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J'irai marcher par-delà les nuages
31 mars 2019

Lettre N° 215 - Tu avais...

Mon Amour,

 

Je ne sais plus t’écrire. J’essaye de comprendre ce qu’il nous est arrivé. Comprendre, est-ce si important ? Est-ce vraiment nécessaire ?
J’ai parfois la sensation que tout était inscrit dès le début.
………………………………………..
Cela nous arrive de loin. Et cela vous retourne la chair comme un mascaret. Cela vient du fond de l’océan, d’un profond. Ou des montagnes, d’un sommet. Ça roule et vous appelle comme un chant. Comme un grand vide. Comme une fatalité.
Au départ, c’est un roulement de tambour sourd, inaudible. Une rumeur.
Un désastre commence toujours par un printemps. Un excès de printemps. La douleur commence toujours par un enchantement, elle est la sœur de la jouissance, de l’exaltation. On le sait, mais on veut l’oublier. Comme les papillons de nuit qui vont mourir pour avoir trop aimé la lumière. Oubli. Insouciance. Désinvolture.
Cela nous arrive de loin. Cela vous retourne la chair du cœur comme le mascaret retourne les eaux du fleuve. Des eaux à nue, à vif. Des eaux saignantes, qui replient leur peau, qui perdent leur élan. Les eaux vieilles du fleuve meurent en aimant trop la mer.
…………………………………………..
Tu as dans la voix l’incomparable force de ceux qui savent murmurer. De ceux qui savent quitter.
Dans tes yeux, tu as les incendies des nouveaux temps….
Tu as…..
Mes vielles eaux du fleuve, se meurent d’aimer plus loin que leurs eaux…
Tu as… et je n’ai plus…
………………………………………………
                                 La vérité nous blesse. C'est là son mérite.
                                 Ce qui me console, c'est de n'être indemne de rien.

 Franck

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24 mars 2019

Lettre N° 210 - Au temps des arabesques...

Mon Amour,

Nous n’aurions jamais dû faire ce pacte d’écriture. Cette correspondance n’aurait jamais dû exister.
Pourtant je m’y accroche jusqu’à la douleur.
…………………………………………….
…………………………………………….

Chaque jour l'épreuve. La page. Pourquoi ? Pourquoi faisons-nous ce chemin ? Qu'attendre de cette confrontation de nos mots ? Ces lettres sont longues à s'élaborer. Toujours. Avancée, ratures, effacement. Quelques grappes de mots qui viennent en saccades. Et puis la lente mastication. L'exercice de la bouche. Du son. Du rythme. Des syncopes. Des stases. Et parfois le rejet. Pourquoi ? Le texte résiste. Tu résistes. Il y a comme une lutte. Contre qui ? Toi ? Moi ? Contre quoi ? Mot par mot, ligne par ligne. Aller un peu plus loin. Sans savoir ni la destination, ni la signification. À l'intérieur je sens qu'il a une chose à atteindre, il semble même que les mots pourraient venir de cette chose, mais je n'y ai pas accès. Peut-être ce nous, qui nous résiste. Peut-être autre chose de plus destructeur.
Les paroles dessinent mon lieu d'exil. En creux. Dans le creux des mots. Ils suintent avec étrangeté, comme si je pressais une masse poreuse et gluante. Ils viennent avec leur lenteur, avec parcimonie. Ils raclent. Ils s'arrachent de l'ombre, et ramènent avec eux cette part d'ombre. Ce mystère. Cette impossible connaissance.
À l'intérieur il y a comme un frottement difficile à décrire, et les mots viennent de ce frottement. Copeaux d'une conscience à la dérive, ou d'un entêtement insensé, déraisonnable. De notre amour ? Même le corps est engagé. Je le sens dans mes bras, mes doigts qui frappent le clavier, ma poitrine, mon ventre. Surtout le ventre. Une sorte de tension sourde. L'intention du corps qui vient frotter un endroit vide, qui n'existe pas et qui pourtant est là. Puissant, invincible. Imprenable. La page est là, au lieu du frottement. Le souvenir de nos peaux l’une contre l’autre, épuisées de désir, de sueur, de soupirs. Le bonheur ? La nécessité du bonheur ? Ou sa fatalité ? Nous sommes des âmes brûlées, toi comme moi le savons.

T’écrire est une lutte. Une lutte froide, austère, sévère, sans éclat, monotone. Effrayante. Simplement entretenir la tension. L'exacerber. Comme s'il s'agissait de contenir quelque chose qui ne sortira pas. Qui de toute façon ne sortira plus. C'est une lutte froide contre quelque chose qui n'est ni ennemi, ni ami, quelque chose qui n'est que dans le creux, que dans le contre temps, qui ne dévoile sa présence que par son manque. Le paradoxe. Ton absence me manque, dit le frottement, dit le mot qui suinte. Ton manque, manque à mon manque réponds la chose en creux. Ton temps manque à mon temps. Il y a le frottement du manque sur le manque dans cette lutte distante, sans éclats, sans grandeur. Il y a la page chaque jour qui se dérobe un peu plus, encore plus sûrement que toi. Et ce temps de face à face, ce drôle de temps qui ne se raccroche à rien d'autre qu'à lui-même, un temps qui n'a pas d'histoire. Lente mastication des mots, scansion, succion, dissection. Il semble que tout réside dans cet enchaînement consenti. Cette volonté de le maintenir, et dans le même temps de le réduire.

Peu à peu l'amour se résigne, renonce, s’absente de mes mots. Il ne reste plus qu’une trame vidée de sa broderie, vidée de ses motifs, de son espoir, de ses fils de vie. Une matrice vidée de son élan, de son exaltation. Extinction progressive de la lumière, dessiccation des chairs de la parole. Le mouvement se rétrécit. Il ne reste plus que cette trame desséchée, dépouillée de sa faim, de ses tentations, un enchevêtrement laminé, accablé, où le souffle ne s'accroche plus.
Aimer, écrire sont le même mot, la même arche.... C'était il y a longtemps....au temps des arabesques....

Franck.

 

17 mars 2019

Lettre N° - 50 L'heure myosotis...

Mon Amour,

 

Je t’écris au présent, c’est le seul temps que je nous souhaite. Hier, aujourd’hui, demain est une journée radieuse. Il faut écorcher la langue pour que je puisse dire la forme de mon amour. Le seul futur que je puisse utiliser c’est celui qui sacre le présent. Le seul passé, ne dit rien de nous.
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………………………………………………..

C'est l'heure du myosotis et du bouton-d'or, l'heure du chèvrefeuille et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. Les bras des dieux pressent les restes de pulpes de la journée. Pressent l'orange du soleil dans cette rumeur de bleu et le gémissement des fleurs qui s'étirent dans leurs ultimes exhalaisons.
Et ce canal oublié, sans bateau, ce canal nu, dépeuplé, ce canal devenu inutile et beau, comme si sa beauté calme et tranquille n'était advenue que bien après le départ des hommes et des bateaux. Étrange destin que celui des ouvrages humains quand ceux-ci s'affranchissent des volontés qui les ont créés. Désormais impraticable il  gagne en perfection ce qu'il a perdu en utilité.
Alors ce sont les eaux myosotis, bouton d'or, chèvrefeuille, qui s'allongent dans le soir étrennant les premières ombres et les premières senteurs d'étoiles.
C'est l'heure où l'on est dans la plus grande distance de soi et pourtant au plus près, l'heure des louanges, l'heure des condensations, des allongements de l'âme. Marcher sur les bords du canal, à cette heure, c'est marcher avec application, presque avec précaution à la rencontre du rêve, en fouillant le silence, en le ciselant, en se laissant étourdir d'une réconciliation de l'espace et du temps, certes éphémère, mais essentielle.
A l'endroit du coude, le canal s'élargit, et juste là, sur la berge, une vieille chapelle à l'angle des eaux, comme si ces eaux font exprès un détour. Simplement pour passer sous les vitraux, pour les saluer et mélanger un court instant leurs ruissellements.
Instants du soir et des terres promises et du myosotis, du bouton-d'or et du chèvrefeuille. L'heure où penser ne suffit pas, puisque c'est le temps des constellations naissantes, le temps de la voix, du murmure, de l'appel, où la lumière déboutonne peu à peu ses gloires. Les pensées se défont, se brisent, les raisonnements se cassent pour libérer enfin l'esprit, le désenvoûter de sa propre fascination. Alors, marcher dans la délicatesse de cette suspension à fleur d'eau comme si c'est la première fois, ou comme si c'est la dernière. Ou alors la seule. Marcher dans cette lenteur sereine et attentive, comme lorsqu'on marche dans un livre pas-à-pas, page après page, cueillant et respirant chaque mot, et n'être que ce pas abandonné à lui-même, sans direction, hormis la fin des temps et l'effusion de phosphorescence qui l'accompagne. Marcher dans cette lenteur c'est marcher vers son amour avec élégance et pudeur, c'est passer entre les couleurs du soir et les reflets du canal sans défier le silence et le bouleversement des arômes. C'est accepter l'oubli et les brûlures de la mémoire et tenter d'agrandir l'espace entre la chair et l'os et faire entrer en soi l'immense par la porte du grave et du léger et du vulnérable et de l'infime. C'est déployer son corps dans le seul intervalle possible ou la danse et le chant peuvent surgir. Salut des heures pauvres, soulagement des douleurs dans cette convalescence du jour où le miracle s'insinue dans le tremblement des arbres, où la joie prend la forme d'une cabriole d'hirondelle dans un chahut de bleu volubile et une confusion de rouges exubérants. Il y a dans ce jour qui meurt la puissance d'un accroissement, une aggravation d'espérance qui s'appuie sur l'engourdissement des eaux et sur l'effleurement de nos mains qui se joignent, entrecroisant nos silences, comme le froissement des ajoncs pour appeler les dernières libellules, comme cette marche qui assemble le jour à la nuit, qui passe du clair au mystère, du chaud au fervent, du brûlant à l'intense.
C'est l'heure du myosotis, du bouton d'or, l'heure du chèvrefeuille, et des langueurs du canal qui se faufile lentement dans les dernières heures du jour. C'est l'heure secourable, l'escale, l'heure rouge et violette, l'heure safran où nos corps s'accoutument à leurs exactitudes, à cette verticalité qui les devance, devinant déjà nos caresses, appelant déjà les saisissements, les exaltations.
L’heure myosotis, c'est l'instant d'avant, celui qui prépare son élan, celui qui contient, celui qui rassemble, celui qui épouse, celui qui arrondit les minutes et qui aiguise chaque seconde. C'est un temps qui précède, c'est la marche lente et mesurée avant l'offrande des chairs, avant nos fièvres lunaires. Il faut traverser l'heure myosotis et en sortir vainqueur, assez nu pour aborder sans crainte la convulsion des corps. Il faut traverser l'heure bouton-d'or sans remords pour atteindre l'orée du désir sans effroi. Il faut traverser l'heure chèvrefeuille sans espoir pour inventer le geste unique qui enchevêtrera et ton souffle et mon souffle, et ton ventre et mon ventre, et ta voix et ma voix, et ta nuit et ma nuit...

Franck.

10 mars 2019

Lettre N° 99 – A l’heure exacte de nous-mêmes…

Mon Amour,

 

Ce fut  une belle journée, avec les mouvements amples d’une houle alanguie, assagie.
Je suis toujours fasciné par tes mouvements, tes gestes. Tu circules dans la lumière avec une telle élégance. Si légère, si dansante, si libre. Tes phrases semblent s’enrouler à ton corps, en prendre d’abord la grâce. Tu parles juste, puisque ton corps sonne juste.
En ce début de printemps, il faisait beau.
…………………………
…………………………

Il y a un moment où les peaux se rencontrent. Il y a un endroit du jour qui fait comme un vertige. Où la lumière s'absorbe. On est dans l'absence de soi. Dans le silence de sa raison. Juste dans le vertige des peaux, des corps. Des souffles. Comme si l'on versait vers une fatalité ou que le réel s'accordéonait dans la stridence d'une harmonie désaccordée. Le soufflet de l'instrument s'écrase sur lui-même comme deux corps qui se rejoignent. Avec le souffle et cette respiration de fin du monde. Et cette aspiration qui brûle les entrailles. Précipitation des gestes qui cherchent l'octave, d'une symphonie inachevable. Suspension. Temps d'urgence suspendu. Accrochée aux quatre clous du destin. Juste un vertige. Quand la chair se frotte contre la chair. Juste à l'endroit du désir. Et l'abandon qui cascade et ricoche sur tous les os. Il y a des heures à angles droits. Qui sonnent dans l'aigu. Un temps qui sacre d'un poids trop lourd les battements du cœur. Comme si le passé accourait telle une meute affamée, se partager la dépouille d'un présent qui se terre entre deux caresses maladroites. Temps des proies où les ombres se lèvent en même temps et courent en tous sens dans la maison du cœur ouverte à tous les vents, la maison que vous venez de déserter. C'est un moment de vent, de tempêtes, c'est un moment de landes, qui appelle au grand rassemblement de nos fantômes silencieux, qui passent et repassent entre la paupière et l'œil, juste derrière le regard. 
De quel amour es-tu, mon amour ? D'où vient ce vent qui brasse nos chairs ? D'où viennent l'attente et ce dénouement qui s'effondre ? Comme les cartes de ce château....
D'où vient cette mort étrange qui ricane dans un coin attendant son tour pour se repaître des rêves perdus et des pleurs venus avec le crépuscule ?
C'est bien au cœur de cet effondrement qu'il faudra se relever. C'est bien ce mur de plomb qu'il faudra traverser. Il faudra bien que nos caresses et nos baisers traversent enfin la muraille. Même s'il faut des larmes. Surtout s'il faut des larmes. C'est bien de là que nous partons. Du plus loin. Si près et pourtant si loin de nos propres corps, comme si nous avions déserté l'espace d'un vertige, notre âme, comme si nous étions sortis de nous-mêmes en claquant la porte. Il nous faudra bien revenir. Et sonner à l'heure exacte de nous-mêmes.
Je n'ai pas peur d'avoir peur. Je n'ai pas mal d'avoir mal.

Franck.

3 mars 2019

Lettre N° 110 - Ce grand cerisier...

Mon Amour,

 

Aimer c'est graver le marbre. C'est inscrire sous la peau une histoire définitive. Aimer échappe à l'oubli. Longtemps après l'amour, l'histoire se raconte encore. Même transformée, l'histoire se raconte. Et ce n'est pas de la mémoire, c'est seulement l'amour qui finit de se consumer. Même passé l'amour se vit au présent. C'est pour cela qu'il n'y a pas d'oubli, pas de rémission. Et que l'on se sent perdu et sauvé dans le même instant, toujours renouvelé. Recommencer, c'est seulement continuer, c'est raviver, c'est souffler sur les flammes. Même nouveau, c'est toujours une vieille histoire. C'est remonter la flamme jusqu'à la première étincelle. Remonter le feu. Le premier feu. La première mort. Et jusqu'à la dernière.
Aimer, c'est accepter de ne jamais dire adieu. Même après la fin, même après les rancunes. C'est le retour sur la scène du crime. Et contempler notre propre cadavre. Aimer c'est dérober des indices au passé pour mystifier l'avenir. Et échouer dans cette opération secrète, alchimique, magique.
Il n'y a qu'un visage en nous. Un visage qui se moque de nos dérisoires tentatives, de nos pathétiques tentations.

Tes mots me touchent comme s'ils avaient des poings. Des poings qui s'abattraient à toute volée à l'endroit de ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d'acier dans le vermillon de la vie.
Tes mots me touchent comme s'ils avaient des mains. Des mains douces, mais tyranniques. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l'endroit du cœur. A l'endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses défaites de leurs tendresses, de leurs promesses. Je lis et cela fait comme du souffre, comme une eau perforée d’une douloureuse lumière.

Il y a surtout cet enroulement du temps, du mouvement à rebours. Cette remontée des saisons. Et cette tension de l'âme à vouloir décrypter la première inscription du marbre. Vouloir lire le nom qui est gravé dessus. Celui qui nous nomme et qui n'est pas le nôtre.

Dis-moi encore les terreurs de l'amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant
Dis-moi encore tes secrets d'amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d'un pas agité et inquiet.
Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l'amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.
 
Le visage de l'autre est porteur de notre ombre. Et on ne le sait pas. Même si on le sait. On ne veut pas le savoir. Et nos étreintes se souviennent du premier crime. À cause d'un désir pris dans le marbre. L'autre de l'amour nous désigne.

Dis-moi l'enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi ta chair offerte, les sortilèges que tu recèles.

L'amour nous dit en creux, comme la peur, comme la colère d'ailleurs. On maudit d'autant plus, que l'autre nous ressemble. Parce qu'on suppose qu'il sait. Il est au cœur de notre misérable secret. Et la colère est bien un désespoir, un apitoiement sur ses propres ruines. Toute colère touche à notre vérité, tout amour à notre illusion. Et vivre, c'est marcher de l'une à l'autre, jusqu'à ce que le fil qui les joint se brise. Par trop de vérité, ou par trop d'illusions.

Dis-moi l'éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.
Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le-moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

Le Fleuve. Les rives changent et pourtant c'est le même fleuve. C'est le même élan. Jusqu'à la fin. C'est le même livre qu'on relit. C’est le même récit.

Dis-moi le marbre froid de tes résistances, de tes endurances.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton sexe et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes indécences, tes violences

Nous n'avons de cesse que d'aller profaner nos tombes. Pour s'assurer de quoi, au fond ? Chercher la vie au bord de ce qui la désavoue? Il n'en demeure pas moins que nous avons cette passion des os décharnés, des os blanchis, des terres noires. Pour renforcer notre résistance.

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

Étreinte des contraires. Désenchantement des non-sens. Décidément il n'y a pas d'adieux possibles.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu te ris de moi.
Dis-moi tes conjurations lorsque je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

Les poésies sont des feuilles qui tombent arrachées par l'hiver. Leur mort annonce le renouveau. Recommencer, c'est seulement continuer, c'est raviver, c'est souffler sur les flammes. Même nouveau, c'est toujours une vieille histoire. C'est remonter la flamme jusqu'à la première étincelle.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

Aucune violence n'entame la mélancolie. Elle est la bougie sur le bord de la table. Elle éclaire nos passions, nos écrits. Elle a été témoin du crime. Alors elle peut bien nous accompagner. Même en silence. Aimer c'est accepter de ne jamais dire adieu. Les au revoir sont les ricanements du destin. Le bégaiement du temps.
Ainsi l’amertume comme un pitoyable aveu.
Et la violence des silences un piètre abandon.

J'aime tes affronts quand ils disent "va-t'en".
J'aime ton cri qui arrache les miens.
J'aime ton bec quand il déchire mon nom.
J'aime tes crocs qui serrent mes paupières
J'aime tes mots quand ils disent : je t'aime.
J'aime ta voix quand elle s'offre à ma voix.
J'aime ta bouche qui appelle mon nom.
J'aime ta langue sur le bord de mes yeux.

Alors c'est un désastre. De notre cage, nos mots, nos chants s'échappent pour rejoindre le bruit du monde. Chacun dans sa cage. Cacophonie.
Le désir brûle, car derrière ses apprêts il veut notre propre mort, il sait toujours le chemin le plus sûr du désespoir. Il nous distrait pendant qu'il avance ses pions.
Même passé l'amour se vit au présent.

Dis-moi l'incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.
Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l'étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi ces tempêtes qui bouleversent ta foi.

Alors, Toi la prochaine, tu n'es pas la suivante, tu es encore la première. Tu es la seule, puisque le désastre doit s'accomplir. Et que tu as la forme de l'ombre qui m'anéantira.
Alors dis-moi surtout la paix et le recueillement et l'abondance dans le renoncement.
Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d'eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d'un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées de ce grand cerisier.

Franck.

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