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J'irai marcher par-delà les nuages
22 mars 2017

- 7 - Oublier....

C’est souvent le même rituel. J’allume l’écran puis je rentre dans la salle d’attente du texte. La salle d’attente du texte est un lieu, et un temps. Le lieu du temps. Un univers. Une vie. On est là et l’on sait que personne ne viendra vous chercher. Personne d’autre que vous n’attend. Vous êtes seul, vous attendez. Il n’y a pas d’impatience. Simplement l’attente. Le flottement du désir. C’est une urgence douce. Une urgence qui n’appelle aucun soin, aucun recours. C’est un temps paradoxal dans un lieu de conscience paradoxal. Tout y est plus vrai, sans pourtant y être tout à fait réel. Comme le danger. Ce sentiment, cette sensation d’être en danger. Pourtant, là, rien ne me menace, mon corps ne risque rien hormis un tremblement de terre peu probable. De l’extérieur, je dois donner l’image d’un homme paisible, concentré, ou perdu dans ses rêveries. Mais je sens un danger. Un danger qui ne menacerait pas ma vie réelle, mais quelque chose d’encore plus important que ma vie réelle. Je n’arrive pas définir ce que c’est. Personne ne peut définir ce que c’est. C’est la chose la plus importante et personne ne peut dire cette chose. Elle est là, on est construit autour, on ne sait rien d’elle. Alors, on écrit en décrivant de grands cercles de parole. Pour ne pas tomber. Tomber dans cette chose que l’on ne sait nommer, qui pourtant est nous.
Je ne sens ce danger que lorsque je suis dans la salle d’attente du texte. Comme si le texte nous inquiétait dans son approche lente et diffuse. Comme si le texte sortait de la chose inconnue de nous. L’inquiétude. Le danger. Quelque chose qui pourrait nous réduire à rien. Nous renvoyer à une sorte de néant. Des limbes.
Le texte s’avance, il nous sait mieux que nous-mêmes. Il rentrera par la porte la plus faible. Au départ, il rôde au loin. On ne l’entend pas, on ne voit rien, à part quelques ombres furtives. Il n’a pas de forme. Il cherche. Il cherche l’endroit de mélancolie, l’endroit de tristesse en nous.
Il y en a toujours. La chair est nostalgique par nature. Alors, il rôde, nous affame. Comme une ombre qui traverserait nos temps, nos passés, nos futurs. Car le texte connait notre destinée, c’est pour cela qu’il « est » le texte. Ce texte, surtout pas un autre. Ces mots seuls, surtout pas d’autres mots. Il sait l’impossible lien qui tisse nos heures, il en connait la couleur, la substance, la destinée. Le texte tient dans sa main l’origine et la fin, il nous les tend sans que l’on sache les reconnaitre, comme dans un jeu de courte paille, où l’on ne gagne jamais.
Les règles du jeu changent en permanence. Nous ne savons rien. Le texte, lui, sait. Il a traversé plusieurs vies, plusieurs siècles, il cherche en nous le plus faible, le plus désespéré.
On est dans la salle d’attente du texte, peu à peu  il se rapproche. On le sait à ce brassage des chairs molles de notre pensée. Car au départ le texte n’est pas construit de mots, du moins on ne les voit pas. On ne discerne rien, hormis une rumeur de marée, hormis une présence qui nous afflige et nous met en joie en même temps. On reconnait sa présence à ce mélange, à cette confusion, comme un horizon qui s’inquièterait, comme le bruit d’une bataille, un galop lourd au-dessus des nuages.
Alors les choses se précisent. Les premiers mots nous guident vers d’autres endroits. Ils tombent, là, avec leur consistance indécente, une nudité presque obscène. Toujours, au début, il existe ce sentiment d’une réalité inacceptable des mots. Toujours. Un couloir. Un couloir sombre. Un couloir sans fin. Un couloir qui traverse notre vie. Le texte choisit toujours les lieux étranges de notre vie. Les chemins cabossés, les landes sauvages, ou les couloirs sombres. Les lieux de passage déserts, nos lieux d’errances. Nos lieux inhabitables. Nos lieux d’inquiétudes. À l’intérieur, notre géographie est tourmentée. Paysage lunaire. Paysage de fantômes. Alors, commence la longue traversée. Mot après mot. C’est comme s’il y avait un trou d’où les mots s’échappaient, un à un. Il faut simplement maintenir les bords de la plaie ouverte. Car c’est une plaie. Enfin, cela y ressemble. Souvent, on dit que c’est une douleur, mais ce n’est pas exactement cela. C’est une difficulté. C’est se sentir dans une terrible fragilité. Il faut rester ouvert. Maintenir l’être à vif, à vif de sa vie comme si les mots étaient attirés par le sang, par la chair à nu.
Après  la salle d’attente du texte,  le temps se déploie, avec une sorte de majesté lente, de gravité exigeante. C’est le temps du long couloir. C’est une énigme, comme si le texte proposait chaque fois des mystères, des secrets. Comme si le texte était fait de dévoilements incomplets. Comme s’il chuchotait et que l’on n’entende qu’une partie de ce qu’il nous souffle. Des morceaux, des bribes. Comme si l’on ne pouvait pas tout recevoir, comme si l’on était toujours en deçà de son vouloir, de son appétit. Il y a là quelque chose d’écrasant. D’éreintant. Parfois, pas toujours, j’ai des larmes qui montent aux yeux. Mais ce n’est pas de la tristesse. C’est l’eau du texte. Son fleuve. Elles viennent. C’est tout.
On ne voudrait pas se trouver là et pourtant, c’est bien la seule nécessité qui s’impose, être là. À cet instant précis de notre vie, être là et nulle part ailleurs. Être présent à cette bataille. Assister à cette défaite, ce démembrement.
Le texte s’agrippe aux parois intérieures du corps. Plus il avance, plus son poids s’alourdit. Le geste racle un peu plus, avec le temps. Les mots résistent à se donner. À pénétrer la densité de la chair.
Le temps du couloir demeure un temps déraciné. Il ne compte pour rien dans nos âges. C’est un temps dérobé aux dieux. Nous sommes sans patrie, la seule qui vaut, la seule qui compte, c’est nos temps d’exil. Lorsque nous sommes assez loin de nous pour accueillir la solitude que le texte exige.
Puis vient le temps où le texte se défait de lui-même, où la bataille a été livrée. Puis vient le temps de la paix, où le monde revient dans nos veines, où le soleil reprend sa couleur. Tout s’efface peu à peu, comme si rien n’avait existé. Pauvre et glorieux ! Le texte se retire. Devant moi les restes d’une mélancolie somptueuse, d’une tristesse décomposée. Devant moi, l’éclatement des saisons et l’univers que, l’espace d’une seconde,  j’ai tenu serré contre ma poitrine. Le souvenir de quelques larmes.

L’écriture n’est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l’ennui, puisqu’elle est la forme ultime de l’ennui. Elle ne peut consoler de nos échecs, puisqu’elle les sacre tous, jusqu’au dernier. L’écriture ne nous lave de rien, ne nous rend ni pires ni meilleurs. Elle n’est qu’une affirmation portée à ébullition, qu’un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroit de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l’âme. Une trace. Elle est le miroir de nos défaites, l’horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l’état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n’est que ce cri que nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.
Au bout du texte, on ne sait rien de plus sur nos peurs, sur les dangers qui nous guettent. Au bout du texte, tout reste à refaire. Au bout du texte, rien n’a vraiment changé. Pourtant… On est toujours une énigme pour nous, et pourtant… et pourtant…
Je vais éteindre l’écran. Je vais oublier la salle d’attente du texte, je vais oublier le couloir, ses ombres, je vais oublier… Je vais oublier… Mon dieu, faites que j’oublie tout, pour qu’à chaque fois mon désir soit plus neuf, soit plus pur ! Oublier…
On est riche d’un épuisement et d’un oubli. On est riche d’un cri silencieux, d’un feu qui brule le sang, d’une solitude qui ne craint plus son ombre.
Je vais aller marcher dans la ville. Juste marcher. Puis oublier… et attendre l’aube…

Franck.

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F
En effet c’est une question que l’on peut poser ainsi. Longtemps je me la suis posée. Chacun à ses voies, ses chemins, ses démons. Chacun tente de trouver ses « formes » pour atteindre son « fond ». « Écrire », ici, est une seule et unique allégorie, qui n’a peut-être rien à voir avec la littérature. Le bonheur n’est pas mon sujet, même si quelque chose qui pourrait y ressembler est toujours à l’origine d’une intention. Tout au plus sera-t-il un reste, ou un surcroît… peut-être, car nous ne sommes sûr de rien. Certains montent sur le Mont-Blanc où l’Everest pour se confronter ou se découvrir, d’autres prennent des chemins plus intérieurs. Il faut tenter l’épuisement, des forces ou des mots pour sentir ce qu’il y a après, ce qui nous dépasse ou nous déborde. Eprouver chaque prise sous ses doigts. « Vider » les mots, ou le geste, c’est aussi essayer de trouver une authenticité, c’est débarrasser chaque souffle de ses habits, ou de ses illusions. La résilience, pour employer un mot à la mode, ne procède pas d’un évitement, mais d’une lucidité. On ne fait jamais l’économie de ses épreuves.<br /> <br /> Dans ces textes nous en sommes qu’au début, il y aura des essoufflements, sans doute des étouffements, mais il y aura aussi des espaces, des lumières, des espoirs, l’accumulation et la persistance font aussi parties voyage.<br /> <br /> Le paradoxe, ou l’ultime défi, est bien « l’autre » ; raboter, sa langue, sa parole, user le sens jusqu’à le blanchir, et aussi une offrande. Écrire, c’est aussi aimer, c’est encore aimer, c’est toujours aimer. Cela n’a pas toujours cette première évidence, mais c’est toujours ce même moteur, qui tourne. Écrire n’est pas seulement vouloir éclairer sa propre nuit, c’est l’offrir en partage. La légèreté ne vaut que par la pesanteur qui la menace. La pesanteur n’a de sens que par la légèreté qui la contredit. Les vérités, si tant est qu’il en existe, nous arrivent par tous les bords, chacun de nous avons sa propre pente, et nous arriverons pourtant aux mêmes cieux, ou au même néant. Ce que je chercher est moins le bonheur, qu’une certaine cohérence, une sensation d’unité, une complétude, une fragilité surtout. Chaque jour, chaque heure, dans toutes mes activités sociales ou professionnelles, ce que je donne à l’autre, c'est le résultat de cette quête, c’est la possibilité d’un chemin. Ce que j’essaye de sauver en moi, ce n’est pas moi, c’est un morceau d’humanité. Est-ce que j’y parviens ? Sans doute parfois, le plus souvent je m’égare. Mais ce qui me tient c’est la constance et l’entêtement. C’est cette conviction chevillée au corps qu’à force de polir, et d’user la pierre, quelques cristaux pourraient apparaître. C’est cela la joie, cette incertitude, et cette surprise, cet inattendu, que l’on trouve au détour d’un mot, d’une pensée, d’une sonorité, c’est le souffle retrouvé, alors qu’on se croyait noyé. Mais il faut bien risquer la noyade, pour se sentir sauvé, il faut bien accepter ses défaites pour trouver une paix acceptable…<br /> <br /> Au fond, tu vois Jade, ce n’est pas vraiment de la littérature ce que j’écris, c’est plus une façon d’être au monde, et de tenter de vivre le plus lucidement possible….<br /> <br /> Franck.
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J
Et si l'on oubliait "soi" et cette recherche presque obsessionnelle ou quasi-mystique qui déconstruit à force d'une analyse trop épurée ? Si les mots n'arrivent pas ou plus à apporter l'apaisement libérateur et réconfortant alors il me semble qu'il faut cesser d'écrire un instant ... Aller vers "l'autre" au plus vite pour retrouver le bonheur <br /> <br /> d'une bonne lecture salvatrice ... Pour ma part c'est ainsi que je conçois le rôle de la vraie littérature et qui n'a rien de commun avec la psychanalyse. A quoi sert-il de creuser jusqu'à la sève du mot à moins de vouloir le vider (par jeu) de sa substance émotionnelle ...???<br /> <br /> Écrire doit rester un bonheur car "ça " c'est la vie à vivre ou à rêver dans la mesure où l'émotion devient le lien de partage social.<br /> <br /> Jade
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