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J'irai marcher par-delà les nuages
28 février 2021

Du dessaisissement…

 

Car l’écriture ne nous appartient pas. Posée ici, elle est vouée à l’errance. C’est une mendiante vêtue de sa seule pauvreté. Elle est un enfant qui vous quitte. Elle n’a nul lieu, nulle direction. Elle est à peine un bouchon dans l’océan. Posée ici, elle appartient au hasard. Elle ne reviendra jamais frapper à votre porte. Elle demeure vouée à l’errance à la recherche d’autres solitudes, jusqu’à la cendre de la cendre.
Le destin du texte, c’est la perte, c’est la désolation, c’est la mendicité. Le texte voyage entre deux absences. Un peu comme l’amour. Il erre entre deux solitudes. Un peu comme l’amour. Le voile qui le couvre, c’est la mort qui rôde. Comme un feu qui s’étouffe par manque de souffle. Par négligence. Par abandon. Le texte posé ici est le nom même de l’errance, de la perte, du manque sacré. De l’attente souveraine.
Le texte, une fois écrit, i est un désert qui ressuscite à chaque caravane qui le traverse. Il est passage, il est franchissement.
Écoulement sans fin de la fin.
Une fois écrit, le texte n’a plus de forme, ou alors il les a toutes, il est prêt à suivre n’importe qui, n’importe quelle insuffisance, n’importe quelle bouche. Il a la forme d’un autre, d’un inconnu, d’une absente. Et à chaque rencontre, il offre sa gorge, son ventre pour se faire pénétrer d’une solitude nouvelle.
Le texte, une fois écrit, se joue des présences. Il vient de l’ombre. Il y retournera. Il tient la mort par les deux bouts. Pourtant, il n’est rien, sinon la forme la plus achevée du vide. Car sa puissance est celle d’un fil de soie tendu entre deux planètes. C’est un vagabond entre deux exils. Il mendie la solitude, et le manque, puisque c’est sa seule nourriture. Puisqu’il vient de là, puisqu’il y retournera. De l’eau sur de l’eau. Du temps sur du temps. La désappartenance. Le dessaisissement.
Aux noces du texte, il n’y a pas d’invité, ce sont des noces furtives, puisqu’elles sont dérobées au hasard, à la fatalité. Noces de l’absence, du silence. Fêtes de nos désespoirs où l’on consume les chairs brulées de l’amour et les visages perdus. Oui ! Tous ces visages égarés. Nos temps d’affaissement. Le temps du texte arrache les mauvaises herbes de nos vies, pour en faire des buchers, et souffler sur nos cendres. Nos cendres à venir.
Le texte, une fois écrit, , dans son indécence, mêle nos morts successives à nos résurrections. Les miennes à toutes les autres. Frères de mort, frères de résurrection avec ce texte aux paumes ouvertes.
Le texte nait du silence et du malentendu qui l’accompagne. C’est de ce clivage, de cette séparation invincible qu’il nait. C’est de cette rupture de silence, de cet échange de silence qu’il nait. Du malentendu qui l’accompagne. C’est pour cela que la voix chancèle un peu. L’oreille de l’œil est sourde au monde, elle ne sait que vibrer, frissonner de sa désappartenance. De son dessaisissement. De sa disgrâce.
La voix tremble, comme  si toute lumière ne pouvait surgir que de ce malentendu consenti. Que de ce secret tacite, scellé au cœur de la nuit.
Chacun a dans les mains du cœur un morceau du symbole. L’écrivant et le lecteur. Si le hasard leur fait rapprocher les deux morceaux qui pèsent sur leur vie, quelle que soit la coïncidence, ou quel que soit l’ajustement, il reste toujours une difformité inconciliable. C’est ici, dans cet espace impossible à combler, que réside la lumière. Le miracle.
Le texte vit de cette dissonance, il brille de l’impossible. Il brille d’un trou, d’un trou d’inconciliance par où s’échappent la vie et l’espérance dans cette hémorragie de silence.

Franck.

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21 février 2021

Il n’y a plus de lieu…

 

L’écriture est l’autre nom de la mort.
Vivre, c’est se savoir mourant. Écrire, c’est l’être déjà.
Je relis mes derniers textes, avec une sensation d’accablement. Écrire sur l’écriture. Comme une mise en abime dérisoire. Vaine. Le signe, comme s’il en fallait un supplémentaire, qu’il n’y a plus de lieu d’écriture. Comme si j’accompagnais un mouvement de déclin, qui dépasse ma personne, mon geste, ne faisant de moi que le symptôme d’un temps défait, d’une époque où le livre a fini d’épuiser la langue.
Nous sommes d’un temps de bruit, où la nuit n’est jamais vraiment la nuit, nous sommes d’un temps de vacarme fracassé d’images, comme si l’envahissement des sens défaisait notre humanité, nous sommes d’un temps sans peur. Nous sommes pris dans l’ivresse des jours. Nous sommes d’un temps sans épaisseur. Nous sommes d’un monde éviscéré, comme curé, vidé, de sa substance.
Nous venons d’un temps où les mots, ou la langue, racontaient l’excellence et la singularité d’une humanité. Dans la langue s’exprimait la lumière de chacun, les livres étaient objets de culte mémoriel, sacré, ils portaient en eux la voix des siècles passés et à venir…
En perdant les lieux, nous perdons le regard, en perdant le regard, nous perdons la voix, en perdant la voix, nous perdons la grâce… Écrire ne peut dire que la défaite de l’écriture, sous peine de complicité. Écrire n’apparait que dans une sorte de renoncement, dans un refus orgueilleux, solitaire et vaincu.
Aujourd’hui chacun de nos sens est submergé, saturé.
Les voix sont désormais muettes à force de n’être plus silencieuses.
Le livre ne dit plus nos destins singuliers, mais la vague ininterrompue et monstrueuse des faits-divers indécents.
Un univers envahi d’histoires, où raconter n’a plus de sens, comme si le roman, dans sa profusion, était condamné à ne plus rien signifier, déserté qu’il est par les voix devenues inaudibles… Les personnages… La psychologie… L’action… Il n’y a plus d’espace, plus de lieu : le cinéma, la psychanalyse ont tout dévoré. Quant à l’action ? Plus aucun destin ne la porte sinon l’air du temps et les mouvements erratiques d’une histoire envahissante servie à heures régulières dans un flot d’images sordides, de bruits, qui sont devenues incompréhensibles, inassimilables, jusqu’à l’écœurement.
Nos indignations successives, multipliées à l’infini, parcellisées, sont encore une façon d’échapper, par de multiples révoltes inabouties, à la seule qui vaille, qui donne à l’homme sa face tragique, sa beauté, celle de la mort.
Il n’est plus temps de dire nos détestations ou nos adorations. Écrire, c’est entrer dans un lieu où rien du monde n’est dit, où le « je » s’effrite comme une ruine des temps passés, où il ne reste que la trame osseuse du désespoir. Écrire, c’est éteindre chaque lumière, afin que la nuit revienne, dans l’impossible silence.
Alors, il nous faut accueillir la malédiction, l’épouvante, et l’effroi, dans ce qui nous reste de joie. La joie invincible de l’enfant, faite d’éclats de lumière, joie de l’innocence de la lumière qui ne sait pas qu’elle éclaire, qui brille simplement, parce qu’elle ne sait que briller, comme le feu dans l’instant de la flamme.

Franck.

14 février 2021

Aller au bout de la jetée…

 

Car ce qui compose nos vies est si insignifiant, si négligeable, si futile. Les grands évènements sont si rares. Il y a tant d’heures oubliées, vaines. Tant de gestes ternes, inconsistants. Tant de faiblesse et de lâcheté. Un immense gruyère où ne subsistent que les trous, les vides, les riens. Les attentes interminables. Les gestes répétés. Les naufrages dans des sommeils de pierres. Toutes ces paroles prononcées avec des mots si creux, si absents d’eux-mêmes.
Chaque heure se tisse dans la banalité, l’imperfection, la platitude. Chaque heure rejoint le fleuve des jours, des ans, dans la perte, le manque, et l’infinie tristesse des flots qui s’écoulent.
Car ce qui compose nos vies, c’est le malentendu, c’est l’espérance désenchantée, ce sont tous ces culs-de-sac, ces labyrinthes inextricables, ces occasions gâchées. C’est notre entêtement à vouloir comprendre ce qui n’a pas de sens, à désirer ce qui est hors de notre possible, et au bout de tout à se lamenter, ou à se taire. Mais continuer.
User jusqu’au bout la comédie de l’espèce.
Alors, c’est là au cœur de cette piètre et médiocre tragédie, c’est là, dans notre dénuement, notre déficience, dans cette langueur, là, au point d’orgue de notre irrésolution, que l’écriture déploie sa palette la plus tremblante.
Car l’écriture nous vient d’abord d’un creux, d’une insuffisance, de l’hémorragie qui s’ensuit, d’une rareté, d’un déficit.
Elle vient de nos dernières résistances quand elles cèdent, quand l’être, en nous, s’abandonne, et se perd.
Elle vient de notre marche sur la jetée quand celle-ci s’arrête, et que l’océan est ici, devant, démesuré, terrifiant, que tout en nous se projette vers l’infini. L’écriture vient de cet arrêt brutal, et de ce prolongement. De ce saut dans l’immensité. De cette marche sur les flots. Quand plus rien ne nous soutient, à part le fil tendu de la langue, une ombrelle de désir dans la main droite, et quelques notes de musique dans la main gauche.
Pour écrire, il ne faut rien puisque l’écriture vient de là. Puisqu’elle y retournera. Il ne faut rien sinon se quitter.
L’essentiel de nos vies se construit à l’insu de nos envies, à l’insu de nos rêves. Pour un acte posé, cent stériles ou inoccupés. Pour une rébellion, cent abdications. Pour une aubaine miraculeuse, cent nullités ternes. Accepter la faille comme l’unique possible. La faille qui recueille l’encre, l’encre des mots de l’écriture. La faille qui nous nomme. Interminablement. La faille comme dernières exigences, le lieu des empilements, des étreintes ou des serments ou des éloignements. Le lieu de nos vertiges.
Car il nous faut aborder mille fois ces rivages dévastés de la mort, reproduire sans cesse l’agonie de nos jours, affronter à chaque texte l’effrayante nécessité de disparaitre. À chaque fois plus loin. À chaque fois plus profond. À chaque fois plus définitif. Comme si chaque mot devait enlever des morceaux de peau, les arracher à leur obstination. Jusqu’aux dernières chairs. Jusqu’au dernier sang.
Car l’écriture, c’est bien déterrer des ciels vacillants d’étoiles en réveillant les gisants, c’est bien ce creusement de l’ombre avec toujours cette avancée sur le fil comme une entrée dans la cathédrale : de l’arche à l’autel, du soleil au fanal, tenter le passage impossible du clair au lumineux, du crépuscule à l’aube, des secrets au mystère. Accepter l’envoutement. L’appeler. Messe noire pour noce blanche. Toujours. Toujours. Puis infiniment recommencer jusqu’à ce que plus rien ne subsiste de nous. C’est bien cela, n’est-ce pas ? C’est bien cette folie ? C’est bien cet impossible orgueil des vaincus, qui sachant leur défaite se cambrent une dernière fois, face au néant ? Cet impossible orgueil des déshérités, des dépourvus, des dépouillés ? Rien. N’avoir rien que sa langue, rien que des mots, rien qu’une musique. Rien d’autre. Avoir assez de désespoir, de contradictions, de frontières pour pouvoir les déborder et les excéder. C’est bien cela, n’est-ce pas ? Dites-moi que c’est bien cela, parce que sinon il faudra que je brule chaque mot prononcé, chaque mot écrit, il faudra que le silence ne soit plus le sacre de la parole, mais son unique sépulcre. Il le faudra bien.
Si mon errance me conduit auprès de cet écueil, au tout près de ce croc insolent, il faudra bien que j’aie la force de m’y clouer. Si la pauvreté de nos vies n’est pas assez cher payée pour le passage de la nuit à la nuit, si notre dénuement ne suffit pas à dédommager Charon ou ses frères, il faudra bien déchirer le pacte, et l’incendier jusqu’à nos plus intimes paroles. Si consentir n’est pas la route, il faudra bien consumer la terre et ses environs.
Puisque pour signifier, j’ai épuisé tous les actes, toutes les routes, tous les chagrins, puisque j’ai osé tous les effleurements, frôlé toutes les peaux, puisque je me suis rassasié à tous les seins, que j’ai dormi sur tous les ventres, que j’ai caressé toutes les cuisses, puisque tout cela fut fait, puisque je fus chevalier, prince, jardinier, conquérant, puisque j’aurais pu être roi, puisque j’ai tenu des étoiles au creux de mes mains, puisque j’ai bravé tous les échecs, toutes les abjurations, tous les reniements, puisque j’ai été courageux et veule, puisque de tout cela, il n’en reste que les cendres. Que demain le vent les effacera ! Qu’au bout de tout, rien ne fut signifié !
Alors…
Alors, en attendant la révélation de la fin des temps, le dévoilement des limbes, il faut bien continuer d’arpenter la langue qui nous reste, à raboter la parole, à élargir la faille, à esquisser des pas de danse sur le fil tendu. Il faut bien risquer l’équilibre pour tenter de le trouver. Il faut bien écrire puisque c’est cela qui nous reste, puisque c’est la seule dignité possible avant la prière. Puisque je n’ai que mon silence à opposer au vacarme du monde, puisque je n’ai qu’une ombrelle de désir dans la main droite, quelques notes de musique dans la main gauche.
Alors…
Alors, il ne me reste que l’incendie des mots, la brulure de la solitude pour invoquer les dernières heures et les ultimes insignifiances. Me dire que là, juste là, à cet endroit de ma vie, à l’endroit de la tremblance, commence le plus grand des voyages. Le plus immobile, le plus terrible. Puisque tout est exigé, là, dans l’instant du mot. Alors, il me faudra rassembler toutes les forces de l’amour. Aller au bout de la jetée et tenter une autre fois le saut dans l’immensité. Au plus nu. Au plus près de l’étoile. Au plus près du désespoir.
L’inouï. Absolument.

Franck.

7 février 2021

De grandes flaques…

 

On ne guérit pas de la disgrâce. Car c’est la maladie de la séparation, du désaccord. L’impossible retour à l’intérieur de son corps. Il y a dans la disgrâce l’irréparable détachement des temps, l’irréconciliable mouvement des chairs. La disgrâce tue l’attente plus surement que l’exil. Quelque chose nous quitte. Quelque chose de nous ne veut plus de nous. Il y a en soi des flaques d’absence, de grands marais aux boues sombres, et odorantes. La disgrâce est le mal qui atteint le silence au cœur de ses vibrations, au cœur de ses consonances. À la place, une irrémédiable immobilité. Vacuité de l’oubli. L’inespéré est l’ordre des choses. Ainsi, le fil des jours. Ainsi, la mort inatteignable. Un rendez-vous toujours manqué. Trop tard. C’est le nom de la disgrâce.

Franck.

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