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J'irai marcher par-delà les nuages
23 septembre 2018

Lettre N° 145 – Une hémorragie…

Mon Amour,

Tu ne cesses de me parler du livre, malgré, en dépit, de nos cendres. Bien sûr, je comprends et ne peux m’empêcher de t’envier, comme si tu avais atteint la rive - l’autre côté. Ce lieu vital de la littérature. Extraire du temps de cet immense chaos, s’extraire du temps, pour d’autres temps, plus primitifs, plus infinis. Plus définitifs. Écrire nous fait passer du côté du sens. Je comprends à la lecture de tes mots ta nouvelle radicalité. Consentir c’est renoncer. J’ai toujours su que tu avais cette vocation de sainte laïque et orgueilleuse. Ton temps est venu. J’en éprouve la joie et le fracas. Tu me demandes comment échapper à la narration. Nous en avons déjà tellement parlé. Tu me redis ta révolte en face de cette captation du livre par la narration. Il n’y a pas d’histoires, mon amour, il n’y a jamais eu d’histoires, il n’y a que des frontières. Seules les frontières désignent ces lieux impossibles du temps et de l’espace. Le vrai lieu de la littérature. Lieu limite, temps limite, âme limite. Tu le sais il est impossible de définir ce qu’est la littérature, tout au plus pouvons-nous nous essayer à formuler ce qu’elle n’est pas. Et encore… ! Et la certitude qu’elle signifie la condition humaine : l’amour, la mort, le sens et la négation de l’amour, de la mort, et du sens. Je rajouterai l’élévation. Ne me demande pas d’expliquer. Élévation, ce qui entraîne l’âme hors de l’âme. Le feu, la brûlure.

Écrire nous a rapprochés, écrire désormais nous sépare. Nous le savions.
Tu nous as effacés. Pas un mot sur notre désastre.

Il y a dans l’amour la simplification d’une prière, un silence engourdi, un vertige immobile, comme un deuil lancinant, le sacrifice accablant d’un être inconnu en soi. Une mort sans mort d’une immense fatigue. Il y a dans l’amour, à l’ombre des fulgurances, la lenteur d’une fatalité.
Il y a dans l’amour l’instant du froid. L’hiver. Alors l’arbre aux fruits se glace, se fige. Le dénuement recouvre lentement la nudité. Il y a dans l’amour un point sans retour, sans arrivée, sans lieu…un point lourd, inhabitable, écrasant. La chair durcit, c’est l’hiver des caresses, les baisers sont cassants, la tendresse est un givre blanc sur nos entrailles pantelantes.
Au cœur de la grâce gît le poids des fautes, c’est ce qui lui donne sa densité, cet éclat incomparable.
Apprendre le silence. Le chemin le plus droit de l’amour. Le sentier droit et fleuri de l’amour.
Les mots ne disent rien, c’est pour cela que nous écrivons, pour être dans ce dépouillement de la langue, plus loin que le dépouillement de la chair.
L’amour, qui brûlé nous jette dans l’urgence, exige des réponses sans poser de questions. Des bûches en offrande aux flammes. La mort rôde toujours près des amants flamboyants. Elle attend son heure dans la lenteur des temps.
L’amour qui brûle est sans issue. Des cendres, des cendres dans bouche, dans le creux des mains. Des cendres dans le regard. De grandes plaines de cendres grises. Poussière de temps. La promesse est une porte ouverte sur l’enfer. L’amour qui brûle n’a plus de temps. Il brûle, c’est tout. Vivant, plus que vivant. Et les cendres. Mort, plus que mort.
Sang contre sang. Douleur contre douleur, même pour la fin nous devons tout additionner. Une autre façon d’aimer encore plus fort. L’au-delà a ses sentiers creux. Les chemins de croix sacrent aussi le printemps et l’amour.
L’amour qui brûle défie les dieux.
L’amour à vif ne laisse pas de souvenirs. Seulement des trous dans l’âme, des espaces d’où s’échappent des torrents de lumière. Une hémorragie.

Franck.

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