Lettre N° 112 - Chandelle...
Mon amour,
Cette chandelle révèle la profondeur de ma nuit. Je sais que quelque chose se consume au-delà de la cire. Forcément je le sais. J’ai allumé cette petite bougie. Pour t’attendre. Les flammes font voyager nos âmes dans ces petites sorcelleries dérisoires. Alors je t’attends dans la flamme d’une bougie taciturne. Je ne t’attends pas pour te faire venir, je ne t’attends pas parce que tu pourrais revenir, je t’attends pour t’attendre seulement. T’attendre jusqu’à la fin.
Si l’attente est notre destin, alors t’attendre suffit à effacer mes peurs. J’ai allumé une petite bougie, maintenant la nuit est venue, ainsi que cette solitude saturnienne. Je n’ai pas d’impatience, puisque je t’attends. Comme lorsqu’on regarde la mer, les vagues, l’horizon vide. On est là, assis sur un rocher, on attend. L’attente est un océan silencieux avec son flux, son reflux, ce balancement des sensations, l’empreinte du temps toujours renouvelée. L’étonnement et le saisissement. Bruissement lent des eaux, long mouvement vers les temps à venir, des temps différents.
Mon océan est éclairé par cette seule bougie. Je t’attends. Sans impatience.
Puisque tu ne viendras pas.
Avec le flottement de la flamme sur la paroi des heures.
Je peux bien t’appeler puisque tu ne viendras pas. Je peux bien t’espérer puisque cela suffit au salut des marées, des vents, des tempêtes. Je peux bien allumer des chandelles pour faire trembler ton visage, pour dessiner tes yeux puisque nos souffles ne se rapprocheront plus.
Le temps des chandelles est un temps infini. C’est un temps sans réponse, c’est pour cela qu’il sert aux prières, aux solitudes. Aux écritures. Aux morts.
La chandelle accentue la nuit, la rend plus nette, plus pesante, plus définitive. Elle fixe les rivages d’une nuit sans aube. C’est un éternel crépuscule. L’amour brûle, s’épuise dans sa lumière fragile. J’ai allumé cette petite bougie pour rétrécir le monde, pour enlever les distances, pour défaire le chagrin.
Qu’importe.
Je sais bien que ces misérables cérémonies ne changeront pas l’écrasement. Je sais bien tout cela. Sans doute rendent-elles plus facile ou plus simple la traversée des illusions.
Mais peut-être que cette bougie recèle encore dans son feu intime quelques mystères, quelques secrets. Puisqu’il n’y a pas d’espoir. Que c’est mieux peut-être, mieux ainsi.
Ce soir cette bougie est une île dans ma nuit d’océan. Elle est ton île, elle ma tempête. Elle marque un lieu qui n’existe pas, un lieu de chair absente, sa lumière c’est ton sang manquant, ton sang tremblant. Ici, ce soir, c’est nulle part, et partout ta présence.
Le temps des chandelles est un temps d’innocence, d’aveu désarmé. C’est le silence qui brûle, l’amour qui s’égare.
La lumière silencieuse de ces flammes consolées, presque soulagées, presque assouvies, accentue la nuit. Désormais le silence peut bien s’aggraver, même la menace se préciser.
Où es-tu ma beauté pâle ? Ta douceur se consume, elle n’en finit pas de s’enrouler à la flamme captive.
La bougie éclaire toujours la face du naufragé, elle brûle toujours ses rêves. La vie s’épuise, ombre après ombre. Sans impatience.
Il y a des soirs, des nuits, où l’on allume une bougie non pour veiller l’absente, non pour la faire revenir, mais pour l’embraser, donner des couleurs à la tristesse, étouffer le cri.
Je t’attends, toi qui ne viendras pas.
Plus la nuit s’avance, plus l’attente se déploie, plus l’amour se simplifie.
Le feu rassemble les amants séparés, il purifie leurs regards, il invente les caresses en dessinant les peaux.
Apprivoiser l’obscur c’est ce qu’il nous reste après les chuchotements, c’est prolonger les caresses. Comme si la flamme et la nuit nous préservaient d’un dernier sanglot, ou d’une ultime suffocation.
Où es-tu ? Dans cette pâle saison, ou dans ce feu qui meurt… ?
Franck.