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J'irai marcher par-delà les nuages
22 mai 2017

- 46 - Il n'y a plus de lieu...

L’écriture est l’autre nom de la mort.
Vivre, c’est se savoir mourant. Écrire, c’est l’être déjà.
Je relis mes derniers textes, avec une sensation d’accablement. Écrire sur l’écriture. Comme une mise en abime dérisoire. Vaine. Le signe, comme s’il en fallait un supplémentaire, qu’il n’y a plus de lieu d’écriture. Comme si j’accompagnais un mouvement de déclin, qui dépasse ma personne, mon geste, ne faisant de moi que le symptôme d’un temps défait, d’une époque où le livre a fini d’épuiser la langue.
Nous sommes d’un temps de bruit, où la nuit n’est jamais vraiment la nuit, nous sommes d’un temps de vacarme fracassé d’images, comme si l’envahissement des sens défaisait notre humanité, nous sommes d’un temps sans peur. Nous sommes pris dans l’ivresse des jours. Nous sommes d’un temps sans épaisseur. Nous sommes d’un monde éviscéré, comme curé, vidé, de sa substance.
Nous venons d’un temps où les mots, ou la langue, racontaient l’excellence et la singularité d’une humanité. Dans la langue s’exprimait la lumière de chacun, les livres étaient objets de culte mémoriel, sacré, ils portaient en eux la voix des siècles passés et à venir…
En perdant les lieux, nous perdons le regard, en perdant le regard, nous perdons la voix, en perdant la voix, nous perdons la grâce… Écrire ne peut dire que la défaite de l’écriture, sous peine de complicité. Écrire n’apparait que dans une sorte de renoncement, dans un refus orgueilleux, solitaire et vaincu.
Aujourd’hui chacun de nos sens est submergé, saturé.
Les voix sont désormais muettes à force de n’être plus silencieuses.
Le livre ne dit plus nos destins singuliers, mais la vague ininterrompue et monstrueuse des faits-divers indécents.
Un univers envahi d’histoires, où raconter n’a plus de sens, comme si le roman, dans sa profusion, était condamné à ne plus rien signifier, déserté qu’il est par les voix devenues inaudibles… Les personnages… La psychologie… L’action… Il n’y a plus d’espace, plus de lieu : le cinéma, la psychanalyse ont tout dévoré. Quant à l’action ? Plus aucun destin ne la porte sinon l’air du temps et les mouvements erratiques d’une histoire envahissante servie à heures régulières dans un flot d’images sordides, de bruits, qui sont devenues incompréhensibles, inassimilables, jusqu’à l’écœurement.
Nos indignations successives, multipliées à l’infini, parcellisées, sont encore une façon d’échapper, par de multiples révoltes inabouties, à la seule qui vaille, qui donne à l’homme sa face tragique, sa beauté, celle de la mort.
Il n’est plus temps de dire nos détestations ou nos adorations. Écrire, c’est entrer dans un lieu où rien du monde n’est dit, où le « je » s’effrite comme une ruine des temps passés, où il ne reste que la trame osseuse du désespoir. Écrire, c’est éteindre chaque lumière, afin que la nuit revienne, dans l’impossible silence.
Alors, il nous faut accueillir la malédiction, l’épouvante, et l’effroi, dans ce qui nous reste de joie. La joie invincible de l’enfant, faite d’éclats de lumière, joie de l’innocence de la lumière qui ne sait pas qu’elle éclaire, qui brille simplement, parce qu’elle ne sait que briller, comme le feu dans l’instant de la flamme.

Franck.

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Commentaires
F
Bonjour Iman, c’est toujours un plaisir de vous lire, en particulier cette phrase « La blancheur aphone est une pente sinueuse à arpenter pour mieux débarbouiller les horizons. » En particulier nos horizons intérieurs. Comment faire de la place en nous ? Comment nous élargir ? Agrandir les champs de la rêverie ou de la méditation, ou du recueillement ? Écrire est un chemin, un chemin parmi d’autres. La modernité est là, et quoique nous en pensions elle déroulera ses formes, ses « tyrannies », ses lumières, ses espérances aussi… Vous avez raison, l’écriture continuera, pendant longtemps encore, partout dans le monde, des âmes inquiètes à la lueur d’une bougie se pencheront sur une page blanche et tenteront, avec quelques mots de dire ce qui ne peut se dire, d’écrire leurs émotions singulières, ils chercheront avec passion le mot, la phrase qui dira au plus près leur être, leurs joies, leurs peines, leurs désirs, leurs espoirs, espérant en trouver le sens dans cet acte consolateur où se mélange le fond et la forme, où la forme appelle le fond, où le fond fait chavirer toute certitude…<br /> <br /> Chacun à sa définition de l’écriture, c’est un geste si intime. Chacun à sa définition du livre ou de la littérature, toutes sont vraies dans l’instant où elles se disent, mais au fond, toutes convergent. Au bout du compte, il nous faut signifier. Donner un sens, témoigner de ce sens. Chercher une cohérence intérieure à travers les images éclatées de notre image sur un miroir brisé en mille éclats.<br /> <br /> Vous avez raison aussi d’avoir foi en cet acte si mystérieux, malgré l’époque, malgré le bruit, il faut oser la beauté, oser la liberté, oser sa propre pensée… Écrire, nous confronte toujours à ce qui résiste en nous, à ce qui appelle le grand large, à ce qui pourrait briser nos chaînes, toutes les chaînes… Un peu comme le dit Averroès que vous citez…<br /> <br /> Je ne saurais définir mon travail sur l’écriture, j’ai bien tenté de la faire dans l’introduction à ces textes, mais je me rends compte que cette tentative ne décrit pas vraiment l’intention, le geste, le mouvement.. Écrire sur "écrire" est sans doute un prétexte, l’occasion d’approfondir ce qu’il y a de plus vivant en moi, oser affronter mes labyrinthes, mes dragons… Au final, « débarbouiller mes horizons. »<br /> <br /> Franck.
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I
En lisant cela, une phrase m'est venue à l'esprit :" La blancheur aphone est une pente sinueuse à arpenter pour mieux débarbouiller les horizons."<br /> <br /> Il est vrai que nous vivons le règne de l'image tyrannique, d'une littérature des consigne et de consommation. Une littérature qui prétend être le miroir que "l'on promène le long d'un chemin" mais ne reflète que des clichés, des selfies, des consignes dictées; ou bien elle reflète mais les yeux demeurent si paresseux pour "analyser" et (se) voir.<br /> <br /> Pourtant, peut-on ne plus écrire? Il me semble avoir dit un jour que l'écriture "émane d'un besoin. Besoin existentiel" Je le pense toujours. La preuve, cette quête d'un lieu, ces écrits qui ressemblent à une philosophie d'écriture ( que je discerne mal des fois mais lis toujours avec plaisir) A qui dire nos dilemmes, nos déchirures, les défaillances et les idées troublantes, voire même effrayantes tellement elles osent? Qui saura comprendre? Qui daignera réfléchir au-delà du charme des mots? Peut-on reprendre foi en l'acte d'écriture qd tout semble être dit? Je n'ai pas de réponse mais je suis sûre d'une chose: Y'en a ceux qui sont nés pour écrire, Sans cela, vivre pour eux n'est qu'un suicide avant terme. <br /> <br /> <br /> <br /> "Les idées ont leur propres ailes. Nul ne saura les retenir." Ibn Rochd-Averroès
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