Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
6 juin 2020

Un peu de poussière....

Il arrive à l’alpiniste d’atteindre le sommet. Dans l’écriture, parfois on finit, jamais on n’atteint.
Poussière et souffle. Rien de plus. Rien de moins. Le pitoyable unit à l’invisible du mouvement. Du négligé sur du négligeable. Du rien sur du rien. Évanescence. Insaisissable élan de l’écriture. Des mots qui s’effritent. Poussière de poussière. Inconstance fragile de toutes nos pensées. Moins que du sable, avec ce souffle qui donne l’illusion de la vie. Fécondation poussive des lèvres de l’écriture, glissement de nos expirations autour de nos restes. De la poussière plein la bouche. De la poussière qui tapisse nos poumons. Nos souvenirs. Nos actes. Nos amours passagères. De la poussière au gout de cendres.
Poussière. Pénurie de matière, de solidité. Insuffisance. Grains légers des mots qui s’envolent et qui se perdent sur les chemins de la langue. Errance, vagabondage de nos mots qui s’égaillent, que l’on aperçoit dans les rayons de lumière dans l’agitation d’une danse fébrile. Éperdue. Profusion de manque suspendu, qui recherche les recoins de l’âme, pour s’entasser dans les déserts de l’existence. Les royaumes de la poussière sont les greniers, les lieux oubliés, en dehors des passages, des vacarmes. Quand cette poussière se rassemble, c’est pour quelques poèmes, quand elle se regroupe, c’est pour quelques pages, le temps d’une aurore, puis les mots se désagrègent, sans bruit, sans trace. Les mots traversent la terre sans la toucher, simplement en l’effleurant. Caresse triste d’une parole recherchant sa propre densité, son propre poids, son escale, son havre. Un sourire consentant. La paume d’une main ouverte. Poussière. Nuage d’une matière qui n’est rien. Rien. Un simple passage dans l’air du temps. Une promesse à peine audible. Elle contient toutes les formes, n’en possède aucune. Elle ne fait que visiter le jour, sans s’accrocher aux heures. Elle recherche son souffle, celui qui l’emportera plus loin. Ailleurs. Alors les mots se dérobent sous leurs propres pas.
Mais la poussière se mêle au souffle. Du négligé sur du négligeable. Il y a dans les noces du souffle et de la poussière, quelque chose qui tient du mystère. Le souffle vient apaiser le vulnérable en nous, le douloureux, comme cette mère qui souffle sur la plaie de son enfant pour en effacer le feu, mais le souffle dans son infinie métamorphose encourage aussi la flamme de l’âtre pour lui donner la force, le désir de bruler un peu plus, de chauffer un peu mieux, de survivre plus intensément dans une chaleur renouvelée. Le souffle ponctue la fin de nos peurs en appelant des brindilles de paix. Souffle, voix silencieuse de nos mots. L’armature évanescente de notre parole. Il n’est rien, mais il tient tout, comme le vitrail tient la cathédrale. Il se saisit, en la brassant, de la poussière de nos textes, rafraichissant la langue, inventant des volutes invisibles. Il est la direction de notre errance, le sens de notre persévérance. C’est la source des quatre coins de l’horizon. Il lave, il purifie chacun de nos souvenirs. Il est la première musique, il sera la dernière. Il est le seul langage amoureux, celui d’avant les mots, celui d’avant les mensonges, il est le voile qui habille nos désirs. Il n’est rien, invisible, cependant il nous rend à la lumière.
Le souffle se dévoile à nous lorsqu’il passe sur la poussière. Car c’est lui qui révèle le poème. Il en est le sang fugitif.
Il arrive à l’alpiniste d’atteindre le sommet. Dans l’écriture, parfois on finit, jamais on n’atteint. Au bout des mots, il reste toujours un morceau de rocher inviolé, impraticable. Dans l’écriture le sommet est toujours plus loin, toujours plus haut, toujours ailleurs, c’est la voie mystérieuse de l’écriture, sans doute, sa voie divine. On est à un souffle du but.
Car le sommet s’invente au fur et à mesure de l’écriture, toujours avec un souffle d’avance, toujours avec un printemps d’avance. Peut-être que la littérature réside en cela, dans ce souffle qui maquera toujours à notre dernier souffle. Alors l’on s’épuisera jusqu’à l’asphyxie, jusqu’à l’extinction des mots, jusqu’à l’écroulement de la parole. Jusqu’aux cendres.
À mordre la poussière.
À agrandir l’univers en aggravant la voix.
Il ne restera que quelques poussières d’or entre la joie et la désespérance.
L’oubli dans l’ignorance de l’oubli.
Écrire possède dans sa paume une flamme un peu noire pour dissimuler nos vanités, pour ne jamais oublier qu’oublier, c’est oublier la fin. Car ce qui sauve le dernier souffle, c’est qu’il ne sait pas qu’il est le dernier.
Parfois, dans écrire, on finit. Jamais on n’atteint.
« L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » (La Genèse)

Franck.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 959
Catégories
Pages
Publicité