Du dessaisissement…
Car l’écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l’errance. C’est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est un enfant qui vous quitte. Elle n’a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l’océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle demeure vouée à l’errance à la recherche d’autres solitudes, jusqu’à la cendre de la cendre.
Le destin du texte, c’est la perte, c’est la désolation, c’est la mendicité. Le texte voyage entre deux absences. Un peu comme l’amour. Il erre entre deux solitudes. Un peu comme l’amour. Le voile qui le couvre, c’est la mort qui rôde. Comme un feu qui s’étouffe par manque de souffle. Par négligence. Par abandon. Le texte posé ici est le nom même de l’errance, de la perte, du manque sacré. De l’attente souveraine.
Le texte, une fois écrit, i est un désert qui ressuscite à chaque caravane qui le traverse. Il est passage, il est franchissement.
Écoulement sans fin de la fin.
Une fois écrit, le texte n’a plus de forme, ou alors il les a toutes, il est prêt à suivre n’importe qui, n’importe quelle insuffisance, n’importe quelle bouche. Il a la forme d’un autre, d’un inconnu, d’une absente. Et à chaque rencontre, il offre sa gorge, son ventre pour se faire pénétrer d’une solitude nouvelle.
Le texte, une fois écrit, se joue des présences. Il vient de l’ombre. Il y retournera. Il tient la mort par les deux bouts. Pourtant, il n’est rien, sinon la forme la plus achevée du vide. Car sa puissance est celle d’un fil de soie tendu entre deux planètes. C’est un vagabond entre deux exils. Il mendie la solitude, et le manque, puisque c’est sa seule nourriture. Puisqu’il vient de là, puisqu’il y retournera. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. La désappartenance. Le dessaisissement.
Aux noces du texte, il n’y a pas d’invité, ce sont des noces furtives, puisqu’elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l’absence, du silence. Fêtes de nos désespoirs où l’on consume les chairs brulées de l’amour et les visages perdus. Oui ! Tous ces visages égarés. Nos temps d’affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des buchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.
Le texte, une fois écrit, , dans son indécence, mêle nos morts successives à nos résurrections. Les miennes à toutes les autres. Frères de mort, frères de résurrection avec ce texte aux paumes ouvertes.
Le texte nait du silence et du malentendu qui l’accompagne. C’est de ce clivage, de cette séparation invincible qu’il nait. C’est de cette rupture de silence, de cet échange de silence qu’il nait. Du malentendu qui l’accompagne. C’est pour cela que la voix chancèle un peu. L’oreille de l’œil est sourde au monde, elle ne sait que vibrer, frissonner de sa désappartenance. De son dessaisissement. De sa disgrâce.
La voix tremble, comme si toute lumière ne pouvait surgir que de ce malentendu consenti. Que de ce secret tacite, scellé au cœur de la nuit.
Chacun a dans les mains du cœur un morceau du symbole. L’écrivant et le lecteur. Si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelle que soit la coïncidence, ou quel que soit l’ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. C’est ici, dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.
Le texte vit de cette dissonance, il brille de l’impossible. Il brille d’un trou, d’un trou d’inconciliance par où s’échappent la vie et l’espérance dans cette hémorragie de silence.
Franck.