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J'irai marcher par-delà les nuages
19 mars 2017

- 6 - Aurore....

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. L’eau lisse et sombre, encore inquiétante avec ses nappes de brume qui sortent des profondeurs. Cela tient au silence. Ce silence du matin naissant qui n’a pas le même timbre que le silence nocturne. Ce silence du matin, désencombré des présences et des spectres. Silence plat. Lisse. Sans image. Dévoilé. Nu.
Il y a un temps dans les aurores où la nature attend. Elle attend le signal de quelques dieux. Les oiseaux sont posés sur la bouche du vent, ils attendent, ils écoutent la lumière déchirer les ombres, ils observent les fantômes se dissoudre dans la rosée, les diables se cacher dans les buissons, les fées s’évaporer. Cela ne dure pas. La naissance de l’aurore est toujours triste, toujours mélancolique. On sent bien que c’est un effort que de se dégager des mots de la nuit. Accoucher d’un silence neuf demeure une épreuve. Certains jours d’ailleurs elle n’y parvient pas, alors même en plein jour, c’est la nuit qui triomphe. Des jours qui ne sont pas des jours, des jours effondrés, épuisés. Des jours qui empoisonnent le sang de l’écriture. Rien n’est acquis, pas même la lumière.
Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. Où la solitude change de destinée. La solitude du matin naissant qui n’a pas la même épaisseur que la solitude nocturne. Elle se déploie, se défroisse, ce qu’elle perd en poids, elle le gagne en étendue, comme une main qui défait son poing, comme une main dénudée que l’on pourrait croire accueillante. Cela ne dure pas, car elle vous entre dans le corps comme une vague scélérate qui envahit la peau comme une chair de poule. Cette fraicheur innocente du matin, c’est la solitude qui déplie ses bras pour l’accolade, pour le baiser du jour. La solitude nocturne vous déborde de toutes parts, son poids est immense, et parce qu’il est si immense vous n’y croyez pas vraiment. C’est une extravagance, une exagération, certaines nuits, vous la considérez comme une amie. Mais cet écrasement reste une complaisance, un attristement indulgent sur vous-même.
La solitude du jour, vous l’enfilez comme gant. Elle vous tient chaque parcelle de vie. Elle est à votre mesure : elle est faite pour vous. C’est pour cela que vous avez cette sensation de froid au point du jour, comme à l’approche de la mort. D’ailleurs, la mort ne s’y trompe pas : elle aime hanter ces endroits du jour où l’ombre arrive ou bien s’en va, où l’ombre joue avec nos nerfs. Elle cueille les âmes au crépuscule, ou à l’aube, dans ces temps raccommodés, ourlés de surjets fragiles, faussement hésitante. L’aurore constitue bien ce temps où les amants se délient, où les serments se payent, où les dieux font notre addition. Chaque matin, la solitude du jour vous laisse les poches vides, l’œil effaré. Les dieux ne font pas crédit : vous payez d’avance. Le soleil est à ce prix, le prix de la lucidité, comme dirait le poète

Chaque fois que l’on marche vers l’écriture, c’est comme aller au-devant d’une aurore, c’est aller vers l’absolu du silence, vers l’absolu de la solitude. C’est aller vers un sacre.
On le sent à cette densité si particulière de l’air à l’approche des mots, à ce désordre dans les saisons du sang, à la brusque gravité des heures, à cette simplification des couleurs comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

Franck

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