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J'irai marcher par-delà les nuages
18 août 2017

- 106 - Rétraction...

Les mots se lovent dans la courbure du temps, à l’endroit creux, là où les eaux se rassemblent, larges flaques de mémoires et d’oubli, comme un œil qui fixe le ciel, par défi, ou par négligence. Flaques qui s’accrochent encore à la terre, mais qui savent le combat déjà perdu. Rétraction des eaux de la parole. Assèchement lent. Lent. Un chant qui s’épuise.
Il y a, juste après la moisson, comme une suspension, comme un temps mort, cela ressemble à une catastrophe, la terre se souvient des blés et les pleure. Il y a une souffrance, juste après. Cela ne dure pas longtemps. Peut-être le temps d’un grand soupir. Une affliction. La terre se souvient et pleure. Là aussi, une rétraction. Il y avait un champ, il avait les blés, le vent glissait dans cette mer de soleil crissant. Après il n’y a plus rien, seulement un souvenir. Il y aura d’autres saisons, d’autres épis, mais là, juste après, c’est une tristesse.
Après le concerto, après la dernière note du violon, juste après qu’elle se soit apaisée, juste entre elle, et le silence qui la suit, il y a comme un abime, comme une chose que l’on ne pourra plus franchir, comme une fatalité. Cela ne dure pas, pourtant l’âme tremble. Un court instant. On sait que le cœur pourrait s’arrêter là. La musique persiste encore, elle n’est plus que son rêve, et tout la fuit désormais. C’est comme une rétraction. La réduction immédiate de tout devenir. C’est un moment instable qui s’absorbe dans son propre effondrement. Comme le souffle du mourant.
Il y a un moment où l’enfant, après le jeu, se suspend. Il s’arrête. Cela ne dure pas longtemps. Son visage se voile, c’est comme si une aile passait sur ses yeux. Il est saisi. Brusquement, il a tout oublié, le jeu, son nom, sa mère, son père. Il est entre deux mouvements, entre deux rires, peut-être entre deux vies. On sent qu’il pourrait disparaitre brusquement, s’effacer de la lumière du jour. Cela ne dure pas. C’est comme un hoquet du temps. Comme s’il venait d’avaler sa propre ombre, comme si sa vie à venir était là, devant ces yeux, et qu’il devait décider. Qu’un chagrin inconnu de lui pesait sur sa respiration. Juste après le jeu. Juste après le rire. Et c’est insupportable.
Comme cette femme qui se replie après l’amour, après les cris, après le sang de la jouissance. Elle se replie, comme si l’offrande avait épuisé plus que l’offrande, comme si l’amour avait épuisé plus que l’amour. Juste là, à ce moment précis d’après l’amour, cela ne dure pas longtemps. C’est une tristesse qui n’a pas de nom. Personne ne sait la nommer. Elle traverse comme le vol d’un oiseau, le corps, et toute la vie déjà vécue. Cela ne dure pas. Mais c’est presque infini. Parce que rien ne peut dire cet instant. Cette fraction de temps. Car c’est un temps arraché, une chair arrachée où la mort s’insère, comme un grand soupir. Cette femme pourrait pleurer, là, à ce moment précis, comme la terre après la moisson. Seulement pleurer.
Comme à cet instant du miroir où l’on ne se reconnait pas, où nos traits se sont défaits. Cela ne dure pas, mais juste assez, pour que l’on ait le temps de lire dans ce visage inconnu toute la vacuité d’une vie, toute la vanité des désirs. Pour que l’on sache l’impossibilité du bonheur, la dérision de vouloir y croire encore et encore.
Ces instants sont des couloirs, les dieux les fréquentent, les anges aussi. Ils ne sont pas vraiment vécus. Ils sont impossibles à vivre. Ils renferment pourtant toute l’histoire du monde et celle des hommes. Ils sont des failles dans lesquelles se condensent toutes nos tragédies.
Là, dans ces instants, juste dans l’endroit impossible des heures l’écriture suinte. Juste là. C’est une tragédie. Cela pourrait être un bonheur. Mais c’est une tragédie. Et ça suinte.
Il y a des moments, je vous l’assure, je voudrais être en enfer. Cela ne dure pas longtemps. Je voudrais y être pour ne plus avoir à l’attendre. C’est comme une rétraction. Un chant qui s’épuise.

Franck.

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