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J'irai marcher par-delà les nuages
2 septembre 2018

Lettres N° 159 - Trou…

Mon amour,

Il faut le constater, quelque chose se défait. Je n’ose pas compter les jours depuis ta dernière venue ici. Tes lettres aussi me manquent. Ce soir nous nous retrouvons à notre endroit habituel. Pour nous dire quoi ? Je n’ai pas dormi. J’ai voulu renouveler le geste d’écrire. Continuer le pacte. Que nous arrive-t-il ?
Ce soir je te mettrais cette lettre. Tu ne la liras pas. Tu la glisseras dans ton sac, pour plus tard. Peut-être me donneras-tu ta lettre ? Peut-être que nos mots écrits, désavoueront nos paroles, nos gestes, peut-être qu’ils seront dans le contretemps, le contre-chant ?
Ce soir il nous faudra éviter le mélodrame. Je le sais. Je m’y prépare. Que pouvons-nous sauver ? Que voulons-nous sauver ? Nos démons nous rattrapent. Ils galopent dans nos veines. La dernière fois ton regard portait d’autres horizons, d’autres couleurs. Tes baisers avaient le goût des reproches, la saveur des distances.
Mes lettres sont devenues orphelines.

Puisque nous sommes sans rive aucune paix ne nous consolera. L’attente est encore une façon d’être avec toi. Mais c’est un trou. Un peu comme un caveau dans le cœur. Notre cœur est un cimetière abandonné. Immense comme les champs de bataille, avec leurs brumes pâles, avec leurs petits matins dévastés, égarés. Le jour trahi toujours la nuit.

Je me souviens, c’était il y a longtemps, je me souviens du désert.
Il y a un instant particulier dans le désert lorsque le jour paraît. Bien avant le soleil, il y a cette blancheur fade avec l’immensité qui se dévoile peu à peu. Cet instant appartient à la mort. À la folie. Au désespoir. Je jour n’est pas encore le jour, dans ces instants plus rien ne tient, plus rien ne vaut. La nuit du désert est sans horizon, l’œil s’accroche au ciel, c’est suffisant. À l’instant du jour, l’horizon est sans fin, la solitude est accablante. Menaçante. C’est un trou dans le jour. Cela dure très peu de temps, mais cela revient tous les matins, comme si tous les matins il fallait renouveler ses vœux, son acquiescement. La traversée d’un cimetière abandonné fracassé de silence. Un désert de présences disparues. C’est la mélancolie qui nous sert de vaisseau pour ces traversées au point du jour. Ainsi va mon amour. De matin en matin, de perte en perte.

Aimer, c’est commencer à se séparer. C’est marcher vers un trou. Un trou de vie.
On est perdu. Depuis la nuit ancestrale, on est perdu. Aimer c’est retrouver cette perte primordiale en croyant la dépasser. Aimer, c’est déjà dire adieux. La mélancolie nous garde en vie.
Il y a un moment où la parole meurt par anticipation. Elle est sans but, sans destination, elle est simplement la mort qui rôde, la marque de notre exil. Elle est un silence qui se ment à lui-même. Elle tombe dans l’entre-deux. Le vide irréconciliable, puisque nous sommes sans rive.

Le « sans réponse » occupe une place infinie en soi. Et nos paroles qui ne sont pas entendues s’élargissent comme un grand lac noir. L’autre, qui me tait, occupe toute la place. Chez moi, il est chez lui. Les dieux le savent, eux qui ne répondent jamais. Moins ils répondent, plus ils sont présents.
Entre ta voix et le silence il y a un trou. C’est un abîme. J’y trébuche souvent. L’amour y fait son lit.
Entre ta voix et le silence il y a un trou.

Ainsi mon amour. Entre mes doigts et ta peau, il y a un trou. Des constellations s’y glissent.
Je t’ai confié à ma voix pour ne pas te perdre.
Tu m’as ancré dans ton silence pour ne pas me perdre.
Comme si les naufrages n’existaient pas.
Nous sommes sans rives. Insaisissables. Inaccessible à nous-mêmes. L’aimé défini notre pays. De même que notre exil définitif. La seule chose que je sais de moi, c’est toi.
Je t’ai confié à ma voix pour m’ouvrir en deux. Pour franchir un abîme.
Pour nous faire un lieu, où le dénudement ne serait pas la nudité.
Aimer c’est désunir le silence.
C’est dénouer le temps.
C’est la voix du cri sans le cri.

Franck.

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