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J'irai marcher par-delà les nuages
5 novembre 2017

Le puits...

De quoi est faite la voix de l’écriture ? J’ai des chevaux dans la poitrine. Des galops. Des hennissements. J’ai des contrées sauvages. Du vent dans le sang. Des expiations terreuses, des étranglements. Des vacillements. De quoi est faite la voix de l’écriture ?

Je vais au texte comme si j’allais au puits. Les mains vides. Le pas lourd. Tenant le seau de la langue, le seau vide de la langue. Je vais au texte dans cette pénurie habituelle. La soif chevillée au sang.
Aller vers le texte, c’est d’abord cette marche vers le puits, ce lieu troué de l’existence. Ce lieu usé. Il y a une mélancolie dans ce voyage. Et quoi que nous fassions, il est toujours identique. S’il n’y avait pas ce souvenir de la soif à venir. Ce chemin dans sa nostalgie est notre seul secours.

À l’orée du texte, nous lançons notre seau de misère dans le vide. Seau percé. Les blessures ont laissé de si larges entailles. Notre vie est si peu jointive, nous manquons de tant cohérence, de continuité, d’unité, d’ accord, nous sommes un champ de discorde. Aller vers le puits est une épreuve. Lancer le seau est un danger. Le seau troué de nos vies.
Pour chaque phrase il faut tirer sur la corde, usure contre usure. C’est l’eau que l’on perd qui est la plus douloureuse. C’est ce qui déborde qui nous arrache. Puiser dans la langue, c’est souvent remonter du rien, de la perte ; il faut de la constance.

Chaque jour je recommence le même texte. Comme si j’allais au puits assouvir la même soif, avec mes mains trouées comme un seau percé. Au bout de la corde il y a si peu d’eau.
On écrit avec ce reste. Avec ce si peu. Avec cette patience. Cet entêtement.
J’ai dans l’oreille le chant de l’eau qui retombe. Dans la gorge le goût de l’insuffisance.

Chaque jour le seau doit descendre un peu plus profond, et la remontée est chaque jour plus longue, plus épuisante. La soif gagne sur la soif.
Aller vers le texte, c’est comme aller au puits, avec l’espérance de quelques gouttes oubliées par la fatalité. Avec la certitude que rien ne pourra étancher la soif. Quelques gouttes. Seulement quelques gouttes.

Comme cette lumière que je cueille au bord de tes prunelles
Tu sais les miroirs ont l’innocence de l’enfance. Ils disent les vérités éternelles, c’est pour cela que nous les traversons. C’est pour cela que nous baisons leurs tempes, pour apaiser la mort en nous.
Aller vers le texte c’est comme aller vers le puits, où je te retrouverai assise sur la margelle usée d’une parole déshabillée. Alors je pourrais couvrir ta peau de cette eau rare, de cette eau dépourvue, de cette eau miséreuse. Mes mots sont pour ta soif. Car ta soif fait chanter les poulies usées du temps. Laisse-moi poser ces quelques gouttes d’eau sur tes yeux. Si le seau n’en remonte pas assez, mes baisers feront le reste.

Franck.

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Commentaires
F
En effet Françoise, l’enjeu est là, comment répéter sans cesse le même geste en tentant de le renouveler sans cesse, ou comment éclairer assez sans pourtant effacer les ombres…<br /> <br /> L’image du puits est riche ; de la lumière à la nuit, et de la nuit à la lumière… nous ne sommes rassasiés ou sauvés que par cette eau qui vient du plus obscur…
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F
Heureux de vous retrouver Iman. Résister demeure l’essentiel, et résister restera silencieux… c’est pour cela que souvent la parole est trouée… Notre dignité tient là, dans ce silence débordé…<br /> <br /> La gravité c’est ce qu’il nous faut affronter… elle n’a rien à voir avec le sérieux, mais plutôt avec la densité… la gravité n’exclue pas la joie au contraire elle la métamorphose en promesse…<br /> <br /> Dans la « pesanteur et la grâce », c’est évidement la pesanteur la plus légère…
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F
ciseler une idée pour que le texte ait la brillance du diamant par ses multiples facettes sans jamais tomber au fond du puits de l'incompréhension et de la lassitude
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I
La voix de l'écriture c'est l'écho des pas du voyageur. Ce voyageur s'en allant "sans itinéraire, sans savoir" et qui ne fait que revenir.<br /> <br /> La voix de l'écriture est la résistance que nous étouffons par le voile de l'oubli et de la mort, en la jetant dans un puits sans fin ni fond. Une résistance impassible mais qui espère encore dans son mutisme, dans le secret des ténèbres. Et combien sont véridiques vos propos quand vous dites: "l'eau que l'on perd est la plus douloureuse". Si je n'ai pas vraiment une idée claire sur cette "eau" pour vous, je sais ce que cela pourrait signifier dans "mes puits" : les parts de nous-mêmes mortes avant terme. Et quand un destin place un sceau dans ces puits, cette résistance est surprise, les cendres revivifiées, les veines ouvertes. Les départs se font retour. D'où le tumulte, le débordement, la fuite.<br /> <br /> Mais il me semble que vous connaissez tout cela mieux que personne. Entendre l'écho de vos propres idées est peut-être le poids de la gravité de l'âme chez l'autre.<br /> <br /> Toujours un énorme plaisir de lire vos écrits.
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