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J'irai marcher par-delà les nuages
28 mars 2021

Pourquoi… pourquoi ?

 

Pourquoi écris-tu ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que je le fais. Que c’est la chose la plus difficile que je n’ai jamais faite. Qu’est-ce que tu écris ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que ce ne sont pas des histoires, c’est simplement un mouvement. Toujours le même. Un geste, toujours le même. Une attente. L’attente que ce geste se sépare de moi. L’attente que quelque chose me quitte. Avec ce désir souterrain qui me happe avec lenteur, une sorte d’élan décomposé, obstiné. N’être rien. N’être plus rien, sinon ce temps d’écriture, cette condensation. Comme une buée qui sort du ventre, parce qu’il s’exaspère de ses trop lourdes macérations. Une buée qui vient se coller aux parois des veines, du crâne, des yeux, qui se condense dans le mot, le mouvement, le geste, le sang, les chagrins. Temps d’écriture perdu dans l’alchimie des heures dérobées au temps. Archipel des mots. Récifs acérés du verbe. Naufrage. Naufrage toujours recommencé. Lassitude. Affaissement. Avec l’exaltation des extases mélancoliques. Une sorte de jouissance ténébreuse. Un battement organique, qui donne cette sensation diffuse de tremblement des chairs. Il y a dans cette buée comme un froissement de la lumière, dans cette condensation comme une hémorragie d’un liquide épais et noir. L’ombre liquide de l’existence. L’épanchement d’une solitude absolue. Irréversible.

Car il n’y a jamais d’histoire, il y a seulement le mouvement, le même geste de vie, le même élan sur le même chemin. Au bout, le même écrasement. Les histoires ne s’écrivent pas, car il n’y a jamais d’histoire. Seuls quelques éblouissements. Puis l’illusion qui les suit.

Qu’est-ce que tu écris ? Je n’en sais rien. Je brasse les temps, mes peurs. Je fais de mon passé un futur acceptable. Je fais de l’avenir des souvenirs lumineux. J’étire les bords du présent. Je déploie l’instant, j’agrandis l’impossible frontière des aurores. Que pourrais-je faire d’autre, sinon ces trous dans la durée, sinon brouiller les cycles, faire entrer en moi assez de folie, effacer ma trace pour que la mort m’oublie ou qu’elle me sacre ? Qu’importe ! Je n’écris pas ce qui se raconte, je n’écris pas ce qui se dit, j’écris ce qui se marmonne, ce qui se murmure. J’écris pour le souffle, pour rester en deçà du silence.

Mais comment écris-tu ? Je n’en sais rien. À part le désordre, cette agitation qui nourrit mon attente, juste après l’appel. Car j’appelle, certains mots me répondent, vagues échos en résonance. J’écris dans la lenteur, presque dans l’arrêt. Rumination de la langue. Pesant dégorgement. Mastication des humeurs amères. Mâchement de chaque souvenir où se mêle le souffle d’aujourd’hui. Incantation lancinante, jusqu’à l’envoutement, jusqu’à la folie. Assonance de l’âme. J’écris crucifié sous le poids d’une interminable transfusion. L’inachevable échange des sangs. Cette impression de séparation, de ruine. Atteindre mes défaites, ce point d’inflexion du destin, le point frontière, le point de séparation des eaux. Le point invivable parce qu’il n’a pas d’espace, et qu’il n’a plus de temps. Point mort, où même la mort s’épuise. Où certains jours, elle recule terrifiée par sa propre image. Point juste assez vaste pour esquisser un pas de danse.

Alors, où écris-tu ? Je n’en sais rien. Ce n’est jamais le même endroit et pourtant chacun se ressemble. J’écris sur des débris de néants, sur des restes, sur la trace infime, dérisoire que laisse le vol des oiseaux dans l’œil de l’amoureuse. J’écris sur les gouttes de pluie, parfois sur des larmes. J’écris dans les bourrelets des nuages entre la blancheur et le gris, entre les boursoufflures et l’étirement. J’écris sur le fil de l’éclair dans les zébrures de lumière, sur des pétales de roses, ou sur l’élytre des cigales, sur le souffle des accordéons, ou dans mes landes froides. J’écris dans des lieux qui n’existent plus, dans les citadelles détruites, dans les villes incendiées. J’écris dans le recommencement et dans la fin, ou sur la peau de mes amours perdues. J’écris sur l’ourlet de mes cicatrices, sur le cuir noirci des trahisons. Parfois, j’écris dans l’épuisement du rêve, ou sur des vertiges, ou sur le champ de neige qui s’étend derrière la vitre de ma mémoire. J’écris sur le rouge, et dans le rouge des amours, dans la profusion et la parcimonie, dans l’avant et dans l’après. Jusqu’à l’incandescence. Jusqu’au pétillement de l’univers lorsque les étoiles claquent leurs doigts pour accompagner le chuchotement, ou la prière, ou seulement le silence.

Quand écris-tu ? Je n’en sais rien. Tout le temps, ou jamais. Je suis sur le rocher, j’attends la marée. La noyade. L’échouement. Lorsque la véhémence me submerge, ou lorsque l’arrachement me cloue. Quand écris-tu ? J’écris aux temps creux. Aux contretemps du temps. Au temps du naitre. Au temps du mourir. Dans les fissures des crépuscules, jusqu’aux affleurements des aubes. J’écris surtout dans les autres saisons, celles qui viennent après, ou celles que l’on a oubliées. J’écris dans les temps ouverts aux quatre vents, dans les temps des mille solstices, celui des roses des temps égarés, ou dans le cœur brulé des éclipses. En fait, j’écris dans les temps pauvres, les temps abimés, dépossédés de leur durée, les temps usés, délaissés. Dans ces temps qui nous quittent, dans ces temps qui nous manquent. Ou ces temps cueillis, au hasard, comme l’on cueille une mure sur les ronciers des chemins. Temps pèlerinage. Temps des cortèges ombreux ou des longues processions.

Alors, je vais pieds nus dans mon écriture, comme dans ce torrent caillouteux et sauvage. Lorsque je trébuche, l’eau fraiche des mots me désaltère, me lave des bassesses, des insignifiances, des séductions perfides. Je vais pieds nus dans mon écriture, maladroit, douloureux, remontant l’eau des mots… Jusqu’à la source symphonique de leurs suspensions .

Alors, je vais pieds nus, car je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d’être encore là. Ces terres d’absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères et sa nourriture aux bouches des pierres usées.

Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s’écorchent, saignent, ces lieux cabossés par tant d’oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants.

Je vais pieds nus, car je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre préférant l’agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut. Je sais les plaintes déchirées des terres sauvages, je sais les âmes qui les hantent. Je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes. Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses : elles ont abandonné leurs chairs, leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence. Elles produisent des distances, façonnent nos éloignements, célèbrent nos séparations, bénissent nos accablements.

Je vais pieds nus, je cherche la musique dans ces landes fracassées de vents. Je crois qu’il n’y en a pas d’audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défaits de tout. Des lieux qui préparent ou qui prolongent. Qui exigent avant, qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser, mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée, elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité, de la simplification, de la première perfection et de la dernière.

Alors, je vais pieds nus, car je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal, mauves et sévères, sans arbres, sans racines. Comme une mer de bruyères tranchantes, brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue, rêche, rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitude grave, suffoquant sous la vapeur compacte des brouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs, obstinés.

Je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang froid, ces absences, ce vent qui m’observe, ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, mes mains si pauvres, ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L’infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l’écriture qui gratte la glace, le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l’impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Mon œil effaré fixe dans l’ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s’approche. Cet épuisement. Cette envie de nord. De glace. De fin…

Alors, je vais pieds nus dans mon écriture, comme dans ce torrent caillouteux, sauvage, et lorsque je trébuche, l’eau fraiche des mots me désaltère, me lave des bassesses, des insignifiances, des séductions perfides. Je vais pieds nus dans mon écriture, maladroit, douloureux, remontant l’eau des mots… jusqu’à la source symphonique de leurs silences.
Cette envie de nord, de glace, de fin.
Toujours plus seul, toujours plus loin.

Franck.

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20 mars 2021

Variations rhétoriques…

 

L’image, l’allégorie, fusionne les univers, condense les temps. C’est un précipité. D’où cette sensation d’aspiration lorsqu’on la lit. Aspiration. Carambolage. L’image, c’est un accident de la langue, une catastrophe miraculeuse. Un vertige. Elle est au cœur du mystère. Puisque c’est une folie. Puisque c’est une révolte contre la raison, contre la tyrannie. Elle unit et elle sépare en même temps. Elle concentre et elle divise. Elle rapproche et elle éloigne. Un feu. L’image coupe, déchire, perce, traverse, claque comme l’éclair, enfante. Elle invente un monde nouveau. Elle devient promesse, refus, abandon.
Pourtant, elle est si vulnérable, si fragile, elle ne tient que sur le fil coupant du texte, elle ne tient que par le balancier des mots. Elle ne tient à rien, en fait. Elle reste en suspension dans un monde parallèle, hors de toute dimension, une femme nue couverte de voiles transparents. Hors de tout, vagabonde qui a quitté sa maison. Sans feu ni lieu. Ingénue, inconvenante, elle est devant nos yeux, invisible, présente comme le parfum de l’amoureuse apporté par le vent. Elle surprend toujours. Elle maraude, entre par effraction dans l’œil des mots effarés. Elle ne laisse aucune trace, pas d’empreinte, pourtant le coup de hache est là, bien là. Car l’image a erré, longtemps trainé, longtemps braconné avant de lâcher son coup, avant d’ouvrir le texte en deux, en mille éclats. Elle rôdait dans nos veines, cachée dans l’ombre opaque de la langue. Maintenant, elle traverse en diagonale nos sens éteints. C’est l’humeur du sang. Vouloir la saisir, la comprendre, la tenir est aussi vain que de vouloir retenir dans ses bras une femme tzigane. L’image est une eau débordante.
Ce qui la fait naitre, c’est un désarroi. L’impossibilité de signifier. C’est d’abord un échec. Les mots s’écrasent les uns sur les autres. Ils s’empilent, comme des pierres inertes, mornes, mortes, sur le mur plat, triste du texte. Le rêve s’enlise. La main se crispe, tremble.
Alors, l’image nait du mouvement, du geste, de l’élan. C’est un pas de danse qui échappe au danseur. C’est un temps de plus dans la valse, un pas décalé, invisible et lumineux. Le clair dans l’obscur. Une vision brutale, douce comme la mort. Une ile dans l’immensité. À elle seule, elle veut sauver le texte qui sombre. Et cette main qui fait naufrage.
L’image nait du geste. Elle est conséquence, prémonition comme la vague qui n’est rien, mais qui est, aussi, la mer, qui déploie un mouvement qui la dépasse. La vague, même la plus insignifiante, sait l’océan. C’est cette insignifiance suprême qui nous fascine. C’est ce savoir fatal qui nous trouble.
L’image est d’un autre temps que le texte, d’une autre dimension, dans sa trajectoire enveloppante, elle cherche un Autre, un pays, un rivage. Elle est de la saison suivante. En coupant le texte dans le gras, dans l’immobile, elle cherche une autre continuité qui le devance, outrepasse, inonde, le texte qui croit l’accueillir. Car l’image connait les lieux, parce qu’elle les visite la nuit, durant notre absence. Elle porte déjà le texte bien avant sa présence, elle sait des espaces interdits que l’écriture ne connait pas. Elle est ignorante des lois et ne vaut que par l’élan silencieux qu’elle dépose entre les mots, à la suture qu’elle laisse sur l’iris.
Alors, l’écriture peut continuer à déployer sa lente spirale. Car l’écriture se refuse à commencer. Écrire, c’est continuer. Une façon de tendre vers l’infini. Écrire, c’est continuer. C’est partir, s’éloigner du centre ignoré. L’image danse, plie nos paroles, même s’il y a du meurtre en elle, même si elle sauve, même si elle tue le texte, ou si même elle l’affirme et le dénie dans le même souffle.
Elle reste le regard de l’éphémère sur la face de l’éternité.
L’œil qui la fixe et qui la fait bruler.

Franck.

14 mars 2021

Au temps des arabesques…

 

Chaque jour, l’épreuve. La page. Pourquoi ? Pourquoi ce chemin ? Qu’attendre de cette confrontation ? Le texte est long à s’élaborer. Toujours. Avancée, ratures, effacement. Quelques grappes de mots qui viennent en saccades. Puis la lente mastication. L’exercice de la bouche. Du son. Du rythme. Des syncopes. Des stases. Parfois le rejet. Pourquoi ? Le texte résiste. Il y a comme une lutte. Contre qui ? Contre quoi ? Mot par mot, ligne par ligne. Aller un peu plus loin. Sans savoir ni la destination ni la signification. À l’intérieur, je sens qu’il a une chose à atteindre, il semble même que les mots puissent venir de cette chose, mais je n’y ai pas accès. Les paroles dessinent mon lieu d’exil. En creux. Dans le creux, les mots. Ils suintent avec étrangeté, comme si je pressais une masse poreuse, gluante. Ils viennent avec lenteur, avec parcimonie. Ils raclent. Ils s’arrachent de l’ombre et trainent toujours avec eux cette part d’ombre. Ce mystère. Cette impossible connaissance. À l’intérieur, persiste comme un frottement difficile à décrire et les mots viennent de ce frottement. Copeaux d’une conscience à la dérive, ou d’un entêtement insensé, déraisonnable. Même le corps est engagé. Je le sens dans les bras, les doigts qui frappent le clavier, la poitrine, le ventre. Surtout le ventre. Une sorte de tension sourde. L’intention du corps qui vient frotter un endroit vide, qui n’existe pas et qui pourtant est là. Puissant, invincible. Imprenable. La page demeure là, au lieu du frottement.

C’est une lutte. Une lutte froide, austère, sévère, sans éclat, monotone. Simplement entretenir la tension. L’exacerber. Comme s’il s’agissait de contenir quelque chose qui ne sortira pas. Qui de toute façon ne sortira pas. C’est une lutte froide contre quelque chose qui n’est ni ennemi ni ami, quelque chose qui n’est que dans le creux, que dans l’empêchement , qui ne dévoile sa présence que par le manque. Le paradoxe. Ton absence me manque, dit le frottement, dit le mot qui suinte. Ton manque manque à mon manque, répond la chose en creux. Ton temps manque à mon temps. Il y a le frottement du manque sur le manque dans cette lutte distante, sans éclats, sans grandeur. Il y a la page chaque jour qui se dérobe un peu plus. Avec ce temps de face-à-face, ce drôle de temps qui ne se raccroche à rien d’autre qu’à lui-même : un temps qui n’a pas d’histoire. Lente mastication des mots, scansion, succion, dissection. Il semble que tout réside dans cet enchainement consenti. Cette volonté de le maintenir, et en même temps de le réduire.

Peu à peu, l’amour s’est résigné, a renoncé, s’est absenté de mes mots. Il ne reste plus que la trame vidée de sa broderie, vidée de ses motifs, de son désir, de ses fils de vie. La matrice vidée de son élan, de son exaltation. Extinction progressive de la lumière, dessiccation des chairs de la parole. Le mouvement s’est rétréci. Il ne reste plus que la trame desséchée, dépouillée de sa faim, de ses tentations, un enchevêtrement laminé, accablé, où le souffle ne s’accroche plus.

Aimer et écrire accomplissent le même souffle, la même arche… C’était il y a longtemps… au temps des arabesques…

Franck.

7 mars 2021

Dialogue de l’ange et de l’enfant…

 

Le texte est le labyrinthe obscur de la voix qui tente de le dire.
Le lieu du combat. Le lieu du serment et des dettes. Le lieu des ébranlements, des chaos.
Entre la voix et le texte, il existe toujours une distance. Une résistance définitive. Des temps antagoniques. Des univers irréductibles. La confrontation des points cardinaux.
La parole est une errance qui n’atteint jamais sa cible.
Le destin de l’écriture est un voyage sans fin. Traversée des sables ou des mers. Elle est sans chemin. Elle est en pure perte. C’est ce qui la rend invincible.
Parfois, le silence forme des iles, des portes dans l’océan infranchissable.
Parfois, persévère un reste, un surcroit qui déborde du texte. Parfois seulement. Des mots se décrochent, tombent, comme s’ils avaient trompé la vigilance du porteur de voix. Des mots débordés. Comme le coolie qui renverse l’eau du seau dans son transport. C’est l’eau rare. L’eau fertile. L’eau détournée. L’eau qui ne sera jamais bue. L’eau du retour. L’eau évadée. L’eau libre. L’eau qui fait fleurir les talus, celle qui inventera les routes futures. Des mots perdus. Comme de l’eau renversée.
Parfois, il y a un reste, un surcroit qui déborde du texte.
Parfois seulement.
Cela s’appelle la poésie.
Y a-t-il des paroles qui ne soient pas destinées ? Y a-t-il des paroles qui n’aient pas de direction ? Des paroles évadées, débarrassées des illusions, des sortilèges aussi bien que des grâces. Des paroles sans intention. Existe-t-il des paroles assez égarées, assez perdues ? Existe-t-il des paroles assez pures pour être assez pauvres ?
Coquelicot dans les chaumes d’un champ de blé.
Parole affranchie de la voix des moissons.
La voix se perd dans des paroles jamais assez nues. Toujours impudiques.
Écrire bien au-delà des marges. Dans la pliure. Dans le givre. Dans le désir dessaisi. Écrire dans l’affaissement. Le retrait. La défaite. Voilà, la défaite, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’étourdissement. C’est sans doute cela la perte. L’excès, la saturation, le vertige, l’ivresse. Dans la voix suspendue ou dans le silence cent fois enduré. Peut-être que la poésie est aussi, cette transpiration de la voix. Cette sudation. Un excès de fatigue sous le soleil.
Le murmure d’un gisant.
Comme un suintement. L’exhalaison d’un soupir.
Le poème, c’est ce qui sépare la nostalgie du désespoir.
Il y a du fracas là-dedans, comme un éclat de verre qui retient une part de soleil. Coupure du réel. Les vérités sortent de cette coupure. C’est pour cela qu’elles sont rouges.
Il n’y a pas de savoir. Uniquement une voix qui erre dans le labyrinthe sombre du texte. Aucune connaissance ne nous sauve, hormis de pauvres révélations, ce fragile tremblement, qui ne signifient rien de plus qu’un fragile tremblement. Rouge. Nostalgique et rouge et mélancolique. Tremblant.
Une parole dans la pliure de l’univers. Une parole d’angle mort. Un puits abandonné dans le désert, qui s’offre au temps. À la solitude. Au mystère de la soif et de l’attente.
Aux épousailles de l’oubli et du vent.
Alors, seulement commence la parole du ventre, le dialogue de l’ange et de l’enfant.

Franck.

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