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J'irai marcher par-delà les nuages
29 avril 2018

Lettre N° 163 - Une tombe dans la voix...

Mon amour,

Nous ne nous voyons plus. Quelque chose entre nous est défait. Aujourd’hui j’ai des tombes dans la voix. Des cercueils encore ouverts. De larges trous de terre que le temps creuse encore. J’ai des morts qui m’appellent dans les chants à venir.
Tu le sais nous avons plusieurs mémoires. La plus lourde n’est faite d’aucun souvenir. Elle n’est que persistance. Elle est sans douleur, puisqu’elle est la douleur même. Puisque c’est le nom de la douleur. Elle s’accroche dans le dos de nos jours, comme une bosse. Elle n’a besoin ni de souvenir, ni d’image, puisqu’elle tient toute entière dans le sang des saisons.
J’ai des tombes dans la voix, de grands cercueils ouverts que je n’ai pas su fermer. Cette mémoire-là ne connaît pas l’oubli, elle est là, au revers des mots. Elle souffle. Elle pousse. Elle pèse sur les silences. Elle est l’opiniâtre patience de la mort, son sourire édenté.
T’écrire c’était déjà te rejoindre
J’ai ta tombe dans ma voix. Tu étais pourtant jeune. Tu étais déjà belle.
Tu es ma bosse, et mon chant à venir.
Tu es mon premier poème.
Tu seras le dernier.
Notre premier baiser d’ivresse pure… Nous étions appuyés contre le grand mur de pierres ocre du cimetière, déjà nous signions notre destin. La mort déjà poussait son chant dans nos veines. Dans la paume de ma main, j’ai tes îles brûlées, des stigmates de feu, des noces rouges et bleues. J’ai dans ma voix la couleur de tes yeux qui s’effarent de ces aurores que nous ne verrons pas ensemble.
J’ai ta tombe dans ma voix. Une nuit qui persiste et qui porte ton nom.

Franck.

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22 avril 2018

Lettre N° 15 - Parler est une chose difficile...

Mon amour,

Parler de nous, de toi, de moi, est une chose difficile puisque nous sommes sur cet étrange fil. En équilibre. Entre nos vies défaites, entre espoir et fatalité. Puisqu’il nous faut arracher aussi bien nos tragédies que le triste ou le sérieux, nos jardins sont si encombrés. Enlianés dans l’enchevêtrement de nos actes désemparés, de nos rêves usés, parce qu’ils ont trop servi. Encombrés par l’amoncellement de nos amours anciennes inachevées, inachevables.

Et puisque les jours ont enseveli les jours, que les nuits ont obstrué les jours, que même les saisons ont étouffé les jours. Alors parler de toi, de moi, est une chose difficile. Puisqu’il me faut gratter la terre de mes échecs pour exhumer à nouveau au soleil chacun de mes os blanchis, ces os lourds de mes errances.. Mais os si cassables. Il me faut retrouver maintenant la pudeur et la vertu de mes temps d’avant, il faut réinventer le pur, le simple, il faut chercher ce qui reste en nous, mon amour, d’inaltéré, de cristallin. L’enfant. Le pèlerin. Il faut aller chercher la larme qui se refuse.

Mon amour, aide-moi à penser à l’infime. Au vulnérable. Le point. L’unique point de résistance. Celui qui rassemble, qui totalise. Celui par lequel l’aiguille du ciel jaillit, à l’aplomb du soleil. Il y a dans nos âmes des géométries secrètes, des arithmétiques mystérieuses. Il te suffit de prendre la nuit en abscisse, le ciel en ordonnée, les deux tendent vers l’infini bien sûr, alors les étoiles s’allument, tu n’as plus qu’à joindre chaque lueur de cet espace, puis d’en faire la courbe exponentielle ; au bout se trouve la charnière du cœur à ouvrir. Pour vérifier que tes calculs sont justes, il faut que tu dessines une croix, celle qui nous crucifie, sur l’axe vertical se dresse l’amour, sur l’axe horizontal dispose l’attente, si ça saigne c’est normal, tu dois voir apparaître une myriade de points, ce sont les heures de notre vie, additionne-les, puis, il ne te reste plus qu’à diviser le tout par de nombre d’or. Tu peux aussi utiliser une agate, une topaze, un petit caillou, ou simplement un rêve d’enfant.
C’est  parfois mieux un rêve.

Il nous faudrait renoncer à ne plus renoncer. Et pour commencer, abandonner. Partir du point vernal. De l’articulation des saisons. Nous mettre dans l’embrasure du jour et de la nuit, à cet endroit du clivage de la lumière, à cette place de la coupure, où l’âme se décolle de nos mythes. Avec l’incision du rêve, puis en accepter le sang.

Car le temps s’approche de nos faces, avec sa lenteur, ses à-coups. Et nos os tremblent un peu.
Alors, parler de toi, parler de moi, est difficile. Ce serait parler de l’attente, de cette tension des nerfs, ce serait parler de ta nudité tout contre ma nudité. Ça serait dire nos bouches, leurs murmures de nuit, avec leurs soupirs humides, et les caresses brûlantes dans l’exaltation de la découverte. Ce serait dire la faim, la soif, la fièvre rouge de l’offrande,   la sueur des sexes contre les sexes. Ce serait dire tes eaux et mon navire, la tempête qui brasse nos gestes, l’effleurement de mes lèvres sur ton ventre, cette traversée profonde au cœur de nos désirs, de nos appels.
Tu comprends mon amour, ce serait dire l’obscur pour en faire la lumière, appeler Satan pour nous encourager. Ce serait ne plus se connaître et pourtant se connaître à jamais. Ce serait dire la blancheur de ta peau, les couleurs d’orange de ton sexe qui se déploie, l’enlacement de tes hanches, la poussée des muscles, le serrement de nos cuisses. Ce serait dire ta langue comme un tison ardant sur mes terres secrètes. Ce serait dire les morsures, les écartements, le vertige, les secousses et la charge. Ce serait dire le cercle de feu que le compas de tes cuisses ouvertes dessinerait sur les murs de la chambre. Parler de nous, ce serait dire l’essoufflement de la course batailleuse de nos mains, nos mains voraces dévorant nos chairs offertes, nos chairs béantes, nos chairs promesses. Parler de nous, ce serait dire l’épuisement, puis le triomphe après nos pénitences, la consolation après les jouissances et l’enchantement d’un temps nouveau. Pour parler de toi, pour parler de moi, il faudrait oublier nos dignités, nos élégances pour inventer, une fois de plus, la grâce et l’harmonie…
Que ta bouche soit le brasier, que ton ventre soit la fournaise, brûle !… Brûle !… Sois l’incendie !… Brûle-moi !
Maintenant !

Franck.

15 avril 2018

Lettre N° 9 - Dans l'ombre du silence...

Mon Amour,

Hier, avant de nous séparer nous nous sommes promis de nous écrire. Tu m’as dit « Il y a trop de lumière, il nous faut de l’ombre. Sans ombre il n’y a pas d’amour possible. » Je n’ai pas répondu. J’ai laissé en suspens ta voix qui se mêlait au bruit des vagues.
Hier, lorsque je suis passé te prendre, tu as ouvert la porte, j’ai reconnu Chopin. Tu m’as dit sans autre bonjour : « Oui, c’est Chopin le nocturne numéro vingt. Écoute bien, à chaque mesure on a la sensation que les notes vont défaillir, qu’elles vont s’effondrer, que quelque chose va se briser… ce n’est pas des défaillances, ce sont des passages, des sortes de portes invisibles qu’il faut traverser pour passer du jour à la nuit. L’amour, c’est ça, ce trébuchement qui n’est pas un trébuchement.». Tu as refermé la porte. Dans l’escalier nous parvenait encore la musique de Chopin.
Ce  matin, sous ma porte, ta lettre y était glissée. J’ai pensé à ton visage, hier, aux reflets de lumière qui l’éclairaient, à la densité du silence. J’ai pensé à tes paroles dites face à la mer dans un presque murmure : « Il nous faut inventer un autre langage, définir d’autres espaces. Aimer, c’est subversif, il nous faut un code… »
Je lis ta lettre debout face à la fenêtre dont les volets sont presque clos pour garder un peu de fraîcheur et d’ombre. Je lis ta lettre et j’entends Chopin. Toi aussi tu as su trouver des passages, des portes à travers les méandres du langage.
Tes mots ressemblent à ton visage, au grain de ta peau, j’en suis terriblement ému.

C’est à mon tour d’écrire. Ce soir j’irai déposer cette lettre sous ta porte. Demain nous nous verrons. Demain, je le sais, nous nous dirons rien des mots échangés, les paroles d’ombre doivent rester dans l’ombre.
Je t’envoie ce dialogue qui n’est pas un dialogue, ces deux-là, je ne sais pas s’ils nous ressemblent.
Parfois, j’ai le sentiment que mon écriture est trop bavarde.
Je me lance…..

LUI

« Avec cette lenteur. Je vais bâtir un navire. Puisque la lenteur est le chant de l’amour. Puisque la lenteur pèse de la toute présence, du temps, du tremblement. Avec lenteur, puisque la lenteur arrache leurs sanglots aux heures, puis la vérité aux gestes. Je ferai un navire, pour ce voyage entre nos ombres et nos frémissements, pour ce voyage de peau, pour ce voyage vers l’île perdue de nos corps. Car nous prendrons le large, puisque le large c’est nous. Que c’est désormais notre seul territoire. Notre seule destination. L’achèvement de nos horizons.
Je vais t’offrir le plus beau des cadeaux, la plus belle des fleurs, la source la plus miraculeuse. Ainsi tu toucheras la vie au plus près du sang, nous découvrirons ce qu’est l’amour quand il devient tes lèvres, quand il devient ta main sur ma main, tes doigts mêlés dans les miens, tes yeux sur mes yeux, nos larmes dans nos larmes. Car toi seule sauras ce qu’est l’orage en plein soleil, le désir quand il devient ruisseau, fleuve, océan.

Alors nous écrirons la loi des amoureux, qui dit que les fleuves naissent de l’océan qui les recueille. Baiser après baisers, nous écrirons l’histoire des voyages, des départs, des immensités. Car c’est la loi des étoiles. La seule qui nous oblige.

Je t’offre ce corps pour que tu m’apprennes comment la douleur d’un espoir se transforme en extase, comment le don succède à la perte. Car toi seule sais, que la vraie puissance n’est pas le pouvoir, que la fragilité de nos cœurs vaut mieux que tous les serments.

Aujourd’hui je ne prendrai pas ton corps puisque je t’offre le mien, puisque nous sommes au large de nous-mêmes, si loin de tout. Il te faudra seulement être le vent pour m’accueillir, être lumière pour me brûler, être musique pour le don des murmures, être coquillage pour recevoir mes larmes.
Aujourd’hui, avec cette lenteur, tu m’apprendras que le poids n’est pas lourdeur, que la grâce se tient dans le souffle.
Alors ma belle amoureuse je te ferai l’offrande de mes cris quand ils sortent de ma chair, de mes gémissements quand ils sont miséricorde. Tu seras la vague, serais le sable, tu seras la vague, j’en serais l’écume. Viens envoûter nos jouissances, viens prolonger nos ventres, viens nourrir notre ivresse, viens t'effondrer dans mon âme.
Avec cette lenteur.
Avec cette lenteur, je vais bâtir un navire. Et tu seras voyage. Avec lenteur, puisque la lenteur est désormais notre unique royaume. »

 

                                                   ==================

                                                  LE SILENCE qui les sépare…

                                                  ==================

ELLE

« Je veux sentir tes doigts sur chaque partie de mon corps, avec lenteur, comme un navire qui fend l’océan pour le recomposer indéfiniment.
Je veux que tu en découvres toutes les formes, toutes les couleurs, tous les velours, toutes les soies.
Je veux que tu ailles dans tous mes mystères, que tu fouilles tous mes secrets, toutes mes ombres.
Je veux que tu l’ouvres, que tu épanouisses ses fleurs une à une.
Je veux sentir l’éclat de ton souffle à l’intérieur de mes chairs, tes baisers humides brûler mes tremblements.
Je veux sentir tes frottements jusqu’au cœur de mes os.
Je veux te voir vibrer dans mes moiteurs secrètes, te perdre dans mes broussailles obscures.
Je veux te donner ma source, mes liqueurs odorantes.
Je veux te donner mes plus beaux orages, et t’emporter dans un tourbillon d’ivresse.
Oui, je veux te donner mes résistances, mes peurs vaincues. Que tu sois ma plus belle défaite, que tu déploies mes abandons, que tu sacres mes renoncements.
Je veux ta tourmente pour me sentir mourir et renaître dix fois. Cent fois. Mille fois.
Je veux crier ton nom pour oublier le mien, être indécente et dévastée.
Je veux que tu me perdes pour me redécouvrir à chaque instant.
Oui, je veux être ta morte et ta vivante à la fois.
Je veux sentir en moi la vigueur de ta chair, la chaleur de ton fleuve, la puissance de ton feu.
Je veux sentir ta violence déchirer mon désir, jusqu’à la douleur, jusqu’au supplice, même jusqu’à la tendresse, pour me noyer enfin dans le ravissement. Bien après le vertige, jusqu’à l’éblouissement.
Je veux que tu épuises toutes mes forces, tous mes cris, tous mes blasphèmes. Prends mon corps, prends mon âme, prends ma vie, prends ce que tu veux, vole-moi !
Aime-moi ! »

Voilà mon amour, nous dessinons un peu plus chaque jour, des mondes. Traverser la lumière est une épreuve pour les amants. Traverser le langage en est une autre plus douloureuse encore.

Franck.

8 avril 2018

Lettre N° 26 - Les inconnus...

Mon Amour,

Notre amour échappe à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairent. Il nous faut cette ignorance de nous-mêmes. Comme si les mots pouvaient chasser ou effacer la présence. Il faut n'en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l'incommensurable banalité.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je te voyais traverser une pièce et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux espaces, que de te voir, toi, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.

Parfois nos visages se rapprochent. Nous fermons les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois tu passes ta main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Éteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux pourrait nous annuler, nous effacer, nous anéantir.
Nous restons dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vague en vague, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.
Tu brodes des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Alors nous sommes dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Œdipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanité ancienne et éternelle.

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

Il y a sur la géométrie de ta peau des angles inconnus, des perspectives lointaines qui crissent sous ma main, de ces coins d'ombres où je me perds, de ces sources d'eau brûlantes qui attisent ma soif, ma faim, ma peur même. Il y a des parallèles folles, des ellipses féroces. Il y a sur ta peau toute une géométrie de l'espace, avec des chiffres que mes doigts devinent, pénètrent, décryptent. Toute l'apesanteur, tous les centres de gravité qui se concentrent dans l'atome du souffle. Il y a ce vertige des nombres vers l'infini du désir ; plus ou moins l'infini, selon le sens de nos nuits, selon la pente de nos caresses. Il y a ce désordre des chairs, ces frottements lents et profonds à la tangente d'un soleil de nuit brûlant nos ventres affamés. Il y a nos disparitions, nos abstractions pour lesquelles nous mélangeons le chiffre de la bête avec le nombre d'or. Il y a tes soupirs cosinus sur ton cri vertical...  ma main sur ta peau,  mes lèvres sur ta peau,  mes rêves sous ta peau. Et tes larmes, aussi. Arithmétique des jours où nous nous tenons à l'écart-type de nos tentations, où nous faisons nos contes d'apocalypse, additionnant la chair à la chair, multipliant les frémissements.
Le temps, avec toi, est une arithmétique insatiable.
Temps qui s'avance sur l'hyperbole de tes hanches.
Temps exponentiel.
Asymptote souveraine qui guide nos heures vers le chant.
Mathématique du silence.
Algèbre universelle des équations à deux inconnus.

Tu le sais, nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants s'échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours d'une nuit d'hiver, dans le dénuement d'une saison morte. De nuit. Toujours de nuit. Car nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. L'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèle pour nous détruire en même temps. La première nuit. Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous-mêmes. Ainsi, remonter le fleuve de nos générations.

Nos corps démentent nos silences. Nos corps dénient nos souffrances.
Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Épuiser la langueur, fille de nos peurs.
Recommencer à s’aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Mais l'amour se dérobe à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Tremblants.
L’algèbre universelle de l’infini, à l’infini des inconnus.

Franck.

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