Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
24 avril 2022

Rétraction...

 

Les mots se lovent dans la courbure du temps, à l'endroit creux, là où les eaux se rassemblent, larges flaques de mémoires et d'oubli, comme un œil qui fixe le ciel, par défi, ou par négligence. Flaques qui s'accrochent encore à la terre, mais qui savent le combat déjà perdu. Rétraction des eaux de la parole. Assèchement lent. Lent. Un chant qui s'épuise.
Il y a, juste après la moisson, comme une suspension, comme un temps mort, cela ressemble à une catastrophe, la terre se souvient des blés et les pleure. Il y a une souffrance, juste après. Cela ne dure pas longtemps. Peut-être le temps d'un grand soupir. Une affliction. La terre se souvient et pleure. Là aussi, une rétraction. Il y avait un champ, il avait les blés, le vent glissait dans cette mer de soleil crissant. Après il n'y a plus rien, seulement un souvenir. Il y aura d'autres saisons, d'autres épis, mais là, juste après, c'est une tristesse.
Après le concerto, après la dernière note du violon, juste après qu'elle se soit apaisée, juste entre elle, et le silence qui la suit, il y a comme un abime, comme une chose que l'on ne pourra plus franchir, comme une fatalité. Cela ne dure pas, pourtant l'âme tremble. Un court instant. On sait que le cœur pourrait s'arrêter là. La musique persiste encore, elle n'est plus que son rêve, et tout la fuit désormais. C'est comme une rétraction. La réduction immédiate de tout devenir. C'est un moment instable qui s'absorbe dans son propre effondrement. Comme le souffle du mourant.
Il y a un moment où l'enfant, après le jeu, se suspend. Il s'arrête. Cela ne dure pas longtemps. Son visage se voile, c'est comme si une aile passait sur ses yeux. Il est saisi. Brusquement, il a tout oublié, le jeu, son nom, sa mère, son père. Il est entre deux mouvements, entre deux rires, peut-être entre deux vies. On sent qu'il pourrait disparaitre brusquement, s'effacer de la lumière du jour. Cela ne dure pas. C'est comme un hoquet du temps. Comme s'il venait d'avaler sa propre ombre, comme si sa vie à venir était là, devant ces yeux, et qu'il devait décider. Qu'un chagrin inconnu de lui pesait sur sa respiration. Juste après le jeu. Juste après le rire. Et c'est insupportable.
Comme cette femme qui se replie après l'amour, après les cris, après le sang de la jouissance. Elle se replie, comme si l'offrande avait épuisé plus que l'offrande, comme si l'amour avait épuisé plus que l'amour. Juste là, à ce moment précis d'après l'amour, cela ne dure pas longtemps. C'est une tristesse qui n'a pas de nom. Personne ne sait la nommer. Elle traverse comme le vol d'un oiseau, le corps, et toute la vie déjà vécue. Cela ne dure pas. Mais c'est presque infini. Parce que rien ne peut dire cet instant. Cette fraction de temps. Car c'est un temps arraché, une chair arrachée où la mort s'insère, comme un grand soupir. Cette femme pourrait pleurer, là, à ce moment précis, comme la terre après la moisson. Seulement pleurer.
Comme à cet instant du miroir où l'on ne se reconnait pas, où nos traits se sont défaits. Cela ne dure pas, mais juste assez, pour que l'on ait le temps de lire dans ce visage inconnu toute la vacuité d'une vie, toute la vanité des désirs. Pour que l'on sache l'impossibilité du bonheur, la dérision de vouloir y croire encore et encore.
Ces instants sont des couloirs, les dieux les fréquentent, les anges aussi. Ils ne sont pas vraiment vécus. Ils sont impossibles à vivre. Ils renferment pourtant toute l'histoire du monde et celle des hommes. Ils sont des failles dans lesquelles se condensent toutes nos tragédies.
Là, dans ces instants, juste dans l'endroit impossible des heures l'écriture suinte. Juste là. C'est une tragédie. Cela pourrait être un bonheur. Mais c'est une tragédie. Et ça suinte.
Il y a des moments, je vous l'assure, je voudrais être en enfer. Cela ne dure pas longtemps. Je voudrais y être pour ne plus avoir à l'attendre. C'est comme une rétraction. Un chant qui s'épuise.

Franck.

 

 

Publicité
Publicité
17 avril 2022

La nuit qui vient...

 

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère,
Nous sommes issus d'une fièvre ou d'une folie, nous sommes une trace qui s'épuise dans l'infini des cieux,
Une ivresse à la dérive, une note qui s'obstine, un rêve qui s'effiloche, un simple
Souvenir dans la mémoire des dieux.
J'écris pour effacer l'empreinte des cendres sur les rebords du rêve.
J'entends le ruissèlement des heures dans les crevasses du temps
J'ai peur. Seulement peur.
Du silence, et de l'ombre de la neige dans l'échancrure d'une évidence.
Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Dans les plis du papier, la mort déploie une parole rouillée, la vieille parole,
Celle des miroirs sans reflets, celle de la langue agenouillée.
Désormais, l'argile des mots s'effrite.
Il ne reste que l'écorce d'un baiser sur la prunelle d'un sein.
Et la lenteur de la mer.
Toujours la lenteur de la mer, l'usure, l'étouffement de l'innocence, comme si la volupté des sanglots devenait les seules semailles.
Il me faudra attendre demain, encore demain, puisqu'il n'y plus d'enfance, attendre que s'éteignent une à une les lumières des lucioles sur la corole de la nuit qui vient.

Franck.

10 avril 2022

Longtemps... malgrès les...

 

Longtemps. Dépouiller l'acte de toutes les arabesques du plaisir, de toutes les facilités, de toutes les passions, de toutes les excuses, de toutes les raisons, de toutes les déraisons. Le faire assez longtemps pour le dénuder de tout. De tout. Des justifications, des explications. Jusqu'à l'os. Au-delà de l'os. Être dans la lenteur progressive de cet échange, de cette clarification. Cette décantation de l'être. Comme l'acquittement d'une dette. Même si ce n'est pas une dette. Donner à l'acte la chance de la durée. Uniquement la durée. Tenter d'atteindre la constance de la mort. Fabriquer du temps, même vain, même insignifiant, surtout insignifiant. Cette patience renouvelée. S'appliquer à l'acte, au geste. Sans rien attendre en échange ni rémissions, ni miséricorde. Accepter, et s'appliquer. Même si cet entêtement est désespéré. Désespérant, même.
Dans chaque acte, dans chaque geste, il y a d'abord une partie friable, fragile, faible, cela s'appelle l'enthousiasme. Après cela se durcit. Cela s'appelle l'ennui. Tout commence là. À cet endroit dur de l'ennui. Notre endroit lâche, notre endroit inconstant, mou, indéterminé. C'est bien avec cela qu'il faut vivre.
Il n'y a là ni grandeur ni noblesse, dans cette usure du geste. Non ! Il n'y a rien, sinon l'affirmation et l'insistance de ne céder à rien. Tout acte prend sa dimension parce qu'un jour on consent à le faire, à le faire longtemps. Ainsi, le laboureur. Ainsi, le pèlerin. Ainsi, l'océan avec ses marées. Ainsi, l'attente amoureuse. Ainsi, la solitude. Ainsi, l'écriture.
Toute chose inutile faite longtemps allume une étoile ? Tout acte qui peu à peu nous vide, non parce qu'il nous dérobe, tout acte qui nous épuise parce qu'il réclame plus que lui-même, parce qu'il réclame notre substance, nous augmente ?
Le longtemps donne l'illusion du toujours et le toujours donne l'illusion de l'éternité. Illusion contre illusion. Qu'importe. Au bout du compte, il ne restera que l'os. Puis les cendres de l'os. Puis, rien. Malgré les étoiles. Il faut bien atteindre la mort avant qu'elle ne nous atteigne. Il faut bien être mort avant que l'on ne soit mort. Car on pourrait aimer en chemin, et tout s'aggraverait, inutilement. Malgré les étoiles. Malgré les baisers de cendres. Crâne contre crâne. Os contre os. Illusion contre illusion. Malgré les étoiles.

Franck.

3 avril 2022

L'usure...

 

Nous sommes faits d'usure. Elle commence juste après l'enfance, au détour d'une rue, vous franchissez une ombre un peu plus appuyée, une ombre vidée de ses présences, de ses fantômes, de ses fées, et c'est fini. Déjà, l'enfance est achevée. Les instants ne surgiront plus d'eux-mêmes, il faut brusquement les arracher à l'ennui.
On est envahi de temps, jusqu'à l'écœurement.
L'usure est notre mesure. L'épuisement notre horizon. L'attente notre viatique. L'espérance, un cancer inguérissable.
Le reste n'est que jeux, illusions, reflets, miroirs déformants.
Les mots nous trahissent, comme nous les trahissons.
Nos histoires sont des contes de fées auxquels on s'efforce de croire, auxquels on ne croit pas. Même le livre le plus miraculeux a une fin. Le soir, on peut entendre la chute des chapitres où le mot fin résonne interminablement dans l'oubli ricanant.
Écrire est une folie, la seule qui nous fasse souvenir qui nous sommes.
Écrire cherche à délivrer l'enfant en nous. L'enfant prisonnier de l'ennui, de ce temps abattu qui écorche ses ailes. Souvent, l'enfance, perdue dans ses rêveries, ne sait plus trouver l'espace entre la joie et la mélancolie. Alors, il demeure, là, figé, pétrifié. Vitrifié, comme une terre désossée de ses promesses.
Les grandes catastrophes sont silencieuses. Un battement de paupière semble les effacer, pourtant elles ont juste le temps de traverser la chair, de passer dans le sang, comme un poison sans remède.
Alors, j'écris sur un bout de trottoir, dans le passage de la vie, dans le flot continu des existences, des visages, puisant sans cesse dans les ombres lumineuses le plus clair de mon encre, la plus insouciante des solitudes.
Je n'ai jamais su faire autre chose que de me trouver dans des passages encombrés de solitude.
Nous sommes faits d'usure et l'usure est notre mesure. L'épuisement notre horizon. L'attente notre viatique. L'espérance, la dernière forme de notre accablement.

Franck.

Publicité
Publicité
Publicité
J'irai marcher par-delà les nuages
J'irai marcher par-delà les nuages
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 167 982
Catégories
Pages
Publicité