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J'irai marcher par-delà les nuages
19 juillet 2020

Asphyxie...

 

Revenir sur l’errance. Comme une boucle infinie. Un sentier qui perd sa trace. La route s’absorbe dans la fin d’un rêve. Dans les glissades de la fin d’un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu’il n’y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l’âme. Sinon les chaos des heures puis la défaite des jours.
J’ai mis le ciel dans mes yeux, au plus près de mon sang. J’ai fait briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m’est arrivé de prier des dieux en exil. J’ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré, certains soirs, sur la peau de quelques souvenirs. J’ai surtout jeté des mots au hasard.
Faire de l’égarement le seul chemin, le seul recours.
Sur la route de l’errance, il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche, et la noire. L’amour, et l’insondable solitude, puis consentir à ne pas entendre leurs chants, consentir à baisser les yeux pour ne pas bruler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours les silences du pèlerin.
Puis consentir, comme un adieu aux armes vaines.
Avancer les paumes ouvertes, les paupières baissées.
Ici, c’est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s’éclatent dans les deniers rayons d’un soleil d’automne moribond. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Mais ses forces se résignent. Alors, il abandonne une lumière pâle, si pauvre. La lumière des fins, et des promesses déshabillées.
Je suis ici le temps d’une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme au temps des oasis, et des grands déserts. Je suis dans l’antre de moi-même juste au-dessus de l’os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots. Encore.
Ici, c’est une verdure immense, massive, impossible à décrire. Un paysage peint au couteau avec de larges trainées de couleurs épaisses. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte.
C’est quoi flotter ?
Le flottement, c’est toujours le risque de l’errance, c’est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l’absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l’extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans bornes. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d’où ma voix ne sort pas. C’est un silence cassant comme l’oubli. Ce n’est pas un exil. Le flottement, c’est un oubli. L’exil nous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l’injustice. L’oubli n’a pas de forme. On est sans lieu, sans autres. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Avec cette envie de hurler, de crier. Toute cette réingurgitation comme s’il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontières. On voudrait appeler, s’ancrer dans la chaleur d’un regard. Mais le flottement est un lieu qui n’existe pas, où nul ne peut vous voir… Sans secours.
« À quelle station t’arrêtes-tu ? » « Là-bas… Plus tard… Là-bas… » « La prochaine ? » « Non ! Jamais la prochaine… Mais l’ultime, l’extrême. Je suis de la dernière station, de celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies… Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur, des grands champs de neige, des océans glacés, car mon ciel est traversé par le vol singulier des oies sauvages qui vont vers le nord. »
Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l’œil et de l’âme, ce frottement de l’absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s’arracher ?
Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d’écrasant. Une présence absolue.
Alors, je marche. Pour m’arracher au flottement, je marche. Je marche, comme j’écris. Pareil. Pour retrouver le corps, le souffle. S’immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s’arcboute dans l’épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d’un mourant. L’extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence avec la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S’arrêter. Continuer, trouver la limite. Être dans la limite. Même au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte.
Comme écrire.
Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, rechercher le geste le plus droit. Maintenant, mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots, surtout leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller toujours aux battements du cœur, du sang, , qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Étendre Projeter mes membres sur la pente vers une douleur plus grande, plus absolue. Le corps collé. Hors de moi, mais totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort insensé. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui aggrave tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Être dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. À l’incendie qui brule ma tête, ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance, le flottement. Comme écrire.
Comme aimer.
Maintenant, le sommet, et son ciel.
Maintenant, le sommet, son ciel, comme un port après la traversée des mers. Comme un port qui sacre le voyage.
La fin sans la fin. L’arrivée qui invente un retour.
Un possible.
Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Sans saison. Seulement à cause de la lumière, de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance, mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

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