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J'irai marcher par-delà les nuages
14 août 2022

Le sillon...

 

Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s'épuisant.
Toujours, ce qui fascine, c'est ce qui surgit de la béance, comme le sillon de terre qui fleurit. L'imprévisible du texte. Germination énigmatique, ténébreuse, presque clandestine. On est dans cet effort, ce rassemblement.
Écrire le texte du texte est une aventure humaine. Absurde, donc essentielle. Vaine, donc indispensable. La forme produit du sens. Le laboureur le sait bien, lui qui s'applique à être droit, constant, tenace. Lui qui sait que la droiture du sillon vaut pour la droiture du cœur. Ainsi, de sillon en sillon, toujours le même, à chaque fois toujours différent. L'épreuve renouvelée sans cesse. La grâce des saisons. Car la puissance de la récolte tient à ce consentement à l'harmonie de chaque sillon. La perfection du trait.
Le gout du pain commence là. Dans ce trait appliqué. Briser la croute de la terre pour en faire apparaitre la mie. Chaque sillon est l'histoire d'une vie. Chaque sillon relie deux mondes, celui des vivants et celui des morts.
Le labour est une aventure humaine. Le geste est rude, chargé de mesure, de précaution. Le geste est puissant dans l'élan, léger dans sa sollicitude, puisqu'il ne faut rien briser. Déchirer la lenteur, sans à-coups, sans arrogance.
Car le champ du texte signifie plus que le champ lui-même, il est récolte, et pain. La forme du champ appelle la veillée, les ombres, le silence du repas partagé. Car le pain a la couleur de la terre, et la terre a la couleur de mes songes bourrelés de désirs. Elle porte une croissance qui la dépasse, qui l'anoblit.
Le champ est beau des moissons qu'il soulèvera. Mémoire de la terre dans les feux de l'été. Le texte tient debout par un sens qu'il ignore. Le texte brille de ce qui n'est pas dit par ses mots, de ce qui est tu, la part de chant inécrivable, par le mouvement qui jette les phrases comme des grains un jour de semailles.
Les champs de blé nous émeuvent parce que l'on entend dans leur crissement, l'été, le souffle du laboureur qui a retourné cette terre, qui a cru assez fort à la droiture de ses sillons.
Ce qui nous plait dans le balancement des épis, c'est ce mouvement qui rappelle le geste de la main du semeur. Ce qui nous émerveille dans l'or du champ, c'est le souvenir de cette terre nue, noire, cette terre hachurée, éraflée, blessée. Ce qui nous saisit dans le texte, c'est la qualité du silence qu'il tisse avec nous. Comme si l'important n'était jamais vu, jamais prononçable. Un peu de terre sous les mots, le silence du laboureur attelé. Des contretemps, dans le temps des saisons. Ce gout de la mort à chaque printemps, et le vol des papillons en deuil.
L'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.
Tous les jours, recommencer à enfiler le harnais pour tirer. C'est pour cela qu'écrire n'est pas une activité heureuse, puisque c'est un ouvrage sublime.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Le texte est ce passage. Cette traversée des sables. Un long détour. Sans doute n'écrit-on pas pour savoir. Comme si le savoir du texte ne nous appartenait pas, ou qu'il nous était refusé. Y a-t-il un savoir, du reste ? C'est un geste qui nous défait en se déployant. Qui nous compose en s'épuisant.
Le navire désempare les ports à chaque coup de vent. Il invente la mer, c'est le sens du voyage. Un autre temps. Les chronologies sont désarticulées. Le texte avance dans le temps de la mer, dans son oscillation, ses remous. Car s'il rêve d'un port, ce n'est qu'un rêve, qu'un prétexte. Sa volonté de navire est de bourlinguer sans fin. Les navires n'appartiennent pas à la terre. Plutôt ils n'appartiennent pas à « une » terre. Car ils les condensent toutes. Ils sont les plaines, les montagnes, les fleuves, ils sont toute l'histoire de l'humanité, jetés dans un seul mouvement en avant, dans un unique élan ininterrompu. Un navire, c'est une galaxie qui dérive, qui avance. Ainsi, le texte qui progresse sur un océan d'ombre.
Avant le texte, je ne sais rien. Après le texte, je ne sais rien. Entre les deux : l'océan. L'océan et le chant des baleines.
Avec l'hiver des sillons au cœur de l'été. C'est l'autre nom du texte. Le seul nom de l'amour.

Franck.

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7 août 2022

Avant le labour...

 

Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, survient ce temps d'arrêt. Le monde est contenu dans ce temps d'arrêt. Le laboureur regarde l'étendue devant lui, il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà, il est chair de terre. Là, dans l'avant. Il n'a déjà plus famille, plus d'âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie. Il respire profondément, déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l'effort, la douleur, il appelle ses muscles. Alors, il regarde l'horizon puis il respire profondément au pied du champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.
Alors les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie, de mort.
Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c'est l'œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlée de singulière impatience. Il est seul, traversé par les violences, les révoltes, traversé par un océan instable, immense, et pourtant incertain. Il respire profondément. C'est l'instant de la terre. Maintenant, les prières sont épuisées.
Dans l'avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes, la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se mettre à trembler. C'est le temps de l'avant. Le temps arrêté de l'avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d'une solitude étincelante et verticale. Le temps de l'avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.
À chaque respiration, le champ grandit. Alors, le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Y faire pénétrer chaque sillon à venir, chaque pierre à briser.
Vaincre le champ, ou périr sous la terre.
Déjà, il ne peut échapper à son champ. Déjà, il n'y a plus de retour. Si le laboureur se saisit d'un peu de terre pour la porter à ses lèvres, c'est plus pour l'embrasser que pour l'éprouver, s'il pleure, c'est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connait du désir que le frottement âpre et rugueux du manque. Il ne connait du destin que l'horizon de son champ.
Au pied de l'écriture, on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête, avec sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d'un surcroit de chair, d'os, d'un surcroit de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.
Alors, arrive ce temps de l'avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l'amour.
Alors le premier mot rentre dans la terre, ainsi que le premier pas de danse.
Le premier mot perce de la terre, avec le gout d'un sang nouveau.
Le champ n'est plus un champ, il est supplique.
La terre n'est plus la terre : elle est voyage.
Les heures brillent désormais comme des constellations.

Franck.

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