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J'irai marcher par-delà les nuages
21 janvier 2018

Solitude saharienne...

La solitude saharienne est singulière. Surtout au lever du jour. Le soleil monte et semble dire : tu devras la gagner cette journée, tu devras en sortir vainqueur ou accepter ta défaite. Les aurores sahariennes sont courtes. Le soleil est là, dans sa simple évidence. Rien n'arrête ses rayons. La nuit s'efface comme si un dieu muni d'un chiffon nettoyait le ciel et la craie du matin. Un autre jour est là.

J'ai toujours ressenti à cet instant des matins sahariens, une chute, presque un accablement. Comme si la lumière avait un poids, comme si l'on trébuchait dedans. Comme une fatalité. La solitude est totale. Belle, mais totale. Elle vous désigne. Et le soleil semble l’éclairer plus directement encore. Une solitude sans ombre. Crue. Nette. Incisive.

Le Sahara n'est pas fait que de dunes exotiques, dans sa grande partie, il est plat. Sans rien pour accrocher le regard. Plat, vide. Immensément vide et plat. Avec des petits cailloux poser ici ou là, jamais très gros. Un infini immuable qui nous entoure. Le même après le même. Le même aplatit sur du même. C'est un lieu sans lieu. Le regard se perd sur l'horizon, fait un tour et vous revient dans l'œil. À l'intérieur de l’œil, jusqu’au fond de la tête. Dans toutes les fibres.

Le matin, au lever du jour, dans les solitudes sahariennes, c'est là qu'il faut croire, car tout ce que l'on verra au cours de la journée est là, quels que soient vos pas, quelle que soit la direction. Tout est là, comme après une catastrophe. Ce n'est pas un début. Là, dans ce plat infini, cela nous semble toujours une fin. Ou plus exactement un reste.

Le matin au lever du jour on peut ressentir un accablement ou un découragement. Au sol, il n'y a pas de chemin, pas de talus, même nos pas ont du mal à froisser le sable. On est sans trace. On vient de nulle part. On ne va nulle part. On ne sait qu'être là, comme un surplus, ou une méprise, ou un égarement. On ne peut que se rassembler encore plus fort pour offrir le moins possible de prise au destin, aux menaces, aux heures qui, s’annoncent. Et rien ne nous sépare vraiment de ses petites pierres. Rien. Aucune raison ne tient ici, aucune intelligence, la plus subtile qui soit, ne résiste ici. La pensée s'effrite, s'émiette comme ce sable, là, sous nos pas. Hors tout.

Le matin, au lever du jour, dans le Sahara africain, c'est un nouveau naufrage qu'il faudra vivre, sans noyade, sans vent, sans tempête. Mais un naufrage, avec cette peur d'étouffement par ce vide. Voilà étouffer de vide. Trop de rien. Saturation de néant. De silence. Car les paroles sont inutiles ici, puisque tout a été dit, et que se taire s'est encore pouvoir résister. Un peu. Hors tout. Hors de toute signification. La banalité des mots est indécente, déplacée, seul l'instinct, seul l'instinct et la prière peuvent regarder le soleil qui monte toujours plus haut. Car il y a, dans chaque lever du jour, dans le Sahara plat et vide, comme une impression de sacrifice, et le goût du sang colle au palais. Le matin, dans le Sahara africain on est à l'aube du monde, sans famille, sans parent, sans ami. Ici, il n'y a pas de possibilité de racines qui plongeraient vers des mémoires profitables, il n'y a pas de ramures qui monterait au ciel, dans l'espoir de nous sauver, puisqu'ici le ciel n'existe plus, ou si peu, et qu'on ne redoute même plus l'enfer puisqu'on y est, noyé dans ce débordement, dans cet excès d'abandon, de distance, de manque, d'infinité. Rien, aucune image, aucun poème, aucune musique n'est secourable, rien n'interrompt ce trait strident qui perce les chairs, que rien ne protège, ni la lucidité, ni le rêve, rien, hormis l'hébétude et l'entêtement, à part peut-être le goût de se survivre. Même aimer n'a plus de sens. Car ici, aimer, n'en a jamais eu. Aimer qui ? Aimer quoi ?
Car les chagrins sont morts au lever du jour, et les tumultes de l’âme se calcinent, se sclérosent, et tout s'assèche, se parchemine. Au-delà de la mélancolie, au-delà des larmes et de la pitié, il y cette étendue plate que nul vent ne traverse, qu'aucun son ne fait vibrer, seul le battement du cœur, seul le gonflement des poumons, vous signale ce qui vous reste de vie. Et même cela c'est encore de l'orgueil. Car aimer, ici, n'a plus de sens, et l'élan du sang se resserre jusqu'à n'être qu'un point perdu dans les veines, l'infime reste du passée ou de l'espérance.

La solitude saharienne est bien singulière, comme une guerre sans ennemi. Ni le cri ne peut la dire, ni la larme ne saurait où couler tant l'étendue effare l'œil. Et l'ocre sale du sable tapisse la vue, et l'âme est lisse comme l'indifférence. Être le grain, être poussière, être la pierre, ou le ciel, n'être rien, infiniment rien, sans peur, sans désir, n'être que le pur mouvement qui doit se survivre. Et pas une parcelle de soi ne retient l'ombre. Que de la lumière, que de la lumière brûlante, pas un seul contre-jour, pas un seul flottement de l'air, seul l'éclat brutal et sauvage du jour qui s'affirme contre votre souffle, contre votre vie.

Il y a dans le jour qui se lève, dans le Sahara africain, comme défi, et comme un déni. Ici, dans ce temps de l'aurore, aucune forme de peut naître, aucune danse ne peut s'exercer, aucun chant ne peut monter, seuls l'instinct et la prière contestent l'inévitable. Seul le murmure contredit le silence, seul l'acquiescement rassemble assez de force pour conserver le vertical besoin d'exister.

Et renouveler le pacte tacite du sixième jour. Il y a, dans le jour qui se lève, dans le Sahara africain un enjeu qui concerne la grâce, l'extraordinaire puissance de la grâce, celle qui épuise tout, qui précipite tout, la chair, le sang, et qui terrasse et ruine tout orgueil et toute vanité. Ici, et seulement ici, chaque être est au-delà du péché.
Les solitudes sahariennes sont bien singulières, car ce qui sauvera le jour sera le crépuscule, et ce qui le sacrera, sera la nuit. Si la constance et l'obstination vous soutiennent jusqu'au bout du soleil, jusqu'au bout de l'immensité plate et vide, alors le crépuscule vous guidera vers la nuit. Car ici, c'est la nuit qui délivre, qui défend, et souvent qui guérit. Car c'est la nuit, et la nuit seulement, une fois que le jour est vaincu, que l'œil et l'âme peuvent enfin se reposer du vide et du néant. La nuit du désert, est une nuit vivante, elle est, et seulement ici, à taille humaine, à la taille des rêves et de nos certitudes. La nuit dans le Sahara africain, il y a comme une bataille gagnée, et le sang peut battre à nouveau.
Dans les nuits du désert il n'y a pas de fantôme, pas de spectre pour nous hanter, les étoiles sont là et chacune est un mot qui n'a pas été dit, est chacune est une femme aimée, et chacune bat à nouveau la mesure du temps, et chacune est prière exhaussée, promesse à venir. La nuit, dans la lente respiration du ciel, le regard enfin borné par la multitude innombrable des étoiles tremblantes, on peut enfin pleurer et vivre, et tout redevient possible.
La nuit sera là, ardente, presque blanche, elle sera belle et franche et charitable comme une miséricorde. Ce sera enfin le temps de la parole et du chant, fragile et invincible...
La solitude saharienne est singulière, si proche de la grâce, de ses blessures, de son éclat...

Franck

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