscillation, cet ébranlement des eaux du dédain, et le rappel incessant de notre indigence, cette espèce d'absence, cette perpétuelle défaillance.
L'écriture de l'eau qui roule tente de reprendre le mouvement d'avant, celui dont on vient, celui qui nous précède toujours. Reprendre la main sur le tangage des rêves et la vacillation de la raison. Comme la danse du chamane, comme s'il s'agissait de rappeler à soi les forces premières, celles du sang ancestral, de retrouver le pur, le non corrompu. L'inaltérable. Appeler la démence et l'ivresse du balancement, les faire rentrer sous sa peau, les faire glisser le long des os, tendre ses viscères à ce brassement monotone jusqu'à l'écœurement, jusqu'au vomissement. C'est l'écriture de la mémoire et de l'oubli, de l'amour impossible, et de la mort trop lente et trop loin, et pourtant si présente, c'est une écriture qui s'aveugle sur l'horizon, et qui tremble, et qui s'essouffle. L'écriture de la mer ce n'est pas l'écriture du voyage, elle n'a pas cette tension secrète et sourde, ce n'est pas l'écriture de l'ailleurs, du partir, du lointain, elle a trop de retour dans sa langue, trop de langueur dans sa perte, trop de folie dans son ignorance. L'écriture de la mer ne porte pas l'espérance, elle n'est pas la bouteille qui contient le message, elle n'est qu'une vague. Que la vague. Une et innombrable. Elle n'est qu'une eau dans l'agitation de son errance, elle n'est qu'elle-même, dans cet au-delà d'elle-même. Elle n'est que simple extension de la clarté. Expansion de l'abandon. Elle n'est que son instant dilaté, sans autre volonté que de l'être pleinement. Infiniment perdue, infiniment retrouvée. Elle se contient, elle se résiste, et si elle ploie parfois, si on l'entend se briser, c'est pour mieux se recomposer, mieux se concentrer. Aller de l'éclat du mot à l'esquille de la parole. Aller de l'identique défait de l'habitude, à l'identique enveloppé de sa propre recomposition. Embrun paradoxale de l'infime et de l'immense. Paradoxe de la plénitude et du doute. De la dérive.
Il y a dans l'écriture de la vague une sauvagerie insoupçonnée, née des profondeurs immobiles qu'elle recouvre, et de cet entêtement à ne signifier rien d'autre que le mouvement, que la présence. Une présence débarrassée de l'ombre, car elle est l'égale du soleil. Elle porte sa propre lumière, c'est ce qui la rend si étrange. Si envoûtante. Et le soleil si révérencieux à son égard.
Il y a sur le bord de la vague un rire d'enfant, ou un rayon de lune, c'est ce qui la blanchit et lui donne la force d'aller au bout de son enroulement, d'aller au bout de son outrance dans la profusion du verbe, et dans cette démesure lancinante.
Le soleil dit : « Je suis... ». La Mer dit : « Je consens... ». Et la vague murmure : « Je m'efforce.... Comme la graine et la fleur, je m'efforce... ! Comme l'arbre, je m'efforce ! »
Que pourrais-je dire, moi l'insolent, moi le piètre, moi le vivant fragile ? Que pourrais-je dire, sinon,  «  je m'efforce… ! »
Dans l'écriture de l’eau je m'efforce, comme dans une prière inlassable débarrassée de ses faux dieux. Une prière sans adresse, sans retour, comme le rire franc d'un enfant qui perce la lumière....

 

Franck.

23 novembre 2013

Aller au bout de la jetée...

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile, les grands événements sont si rares, et Il y a tant d'heures oubliées, vaines, tant de gestes ternes, inconsistants. Un immense gruyère où ne subsisteraient que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Et toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d'eux-mêmes. Chaque heure se tisse dans la banalité, l'imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte et le manque et l'infinie tristesse des flots qui s'écoulent.

Car ce qui composent nos vies, c'est le malentendu, c'est l'espérance désenchantée, c'est tous ces cul de sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées, c'est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n'a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible, et au bout, à se lamenter, ou à se taire. Et continuer.

Et pourtant c'est là, au cœur cette piètre et médiocre tragédie, c'est là, dans notre dénuement et notre déficience, dans cette langueur, là, au point d'orgue de notre irrésolution, que l'écriture déploie sa palette la plus tremblante. Car l'écriture nous vient d'abord d'un creux, d'une insuffisance et de l'hémorragie qui s'en suit, d'une rareté, d'un déficit. Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l'être en nous, s'abandonne et se perd. Elle vient de notre marche sur la jetée, quand celle-ci s'arrête et que l'océan est ici, devant, démesuré,  terrifiant, et que tout en nous se projette vers l'infini. L'écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l'immense. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche. Pour écrire il ne faut rien, puisque l'écriture vient de là, de ce plus rien. Et qu'elle y retournera. Il ne faut rien, sinon se quitter.

L'essentiel de nos vies se construit à l'insu de nos envies, à l'insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Alors accepter la faille comme l'unique possible. La faille qui recueille l'encre, l'encre des mots de l'écriture. La faille qui nous nomme, qui nous désigne. Interminablement. La faille comme dernière exigence, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges.
Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l'agonie de nos jours, affronter à chaque texte l'effrayante nécessité de disparaître. A chaque fois plus loin. A chaque fois plus profond. A chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu'aux dernières chairs. Jusqu'au dernier sang. Car l'écriture, c'est bien déterrer des ciels vacillants d'étoiles en réveillant les gisants. Est-ce bien ce creusement de l'ombre ?

Et toujours cette lente avancée sur le fil, comme une entrée dans la cathédrale : de l'arche à l'autel, du soleil au fanal, et tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l'aube, des secrets au Mystère. Et accepter l'envoûtement. Et l'appeler. Messes noires pour noces blanches. Toujours. Toujours. Et infiniment recommencer, jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de nous. Est-ce bien cela ? Est-ce bien cette folie ? Est-ce bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite, se cambrent une dernière fois, face néant ? Est-ce cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ?
Rien.
N'avoir rien, que sa langue, que des mots, qu'une musique. Rien d'autre. Et avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières,  pour pouvoir les déborder, les excéder. Est-ce bien cela ? Dites-moi que c'est bien cela ! Car sinon il faudra que je brûle chaque mot prononcé, chaque mot écrit ; il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien. Si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j'aie la force de m'y clouer ! Si la pauvreté de nos vies n'est pas assez cher payée le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte et incendier jusqu'à nos plus intimes paroles ! Si consentir n'est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs !
Puisque pour signifier, j'ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j'ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasier à tous les seins, et dormi sur tous les ventres,  caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j'aurais pu être roi, puisque j'ai tenu des étoiles au creux de mes mains, puisque j'ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, toutes les reniements, puisque j'ai été courageux et veule, puisque de tout cela il n'en reste que les cendres que le vent demain effacera. Et qu'au bout de tout cela, rien, rien ne fut signifié. 
Alors...
Alors, en attendant la révélation, le dévoilement des limbes, il faut bien continuer à arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole,  à élargir la faille, et à esquisser des pas de danse sur le fil tendu, il faut bien risquer l'équilibre pour tenter de le trouver, il faut bien écrire, puisque c'est seulement cela qu’il nous reste, puisque c'est la seule dignité possible avant la prière, puisque je n'ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n'ai qu'une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche.
Alors...
Alors, il ne me reste que l'incendie des mots, la brûlure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Et me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l'endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile. Et le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l'instant du mot. Alors il faudra rassembler toutes les forces de l'amour. Aller au bout de la jetée et tenter une fois encore le saut dans l'immense. Au plus nu. Au plus près de l'étoile. Ecrire !

 

Franck.

20 novembre 2013

Sur le bord de l'écume....

Car il me faudra toujours revenir aux mouvements des marées, sur cette eau qui m'habite. Sur l'océan qui s'agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sont sans fin. Comme l'errance. Et l'impossibilité de l'île, de l'oasis, du repos. D'une rémission. L'impossibilité du soulagement. Etre enfermé dans l'ouvert. C'est sans doute cela la béance. Cet inachevable qui gît en nous. Cet immense toujours trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive. Et chaque vague qui entraîne un désordre nouveau, insupportable, invivable et pourtant vécu dix fois, cent fois, mille fois. Et au bout un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspens. Lisse. Interminable horizon. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l'existence, aux grands vents des tempêtes. Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l'orfèvre qui taillerait l'endroit impur de la pierre, qui l'userait au point du péché, du manque, de l’oubli. Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, avec ces carcasses éventrées, tous ces restes d'engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et des algues géantes qui viennent agripper chaque souvenir. L'écriture s'éloigne de moi comme un radeau à la dérive, comme un tronc mort, flottant, gorgé de sel et de désespoir, saturé de vagabondage. Un tronc qui n'a plus rien de l'arbre qu'il fut, ni racines, ni floraisons. Il reste le balancement ininterrompu, le tangage. L'absence. La dérive. L'infini dérive. Les grands troncs flottants ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l'humus, des odeurs, des couleurs,  ils sont vidés de leur sève, vidés de leur temps et de leur verticalité. Longues baleines rétrécies. Raidies. Squelettes paralysés, pétrifiés. Où chaque mot devient cassant, friable - murmure inaudible. Seulement le mouvement. L'oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d'écumes, comme les dernières convulsions. Ecriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine.

Les eaux des mots s'affaissent, fléchissent toujours plus bas. Les mots s'enroulement dans leurs formes, sac et ressac des réminiscences. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière, de leur chant. L'incantation devient une longue litanie, dans le dénombrement des heures, et l’inventaire sordide, interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l'ombre, qui l'enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d'une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s'effacent, filigranes qui s'insinuent entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l'intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement. Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance à effacer le temps. Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l'impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses car elles enfantent encore des hasards ou quelques sortilèges. Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l'horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s'enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l'indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours. Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier. Il y a dans le mouvement des eaux l'étrange prémonition de l'anéantissement. Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d'insignifiance, d'inconsistance, d’usure. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l'espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d'amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l'océan, et c'est une joie trouble que d'aller l'arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d'orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d'arbre vaincu aux rivages des vivants. Il flotte tout au bout de mes marées l'éclat d'une chandelle farouche et fière, la part indomptée d’une bête sauvage, le galop sourd d'une horde primitive invincible. Et dans l'infime qui persiste, j’ai assez de couleurs pour embellir un ciel entier, et dans mes dernières écumes, il reste encore l'offrande et l'abandon, et le saisissement.

Il y a dans mes eaux qui montent l'instinct de la prière et du renoncement, et dans l'ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde, cette empreinte brillante, fugitive, murmurante, qui lie les eaux aux cieux, comme des étoiles filantes qui surgiraient des flots.

Franck

16 novembre 2013

Ce grand champ de neige...

Recherche du lieu. Géographie impossible. Cartographie de nos vies, de nos actes. Impossible chemin qui s'enroule en forme de destin. Impossible traversée du sens. Besoin de nommer, de dire ce qui n'a pas de nom, ce qui n'a jamais été dit. Relevé cadastral dans le champ vacant des rêves, des désirs, du temps qui se déploie. Resituer les mots dans un espace, une localisation. Il faut les ancrer dans la chair vivante. Encrer le désossement de la parole.
Jamais rien n'est dit. Il faut s'en convaincre. Puisque la vérité se trouve dans l'entre-mot, dans l'entre-texte, dans cet élan de nous qui nous échappe et qui pourtant nous révèle. Sans nous. Dans notre absence même. Qui nous condense.
Qui nous recouvre. Linceul de la langue.
Hors-lieu qui s'agrippe aux parois vertigineuses de la mémoire.
Frottements des lieux impossibles sur l'arrête d'un temps impossible. La déchirure c'est le premier lieu, grand vortex pour cette traversée impossible.
Impossible comme l'ultime forme de notre devenir. Notre dé-présence. Notre dé-naissance.

Quand il n'y a plus rien il reste le mouvement. Le seul mouvement. L'invisible mouvement. Comme la vague qui résume l'océan. Insaisissable vague que rien ne fixe. Qui est là, sans être là, qui est déjà ailleurs. Mouvement incessant de retour, de redéploiement. Déséquilibre du vivant à la recherche de son centre, de son lieu fictif. Centre de gravité. Gravité. Grave. Comme la pesanteur de la joie.
L'écriture dessine les contours de ma peau. En creux. Par défaut. Le vivant se révèle là, dans le silence. Un silence pochoir. Qui cache et révèle. Qui tait mais donne à entendre.
Oppositions des formes pochoir qui se répondent à l'inverse d'elles-mêmes. Là, dans la béance. Lieu suture, lieu coupure.

Ici il n'y a pas de vérité. Seulement une résonance. Le corps qui résonne avec la chair des mots. Avec le mouvement. Le balancement des vagues dans le corps. Lent. Comme un labour profond qui trace les dessins de la cicatrice. Un labour qui va chercher la terre d'en-bas. La terre maudite. La terre noire. Celle des moissons futures.

Jamais rien n'est dit. Hormis le mouvement, l'élan vers une forme qui nous échappe toujours.
Mes textes chuchotent entre eux. Ils se répondent dans un espace inconnu de moi. Textes. Sous-textes. L'espace de la déchirure. Lieu des métamorphoses. Les textes construisent une forme que je ne vois pas encore. Une matrice invisible. Forme pure du mouvement. Comme si les bords de l'infini s’agrandissaient, dévoilant des étendues nouvelles et des profondeurs étranges. Je ne peux que m'accrocher au mouvement, au seul rythme. Au brassage des eaux. A la scansion. A la stridence.
Sortir du ventre des mots, de leur chaleur, accoucher d'une autre respiration. Une autre chair. Et la déchirure, comme la forme pure de l'avènement.
Je suis sur la coupure. Juste là. A l'endroit où tous les mots ont été épuisé. Accepter cet épuisement. Consentir, à ce grand champ de neige, et aux cendres. Consentir à l'hémorragie. Lent cheminement du renouvellement. Marche vers l'aube. L'aube qui sacre la fin de l'épanchement de nuit. L'enfin, de la fin.
L'aurore arrache ses derniers lambeaux de nuit, sa parole vivante ouvre sur un nouveau baptême, l'alliance rayonnante de la lumière et du printemps, noce du jour et du consentement.
J'ai traversé ce grand champ de neige, ni vivant, ni mort... autre...
J'ai traversé ce grand champ de neige afin que s'épuise le passé.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour que chaque mort trouve sa place. Sa juste place.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour rejoindre la rive des vivants.
Innocent de rien, mais le pas plus pesant. Comme la joie : grave. J'ai devant moi un océan et cette lumière qui troue les vagues, et ce mouvement vers l'aurore calme, comme un premier matin.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour blanchir ma parole et pour pouvoir l'offrir lavée, nettoyée, purifiée.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour changer de saison.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour ouvrir la déchirure. Pour la bénir aussi. Et l'aimer, puisque c'est le sens de demain. Puisque c'est le seul endroit habitable. Puisque c'est mon lieu. Le lieu des résurrections. La déchirure comme seule naissance possible.
J'ai traversé ce grand champ de neige enfonçant mes mots jusqu'à la perte du sens, grelottant d'effroi, glissant d'un vide à l'autre.
J'ai traversé ce grand champ de neige pour voir fleurir un grand champ de blé, piqué de rouge par le frissonnement des coquelicots, bruissant de bleu par une source d'eau claire....
….quelle que soit l’histoire, nous  n’écrivons toujours qu’au présent.

Franck

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12 novembre 2013

Un corps si étroit...

Le plus souvent nous ne parlions pas. Il y avait comme un rituel des visites dans sa chambre. Nous nous succédions. Un par un. Il y avait la chaise à côté du lit, pour Simone ma grand-mère. Sa mère. La chaise des larmes sèches et des brûlures. Puis il y avait le fauteuil, pour l'autre grand-mère, Claire. Le fauteuil des histoires. Elle disait « Maman, racontez-moi une histoire.... » Elle appelait sa belle-mère « maman ». Ça se faisait, avant. Claire savait raconter les histoires. Une conteuse sans le savoir. Claire avait la voix haut-perchée et le rire éclatant. Et le sens de la dérision, comme celui de la fatalité. L'arthrose lui avait tordu toutes les articulations, les pieds, les genoux, les hanches, les doigts. Et puis elle avait Georges, comme si sa croix n'était pas assez lourde. Georges le fantasque, l'iconoclaste, Georges le poète des arbres et des animaux. Claire comptait plus sur sa canne, que sur Georges. Le fauteuil c'était mieux pour elle. Claire avait toujours une anecdote à raconter, dans une auberge il se passe toujours quelque chose. Toute l'humanité défile dans une auberge. Alors Claire racontait. Claire la faisait rire, cela déclenchait parfois des quintes de toux terribles. Elle ne riait jamais, sauf avec Claire. Les autres s'asseyaient sur le bord du lit. Elle ne tenait plus beaucoup de place dans ce grand lit. Elle ne froissait même plus les draps. Elle n'avait déjà plus de pesanteur dans ce monde. Il neigeait.

 Dehors il neigeait. Sans joie. L'effritement lent du ciel qui arracherait ses dernières peaux. Confettis de silences glacés. Presque trop lourds au regard. Noël approchait. Il neigeait. Dans sa chambre la chaleur était étouffante. Les carreaux étaient recouverts de condensation, comme un voile de petites perles opaques et tristes, comme des larmes. Parfois je passais ma main sur la vitre, je voyais la neige, et l'immense tilleul, j’entendais ses ronflements, les raclements de sa respiration, ses suffocations. Je sentais son regard sur moi, posé comme une ombre sur le reste de ma vie.

Le plus souvent nous ne parlions pas. Parler l'épuisait. Il fallait choisir les bonnes paroles. Ne pas se perdre dans les détails, revenir à l’essentiel, au silence. Les regards suffisaient. Sa main était posée sur le drap. Sa main. Ce qui reste d'une main, une fois que la chair, et le sang l'ont quitté. Ce qui reste d'os et de craquement. Avant, ses mains étaient magnifiques, fines, délicates, soignées, plus jeune elle avait été manucure, puis après esthéticienne. Alors les mains elle connaissait. L'entretient des ongles. Limage, ponçage, gommage. La petite navette de daim qui, enfant, me fascinait tant, et qu'elle utilisait pour faire briller les ongles. Le petit bâtonnet de bois, pour repousser les peaux, les pinces en tous genres. Les vernis, les couleurs, les odeurs. Elle s'appliquait sur chaque doigt, colorer, peindre sans déborder sur la lunule. Sa main était posée sur le drap. Et je n'osais pas la prendre. Elle semblait si fragile cette main, déjà si morte. Il fallait la pommader pour que les os ne crèvent pas la peau froissée, fripée, usée, avec ses  veines gorgées d'un sang trop noir, trop lent, trop brûlant. Tes pauvres mains maman. Qui ne savaient même plus prier, sinon être là, encore un peu.

Il neigeait. Et la neige en tombant recouvrait l'immense coupole chauve de l'immense tilleul. Et notre immense tristesse. Silencieuse. Tristesse de la mort blanche qui avance à pas mesuré, certaine de sa victoire, comme un lent traineau sur la neige. Cette mort qui avait déjà pris tes mains et ton visage. Sauf tes yeux maman. Sauf tes yeux. La mort à pas mesurés sur cette immensité blanche, ou chaque jour sa trace se faisait plus profonde comme des veines vidées de leur sang.

Pendant nos instants, je restais assis sur le lit à coté de toi. Et nous nous regardions, vidés de nos paroles, vidés de la langue qui aurait pu les dire. Il est des pays trop froids pour que les mots adviennent, il est des heures trop fragiles pour porter la voix. Alors il nous restait le regard dans lequel on serrait chaque seconde comme des fruits, qui auraient déjà donnés tous leurs jus. On était dans ce pays lisse et froid, sans borne, sans lendemain, sans attente. Sans rien. Lisse et froid, comme du métal glacé. Quand l'attente à déjà rendu l'âme. Il neigeait maman, cette neige que nous  mangions en silence à nous en faire casser les dents. En silence, puisque le pays de la chambre où nous étions, était inhabitable, indicible.

Parfois je t'aidais à t'assoir… mais tu ne tenais plus très longtemps dans cette position. Chaque articulation semblait se disloquer, j'en profitais pour redresser  tes oreillers, et ton corps se déposait à nouveau sur eux, sans les déformer tellement tu ne pesais plus. Et ta main d'os se posait sur ma figure. Tu la touchais comme pour la reconnaître une nouvelle fois, et je sentais les tremblements de ta vie, et je sentais les tremblements de la mienne, maman. Nous n'étions  plus rien,  que ces tremblements. Et ces soupirs à peine soufflés, dans ce temps arraché, calciné, dévasté. Car il fallait voler chaque seconde,  et à chaque seconde il fallait en gagner d'autres, il fallait en trouver d'autres pour avoir la force de trembler encore. Il neigeait, maman. Et la blancheur se dessinait sur ta peau comme en transparence, comme un appel, comme une destination. Tu étais ce vaste champ de neige au-delà de la mort. Et je voulais mourir de ta mort, aussi. Tu comprends, maman. Mourir avec toi, dans la blancheur de cette neige qui tombait comme un sacre.
Le plus souvent nous ne parlions pas. Tu voulais simplement que j'approche ma tête pour poser tes lèvres sur mon front. Tu voulais ma chaleur, et je prenais la tienne. Combien de fois nous avons fait ces gestes pour se dire sauvés, un instant seulement, de nos déchirements, de nos effondrements ? Ma tête bercée entre tes os, ma tête sur ta poitrine essoufflée et pantelante. Ma tête posée sur cette horreur sublime. Sur cette neige épuisée, qui n'en finit plus de tomber sur nos vies. Dans ce délabrement silencieux du ciel. Dans cette chambre surchauffée par la fièvre du temps dans ses ultimes bruissements.

Il neigeait, et dans le grincement du parquet on entendait les clameurs d'une autre rive, ou les foules vont en cortèges se perdre dans les champs d'asphodèles. Chaque regard était un froissement de plus, la pâleur des sourires disaient de long gémissements, ceux qui vont en glissant sur les étendues neigeuses, au-delà des fleuves, au-delà des déserts, bien après nos vies et nos lamentations, comme les longues supplications qui tombent dans l'oubli. Il neigeait et nous étions dans cette intimité silencieuse et brûlante à veiller sur nos morts inlassables, nos morts perdus dans chaque grain de lumière, dans chaque bouffée d'air qui te manquait de plus en plus. Respirer, une fois sur deux, une fois sur trois, une fois pour moi, respirer de temps en temps, de moins en moins souvent, jusqu'à très rarement, jusqu’à presque plus, jusqu'à ces instants où le feu de tes yeux vacillait, proche du noir, avant que ta respiration ne reparte, avec l'hésitation d'un animal traqué, effrayé,  blessé. Les étoiles, aussi, respirent mal, maman. Je le sais, la nuit, on les entend hurler, on entend leurs souffles rauques et  chuintant dans les cieux. Respire encore, maman... encore... encore une fois.
Il neigeait sous nos peaux, et derrière nos paupières,  il neigeait sur cet immense tilleul aux milliers de ramures noires, noires comme un immense poumon mort soufflant encore son dernier sang, et ce qui restait de vie dans ces instants du soir.
Il neigeait, pour adoucir la chute que fait l'âme en tombant au fond du corps. Il nous fallait aller à l'essentiel, au plus direct, bien après toutes les questions. Rassembler le tout de la vie, en des mots de rien, retrouver la pauvreté du langage et son humilité.
Tu aimais la lecture, parfois hachée, des poésies que je te lisais, ma voix chancelait légèrement, et tes yeux embrasait cette chambre, cette chambre allumée même le jour, et qui la nuit, éclairait l’immense tilleul, et la neige qui tombait.
« Pardonne-moi... pardonne-moi mon grand... » Ce sont les derniers mots que tu m'as adressé. J'ai serré l'os qui caressait ma joue comme le trésor le plus fragile qui puisse  exister.

Il faut porter le pardon des morts, comme nous portons celui des dieux. C'est lourd, et c'est plein de lumière à la fois. C'est lourd comme de  la neige qui tombe et qui au loin fait un bruit d'enfer.
Comme la neige qui tombait.... Qui tombait sans cesse.....dessinant dans la nuit, pour ton corps si étroit, un si grand escalier, qui montait... qui montait...comme la dernière prière que je n'ai pas su bien dire.... Tout là-haut... par-delà les nuages.... Derrière la nuit, cette si longue nuit. Il faut porter le pardon des morts. Le porter en silence sous les grands tilleuls, et le déposer sur la neige blanche pour que vienne le printemps.
Il neigeait et le printemps viendrait ensevelir ton silence….éternelle floraison pour bénir ton absence.

Franck.

3 novembre 2013

Conquérir l'âme du monde....

Car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le brûler. Pour l'accomplir en le brûlant.
La puissance n'est rien s'il n'y a pas l'abandon et l'abandon pure folie s'il n'y a pas l'offrande. L'amour véritable c'est peut-être cela, la puissance et l'offrande qui passent ensembles sous la même arche, la puissance qui s'exalte de sa disparition, saisie d'un trouble, d'une douleur sublime pour ouvrir le ciel, éclabousser la nuit.
Alors, il faut y aller d'une parole vraie et folle, d'une parole défaite. Défaite parce qu'en équilibre sur le fil coupant de l'âme, parce que sans cesse inachevée. Inachevable. Y aller d'une parole vraie parce qu'indéchiffrable, puisque qu'elle dit l'impossible de nos existences. La vérité n'est pas donnée, elle est un surcroît, ou un reste. Il faut user nos vies pour la faire apparaître. C'est pour cela qu'elle fait mal, c'est d'ailleurs comme ça que nous la reconnaissons, par la douleur.
La vérité du mot c'est le silence qui le suit, la vérité de l'amour c'est le silence qui le précède.
La vérité, et la folie pour atteindre une parcelle de pureté. Car la pureté ce n'est pas un état donné, une chose acquise pour l'éternité, la pureté ce n'est pas la blancheur naïve, la candeur intouchable, non, rien de tout cela. La pureté est douloureuse, parce qu'elle brûle, et que c'est une marche épuisante vers la dépossession, vers l'abandon ; la pureté c'est arracher de soi des lambeaux de mémoire, arracher la chair de ses souvenirs, c'est enflammer son sang, c'est être dans le jour et inventer la nuit, c'est être dans la nuit et accueillir chaque mot comme des lucioles, c'est savoir que les paroles du soir sont souvent encombrées et qu'il faut avant de s'en servir les blanchir dans un grand bain de silence, c'est savoir que les paroles du matin n'effacent jamais totalement la nuit parce que dans la rosée des mots on décèle toujours quelques chagrins inconsolés, c'est faire rentrer le soleil dans la maison de la langue et c'est jeter au vent des poèmes oubliés.
Alors il faut traverser la lumière à son endroit le plus fragile, là où les ombres laissent passer les anges, là où nous déposons nos prières, nos chagrins là où l'aube cache encore quelques astres égarés. Il faut chercher ces instants fugaces du jour où les lueurs s'accordent à nos cœurs, ces instants qui esquivent le temps qui passe, ces petits instants fragiles qui offrent un bout d'éternité à qui sait les voir, comme lorsque nous respirons une rose en fermant les yeux et en oubliant nos larmes ou en nous y abandonnant.
La vérité du mot c'est le silence qui le suit, la vérité de l'amour c'est le silence qui le précède. Car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le brûler. Pour l'accomplir en le brûlant.

Franck.

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