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J'irai marcher par-delà les nuages
30 septembre 2018

Lettre N° 41 - Je suis la poussière...

Mon Amour,

Hier en nous quittant tu m’as laissé ce livre de Bousquet. Je ne sais si ton geste était chargé d’un mystère, d’une clé, d’une intention, d’un message. Le soir était là, j’ai commencé à lire. J’ai lu toute la nuit. Là, au moment où je t’écris, je suis encore dans la fascination, ensorcelé par la beauté. Faut-il voir un parallèle avec notre histoire ?
Nos lettres, nos rencontres font surgir des paradoxes. Ta poésie dit un autre discours que tes gestes, tes baisers, ton odeur. Un autre discours, pourtant c’est le même. Chacune de tes lettres est un surcroît de vie, de densité, d’incarnation. L’amour s’approfondit, s’aggrave.
« … nous n’avons été créés, rapprochés que pour éclairer nos visages avec la lumière de nos mots d’amour, et former, pour un instant, dans la triste lumière d’ici-bas, une flamme si pure que le ciel s’y puisse détourner de lui-même. Oui, on dirait que l’on a toute la vie pour rendre un instant capable d’absorber tous les autres. »*
Nous jouons avec le temps, c’est comme jouer avec le feu. Plus de temps dans les veines. Demain nous irons marcher sur le port, nous regarderons l’horizon des bateaux, l’écoulement des heures s’entrelacera avec la banalité des mots prononcés, nous parlerons sans doute de Bousquet, des Lettres à Poisson d’Or. Nous viendrons nous cacher ici pour nous retrouver dans l’échange des chairs.
L’amour appelle le silence, il efface les mots, les paroles, les écrits. L’amour ne peut être dit. Pourtant sans les mots quelque chose de l’amour nous échappe, nous tue peut-être.
« Je m’enfonce dans le souvenir d’une heure qui fut l’oubli du temps. J’épuise la volupté d’approfondir dans notre amour un vertige de solitude, une sorte d’exil rayonnant, pur comme une étoile. »*

Je suis la poussière et le sable,  tu es la semence du vent, et l'éclair.
Je suis naufragé,  tu te fais île. Je suis la soif,  tu te fais fruit. Je ne suis qu'une écorce, tu me  fais arbre.
Tu me sors des frontières des enfers, aux bords de ces abîmes, de ces archipels pourpres. Infatigable. Tu es cette lande amère offerte aux souvenirs, qu'une aurore veuve, squelettique incendie chaque jour. Chaque nuit.
Je suis pauvre, tu me donnes la démesure, la sérénité, et le soulagement de l'attente. Je suis le chaos, tu m’apprends la grâce, l'élégance du geste qui s'enroule sur l'ombre des heures. Je ne suis qu'un son dissonant, tu me montres l'octave, lorsque les notes s'épuisent et se faufilent dans les harmonies immaculées. Je ne suis qu'une écume pauvre en déroute, tu sais la tisser en dentelle de givre.
Tu souffles sur mes plaies dérisoires, oubliant tes humeurs, tes rumeurs, tes horreurs, tu souffles sur mes plaies vaines et frivoles avec la patiente douceur d'une mère attentive, avec cette complicité de sœur câline, la tendresse d'une femme amoureuse. La tendresse d'une flamme généreuse. Tu es la chair de mes os, et tes mains, la peau de mes rêves.
Je suis la poussière, le sable, tu es la lumière et l'étoile. Je suis misérable, tu me fais sentier, chemin, passage, pèlerin embrasé. Je suis taciturne, tu es ventre de délivrance d'aube. Je suis un puits sans fond, tu m’offres la chair de ta margelle, le chant de ta poulie, l'alliance de ta corde.
Je ne suis qu'un désert, tu me fais citadelle Je ne suis qu'une friche, tu me fais jardinier. Je ne suis que silence, tu me fais symphonie. Tu m'offres tes mots pour nourrir ma parole, puis tes incantations pour guider mes prières. Tu es cette voix fauve sarclée de ferveur exaltée, incandescente, étincelante. Tu es un orage, un tourbillon enluminé d'innocence égarée. Un royaume sans frontière.
Je suis la poussière et le sable, et ton vent souffle pour disperser mes cendres, alors je deviens nuage poussé par tes sortilèges. Je deviens un ciel de miséricorde traversé de lenteur blanche.
Un rêve de papier débarrassé des marges.

Franck.

* Lettres à Poisson d'Or : Joë BOUSQUET

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23 septembre 2018

Lettre N° 145 – Une hémorragie…

Mon Amour,

Tu ne cesses de me parler du livre, malgré, en dépit, de nos cendres. Bien sûr, je comprends et ne peux m’empêcher de t’envier, comme si tu avais atteint la rive - l’autre côté. Ce lieu vital de la littérature. Extraire du temps de cet immense chaos, s’extraire du temps, pour d’autres temps, plus primitifs, plus infinis. Plus définitifs. Écrire nous fait passer du côté du sens. Je comprends à la lecture de tes mots ta nouvelle radicalité. Consentir c’est renoncer. J’ai toujours su que tu avais cette vocation de sainte laïque et orgueilleuse. Ton temps est venu. J’en éprouve la joie et le fracas. Tu me demandes comment échapper à la narration. Nous en avons déjà tellement parlé. Tu me redis ta révolte en face de cette captation du livre par la narration. Il n’y a pas d’histoires, mon amour, il n’y a jamais eu d’histoires, il n’y a que des frontières. Seules les frontières désignent ces lieux impossibles du temps et de l’espace. Le vrai lieu de la littérature. Lieu limite, temps limite, âme limite. Tu le sais il est impossible de définir ce qu’est la littérature, tout au plus pouvons-nous nous essayer à formuler ce qu’elle n’est pas. Et encore… ! Et la certitude qu’elle signifie la condition humaine : l’amour, la mort, le sens et la négation de l’amour, de la mort, et du sens. Je rajouterai l’élévation. Ne me demande pas d’expliquer. Élévation, ce qui entraîne l’âme hors de l’âme. Le feu, la brûlure.

Écrire nous a rapprochés, écrire désormais nous sépare. Nous le savions.
Tu nous as effacés. Pas un mot sur notre désastre.

Il y a dans l’amour la simplification d’une prière, un silence engourdi, un vertige immobile, comme un deuil lancinant, le sacrifice accablant d’un être inconnu en soi. Une mort sans mort d’une immense fatigue. Il y a dans l’amour, à l’ombre des fulgurances, la lenteur d’une fatalité.
Il y a dans l’amour l’instant du froid. L’hiver. Alors l’arbre aux fruits se glace, se fige. Le dénuement recouvre lentement la nudité. Il y a dans l’amour un point sans retour, sans arrivée, sans lieu…un point lourd, inhabitable, écrasant. La chair durcit, c’est l’hiver des caresses, les baisers sont cassants, la tendresse est un givre blanc sur nos entrailles pantelantes.
Au cœur de la grâce gît le poids des fautes, c’est ce qui lui donne sa densité, cet éclat incomparable.
Apprendre le silence. Le chemin le plus droit de l’amour. Le sentier droit et fleuri de l’amour.
Les mots ne disent rien, c’est pour cela que nous écrivons, pour être dans ce dépouillement de la langue, plus loin que le dépouillement de la chair.
L’amour, qui brûlé nous jette dans l’urgence, exige des réponses sans poser de questions. Des bûches en offrande aux flammes. La mort rôde toujours près des amants flamboyants. Elle attend son heure dans la lenteur des temps.
L’amour qui brûle est sans issue. Des cendres, des cendres dans bouche, dans le creux des mains. Des cendres dans le regard. De grandes plaines de cendres grises. Poussière de temps. La promesse est une porte ouverte sur l’enfer. L’amour qui brûle n’a plus de temps. Il brûle, c’est tout. Vivant, plus que vivant. Et les cendres. Mort, plus que mort.
Sang contre sang. Douleur contre douleur, même pour la fin nous devons tout additionner. Une autre façon d’aimer encore plus fort. L’au-delà a ses sentiers creux. Les chemins de croix sacrent aussi le printemps et l’amour.
L’amour qui brûle défie les dieux.
L’amour à vif ne laisse pas de souvenirs. Seulement des trous dans l’âme, des espaces d’où s’échappent des torrents de lumière. Une hémorragie.

Franck.

16 septembre 2018

Lettre N° 142 - Lettre à Milena...

Mon Amour,

Est-ce le temps des défaites ? Nos lettres se brisent dans le chaos des vaincus.
Nos démons, à nouveau, nous dévorent. Et nous devons rester joyeux.

J’ai reçu ta lettre ce matin. Tu me dis avoir relu L’Amant de Duras. Tu me dis avoir pleuré. Tu me dis l’éclat d’une révélation douloureuse. La voix de Duras qui montait de l’intérieur de ton corps. « Très vite dans ma vie il a été trop tard. »*. Tu me dis combien il bon et nécessaire que la littérature nous fasse pleurer. Tu me dis que tu es entrée dans la folie de Duras. Tu me dis que c’est excessif, mais que tu n’y peux rien. Tu me dis que nous avons été fous, et que cette folie restera à jamais comme le plus clair de ta vie. Tu essayes de m’expliquer. Tu cites Duras comme des excuses : « Ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps. Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharnée. On ne peut pas écrire sans la force du corps. Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit. »**. Tu me dis que je devrais comprendre. Que je suis le seul à pouvoir comprendre. Tu me remercies à nouveau pour ma préface de ton dernier recueil publié. Que nos deux noms sur le même livre ressemblent à une éternité impossible à défaire. Mais que tu entres dans la folie de Duras. Que tu dois retrouver la sauvagerie et la solitude et la peur. Et pleurer. Que ton besoin de pleurer est immense, parce que ton besoin de l’écriture est immense lui aussi. Que c’est inexplicable. Qu’on ne peut le dire à personne. Que je saurai pardonner. Mais qu’au fond le pardon n’est pas nécessaire, puisque je t’ai redonné la force de pleurer, et d’écrire à nouveau. Tu me dis que tu voudrais me remercier de tout ça, mais que les remerciements ne servent à rien, et que je le sais. Que toi et moi appartenons au livre. A l’animalité du livre. Tu dis les mots, inconditionnel, absolu, frontières, limites. Tu me dis que tu es folle, que tu vis l’ivresse d’un bonheur douloureux, que ça aussi on ne peut pas l’expliquer. Que la vie c’est ça. Que seul le livre dit cette vérité. Qu’il n’y a pas d’autre vérité dans le monde, que cette marche dans l’inconnu du livre.

Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.
Désormais.
Je suis embarqué sur un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. Et il me semble n’avoir connu que ces lieux indécis. Invivables. Peuplés d’instants enroulés sur eux-mêmes. Où les élans se contractent, saturés de désirs, de douleurs. J’ai toujours été prisonnier d’une carcasse rouillée, brûlée par les soleils, inondées par les pluies. Par l’oubli. Par l’épuisement. Voué, par décision divine, à des départs qui n’en sont pas, des promesses intenables, des rêveries trop pesantes. Navire chargé trop lourdement, ou coque trop fragile. Alors je suis resté en rade, dans ce lieu insupportable, m’abrutissant en des espoirs si vains.
Le vent du large vient se briser sur l’étrave au bord du chavirement. À l’arrêt. Comme un vaste désastre immobile, croulant de regrets.
Les lieux avalent le temps.
Et les temps meurent lentement.
Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.
J’ai la tête prise dans l’étau du vide. Avec la sensation d’un écrasement qui monterait des profondeurs de la terre. Comme un appel. Comme une fatalité.
Et la coque craque, à force d’attente, d’impatience défaite, un craquement qui appartient déjà aux abîmes.
Lent naufrage. Presque au ralenti. Imperceptible glissement.
Avec le sang qui s’appauvrit. Des heures toujours plus lourdes. Des saisons toujours plus encombrantes. J’arpente ces interminables coursives de la mémoire, ces couloirs du temps déglingués.
La rouille, c’est la peau des rêves, l’usure c’est l’enfance qui meurt à nouveau.
Sans cesse.
Je n’ai plus assez de haine pour crier, plus assez de colère pour pleurer, plus assez d’ivresse pour me déployer. Et l’amour, notre amour, dans tout ça ?
Et même le silence nourricier me trahit, lui que j’ai toujours accueillit, le mien, celui des autres, le tien. Là, il me creuse, il me cure, il me racle, comme s’il restait encore de la chair, comme s’il restait de l’envie.
Et même l’écriture me trahit. Je n’arrive plus à la porter. Elle est si épaisse, si pâteuse. Les mots se détachent comme des pierres. Un effritement de la langue.
Et l’encre est jetée dans l’archipel des naufrages.
Avec comme horizon la vertigineuse paroi du manque d’où l’on devrait s’élancer.
Pour rejoindre l’obscure verticalité de l’absente. Ma lointaine. Ma perdue.
Mon ultime. Passagère attendue, invisible, d’un voyage mille fois reporté. Désormais d’un naufrage.

Puis les tempêtes dispersent les printemps. Puis le soleil s’incline allongeant l’ombre muette. Petite nuit dans le jour. Petite mort pour grand défunt.
La fin n’est pas un temps, c’est un lieu à l’ironie cristalline.
La fin n’est pas un temps, c’est une main qui se ferme. Mes lèvres humides qui ne prononcent plus ton nom.
La fin n’est pas un temps, c’est un navire resté en rade. Ce n’est ni la terre, ni la mer. C’est un lieu indécis. Invivable.
La fin n’est pas un temps c’est un cri. Seulement un cri.
Je ne pourrai jamais être Franz, même si tu es Milena.
Je ne serai jamais Franz, même si tu es bien plus que Milena.

Franck.

* Marguerite DURAS : L'Amant (editions de Minuit)
** Marguerite DURAS : Ecrire ( Folio)

 

 

 

9 septembre 2018

Lettre N° 85 – Le silence des amants…

Mon Amour,

Ce matin je pensais à nouveau à ces instants où nous restions silencieux. Dans cette petite maison. L’hiver. Avec simplement le feu qui crépite. Te souviens-tu ? Les lentes après-midi. Patientes. Sereine. Chacun en soi, chacun en l’autre. En même temps. Avec parfois un regard échangé pour s’assurer de l’épaisseur des heures. Éprouver la présence. L’éclat de ton œil. Ton sourire.
Nos gestes se ralentissaient. S’adoucissaient. Les moindres mouvements devenaient concentrés, appliqués, aggravés. Parfois la lecture du livre s’approfondissait. Le feu accompagnait notre respiration. Andante. Les heures se lovaient dans de grands coquillages moelleux. Interminables spirales de ces instants où nous restions silencieux. Instants de velours pourpres. Lent affaissement. Avec seulement le phrasé de nos regards. Infiniment proches. Infiniment seuls. Infiniment souverains. Deux îles d’un même océan. Même dérive dans la saison des lenteurs ou des ombres amicales. Instants défaits de toute attente, dénoués de toute fièvre, déliés de tout enjeu. Le fil de soie des siècles brodait des heures lumineuses sur la dentelle de nos mystères. Je me souviens de cet hiver, je me souviens de la neige, je me souviens de ces instants où nous restions muets, je me souviens de ta peau blanche, de tes yeux baissés sur ton livre de poésie, de la lenteur de tes gestes pour tourner les pages, du froissement de tulle de ton visage lorsque ta rêverie trébuchait, que tu la relançais un peu plus loin, à peine un peu plus fort, comme une mère qui accompagne les premiers pas de l’enfant. Transparence vacillante de la lumière d’hiver, souffle lent d’un voyage à travers nos temps mélangés. Hors de soi, loin de soi, en soi pourtant. Sans langage pour le dire. Sans langage pour nous dire. Uniquement nos respirations pour le vivre. Le prolonger. Temps débordé de nous-mêmes. Offert. Accueilli. Temps des marges, en dehors de nos chronologies. Nous étions comme survivants de nous-mêmes. Éternels dans ce temps suspendu, à l’arrière des mondes connus, devant nos vies décomposées. Ignorants de tout, sauf de ce temps incrusté dans le silence. Instants sans mémoires, infiniment dépourvus. Même de l’écho. Même de la menace. Même de nos chairs. Même de nos sexes.
Instants tenus dans l’équilibre d’un songe. Tendus entre les rives d’un océan étrange, à la fois immense et tellement étroit. Familier. Bienveillant. Chaud.
Fragile.
Il y a un moment où le silence se nourrit de lui-même, il s’encourage. Il vit. Il veut vivre plus. Il s’additionne. Alors il appuie un peu plus fort sur les yeux, sur les poumons. Il se recroqueville au fond de la gorge. Il se met à vibrer pour éprouver nos faiblesses, nos chemins, nos désirs, notre jouissance. Temps du silence où la mort est douce. Parce que nous avons quitté les lieux, le temps des horloges, quitté les malentendus. Car le silence n’est pas l’absence de bruit, ou de mots, le silence est un surcroît, la saturation de l’existence singulière, l’extrême tension de la signification. C’est entrer dans une cathédrale sur la pointe des pieds.

Le silence à deux ; l’hostie de nos eucharisties païennes, un peu comme un livre aux pages blanches qu’on aurait lu à deux. Au fur et à mesure des pages, le texte s’écrivait. L’histoire du monde ou des amants des neiges, texte océan, texte aux lenteurs cruelles et belles, texte étrange sans rime ni contour, sans ponctuation, une interminable litanie aux dialogues entrelacés, aux souffles entremêlés.
Il y a dans ce silence partagé, ce silence à deux, comme l’invention d’une danse. Le silence possède sa propre grâce, une élégance particulière qui appelle la miséricorde. Il vient pas à pas de l’arrière de nos vies pour nous débarrasser du poids de nos chairs, pour préciser l’exacte définition de notre présence ici. L’éclat de nos âmes. C’est pour cela que le silence est parfois douloureux. Comme l’amour, comme l’extase. L’extrême nudité de la parole. L’extrême passion du don, comme l’épiphanie des amants.

Franck.

2 septembre 2018

Lettres N° 159 - Trou…

Mon amour,

Il faut le constater, quelque chose se défait. Je n’ose pas compter les jours depuis ta dernière venue ici. Tes lettres aussi me manquent. Ce soir nous nous retrouvons à notre endroit habituel. Pour nous dire quoi ? Je n’ai pas dormi. J’ai voulu renouveler le geste d’écrire. Continuer le pacte. Que nous arrive-t-il ?
Ce soir je te mettrais cette lettre. Tu ne la liras pas. Tu la glisseras dans ton sac, pour plus tard. Peut-être me donneras-tu ta lettre ? Peut-être que nos mots écrits, désavoueront nos paroles, nos gestes, peut-être qu’ils seront dans le contretemps, le contre-chant ?
Ce soir il nous faudra éviter le mélodrame. Je le sais. Je m’y prépare. Que pouvons-nous sauver ? Que voulons-nous sauver ? Nos démons nous rattrapent. Ils galopent dans nos veines. La dernière fois ton regard portait d’autres horizons, d’autres couleurs. Tes baisers avaient le goût des reproches, la saveur des distances.
Mes lettres sont devenues orphelines.

Puisque nous sommes sans rive aucune paix ne nous consolera. L’attente est encore une façon d’être avec toi. Mais c’est un trou. Un peu comme un caveau dans le cœur. Notre cœur est un cimetière abandonné. Immense comme les champs de bataille, avec leurs brumes pâles, avec leurs petits matins dévastés, égarés. Le jour trahi toujours la nuit.

Je me souviens, c’était il y a longtemps, je me souviens du désert.
Il y a un instant particulier dans le désert lorsque le jour paraît. Bien avant le soleil, il y a cette blancheur fade avec l’immensité qui se dévoile peu à peu. Cet instant appartient à la mort. À la folie. Au désespoir. Je jour n’est pas encore le jour, dans ces instants plus rien ne tient, plus rien ne vaut. La nuit du désert est sans horizon, l’œil s’accroche au ciel, c’est suffisant. À l’instant du jour, l’horizon est sans fin, la solitude est accablante. Menaçante. C’est un trou dans le jour. Cela dure très peu de temps, mais cela revient tous les matins, comme si tous les matins il fallait renouveler ses vœux, son acquiescement. La traversée d’un cimetière abandonné fracassé de silence. Un désert de présences disparues. C’est la mélancolie qui nous sert de vaisseau pour ces traversées au point du jour. Ainsi va mon amour. De matin en matin, de perte en perte.

Aimer, c’est commencer à se séparer. C’est marcher vers un trou. Un trou de vie.
On est perdu. Depuis la nuit ancestrale, on est perdu. Aimer c’est retrouver cette perte primordiale en croyant la dépasser. Aimer, c’est déjà dire adieux. La mélancolie nous garde en vie.
Il y a un moment où la parole meurt par anticipation. Elle est sans but, sans destination, elle est simplement la mort qui rôde, la marque de notre exil. Elle est un silence qui se ment à lui-même. Elle tombe dans l’entre-deux. Le vide irréconciliable, puisque nous sommes sans rive.

Le « sans réponse » occupe une place infinie en soi. Et nos paroles qui ne sont pas entendues s’élargissent comme un grand lac noir. L’autre, qui me tait, occupe toute la place. Chez moi, il est chez lui. Les dieux le savent, eux qui ne répondent jamais. Moins ils répondent, plus ils sont présents.
Entre ta voix et le silence il y a un trou. C’est un abîme. J’y trébuche souvent. L’amour y fait son lit.
Entre ta voix et le silence il y a un trou.

Ainsi mon amour. Entre mes doigts et ta peau, il y a un trou. Des constellations s’y glissent.
Je t’ai confié à ma voix pour ne pas te perdre.
Tu m’as ancré dans ton silence pour ne pas me perdre.
Comme si les naufrages n’existaient pas.
Nous sommes sans rives. Insaisissables. Inaccessible à nous-mêmes. L’aimé défini notre pays. De même que notre exil définitif. La seule chose que je sais de moi, c’est toi.
Je t’ai confié à ma voix pour m’ouvrir en deux. Pour franchir un abîme.
Pour nous faire un lieu, où le dénudement ne serait pas la nudité.
Aimer c’est désunir le silence.
C’est dénouer le temps.
C’est la voix du cri sans le cri.

Franck.

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