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J'irai marcher par-delà les nuages
17 mars 2019

Lettre N° - 50 L'heure myosotis...

Mon Amour,

 

Je t’écris au présent, c’est le seul temps que je nous souhaite. Hier, aujourd’hui, demain est une journée radieuse. Il faut écorcher la langue pour que je puisse dire la forme de mon amour. Le seul futur que je puisse utiliser c’est celui qui sacre le présent. Le seul passé, ne dit rien de nous.
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C'est l'heure du myosotis et du bouton-d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. Les bras des dieux pressent les restes de pulpes de la journée. Pressent l'orange du soleil dans cette rumeur de bleu et le gémissement des fleurs qui s'étirent dans leurs ultimes exhalaisons.
Et ce canal oublié, sans bateau, ce canal nu, dépeuplé, ce canal devenu inutile et beau, comme si sa beauté calme et tranquille n'était advenue que bien après le départ des hommes et des bateaux. Étrange destin que celui des ouvrages humains quand ceux-ci s'affranchissent des volontés qui les ont créés. Désormais impraticable il  gagne en perfection ce qu'il a perdu en utilité.
Alors ce sont les eaux myosotis, bouton d'or, chèvrefeuille, qui s'allongent dans le soir étrennant les premières ombres et les premières senteurs d'étoiles.
C'est l'heure où l'on est dans la plus grande distance de soi et pourtant au plus près, l'heure des louanges, l'heure des condensations, des allongements de l'âme. Marcher sur les bords du canal, à cette heure, c'est marcher avec application, presque avec précaution à la rencontre du rêve, en fouillant le silence, en le ciselant, en se laissant étourdir d'une réconciliation de l'espace et du temps, certes éphémère, mais essentielle.
A l'endroit du coude, le canal s'élargit, et juste là, sur la berge, une vieille chapelle à l'angle des eaux, comme si ces eaux font exprès un détour. Simplement pour passer sous les vitraux, pour les saluer et mélanger un court instant leurs ruissellements.
Instants du soir et des terres promises et du myosotis, du bouton-d'or et du chèvrefeuille. L'heure où penser ne suffit pas, puisque c'est le temps des constellations naissantes, le temps de la voix, du murmure, de l'appel, où la lumière déboutonne peu à peu ses gloires. Les pensées se défont, se brisent, les raisonnements se cassent pour libérer enfin l'esprit, le désenvoûter de sa propre fascination. Alors, marcher dans la délicatesse de cette suspension à fleur d'eau comme si c'est la première fois, ou comme si c'est la dernière. Ou alors la seule. Marcher dans cette lenteur sereine et attentive, comme lorsqu'on marche dans un livre pas-à-pas, page après page, cueillant et respirant chaque mot, et n'être que ce pas abandonné à lui-même, sans direction, hormis la fin des temps et l'effusion de phosphorescence qui l'accompagne. Marcher dans cette lenteur c'est marcher vers son amour avec élégance et pudeur, c'est passer entre les couleurs du soir et les reflets du canal sans défier le silence et le bouleversement des arômes. C'est accepter l'oubli et les brûlures de la mémoire et tenter d'agrandir l'espace entre la chair et l'os et faire entrer en soi l'immense par la porte du grave et du léger et du vulnérable et de l'infime. C'est déployer son corps dans le seul intervalle possible ou la danse et le chant peuvent surgir. Salut des heures pauvres, soulagement des douleurs dans cette convalescence du jour où le miracle s'insinue dans le tremblement des arbres, où la joie prend la forme d'une cabriole d'hirondelle dans un chahut de bleu volubile et une confusion de rouges exubérants. Il y a dans ce jour qui meurt la puissance d'un accroissement, une aggravation d'espérance qui s'appuie sur l'engourdissement des eaux et sur l'effleurement de nos mains qui se joignent, entrecroisant nos silences, comme le froissement des ajoncs pour appeler les dernières libellules, comme cette marche qui assemble le jour à la nuit, qui passe du clair au mystère, du chaud au fervent, du brûlant à l'intense.
C'est l'heure du myosotis, du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille, et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. C'est l'heure secourable, l'escale, l'heure rouge et violette, l'heure safran où nos corps s'accoutument à leurs exactitudes, à cette verticalité qui les devance, devinant déjà nos caresses, appelant déjà les saisissements, les exaltations.
L’heure myosotis, c'est l'instant d'avant, celui qui prépare son élan, celui qui contient, celui qui rassemble, celui qui épouse, celui qui arrondit les minutes et qui aiguise chaque seconde. C'est un temps qui précède, c'est la marche lente et mesurée avant l'offrande des chairs, avant nos fièvres lunaires. Il faut traverser l'heure myosotis et en sortir vainqueur, assez nu pour aborder sans crainte la convulsion des corps. Il faut traverser l'heure bouton-d'or sans remords pour atteindre l'orée du désir sans effroi. Il faut traverser l'heure chèvrefeuille sans espoir pour inventer le geste unique qui enchevêtrera et ton souffle et mon souffle, et ton ventre et mon ventre, et ta voix et ma voix, et ta nuit et ma nuit...

Franck.

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