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J'irai marcher par-delà les nuages
25 novembre 2017

Tu comprends...

Je me suis saisi d’un essaim de lueurs cristallines, pour éclairer la page blanche. Je cherche à nouveau l’ultime perfection de la cadence. Écrire c’est envoyer une barque sur l’océan, sans aviron, sans boussole. C’est remonter à l’origine de ses craintes. C’est vivre à titre posthume. C’est risquer la genèse dans la fin de toute chose. Un coup de hache sur la voûte des cieux.

Je serai le dernier capitaine du dernier vaisseau. Je faucherai à grands coups de tristesse, les vagues et l’écume. Je moissonnerai l’océan de ses tempêtes, le viderai de ses humeurs marines. J’ai dans la voix des tonnerres oubliés, des orages solitaires, des moussons indécises, des tornades enchevêtrées. J’ai trop de guerres perdues pour fêter l’espérance. Trop de morts dans les yeux, trop de sang dans mon sang. J’ai trop d’attente dans mes heures, trop de cendres sur mes mots.

Je serai le dernier capitaine du dernier vaisseau. Les chemins vont tous en enfer. Et les poètes se maudissent eux-mêmes, bien avant tous les autres. Ils meurent bien avant leur mort. C’est ce qui les fait écrire. Les noces de l’innocence, de l’ivresse comme une apocalypse du silence.

À force d’épuisement j’ai des colères à détruire. À force d’abandon j’ai des blasphèmes dans les veines. Je voudrais pouvoir arracher les mots comme on arrache de mauvaises herbes. Dans mon jeu j’ai des solitudes d’avance, comme des atouts que l’on garde avant d’achever la partie. J’ai des folies aussi, des jurons, des profanations.

J’écrirai le poème qui n’a jamais été écrit. Pour toi, oui pour toi seule. Tu comprends. Il faut que tu comprennes. Il y aura dans ma voix tous les mots de langue. J’appellerai dans mes vers les éléments, les infinis, les océans, les prières connues ne seront bonnes qu’à griller avec leurs dieux, avec leurs apôtres. Je t’écrirai le poème qui débordera toutes les formes, tous les sons, toutes les images. Il sera profusion et désert, il condensera toutes mes larmes, tous mes chagrins. Un et innombrable. Constellation. Fleuve.
Je cueillerai tous les jardins de la terre, par pur excès, par simple folie.
Car tu comprends, il faudra commencer par tout épuiser, par tout dessécher, par tout vider. Il faudra commencer par tout consumer.

Car je ne désire qu’une chose, n’être plus rien que ce souffle tendu vers tes lèvres. Que cette caresse que ta peau prolonge. Qu’un ventre que ton ventre complète.
Je brûlerai comme de l’encens sacré pour effleurer ton corps, pour être dans ton corps, pour être le parfum de ta chair.
Avec les fils d’or et d’argent de mes mots, j’attacherai ensemble l’aube avec le crépuscule, pour que l’on soit à jamais dans le même temps. Inséparables. Invincibles. À la verticale du soleil.
Le poème effacera les saisons, adoucira les rides.
Tu comprends chaque mot prononcé sera un univers incalculable. Je les choisirai dans l’urgence, le vertige, dans la volupté, dans l’écrasement. Ils seront cataractes. Talismans. Tu comprends, chaque mot portera en lui une lumière d’étoile, il aura traversé le silence des cieux, il aura affronté, les dieux, les diables. Chaque mot que tu liras, de ce poème impossible, mon amour, tu ne pourras plus le prononcer, il s’effacera à jamais de ta langue, à jamais il s’inscrira dans ta chair. Tu comprends, mon amour, les mots gorgés de sang sont imprononçables.
Comme la mort.
Comme l’amour.

Franck.

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Commentaires
F
J’aime cette phrase de Cioran, Françoise… Jamais très loin de moi, un volume des « Cahiers » de Cioran. Je feuillette au hasard, un peu comme un promeneur qui cueille et se laisse surprendre par l’évidence d’une fleur de talus… C’est toujours étonnant de se rendre compte que seuls les grands misanthropes savent nous parler du lien, des autres, de ce qui nous relie…. Au fond, pas si étonnant que ça… nous vivons toujours plus intensément notre manque, c’est bien l’absence qui nous définit le mieux.<br /> <br /> N’être comblé jamais… nos prières sont belles, par les réponses qui ne les comblent pas… « la présence muette », c’est un luxe ultime… il nous faut bien une vie entière pour s’offrir ce cadeau…
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F
La fin de vos textes qui dérive vers l'amour m'interpelle toujours.<br /> <br /> Je vous pose un extrait de Cioran dans " De l'inconvénient d'être né "<br /> <br /> " Le vrai contact entre les êtres ne s'établit que par la présence muette, par l'apparente non-communication, par l'échange mystérieux et sans parole qui ressemble à la prière intérieure. "<br /> <br /> Bon dimanche, Monsieur
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