- 39 - Un chant introuvable...
Chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. L’effrayante face qui rebondit dans une cascade d’images aplaties par les saisons révolues, l’usure. L’usure.
Chaque mot est une scarification, une chair de terre sur un temps de pierre. Sillon d’une parole qui creuse un sol raviné et sec. Chaque mot dissèque un peu plus l’autre côté de la peau, l’envers des gestes, cette part de retrait, l’incertain de la course, son enroulement autour du coquillage de la mémoire. Chaque mot est une porte étroite, un passage, un crépuscule, un glissement. C’est un endroit de chute, le lieu d’une avalanche. Un excès de néant ou de nuit. De nuit, surtout de nuit. Le kyste d’un désir impossible.
Car la parole raconte une autre histoire. Elle n’est que forme vide. Le mot vient boucher un silence mortel. Bâillon des rêves, couvercle insignifiant d’un sens inaccessible. Impudeur. Dénudation dérisoire. Négligeable. Un acte décomposé qui sent le renfermé, le rance. Qui dit la fin dans son premier élan.
Car rien n’est dit, ou si peu.
Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l’avant du dire, dans l’intention claire, dans le chant inaudible, murmurant, n’être que cantilène, n’être que berceuse.
Je cherche un chant introuvable. Je me perds dans des mélodies obscures. Je cherche la litanie cristalline de la vague, ce refrain qui ouvre droit sur l’aube et l’horizon. Je cherche la trajectoire du verbe, celle qui perce l’ombre, celle qui dénoue les sinuosités du temps, je cherche le mouvement sans détour, sans recoin, sans repli. Je cherche, je me perds infiniment. Mon balancier oscille sur l’abime de mes mers introuvables.
Alors, je cherche à rebours des marées sur un océan désert, comme un radeau empêché, désorienté au large de mes souvenirs. Navigation hasardeuse dans les reflets éblouissants des amours inanimées.
Franck.