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J'irai marcher par-delà les nuages
27 mars 2022

Ricochets...

 

Car ici, le texte invente la rupture de l'écrit. Chaque texte invente une fin. Invite la mort. Dans l'incessante répétition des jours, des textes, des mots. Avec ce triple meurtre du texte. Bien sûr, le texte tue celui qui le précède, mais il tue, encore plus surement celui qui le suivra, il tue, enfin, celui qui le produit.
Écrire n'est pas une occupation.
Parfois, c'est un destin.
À coup sûr une malédiction.
À force de mort en nous, nous inventons des temps étranges, et des gestes déshérités.
Car la fin résonne depuis le début. Depuis la première nuit. Il n'y a plus d'espoir. Qu'importe, puis que  la littérature n'existe plus.
La littérature, c'est ce qui efface les livres. C'est ce qui disparait. À chaque fois. C'est pour cela que l'on ne peut en dire rien et qu'elle n'existe plus. À cause de ce « à chaque fois ». Rien qui ne tienne en face du geste qui la crée et la détruit en même temps.
C'est l'histoire de l'humanité.
L'écriture se joue dans son effacement, elle n'est jamais plus présente que lorsqu'elle se retire. Écrire n'est rien, sinon le consentement à ce rien. L'infinie jouissance du désespoir.
Quelque chose se dérobe, ici.
Écrire, hurle la vision étouffée. Comme si le ventre des mères manquait toujours à nos mémoires. Le langage s'arrête à la porte des sexes. Nous écrivons la nuit, pour refaire le voyage. En vain. Pour le refaire quand même.
Nous venons d'une nuit désolée, sans mot pour la dire. Alors, la nuit, nous écrivons pour appeler Eurydice. Chaque nuit, nous allons la chercher. À chaque aube, nous nous retournons. La parole ne peut rien dire de l'au-delà des sexes.
Ne reste que l'entre deux rives. Le déjà parti, le pas encore arrivé. Le déjà plus là, le pas encore là-bas. Je fais des ricochets sur la surface lisse d'un grand lac noir. Mais ma pierre si plate soit-elle, si bien lancée soit-elle, si courageuse soit-elle, sombrera.
Puis les textes disparaissent. S'engloutissent.
Chaque texte invente une fin, en invitant la mort, cette mort océan, cette mort du ventre, celle de la nuit. Pas la mienne, mais celle de tous. Chaque texte invente un temps au-delà de sa débâcle. Sa perte signe une absente. Qui veille. Elle connait notre nom, et du fond des âges le murmure.
Cette nuit, je tentais d'appeler Son visage. Ses yeux, Ses lèvres, Ses cheveux noirs. L'éclat tranchant de Son regard. Je n'arrivais à rien. Ma mémoire avait perdu Sa trace. Déjà. Comme si Elle avait regagné le cortège des ombres. J'appelais Ses formes, Sa voix, la couleur de Sa peau. Cette nuit, je voulais Son sourire. Seulement Son sourire. Tous mes efforts étaient vains. La nuit s'ajoutait à la nuit.
Des ricochets, jusqu'à épuisement.
Nous ne vivons pas de nos rencontres, mais de leur oubli. Toujours dans l'après-coup d'un contretemps.
C'est pour cela que nous écrivons, pour ajouter de la musique à ces rythmes cassés. Comme si la fin ne se suffisait pas à elle-même. Comme s'il fallait la dire, la redire pour s'en convaincre. Ou pour résister. Ou seulement pour continuer d'aimer. En pure perte. Mais aimer encore.

Franck.

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20 mars 2022

Entre l'avant et l'après...

 

Il y a un avant. Il y a un après. Entre les deux, un grand champ de neige. Avec l'écriture, blanche, sur la neige blanche. L'impossible inscription de l'instant. De l'eau sur de l'eau. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Si peu. À part ce mouvement qui remonte des viscères, qui roule sur le thorax, froisse les poumons et qui vient s'effriter dans la bouche. Que savons-nous de ce que nous écrivons ? Rien. L'objet du texte invente le sujet. Écrire pour maudire la parole. Invoquer le silence dans des phrases trop bruyantes. Parler est vain, se taire impossible. Vivre l'écriture entre les deux. Le grand champ de neige. Blanc et l'écriture trop blanche. Le pas de l'écriture s'enfonce, tasse, disparait sous le poids de son insistance. La phrase ne tient rien, et je ne retiens plus la phrase. Elle m'entraine dans le blanc.
L'anachorète a fait trois tas devant sa grotte. À droite, il a posé ses gestes, tous ses gestes, toutes ses actions. À gauche, il a fait un tas de tous ses vêtements. Au centre, il a déposé sa parole. Toute sa parole. Tous les mots de sa langue, même son nom. Puis il est entré dans la grotte, il s'est assis. Il a fermé les yeux. Alors, il n'y eut ni avant ni après. Il n'eut plus à traverser le grand champ de neige. Il était la neige. Un et innombrable.
L'écriture tient les bords du temps.

Écrire conjure le vide.
C'est la tentative d'un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s'agit de côtoyer les ombres de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire pour lui donner sa dimension de silence. De fièvre.
En fait, écrire nous dit l'ombre de nos actes, de nos paroles, le trou décelé dans l'écorce crevassée de nos vies démembrées.
Écrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit.
Ce qui n'a pu être dit sera écrit.
Ce qui n'a pu être écouté sera écrit.
Ce qui a été refusé sera écrit.
Ce qui a été perdu sera écrit.
Ce qui a été espéré sera écrit.
Ce qui a été pleuré sera écrit.
Ce qui a été sali sera écrit.
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

Rejoindre un cœur est un voyage impossible. Rejoindre un cœur est une vraie folie, parce que les mots tombent, ils nous échappent, se brisent aussi facilement qu'un souvenir, ils ont besoin de toute notre attention pour rejoindre, à force de couleur, de musique, d'élan, une parole juste, attendue. Peut-être secourable.
L'amour court sur la lame d'un sabre, un mot trop lourd, trop pesant et c'est la blessure. La rosée qui l'abreuvait, qui le nourrissait, se transforme en sang, c'est ce que l'on appelle le sang du poète.
Le plus court chemin pour le mot, c'est le baiser.
Combien de temps pourrai-je encore tenir les bords tranchants de l'écriture ?

Franck.

13 mars 2022

Une marée à l'envers...

 

L'écriture ne tient que dans le renoncement à la littérature. Que dans le constat toujours renouvelé, que nous sommes à la fin d'un monde.
Le corps n'est plus le lieu de passage de la langue, les chairs ne tremblent plus d'une ferveur sacrée. Le corps qui fut le lieu de la mémoire n'est aujourd'hui que le lieu des records...
Écrire suppose une ignorance définitive et absolue ; la désespérance en un devenir littéraire.
Écrire est un geste déjà advenu. C'est parler une langue morte. Écrire, c'est maintenir le geste qui en se dévoilant, défait la langue même dans laquelle il prétend se déployer. Une marée à l'envers, où la mer ravale une à une ses vagues, découvrant un vide toujours plus grand...
Saturne dévorant ses enfants.

Franck.

6 mars 2022

Le puits.....

 

De quoi est faite la voix de l'écriture ? J'ai des chevaux dans la poitrine. Des galops. Des hennissements. J'ai des contrées sauvages. Du vent dans le sang. Des expiations terreuses, des étranglements. Des vacillements. De quoi est faite la voix de l'écriture ?

Je vais au texte comme si j'allais au puits. Les mains vides. Le pas lourd. Tenant le seau de la langue, le seau vide de la langue. Je vais au texte dans cette pénurie habituelle. La soif chevillée au sang.
Aller vers le texte, c'est d'abord cette marche vers le puits, ce lieu troué de l'existence. Ce lieu usé. Il y a une mélancolie dans ce voyage. Et quoi que nous fassions, il est toujours identique. S'il n'y avait pas ce souvenir de la soif à venir. Ce chemin dans sa nostalgie est notre seul secours.

À l'orée du texte, nous lançons notre seau de misère dans le vide. Seau percé. Les blessures ont laissé de si larges entailles. Notre vie est si peu jointive, nous manquons de tant cohérence, de continuité, d'unité, d' accord, nous sommes un champ de discorde. Aller vers le puits est une épreuve. Lancer le seau est un danger. Le seau troué de nos vies.
Pour chaque phrase il faut tirer sur la corde, usure contre usure. C'est l'eau que l'on perd qui est la plus douloureuse. C'est ce qui déborde qui nous arrache. Puiser dans la langue, c'est souvent remonter du rien, de la perte ; il faut de la constance.

Chaque jour je recommence le même texte. Comme si j'allais au puits assouvir la même soif, avec mes mains trouées comme un seau percé. Au bout de la corde il y a si peu d'eau.
On écrit avec ce reste. Avec ce si peu. Avec cette patience. Cet entêtement.
J'ai dans l'oreille le chant de l'eau qui retombe. Dans la gorge le goût de l'insuffisance.

Chaque jour le seau doit descendre un peu plus profond, et la remontée est chaque jour plus longue, plus épuisante. La soif gagne sur la soif.
Aller vers le texte, c'est comme aller au puits, avec l'espérance de quelques gouttes oubliées par la fatalité. Avec la certitude que rien ne pourra étancher la soif. Quelques gouttes. Seulement quelques gouttes.

Comme cette lumière que je cueille au bord de tes prunelles
Tu sais les miroirs ont l'innocence de l'enfance. Ils disent les vérités éternelles, c'est pour cela que nous les traversons. C'est pour cela que nous baisons leurs tempes, pour apaiser la mort en nous.
Aller vers le texte c'est comme aller vers le puits, où je te retrouverai assise sur la margelle usée d'une parole déshabillée. Alors je pourrais couvrir ta peau de cette eau rare, de cette eau dépourvue, de cette eau miséreuse. Mes mots sont pour ta soif. Car ta soif fait chanter les poulies usées du temps. Laisse-moi poser ces quelques gouttes d'eau sur tes yeux. Si le seau n'en remonte pas assez, mes baisers feront le reste.

Franck.

 

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