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J'irai marcher par-delà les nuages
12 mars 2017

-1- La langue du lait...

Écrire nous vient d’un premier langage, d’une première voix. Une voix insensée. Une folie de langage.

Il faut imaginer la scène. Il faut s’en souvenir surtout. Il y a la mère. Il y a le nouveau-né. Il faut imaginer qu’il n’y a rien d’autre autour. Il n’y a jamais rien ni personne autour lorsque la mère tend le sein à l’enfant. Lui il est blotti contre la chair de sa mère. La mère saisit son sein pour le guider vers la bouche de l’enfant. Les chairs se joignent. Au départ, il faut imaginer le silence, la pénombre, ce geste ancestral. Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle penche la tête vers l’enfant. Lui il est abandonné dans un vaisseau de chair, un bras de tendresse le soutient, sa bouche de désir est remplie de la chair blanche du sein. Il mange cette blancheur, cette douceur, cette tendresse. Il sent dans sa gorge la chaleur d’un lait éblouissant, inépuisable. Il ferme les yeux. Il se laisse envahir, inonder, submerger. À ce moment, tout reste suspendu dans un temps étrange, impossible.

Il faut se souvenir des yeux de la mère, de la lenteur de ses gestes, de l’infinie douceur. Elle semble être dans l’effarement d’un geste sacré, par instinct. Elle retrouve la pose ainsi que la lumière des piétas anciennes. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier. Elle habite cette folie somptueuse des mères aimantes, elle est aux confins d’elle-même, morte, brulante à la fois. C’est à ce moment-là, à ce moment précis, dans cet instant perdu, égaré, qu’elle commence à parler à l’enfant. Elle parle une langue inconnue, une langue incompréhensible, c’est la voix de l’amour pur. Des mots égarés dans le souffle, des mots inventés, des mots presque silencieux. Une langue blanchie par l’amour et le don. Langue de chair. Chair blanche contre langue blanche. La mère est là dans l’ivresse, l’abondance. Elle parle une langue venue de la mémoire des mères, une langue jamais apprise, pourtant toujours remémorée. C’est une langue de chair, et de sang, une langue blanchie par l’amour et la patience. C’est la langue du lait.

C’est la première langue que nous entendons. C’est la plus vraie puisqu’elle nous nourrit. C’est la plus vraie puisque nous la comprenons dans l’instant où nous l’entendons. Elle n’est qu’un murmure, qu’un simple souffle à peine audible, elle est pourtant tout l’univers lorsqu’elle nous parvient.

Après nous grandissons, après nous l’oublions. Grandir, d’ailleurs, c’est l’oublier.

Alors, on écrit pour célébrer cette mémoire défaillante.

Écrire, c’est tendre l’oreille au passé, c’est se souvenir de ce souffle sur le souffle, de cette chair sur la chair, de ce blanc sur le blanc. Écrire, c’est retrouver cette enfance éperdue, cette langue blanchie par l’amour, cette langue offerte avec la première nourriture.

C’est pour cela qu’écrire nous vient d’une faim, d’un manque effréné, et comblé par la langue et les mots. Écrire, c’est retourner à ce premier sang, à ce premier murmure, à ces premiers silences, à cette première folie.

Lorsque nous écrivons, c’est la trace de la voix de nos mères qui vient fasciner nos mots. La cadence du poème n’est que le bercement ancien d’une mère. La lumière des mots n’est que l’éclat brulant d’un amour incendié, blanchi, révolu…

Franck.

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