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J'irai marcher par-delà les nuages
21 avril 2019

Lettre N° 5 - En marche…

Mon Amour,

 

Hier tu m’as offert ton premier recueil, ce petit livre de traces et d’empreintes. Nous l’avons feuilleté ensemble. Il faisait beau. Les premières chaleurs. J’étais ému. Nous étions épaule contre épaule pour tourner les pages. Nos têtes parfois se touchaient. À chaque page je sentais monter l’évidence de nous deux. Aujourd’hui, au moment de t’écrire, je sais qu’il y a plus qu’une évidence. Une nécessité de nous deux. Epaule contre épaule, je sentais ton parfum, un peu de poivre et de vanille. Une odeur de demain, sans doute une promesse.
Sur la première page, tu as écrit pour moi quelques mots que je relis maintenant, je laisse monter les larmes qu’hier j’ai retenues
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La porte de demain est sans serrure, elle est ouverte aux vents.

Seule la lumière des mots est subversive. Ainsi le poète.
Seul le silence est subversif. Ainsi l'homme en prière.
Seul l'acte sorti de l'arc de l'amour est subversif. Ainsi l'amoureuse. Ainsi l'amoureux.
Tout le reste est bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.

Derrière la vitre je vois les landes dévastées. Landes froides de bruyère. Et plus loin encore, les grands champs de neige de la mélancolie.
Ma marche vers toi est subversive puisque je dois gagner en lumière, puisque je dois accueillir un silence vaste comme un océan, puisque je dois tirer si fort sur un arc si dur. Ma marche vers toi est une révolution, une longue marche à travers toutes mes murailles de Chine.
Je suis en marche. Parti tôt. Car c'est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici, point de lions, de forêt, de brigands. Ici, point de montagnes infranchissables, point de ravins. Ici, ce ne sont pas les kilomètres qui usent et fatiguent, c'est la mémoire. Car c'est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici point de villes obscures, point de Sodome, point de Gomorrhe. Non, ici le seul danger ne peut venir que de moi. Et mes seuls compagnons sont les mots. Ceux que je trouve avec tant de difficultés sur mes talus arides et rocailleux. Les mots. Mes mots. Que je traîne, ou qui me traînent selon la pente du soleil.
Je suis en marche. Je viens. Je viens à moi. Et je viens à toi en revenant des morts. Nu. Tirant sur le souffle de ma parole. Je viens en perçant mes orages, en trouant mes ténèbres. Je viens envers et contre le temps, envers et contre l'espace qui nous sépare. À rebours. À rebours du désir pour le réinventer, et contre les évidences des âges. Je n'ai que des couleurs pour me guider vers toi, je n'ai que des musiques pour me porter.
Tout le reste n'est que bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.
Je n'ai que ma pauvreté pour toi. Tu sais que je l'ai chèrement gagnée. N'est pas pauvre et nu qui veut. Car il ne s'agit pas de se dépoitrailler pour être nu. La nudité de soi se gagne les yeux baissés, dans le silence et l'abandon, elle se gagne dans l'offrande faite au jour, elle se gagne dans l'épuisement des forces, dans le crépuscule. Elle se gagne à la flamme d'une bougie. Elle se gagne dans le recommencement après la chute. Et dans les tremblements, après la peur. Et dans l'effondrement après le désastre. Pour être nu, il faut abandonner toutes ses guerres, toutes ses colères, s'être vidé dix fois de son sang, et avoir éprouvé ses propres larmes sans honte, sans remords. Être nu c'est le privilège des rois, des seigneurs sans royaumes, des chevaliers à la triste figure. Être nu c'est ne plus attendre des autres, et être patient de soi, c'est appeler l'absence, la reconnaître et l'aimer d'un seul regard. Être nu c'est être seul, seul de soi, dépourvu, perdu. Être nu c'est accueillir la peur sans peur, et se désaltérer du manque. Voilà, être nu et pauvre, c'est brûler avec une infinie compassion, une infinie constance, avec l'opiniâtreté d'un laboureur et la fidélité de l'enfant à sa mère.
Serais-je assez digne pour te faire ce cadeau ? Serais-je assez fort et puissant pour le porter jusqu'à toi ?

Derrière la vitre je vois les landes dévastées. Landes froides de bruyère. Et plus loin encore, les grands champs de neige de la mélancolie. Et plus loin, le demain que tu portes dans le creux de tes mains, comme une eau pure à boire. L'offrande.
L'abondance du printemps au cœur du désastre.
Comme une fleur inexorable.
Et l'aube, enfin, peut se lever.

Franck

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