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J'irai marcher par-delà les nuages
27 mai 2018

Lettre N° 35 - Ton nom...

Mon amour,

Alors je prononce ton nom. Un oriflamme dans le vent de la parole. Je prononce ton nom pour l’avoir dans la bouche, au plus près de ta saveur, au plus près de ton parfum. Je prononce ton nom pour le faire résonner dans ma gorge, pour échanger nos souffles. Lorsque je prononce ton nom, ma poitrine se gonfle sous l’effet d’une tourmente troublante, ce genre de tourmentes marines que l’on rencontre dans les océans perdus, avec ses longues et larges houles, berçant le ciel, accrochant à l’écume un peu de brume, un peu de neige, un peu d’envie. Cet air marin chargé d’iode et d’embruns pénètre mes poumons jusqu’à l’échange des sangs.
Voilà, tu entends… l’échange des sangs.
Je prononce ton nom à haute voix. Tu comprends, il ne me reste que ça pour être au plus près de toi. Il ne me reste que ça pour faire tenir ensemble mes décombres de mémoires et ce trait de lumière qui me traverse et m’éblouit.
Je prononce ton nom à haute voix, avec lenteur, avec une extrême lenteur, et je respire enfin, et le silence tinte enfin, les constellations se remettent à vibrer. Avec lenteur, comme une chose sacrée. J’articule chaque son pour lui donner la chair suffisante à ta splendeur, et le poids exact de l’espérance. Je prononce ton nom en arc-boutant ma nostalgie sur le mur de mon exil. C’est une nécessité. Je m’applique à cette folie pour éviter des folies plus grandes encore. Je m’applique à ce chant monotone, et lancinant, pour retrouver l’usage des mots.
Je m’applique à ton nom, comme le peintre à ses couleurs. Nommer c’est faire œuvre divine, te nommer c’est faire œuvre solaire, c’est relier, étendre, agrandir, réchauffer, c’est effacer l’ombre. Te nommer à haute voix c’est habiller la solitude de vêtements de soie. C’est une chance de plus de franchir le néant.
Chaque syllabe est une part de toi, la part bleue, chaque lettre est une lueur qui persiste. Qui résiste. Dire ton nom c’est tisser le silence, c’est déplier la nuit pour la rendre habitable. Supportable. C’est appeler ton visage, c’est comme si je saisissais ton murmure sur le bord de tes lèvres. Tu comprends, c’est comme caresser tes cheveux, ou comme réinventer le désir, avec sa marche épuisante à travers les sables. À chaque lettre c’est chercher la forme d’un aveu, ou d’une miséricorde. C’est inventer ta peau, c’est déposer mille baisers dans l’air que tu respires. Car tu sais, prononcer ton nom c’est moduler le vent aux formes de ton corps. C’est dévorer un rayon de soleil. Prononcer ton nom, c’est convertir le païen  aux étoiles, c’est t’inscrire sur les anneaux de Saturne, c’est graver un chemin qui te rejoint, c’est inventer la route de tes yeux.
Je prononce ton nom à haute voix. Avec lenteur, comme un insensé que l’on croit voir parler seul, alors qu’il dialogue avec quelques saints bienheureux.
La lenteur bâtie les empires et dénoue les distances.
La lenteur appelle ta présence, comme la flamme d’une bougie appelle les dieux. La lenteur dans ma voix qui te dit, c’est le chemin royal pour te rejoindre, car la lenteur va avec la tremblance, et la tremblance va avec l’amour et l’amour va avec toi.

Franck

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21 mai 2018

Lettre N° 188 - Le corps de l'autre aimé...

Mon amour,

Maintenant que tout est dit, il me faut redire à l’envers du temps, trouver un autre chemin dans le déjà advenu.
Notre pacte tenait dans l’écriture. Tu en avais eu l’idée au tout début. Je me souviens de ce jour, nous étions face à la mer, éclaboussés par les lumières des vastes étendues, pris dans l’intensité et la fixité du soleil. Tu avais dit : « Nous devons nous écrire… Le plus souvent possible. C’est la seule façon de créer des contretemps et d’éviter la fatalité des banalités… »
Tu avais dit : «  Il y a une voix dans l’écriture, il y a un être qui vit dans les mots écrits… ».
Tu avais dit : « C’est cette voix qui aime en nous, c’est cet être de la voix qui soulève l’amour… et le porte dans ces contrées de nous-mêmes si lointaines, si vitales… »
Tu avais dit : « C’est cet être de la voix qui aime… On n’y pense pas, on croit à notre toute-puissance… On se trompe toujours… Nous écrire ne nous sauvera pas, il y aura seulement une abondance… et la trace des mots dans nos chairs… peut-être des brûlures plus fortes, plus profondes… ». Tu avais rajouté : « Rien ne nous sauve… jamais… »
J’entends encore ta voix, qui déjà était celle de l’écriture, j’entends sa douceur, sa lenteur, ses silences. Tu regardais l’horizon, tu semblais happée par l’infini. De l’infini à l’éternel, il n’y a qu’un pas, j’ai fait ce pas pour te rejoindre…

Alors l’écriture m’est arrivée d’un excès. D’un débordement. D’une abondance insupportable (abondance, tu aimais ce mot, souvent tu l’employais dans tes lettres, tu le préférais à  joie, d’ailleurs joie,  jamais tu ne l’employas, abondance est un mot qui t’aillait bien, il semblait porter ton âme.). Écrire, c’est trop de voix dans ma voix. C’est trop de vie dans la mort. Écrire, c’est d’abord un dérèglement. Un lent glissement

Il me faut redire à l’envers du temps.
C'est toujours avant que le moment se construit.

Et nos amours arrivent dans nos vies comme sur des ronciers. Et nos amours meurent comme les roses.
Aimer c'est avant d'aimer que ça arrive.
Tu avais dit : « Nous devons nous écrire… Le plus souvent possible. C’est la seule façon de créer des contretemps et d’éviter la fatalité des banalités… »

Je ne sais plus où j’ai lu cela, l’ai-je lu vraiment ; la chair que nous avons aimée habite à jamais notre corps.
Cela ne ressemble pas à des souvenirs, cela touche une mémoire plus profonde, plus archaïque. Cela touche au sang, à la respiration. Je ne sais pas dire cette chose, les mots de ma conscience vive se dérobent. La chair en nous de l’autre aimé est une ombre silencieuse qui accompagne notre regard, parfois notre joie, souvent notre tristesse.
Nous sommes faits de temps dévastés, comme une aurore qui se lèverait sur le champ des combats enfin terminés, avec ces dépouilles, cette apocalypse, ces vols d’oiseaux noirs, ces gémissements. Nous sommes des survivants hagards, errants dans les silences d’une mémoire incompréhensible, butant sur les traces, les restes, les ombres, qui hanteront jusqu’à la fin nos nuits.
Seuls les mots de l’écriture effleurent, en nous, ce corps de l’autre aimé. L’écriture, avec le corps de l’amour sont de la même espèce, de la même terre, faits d’absence, d’oubli, de surgissement.
Nous avons en nous, au moment où nous venons au monde, un livre déjà écrit dans nos chairs, vivre c’est tenter de le décrypter, écrire c’est en continuer le récit.
Ce livre ne raconte pas notre vie (rien ne peut la dire), il nous dit les temps passés, les temps  à venir, les mystères, les peurs, la nuit, il nous dit toutes nos défaites, nos prières, et encore la nuit, toujours la nuit, il nous dit tout ce que notre langue n’ose pas prononcer.
Le corps de l’autre aimé est là, comme une sorte de signature, la marque des chagrins impraticables, une empreinte arrimée à la lancinante germination des temps advenus.
Le corps de l’autre aimé est là, plus vivant que nous, sans doute… Tu es là, tu rodes, tu hantes… Je tremble encore de ta présence brûlante, palpitante, parfois brutale comme la foudre. Ta nuque, ton visage, le froissement de nos étreintes, les caresses patientes.
Ton désir inquiet épelé dans l’acquiescement, comme pour fleurir quelque mélancolie, alléger le poids obstiné des fêlures primitives, ces plaies inachevées qui bordaient l’orient de ta mémoire.

Mes souvenirs ne disent rien, ils sont comme les écorces abandonnées d’une forêt impénétrable, je n’ai que ce récit ancien, ce livre avec ton corps qui survit dans mes décombres, éparpillé dans une trop vieille parole.

Franck.

13 mai 2018

Lettre N° 183 - Lettre inachevée...

Mon Amour,

 

Maintenant, seule ma mémoire est un secours. Les souvenirs sont comme des mantras que je ressasse pour conjurer l’évidence. L’absence, ton absence est inhabitable. Le souvenir est un défaut du présent.
Je me souviens du tout début, de nos premières rencontres. Cette fragilité, les ombres qui déjà peuplaient nos paroles, nos gestes. Les premières images, avec nos hésitations, nous allions l’un vers l’autre comme si nous étions dans un sous-bois, cachés, mûs seulement par les éclats tremblants du soleil à travers les arbres, et une lenteur singulière. L’intense lenteur.

Ta beauté semblait t’encombrer, te rendant quelquefois maladroite, une maladresse presque enfantine.  L’ombre et la lumière se succédaient sur ton visage comme si rien n’accrochait vraiment, ni le jour, ni la nuit.
Face aux autres tu paraissais toujours vouloir t’assurer de ta propre existence. Tu attendais une sorte de confirmation de ta réalité.
À chaque instant je tentais de te donner ce regard, cela m’était infiniment délicieux, souvent jusqu’à la douleur. Je ne pouvais m’empêcher de voir en toi la petite fille tragique, tyrannique que tu fus sans doute. Une petite princesse déchue, défaite par la banalité du désir des hommes.
Tu semblais mettre tout à distance pour protéger un rêve qui jamais n’avait pris forme.
En toi tout était dissonance, ton regard, tes rires, tes gestes, comme si tu restais prisonnière d’un miroir que tu ne pouvais traverser.
Tu pouvais être alternativement désinvolte, méprisante, hautaine, émouvante. Je te voyais surtout perdue. Tu étais surtout silencieuse.
Ta beauté était ta pire disgrâce, ton pire malentendu.
Le plus souvent tu semblais rester à la surface du monde espérant que cela suffirait à te sauver. Chaque jour tu posais un masque sur tes nuits de chagrins, et l’ombre sous tes yeux me dévoilait l’ennui, la peur, le manque. L’attente. Un feu lent et profond. Un feu sans braise, uniquement les restes d’une cendre en forme de souvenirs d’enfance, une cendre posée sous ses yeux.

Puis il y eut cette fameuse nuit.
Il y avait eu une fête, nous nous étions éloignés de la foule, du bruit, de l’agitation. Nous avions nommé cette nuit, la nuit du sacre. Cela t’amusait, tu prononçais le mot sacre comme s’il contenait un pouvoir sur nous, un pouvoir de mystère et de magie sur notre amour. Nous avons regardé le soleil descendre sur l’horizon et la nuit monter de la terre.
Nous nous taisions. Du bout des doigts j’effleurais ton visage. Tu avais fermé les yeux. Tu respirais lentement, profondément. Sous mes doigts tes lèvres semblaient sourire. À peine sourire. Et ta respiration portait le silence et tirait la nuit à nos pieds. Nous étions là, dans les heures soyeuses, nous flottions dans les exhalaisons de l’été, à l’abri du monde, berçant notre amour comme l’enfant de notre pacte, de notre abandon, de notre avenir. La nuit, en cet instant, réconciliait la gravité méditative de nos âmes à vif, avec ce que nous appelions le destin, cet incurable et insaisissable ossuaire dans lequel nous vagabondions, aveugles et taciturnes depuis l’aube de nos vies.
Nous nous étions trouvés pour nous offrir mutuellement l’absolution, nous avions consenti aux confessions, aux murmures épicés et complices, aux pensées de cristal, aux corolles de légendes que nous inventions pour nous défaire des écorces du temps, des inscriptions du hasard, de l’impur préjudice de nos errances d’antan.
Nous trouver c’était, nous le savions, échanger nos misères contre des semailles, et ta beauté cette nuit-là couronnait notre insurrection amoureuse, nous avions ouvert un précipice où chuter n’était que voler dans un incendie auréolé, tout avait le goût de la fatalité et cela nous convenait. Cette nuit-là, devenait cette nuit nuptiale et rejoignait le bruissement de nos âmes inquiètes et sauvages.
Cette nuit-là nos horizons coïncidaient dans le même écoulement, le même consentement, le même voyage. Rien ne sépare l’harmonie du chaos.
......

 

6 mai 2018

Lettre N° 181 - Rupture...

Mon Amour,

Que dire ? Tu es désormais très loin. Nous savions la fin dès le premier jour. Bien sûr, on n’y croit pas.
Mon passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru.

Tu sais il y a des lieux de nous-mêmes dont on ne revient pas. On les arpente la vie durant comme un aveugle, se cognant, trébuchant aux mêmes endroits, n'évitant rien des obstacles mille fois connus. Jusqu'à user nos guenilles. Jusqu'à l'épuisement du moindre désir. Il y a des lieux de nous-mêmes, clos comme une île perdue. Une île usée par les mêmes vents, rongée par les mêmes embruns, brûlée par les mêmes astres.
Il y a sous ma peau nos déserts, et derrière mes yeux les mêmes images, dans l'oreille la même musique, dans mes mains cette même attente inutile, cette même distance infranchissable.

Notre baiser c'est égaré, abîmé, il a sombré dans l'espace trop grand des jours, il est resté collé à nos lèvres devenues trop sèches. Nos caresses ont reflué, se sont reprises, comme une mer qui se retire, arrachant dans leur retrait jusqu'au goût de nos chairs, pour ne laisser qu'une saveur fade d'os blanchi. Comme si tous les départs étaient des retours. Et toutes les fins d'impossibles recommencements.

Il y a des lieux de nous-mêmes qui ne nous abandonnent jamais, ils sont la route, l'unique lumière noire, notre lieu d'éternité. Le sans fin de notre vie. Nos ventres se sont séparés, nos cuisses se sont refermées, nos sexes se sont cachés, tes seins se sont durcis, pris dans une glace de marbre. Nos corps sont devenus des pierres anguleuses aux arrêtes tranchantes aux paroles acerbes et crues. Nos corps ont perdu leurs formes, leur tiédeur, leurs secrets, le mystère de leurs odeurs. À chaque geste, désormais, un silence en surplomb. A chaque heure un gouffre en partage. Cascade lancinante, dévastée d'ombres sauvages, cruelles. Une à une les portes du langage se sont refermées. Avec un bruit sec, mat. Mots ravalés, qui viennent s'empiler les uns sur les autres. Murs lourds en parpaing de silence, dressés sur les frontières de l'absence, et qui arrivent au grand galop. Déferlante d'indifférence bouillonnante, avide de nouveaux naufrages.

Mon amour, il y a des lieux de l'autre qui nous dépossèdent. Ou pire, qui nous rendent à nous-mêmes. Lieux néants, lieux vides d'espace où la rencontre n'est plus possible.
J'ai simplement fermé la porte. Un bruit sec, mat. J’ai simplement étouffé la parole. J'ai simplement voulu aller loin, rejoindre mon île perdue. Celle qui gît, là, au fond de mon ventre. J'ai simplement voulu défaire le tricot des mots, des gestes, défaire le temps lourd, lent, défaire les brumes, les landes qui nous entouraient, défaire la citadelle creuse qu'on osait plus habiter.
Alors j'ai roulé dans ma mémoire. Longtemps.
Cela fait si longtemps que je roule mon errance. Caboteur mélancolique qui cherche sur les rives qu'il frôle le phare. Le phare. Avec toi, je me croyais sauvé.
J'ai simplement fermé la porte. Je ne me suis pas retourné. Il n'y a jamais rien derrière, sinon le mensonge des miroirs. Il n'y a jamais rien devant. Il n'y a que l'instant, celui-là, celui qui suce le sang. Là, maintenant, qui m’écrase. J'ai les mains vides, même mes prières s'en échappent. Et nos souvenirs s'écoulent comme du sable au vent.

Comme du sable au vent.
Nos espérances s'éteignent comme des nuits sans lune.
Un lait noir, froid.
Poison silencieux de l'errance.
Infiniment longue, infiniment tenace.

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru. Je suis dans la pénombre voûtée de ma mémoire. Ma peau nue sur les murs noirs. Ma peau nue sur l'usure des ans, traversée par une sorte de langueur de crucifié.

J'habite une église désertée, sans procession, sans ostension, des saints de marbres gisent absents, le geste vain, le regard vide de compassion. Sur l'autel, nul calice, nul livre, nulle parole d'évangile, nul cierge, hormis un silence immaculé et austère, imperturbable, insensible.
Il est de ces chapelles abandonnées par les dieux, où seul le temps pénètre. Et les seules prières, c'est le vent, les seuls murmures, sont mes larmes qui suintent le long des vitraux. Chapelle de nuit, chapelle d'orage. Chapelle d'oubli. Ni portes, ni pardon. L'expiation est un long pèlerinage.

Depuis toi,  je sais des arcs-en-ciel qui percent les murs.
Je sais des océans dans les plis rugueux de la pierre.
Depuis toi, je sais des saintes.
Des saintes résolues, à la peau de passion, à la chair de cantiques, aux murmures brûlés.
J'entends pousser un arbre au transept de mon silence, et couler un long fleuve dans ma nef patiente. Je sais cet incendie qui couve.
Et je sais mon sang quand il brûle mes mots...
Je sais toutes ces choses qui s’en vont au galop, au tumulte qu'elles font, aux frissons des étoiles, à l'effarement des cieux.

Franck.

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