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J'irai marcher par-delà les nuages
22 avril 2018

Lettre N° 15 - Parler est une chose difficile...

Mon amour,

Parler de nous, de toi, de moi, est une chose difficile puisque nous sommes sur cet étrange fil. En équilibre. Entre nos vies défaites, entre espoir et fatalité. Puisqu’il nous faut arracher aussi bien nos tragédies que le triste ou le sérieux, nos jardins sont si encombrés. Enlianés dans l’enchevêtrement de nos actes désemparés, de nos rêves usés, parce qu’ils ont trop servi. Encombrés par l’amoncellement de nos amours anciennes inachevées, inachevables.

Et puisque les jours ont enseveli les jours, que les nuits ont obstrué les jours, que même les saisons ont étouffé les jours. Alors parler de toi, de moi, est une chose difficile. Puisqu’il me faut gratter la terre de mes échecs pour exhumer à nouveau au soleil chacun de mes os blanchis, ces os lourds de mes errances.. Mais os si cassables. Il me faut retrouver maintenant la pudeur et la vertu de mes temps d’avant, il faut réinventer le pur, le simple, il faut chercher ce qui reste en nous, mon amour, d’inaltéré, de cristallin. L’enfant. Le pèlerin. Il faut aller chercher la larme qui se refuse.

Mon amour, aide-moi à penser à l’infime. Au vulnérable. Le point. L’unique point de résistance. Celui qui rassemble, qui totalise. Celui par lequel l’aiguille du ciel jaillit, à l’aplomb du soleil. Il y a dans nos âmes des géométries secrètes, des arithmétiques mystérieuses. Il te suffit de prendre la nuit en abscisse, le ciel en ordonnée, les deux tendent vers l’infini bien sûr, alors les étoiles s’allument, tu n’as plus qu’à joindre chaque lueur de cet espace, puis d’en faire la courbe exponentielle ; au bout se trouve la charnière du cœur à ouvrir. Pour vérifier que tes calculs sont justes, il faut que tu dessines une croix, celle qui nous crucifie, sur l’axe vertical se dresse l’amour, sur l’axe horizontal dispose l’attente, si ça saigne c’est normal, tu dois voir apparaître une myriade de points, ce sont les heures de notre vie, additionne-les, puis, il ne te reste plus qu’à diviser le tout par de nombre d’or. Tu peux aussi utiliser une agate, une topaze, un petit caillou, ou simplement un rêve d’enfant.
C’est  parfois mieux un rêve.

Il nous faudrait renoncer à ne plus renoncer. Et pour commencer, abandonner. Partir du point vernal. De l’articulation des saisons. Nous mettre dans l’embrasure du jour et de la nuit, à cet endroit du clivage de la lumière, à cette place de la coupure, où l’âme se décolle de nos mythes. Avec l’incision du rêve, puis en accepter le sang.

Car le temps s’approche de nos faces, avec sa lenteur, ses à-coups. Et nos os tremblent un peu.
Alors, parler de toi, parler de moi, est difficile. Ce serait parler de l’attente, de cette tension des nerfs, ce serait parler de ta nudité tout contre ma nudité. Ça serait dire nos bouches, leurs murmures de nuit, avec leurs soupirs humides, et les caresses brûlantes dans l’exaltation de la découverte. Ce serait dire la faim, la soif, la fièvre rouge de l’offrande,   la sueur des sexes contre les sexes. Ce serait dire tes eaux et mon navire, la tempête qui brasse nos gestes, l’effleurement de mes lèvres sur ton ventre, cette traversée profonde au cœur de nos désirs, de nos appels.
Tu comprends mon amour, ce serait dire l’obscur pour en faire la lumière, appeler Satan pour nous encourager. Ce serait ne plus se connaître et pourtant se connaître à jamais. Ce serait dire la blancheur de ta peau, les couleurs d’orange de ton sexe qui se déploie, l’enlacement de tes hanches, la poussée des muscles, le serrement de nos cuisses. Ce serait dire ta langue comme un tison ardant sur mes terres secrètes. Ce serait dire les morsures, les écartements, le vertige, les secousses et la charge. Ce serait dire le cercle de feu que le compas de tes cuisses ouvertes dessinerait sur les murs de la chambre. Parler de nous, ce serait dire l’essoufflement de la course batailleuse de nos mains, nos mains voraces dévorant nos chairs offertes, nos chairs béantes, nos chairs promesses. Parler de nous, ce serait dire l’épuisement, puis le triomphe après nos pénitences, la consolation après les jouissances et l’enchantement d’un temps nouveau. Pour parler de toi, pour parler de moi, il faudrait oublier nos dignités, nos élégances pour inventer, une fois de plus, la grâce et l’harmonie…
Que ta bouche soit le brasier, que ton ventre soit la fournaise, brûle !… Brûle !… Sois l’incendie !… Brûle-moi !
Maintenant !

Franck.

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