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J'irai marcher par-delà les nuages

17 juin 2018

Lettre N° 27 - Comme l'arbre pense aux saisons...

Mon amour,

Je reçois tes lettres, et chacune d’elles est une aventure. Il y a au cœur de ta langue une puissance alchimique. Parfois en te lisant je vacille, quelque chose en moi se trouble. Ta langue cherche l’octave supérieure, une incarnation plus forte, plus évidente, plus définitive. Puissance et douceur, fulgurance de l’ellipse, comme si effacer ou ne pas dire révélait une réalité nouvelle, plus acceptable, plus profonde, plus sacrée.

Tu sembles écrire avec une paire de ciseaux ; des mots, des phrases que tu découpes. J’ai souvent la sensation étrange que tu dissèques de la chair.
Des mystères surgissent.
L’écriture est une géométrie impossible. Le centre se trouve à l’extérieur. Ailleurs.
Chaque île se trouve au centre de l’océan. Chaque étoile est au centre du ciel. Le temps est sans présent. Il n’y a que la présence absolue, indicible. Un effarement perpétuel.
Ici on croit voir la flèche partir des doigts de l’archet pour aller vers le centre de la cible. Écrire c’est savoir que la flèche part, en vérité, du centre de la cible pour aller aux doigts de l’archer. Ainsi le monde. Mon reflet se trouve imprimer sur la glace bien avant que je la fixe. Ainsi l’amour, mon amour.

Tes eaux viennent des profondeurs de la terre. Tes mots ont voyagé, on le sent à ce souffle court, à ce goût de soufre sucré, à l’épuisement qu’ils réveillent en nous. Cela fait des siècles qu’ils voyagent, tes mots.
Un jour, ils t’ont choisie, toi, et pas une autre.
Alors tu t’appliques, sans plainte à découper dans le gras de la vie, dans l’épaisseur des jours.

Nous passons notre existence, non pas à aller, mais à rejoindre. Notre errance ne sert qu’à rattraper cette part de nous qui nous précède.
Ce qui nous quitte nous agrandit. Ce qui m’est arraché s’inscrit dans le firmament. Orphée est démembré, chaque morceau de son corps est placé aux cieux. Ainsi tes yeux.

Tu écris avec une paire de ciseaux. Tu découpes une chair si singulière. C’est de la chair. Je ne peux en douter. Je le sens à la trace qu’ils laissent. A leurs empreintes saignantes sur ma peau de lecture. Comme une brûlure.
La poésie brûle, c’est à ça qu’on la reconnaît.
Brûler les mots. 
Les mots qui ne sont pas passés au feu, qui n’ont pas marché sur des braises, ne valent pas d’être écrits. La poésie doit sentir la cendre, avoir ce goût de brûlé. L’écriture est une viande cuite, encore saignante, mais cuite.

La première tribu inventa la première langue au-dessus du premier feu. La voix passait sur les flammes, se mettait à danser dans les yeux, dans les corps, dans les os, dans les rêves. Alors il y eut le premier chant.

Les amoureux retrouvent cette parole du feu. Presque muette. L’incandescence du silence. Aimer, mon amour, c’est souffler sur des braises encore chaudes et rouges. Éternellement chaudes et rouges. C’est la danse, le chant de la voix.
Et puis, il y a la solitude de langue qui ouvre sur la joie du partage.
Pour entrer dans la maison de l’amour, il faut ouvrir la porte de la solitude. C’est ton chant murmuré, à chaque poème.

Chacun de tes mots passe au trébuchet : d’un côté l’amour, de l’autre le silence. C’est un travail d’orfèvre. Le ciseau découpe la pierre du murmure. Bien des mots se brisent, mais ceux que tu me tends fascinent, par l’élégance, par cette force faite de simplicité, d’insoumission.

Je pense à toi, puisque penser à toi m’enracine.
Puisque penser à toi me rend à ma langue.
Je pense à toi, comme l’arbre pense aux saisons, quand chaque défaite renouvelle l’espérance.
Alors le vent viendra arracher mes feuilles, puisqu’elles iront vers toi, puisque sur chacune d’elle ne sera écrit que deux mots : Mon Amour…
Je pense à toi pour cette solitude que tu me rends.
Cet été de fruits mûrs.
Je pense à toi pour penser à toi, c’est tout.
C’est suffisant pour bâtir un pont entre deux étreintes.

Franck.

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10 juin 2018

Lettre N° 18 - Mes hautes terres...

Mon amour,

Souvent dans tes lettres tu évoques ton île. J’aime ta nostalgie marine, ce mouvement de ton âme qui ressemble à la houle. J’aime ce mélange de certitudes et d’inquiétudes, les respirations qui s’accélèrent, la fragilité et l’audace entrelacées. J’aime ta parole inlassable, il me semble, lorsque je
te lis, respirer mieux, et lorsque je te vois je sens dans ton regard les embruns, la brise, des horizons qui débordent, des scintillements de lumière.

A mon tour de t’écrire sur mes terres d’origine. Lorsque tu m’interroges, je me sens maladroit à décrire ces hauts plateaux. Attends-toi à l’épaisseur d’une terre, prend ton souffle, sois indulgente, mes terres sont pudiques, et souvent se dérobent.

Alors voilà…
C'est un pays qui va de la nuit à la nuit, d'une absence à une autre absence, comme si le manque n'était jamais assez profond. C'est une terre de douleur, une terre immobile, désolée, silencieuse. Lourde. Quelque chose s'accroche dans les landes de bruyères, des morceaux de nuit, quelque chose d'une sauvagerie enfouie, et les hauts sapins noirs gardent dans leurs bras serrés de grands pans de crépuscule. C'est une terre qui va de la nuit à la nuit, solide, ivre de solitude, de pesanteur. Les bois denses, qui couvrent les contreforts des hauts plateaux, sont comme la peau des mourants, parchemins de tristesse, où s'écrit un chant désespéré.

C'est une terre noire, une terre digne, une terre de courage, une terre dressée, surgie des entrailles du silence, une terre de vent, une terre de larmes. L'immense territoire des hautes terres, entrelace la permanence au précaire, comme pour nous dire la vacuité de nos vies, comme pour nous inciter à l'humilité, à la pauvreté, à l'abandon. C'est la terre de tous les débuts et de toutes les fins, on y murmure des prières, sans dieux, sans bruit, des prières qui courent entre les grandes fougères, des prières épuisées, tremblantes, lourdes comme la terre, mélancoliques comme les ruisseaux qui la traversent. C'est la terre de mes morts, et de mes oublis, j’y suis nu, plus sûrement nu qu'au premier jour, plus sûrement accablé qu'au dernier. C'est une terre sans parole, sans mot pour la dire, hormis le vent qui la chante, et la nuit qui la sacre.

C'est une terre pétrie de temps, de longueur, et d'attente misérable, elle semble immobile, pourtant elle pousse, puissante, en moi. Terre de patience, terre fidèle, elle déploie dans les corps noueux des hommes qui l'habitent, des savoirs millénaires, jusqu'au goût de l'immortalité.

Les arbres s'accrochent à la brume pour s'élever au ciel, ils tordent leurs racines, empoignent à pleines mains la terre noire, pour hausser au plus haut, branches et feuilles, comme de larges poumons verts, si proches d'une asphyxie, si proche d'une suffocation. Ici, tout lutte, tout s'arcboute avec la même pesanteur, le même entêtement, le même acharnement. Monter, monter toujours, pour échapper à l'écrasement des jours, et des saisons, à la pluie qui défigure, à la pauvreté qui dessèche, comme si la vie s'opposait à la vie, comme si la mort encourageait la mort. Les champs cabossés sont toujours trop morcelés, toujours trop loin des hommes, toujours menacés par la forêt, par l'hiver, par une déchéance, par un abattement, ils sont gorgés de nuit, de souffrance et de solitude.

Ici, la beauté éclate dans la chair, la saisit, la brasse, jusqu'à la désespérance, et l'horizon tout au bout du regard réclame le pardon de nos fautes, comme de toutes les fautes de l'humanité. Et le soir y écrase le jour dans un déchirement toujours renouvelé, toujours plus grave. Les vastes espaces des terres hautes et sombres semblent rétrécir en moi la moindre parcelle d'espérance. Tout ici, s'écrase, le jour, la nuit, les sanglots, et jusqu'au silence. Ici, aimer est une action de grâce. Ici, dans les hautes terres du Limousin, vivre debout est une expiation, une lourde pénitence qui suinte dans le sang, blanchit le regard, et crevasse les peaux tannées par le froid, le soleil, le labeur, et le manque qui coule, ici, en abondance, une manne exténuante, d'une terre qui n’attend personne, d'une terre qui s'efforce entre le temps qui l'use, et l'indifférence des dieux.   

Longtemps j'ai refusé que quelque chose de moi puisse venir de ces terres, moins qu'un oubli, moins qu'une négligence, une peur gisait dans mes chairs, tapie, discrète, une mélancolie engourdie. Elles sont remontées peu à peu, avec entêtement, comme une longue fatalité, ces terres noires étaient là, dans le silence de l'oubli, à distance de ma vie, elles sont remontées avec mes morts.  Une lente imprégnation, une sève venue des tourbières du haut plateau par l'effet étrange de la capillarité des origines et des fins. Elles sont remontées ces terres, imposant leur singulière profondeur, leur beauté désolée, jusqu'à m'apparaître comme une évidence dont la prégnance diffuse, mais tenace, m'envahissait pesamment, aussi sûrement qu'une épaisse marée.
Il fallut aussi tant de mort, tant de retour obligé dans ces cimetières désolés, tant de hasard, tant de perte, tant de renoncement, tant d'appauvrissement, comme s'il eut fallu faire, d'abord, de la place en moi, pour que cette terre farouche se déploie.  Je ne sais, qui d'elle où de moi fit le premier pas. Je ne sais quel mort ouvrit enfin la brèche, ma mère sans doute.
Tout en prudence, elle œuvrait, noire et lourde. Les vivants disparaissaient, un à un, et cette terre de Creuse, la bien nommée, les a repris, rude digestion des corps, des souvenirs, des chagrins. Aujourd'hui il ne reste que la terre, cette terre de mes racines, et quelques tombes de pierres grises. Rocs, sur rocs. Granit, contre granit, de quoi peser sur le temps. Écraser la mémoire, ou la faire éclater.

Je ne sais, qui d'elle ou de moi, fit le premier pas. L'écriture m'y ramena, toujours. L'écriture, comme si elle nous venait d'un lieu, comme si une géographie intérieure gisait en nous, en filigrane de lieux bien réels, faits de landes, de pierres, de sang. Il y a dans l'écriture les liens invisibles de notre histoire, une froide incarnation au cœur du vivant en nous. Du singulier. Et nos lieux s'attachent à nos gestes, et nos pensées les plus intimes s'alourdissent peu à peu de nos origines, réelles ou mythologiques, comme si finir nous rapprochait d'un début, comme si la marque du temps se nourrissait de paradoxes. Revenir pour finir un peu mieux, un peu plus loin. 

Mon amour, je ne sais si désormais tu comprendras d’où me vient cette écriture pesante, légèrement cabossée, cette écriture qui cherche son souffle sans vraiment le trouver.
Tu comprendras mes obsessions à vouloir trouver des équilibres entre la légèreté et le grave. Tu comprendras l’excès parfois maladroit, d’une écriture accablée.
Tu comprendras, je l’espère, la terre et le granit qui collent à ma parole… les landes, les bruyères mélancoliques…

Franck.

3 juin 2018

Lettre N° 43 - Un oeil dans les mots...

Mon amour,

On aime pour que rien ne cesse. Jamais.
Ou pour que tout cesse. Toujours.
Tu as dit : « Nous nous écrirons, nous devons nous écrire… L’amour, s’il existe, doit pouvoir traverser les mots, la langue… »
Tu as dit : « Nous écrire sera notre pacte… »

On écrit, parce qu’un jour on a lu. C’est bien cette première lecture que l’on reprend dans écrire. Pour que rien ne cesse. Jamais. Ou pour que tout cesse. Toujours.
Comme si aimer, écrire était braver le temps. Une offense, parfois un outrage. À coup sûr un hors-jeu. Ce « je », lieu de nos promesses crucifiées. De nos illusions. De nos mensonges à venir.

Comment te dire l’élan. L’élan vers toi, seulement cette soudaineté de l’élan ? Comment te dire ce mouvement de tout le corps qui troue l’espace en une fraction de temps ? Cet élan qui précède toute pensée, ce coup de sabre dans la chair. Violent. Brutal. Insensé. Miraculeux.

Dès son passage la sensation que mon être se désagrège. Quelque chose se dilue. Mon eau se trouble. Mais l’élan, tu comprends, il a une pureté incomparable, compacte, évidente. Écrasante d’une vérité fulgurante. Absolue. Comme si brusquement tout mon être se récapitulait. À cet instant précis, tu es mon addition. Ma totalité. T’écrire l’amour c’est être dans le contre temps, déjà dans la trahison.

Il faudrait que je ne dise rien. Simplement consumer le silence. Avec seulement cette brûlure de ce temps vers toi. Les cerisiers fleurissent sans rien dire.
Écrire est un deuxième arrachement, un impossible rapprochement.

Tu as dit : « Nous nous écrirons, nous devons nous écrire… »
Alors je t’écris, j’accepte l’écart, la torsion du temps, la cambrure de notre réalité.
Pourtant, je voudrais, là, dépasser mes mots, les rendre impudiques.
Hier, tu as posé ta main sur ma main, un geste insolite, avec cette singulière légèreté. Le bonheur s’invente dans le surgissement de ces mouvements. J’ai senti trembler la lumière.
Alors, frotter les mots comme l’on frotte les peaux jusqu’à l’indécence. Parler, comme l’on caresse, ou comme l’on touche. Je voudrais donner des yeux à mes mots. Pour qu’ils te regardent. Qu’ils soient la couleur de l’ombre qui t’accompagne. Je voudrais qu’ils puissent contempler chacun de tes rêves, pour protéger ta nuit. Je voudrais que tu les sentes si présents qu’à leur simple écoute tu veuilles dévoiler un peu de nudité, ou au contraire, voiler ta poitrine en baissant légèrement les yeux.
Oui, je voudrais des bras à mes phrases, pour qu’elles t’enlacent.  Qu’elles se tendent vers toi au réveil pour le premier baiser.
Je voudrais que ma voix soit assez nue pour te faire pâlir, pour consumer l’innocence de l’aube. Puis polir nos mots, jusqu’à la moiteur, jusqu’à la sueur. Je voudrais que tu les sentes s’arrondir sur ton sein, que tu les sentes appuyer sur ton ventre, que tu les sentes pesants sur tes cuisses comme une nuit d’ivresse et de chair. Comme si le texte entier était une alcôve assombrie de désir.

Tu sais le plus court chemin pour le mot c’est le baiser. Lorsque sur le point de se dire il s’efface pour effleurer la lèvre qui le cueille. Lorsqu’il devient souffle avant d’éclore en silence.
Je voudrais dépasser mes mots, les rendre impudiques, inaudibles à force d’indécence.
Alors chacun d’eux vaudra un baiser. Chaque baiser s’écrira sur ton corps, dans le frôlement de ma voix. Chaque mot se posera sur tes soupirs les plus impénétrables, jusqu’au sanglot, jusqu’à la plainte.
Jusqu’à l’épuisement de la langue, je nommerai la création, pour ne jamais cesser de t’aimer, pour encore sentir ton odeur dans ce rêve d’écriture, pour toucher ta paupière du bout d’un silence.

T'écrire est un deuxième arrachement, une impossible séparation. 
Ici, s’invente l’histoire qui nous déborde et qui nous sacre.
Ici, s’invente le dangereux. Le miraculeux. Ici, nous brûlons les dieux. L’amoureuse tremble. L’amoureux chancelle. Les amours de papier traversent les chairs plus sûrement que la lame d’un sabre. Et les dieux qui savent tout ne s’y sont jamais risqués.

On aime, on écrit pour que rien ne cesse. Jamais.
Ou pour que tout cesse. Toujours.

Franck?

27 mai 2018

Lettre N° 35 - Ton nom...

Mon amour,

Alors je prononce ton nom. Un oriflamme dans le vent de la parole. Je prononce ton nom pour l’avoir dans la bouche, au plus près de ta saveur, au plus près de ton parfum. Je prononce ton nom pour le faire résonner dans ma gorge, pour échanger nos souffles. Lorsque je prononce ton nom, ma poitrine se gonfle sous l’effet d’une tourmente troublante, ce genre de tourmentes marines que l’on rencontre dans les océans perdus, avec ses longues et larges houles, berçant le ciel, accrochant à l’écume un peu de brume, un peu de neige, un peu d’envie. Cet air marin chargé d’iode et d’embruns pénètre mes poumons jusqu’à l’échange des sangs.
Voilà, tu entends… l’échange des sangs.
Je prononce ton nom à haute voix. Tu comprends, il ne me reste que ça pour être au plus près de toi. Il ne me reste que ça pour faire tenir ensemble mes décombres de mémoires et ce trait de lumière qui me traverse et m’éblouit.
Je prononce ton nom à haute voix, avec lenteur, avec une extrême lenteur, et je respire enfin, et le silence tinte enfin, les constellations se remettent à vibrer. Avec lenteur, comme une chose sacrée. J’articule chaque son pour lui donner la chair suffisante à ta splendeur, et le poids exact de l’espérance. Je prononce ton nom en arc-boutant ma nostalgie sur le mur de mon exil. C’est une nécessité. Je m’applique à cette folie pour éviter des folies plus grandes encore. Je m’applique à ce chant monotone, et lancinant, pour retrouver l’usage des mots.
Je m’applique à ton nom, comme le peintre à ses couleurs. Nommer c’est faire œuvre divine, te nommer c’est faire œuvre solaire, c’est relier, étendre, agrandir, réchauffer, c’est effacer l’ombre. Te nommer à haute voix c’est habiller la solitude de vêtements de soie. C’est une chance de plus de franchir le néant.
Chaque syllabe est une part de toi, la part bleue, chaque lettre est une lueur qui persiste. Qui résiste. Dire ton nom c’est tisser le silence, c’est déplier la nuit pour la rendre habitable. Supportable. C’est appeler ton visage, c’est comme si je saisissais ton murmure sur le bord de tes lèvres. Tu comprends, c’est comme caresser tes cheveux, ou comme réinventer le désir, avec sa marche épuisante à travers les sables. À chaque lettre c’est chercher la forme d’un aveu, ou d’une miséricorde. C’est inventer ta peau, c’est déposer mille baisers dans l’air que tu respires. Car tu sais, prononcer ton nom c’est moduler le vent aux formes de ton corps. C’est dévorer un rayon de soleil. Prononcer ton nom, c’est convertir le païen  aux étoiles, c’est t’inscrire sur les anneaux de Saturne, c’est graver un chemin qui te rejoint, c’est inventer la route de tes yeux.
Je prononce ton nom à haute voix. Avec lenteur, comme un insensé que l’on croit voir parler seul, alors qu’il dialogue avec quelques saints bienheureux.
La lenteur bâtie les empires et dénoue les distances.
La lenteur appelle ta présence, comme la flamme d’une bougie appelle les dieux. La lenteur dans ma voix qui te dit, c’est le chemin royal pour te rejoindre, car la lenteur va avec la tremblance, et la tremblance va avec l’amour et l’amour va avec toi.

Franck

21 mai 2018

Lettre N° 188 - Le corps de l'autre aimé...

Mon amour,

Maintenant que tout est dit, il me faut redire à l’envers du temps, trouver un autre chemin dans le déjà advenu.
Notre pacte tenait dans l’écriture. Tu en avais eu l’idée au tout début. Je me souviens de ce jour, nous étions face à la mer, éclaboussés par les lumières des vastes étendues, pris dans l’intensité et la fixité du soleil. Tu avais dit : « Nous devons nous écrire… Le plus souvent possible. C’est la seule façon de créer des contretemps et d’éviter la fatalité des banalités… »
Tu avais dit : «  Il y a une voix dans l’écriture, il y a un être qui vit dans les mots écrits… ».
Tu avais dit : « C’est cette voix qui aime en nous, c’est cet être de la voix qui soulève l’amour… et le porte dans ces contrées de nous-mêmes si lointaines, si vitales… »
Tu avais dit : « C’est cet être de la voix qui aime… On n’y pense pas, on croit à notre toute-puissance… On se trompe toujours… Nous écrire ne nous sauvera pas, il y aura seulement une abondance… et la trace des mots dans nos chairs… peut-être des brûlures plus fortes, plus profondes… ». Tu avais rajouté : « Rien ne nous sauve… jamais… »
J’entends encore ta voix, qui déjà était celle de l’écriture, j’entends sa douceur, sa lenteur, ses silences. Tu regardais l’horizon, tu semblais happée par l’infini. De l’infini à l’éternel, il n’y a qu’un pas, j’ai fait ce pas pour te rejoindre…

Alors l’écriture m’est arrivée d’un excès. D’un débordement. D’une abondance insupportable (abondance, tu aimais ce mot, souvent tu l’employais dans tes lettres, tu le préférais à  joie, d’ailleurs joie,  jamais tu ne l’employas, abondance est un mot qui t’aillait bien, il semblait porter ton âme.). Écrire, c’est trop de voix dans ma voix. C’est trop de vie dans la mort. Écrire, c’est d’abord un dérèglement. Un lent glissement

Il me faut redire à l’envers du temps.
C'est toujours avant que le moment se construit.

Et nos amours arrivent dans nos vies comme sur des ronciers. Et nos amours meurent comme les roses.
Aimer c'est avant d'aimer que ça arrive.
Tu avais dit : « Nous devons nous écrire… Le plus souvent possible. C’est la seule façon de créer des contretemps et d’éviter la fatalité des banalités… »

Je ne sais plus où j’ai lu cela, l’ai-je lu vraiment ; la chair que nous avons aimée habite à jamais notre corps.
Cela ne ressemble pas à des souvenirs, cela touche une mémoire plus profonde, plus archaïque. Cela touche au sang, à la respiration. Je ne sais pas dire cette chose, les mots de ma conscience vive se dérobent. La chair en nous de l’autre aimé est une ombre silencieuse qui accompagne notre regard, parfois notre joie, souvent notre tristesse.
Nous sommes faits de temps dévastés, comme une aurore qui se lèverait sur le champ des combats enfin terminés, avec ces dépouilles, cette apocalypse, ces vols d’oiseaux noirs, ces gémissements. Nous sommes des survivants hagards, errants dans les silences d’une mémoire incompréhensible, butant sur les traces, les restes, les ombres, qui hanteront jusqu’à la fin nos nuits.
Seuls les mots de l’écriture effleurent, en nous, ce corps de l’autre aimé. L’écriture, avec le corps de l’amour sont de la même espèce, de la même terre, faits d’absence, d’oubli, de surgissement.
Nous avons en nous, au moment où nous venons au monde, un livre déjà écrit dans nos chairs, vivre c’est tenter de le décrypter, écrire c’est en continuer le récit.
Ce livre ne raconte pas notre vie (rien ne peut la dire), il nous dit les temps passés, les temps  à venir, les mystères, les peurs, la nuit, il nous dit toutes nos défaites, nos prières, et encore la nuit, toujours la nuit, il nous dit tout ce que notre langue n’ose pas prononcer.
Le corps de l’autre aimé est là, comme une sorte de signature, la marque des chagrins impraticables, une empreinte arrimée à la lancinante germination des temps advenus.
Le corps de l’autre aimé est là, plus vivant que nous, sans doute… Tu es là, tu rodes, tu hantes… Je tremble encore de ta présence brûlante, palpitante, parfois brutale comme la foudre. Ta nuque, ton visage, le froissement de nos étreintes, les caresses patientes.
Ton désir inquiet épelé dans l’acquiescement, comme pour fleurir quelque mélancolie, alléger le poids obstiné des fêlures primitives, ces plaies inachevées qui bordaient l’orient de ta mémoire.

Mes souvenirs ne disent rien, ils sont comme les écorces abandonnées d’une forêt impénétrable, je n’ai que ce récit ancien, ce livre avec ton corps qui survit dans mes décombres, éparpillé dans une trop vieille parole.

Franck.

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13 mai 2018

Lettre N° 183 - Lettre inachevée...

Mon Amour,

 

Maintenant, seule ma mémoire est un secours. Les souvenirs sont comme des mantras que je ressasse pour conjurer l’évidence. L’absence, ton absence est inhabitable. Le souvenir est un défaut du présent.
Je me souviens du tout début, de nos premières rencontres. Cette fragilité, les ombres qui déjà peuplaient nos paroles, nos gestes. Les premières images, avec nos hésitations, nous allions l’un vers l’autre comme si nous étions dans un sous-bois, cachés, mûs seulement par les éclats tremblants du soleil à travers les arbres, et une lenteur singulière. L’intense lenteur.

Ta beauté semblait t’encombrer, te rendant quelquefois maladroite, une maladresse presque enfantine.  L’ombre et la lumière se succédaient sur ton visage comme si rien n’accrochait vraiment, ni le jour, ni la nuit.
Face aux autres tu paraissais toujours vouloir t’assurer de ta propre existence. Tu attendais une sorte de confirmation de ta réalité.
À chaque instant je tentais de te donner ce regard, cela m’était infiniment délicieux, souvent jusqu’à la douleur. Je ne pouvais m’empêcher de voir en toi la petite fille tragique, tyrannique que tu fus sans doute. Une petite princesse déchue, défaite par la banalité du désir des hommes.
Tu semblais mettre tout à distance pour protéger un rêve qui jamais n’avait pris forme.
En toi tout était dissonance, ton regard, tes rires, tes gestes, comme si tu restais prisonnière d’un miroir que tu ne pouvais traverser.
Tu pouvais être alternativement désinvolte, méprisante, hautaine, émouvante. Je te voyais surtout perdue. Tu étais surtout silencieuse.
Ta beauté était ta pire disgrâce, ton pire malentendu.
Le plus souvent tu semblais rester à la surface du monde espérant que cela suffirait à te sauver. Chaque jour tu posais un masque sur tes nuits de chagrins, et l’ombre sous tes yeux me dévoilait l’ennui, la peur, le manque. L’attente. Un feu lent et profond. Un feu sans braise, uniquement les restes d’une cendre en forme de souvenirs d’enfance, une cendre posée sous ses yeux.

Puis il y eut cette fameuse nuit.
Il y avait eu une fête, nous nous étions éloignés de la foule, du bruit, de l’agitation. Nous avions nommé cette nuit, la nuit du sacre. Cela t’amusait, tu prononçais le mot sacre comme s’il contenait un pouvoir sur nous, un pouvoir de mystère et de magie sur notre amour. Nous avons regardé le soleil descendre sur l’horizon et la nuit monter de la terre.
Nous nous taisions. Du bout des doigts j’effleurais ton visage. Tu avais fermé les yeux. Tu respirais lentement, profondément. Sous mes doigts tes lèvres semblaient sourire. À peine sourire. Et ta respiration portait le silence et tirait la nuit à nos pieds. Nous étions là, dans les heures soyeuses, nous flottions dans les exhalaisons de l’été, à l’abri du monde, berçant notre amour comme l’enfant de notre pacte, de notre abandon, de notre avenir. La nuit, en cet instant, réconciliait la gravité méditative de nos âmes à vif, avec ce que nous appelions le destin, cet incurable et insaisissable ossuaire dans lequel nous vagabondions, aveugles et taciturnes depuis l’aube de nos vies.
Nous nous étions trouvés pour nous offrir mutuellement l’absolution, nous avions consenti aux confessions, aux murmures épicés et complices, aux pensées de cristal, aux corolles de légendes que nous inventions pour nous défaire des écorces du temps, des inscriptions du hasard, de l’impur préjudice de nos errances d’antan.
Nous trouver c’était, nous le savions, échanger nos misères contre des semailles, et ta beauté cette nuit-là couronnait notre insurrection amoureuse, nous avions ouvert un précipice où chuter n’était que voler dans un incendie auréolé, tout avait le goût de la fatalité et cela nous convenait. Cette nuit-là, devenait cette nuit nuptiale et rejoignait le bruissement de nos âmes inquiètes et sauvages.
Cette nuit-là nos horizons coïncidaient dans le même écoulement, le même consentement, le même voyage. Rien ne sépare l’harmonie du chaos.
......

 

6 mai 2018

Lettre N° 181 - Rupture...

Mon Amour,

Que dire ? Tu es désormais très loin. Nous savions la fin dès le premier jour. Bien sûr, on n’y croit pas.
Mon passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru.

Tu sais il y a des lieux de nous-mêmes dont on ne revient pas. On les arpente la vie durant comme un aveugle, se cognant, trébuchant aux mêmes endroits, n'évitant rien des obstacles mille fois connus. Jusqu'à user nos guenilles. Jusqu'à l'épuisement du moindre désir. Il y a des lieux de nous-mêmes, clos comme une île perdue. Une île usée par les mêmes vents, rongée par les mêmes embruns, brûlée par les mêmes astres.
Il y a sous ma peau nos déserts, et derrière mes yeux les mêmes images, dans l'oreille la même musique, dans mes mains cette même attente inutile, cette même distance infranchissable.

Notre baiser c'est égaré, abîmé, il a sombré dans l'espace trop grand des jours, il est resté collé à nos lèvres devenues trop sèches. Nos caresses ont reflué, se sont reprises, comme une mer qui se retire, arrachant dans leur retrait jusqu'au goût de nos chairs, pour ne laisser qu'une saveur fade d'os blanchi. Comme si tous les départs étaient des retours. Et toutes les fins d'impossibles recommencements.

Il y a des lieux de nous-mêmes qui ne nous abandonnent jamais, ils sont la route, l'unique lumière noire, notre lieu d'éternité. Le sans fin de notre vie. Nos ventres se sont séparés, nos cuisses se sont refermées, nos sexes se sont cachés, tes seins se sont durcis, pris dans une glace de marbre. Nos corps sont devenus des pierres anguleuses aux arrêtes tranchantes aux paroles acerbes et crues. Nos corps ont perdu leurs formes, leur tiédeur, leurs secrets, le mystère de leurs odeurs. À chaque geste, désormais, un silence en surplomb. A chaque heure un gouffre en partage. Cascade lancinante, dévastée d'ombres sauvages, cruelles. Une à une les portes du langage se sont refermées. Avec un bruit sec, mat. Mots ravalés, qui viennent s'empiler les uns sur les autres. Murs lourds en parpaing de silence, dressés sur les frontières de l'absence, et qui arrivent au grand galop. Déferlante d'indifférence bouillonnante, avide de nouveaux naufrages.

Mon amour, il y a des lieux de l'autre qui nous dépossèdent. Ou pire, qui nous rendent à nous-mêmes. Lieux néants, lieux vides d'espace où la rencontre n'est plus possible.
J'ai simplement fermé la porte. Un bruit sec, mat. J’ai simplement étouffé la parole. J'ai simplement voulu aller loin, rejoindre mon île perdue. Celle qui gît, là, au fond de mon ventre. J'ai simplement voulu défaire le tricot des mots, des gestes, défaire le temps lourd, lent, défaire les brumes, les landes qui nous entouraient, défaire la citadelle creuse qu'on osait plus habiter.
Alors j'ai roulé dans ma mémoire. Longtemps.
Cela fait si longtemps que je roule mon errance. Caboteur mélancolique qui cherche sur les rives qu'il frôle le phare. Le phare. Avec toi, je me croyais sauvé.
J'ai simplement fermé la porte. Je ne me suis pas retourné. Il n'y a jamais rien derrière, sinon le mensonge des miroirs. Il n'y a jamais rien devant. Il n'y a que l'instant, celui-là, celui qui suce le sang. Là, maintenant, qui m’écrase. J'ai les mains vides, même mes prières s'en échappent. Et nos souvenirs s'écoulent comme du sable au vent.

Comme du sable au vent.
Nos espérances s'éteignent comme des nuits sans lune.
Un lait noir, froid.
Poison silencieux de l'errance.
Infiniment longue, infiniment tenace.

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l'ombre tremblante de la lumière du jour, qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs, qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru. Je suis dans la pénombre voûtée de ma mémoire. Ma peau nue sur les murs noirs. Ma peau nue sur l'usure des ans, traversée par une sorte de langueur de crucifié.

J'habite une église désertée, sans procession, sans ostension, des saints de marbres gisent absents, le geste vain, le regard vide de compassion. Sur l'autel, nul calice, nul livre, nulle parole d'évangile, nul cierge, hormis un silence immaculé et austère, imperturbable, insensible.
Il est de ces chapelles abandonnées par les dieux, où seul le temps pénètre. Et les seules prières, c'est le vent, les seuls murmures, sont mes larmes qui suintent le long des vitraux. Chapelle de nuit, chapelle d'orage. Chapelle d'oubli. Ni portes, ni pardon. L'expiation est un long pèlerinage.

Depuis toi,  je sais des arcs-en-ciel qui percent les murs.
Je sais des océans dans les plis rugueux de la pierre.
Depuis toi, je sais des saintes.
Des saintes résolues, à la peau de passion, à la chair de cantiques, aux murmures brûlés.
J'entends pousser un arbre au transept de mon silence, et couler un long fleuve dans ma nef patiente. Je sais cet incendie qui couve.
Et je sais mon sang quand il brûle mes mots...
Je sais toutes ces choses qui s’en vont au galop, au tumulte qu'elles font, aux frissons des étoiles, à l'effarement des cieux.

Franck.

29 avril 2018

Lettre N° 163 - Une tombe dans la voix...

Mon amour,

Nous ne nous voyons plus. Quelque chose entre nous est défait. Aujourd’hui j’ai des tombes dans la voix. Des cercueils encore ouverts. De larges trous de terre que le temps creuse encore. J’ai des morts qui m’appellent dans les chants à venir.
Tu le sais nous avons plusieurs mémoires. La plus lourde n’est faite d’aucun souvenir. Elle n’est que persistance. Elle est sans douleur, puisqu’elle est la douleur même. Puisque c’est le nom de la douleur. Elle s’accroche dans le dos de nos jours, comme une bosse. Elle n’a besoin ni de souvenir, ni d’image, puisqu’elle tient toute entière dans le sang des saisons.
J’ai des tombes dans la voix, de grands cercueils ouverts que je n’ai pas su fermer. Cette mémoire-là ne connaît pas l’oubli, elle est là, au revers des mots. Elle souffle. Elle pousse. Elle pèse sur les silences. Elle est l’opiniâtre patience de la mort, son sourire édenté.
T’écrire c’était déjà te rejoindre
J’ai ta tombe dans ma voix. Tu étais pourtant jeune. Tu étais déjà belle.
Tu es ma bosse, et mon chant à venir.
Tu es mon premier poème.
Tu seras le dernier.
Notre premier baiser d’ivresse pure… Nous étions appuyés contre le grand mur de pierres ocre du cimetière, déjà nous signions notre destin. La mort déjà poussait son chant dans nos veines. Dans la paume de ma main, j’ai tes îles brûlées, des stigmates de feu, des noces rouges et bleues. J’ai dans ma voix la couleur de tes yeux qui s’effarent de ces aurores que nous ne verrons pas ensemble.
J’ai ta tombe dans ma voix. Une nuit qui persiste et qui porte ton nom.

Franck.

22 avril 2018

Lettre N° 15 - Parler est une chose difficile...

Mon amour,

Parler de nous, de toi, de moi, est une chose difficile puisque nous sommes sur cet étrange fil. En équilibre. Entre nos vies défaites, entre espoir et fatalité. Puisqu’il nous faut arracher aussi bien nos tragédies que le triste ou le sérieux, nos jardins sont si encombrés. Enlianés dans l’enchevêtrement de nos actes désemparés, de nos rêves usés, parce qu’ils ont trop servi. Encombrés par l’amoncellement de nos amours anciennes inachevées, inachevables.

Et puisque les jours ont enseveli les jours, que les nuits ont obstrué les jours, que même les saisons ont étouffé les jours. Alors parler de toi, de moi, est une chose difficile. Puisqu’il me faut gratter la terre de mes échecs pour exhumer à nouveau au soleil chacun de mes os blanchis, ces os lourds de mes errances.. Mais os si cassables. Il me faut retrouver maintenant la pudeur et la vertu de mes temps d’avant, il faut réinventer le pur, le simple, il faut chercher ce qui reste en nous, mon amour, d’inaltéré, de cristallin. L’enfant. Le pèlerin. Il faut aller chercher la larme qui se refuse.

Mon amour, aide-moi à penser à l’infime. Au vulnérable. Le point. L’unique point de résistance. Celui qui rassemble, qui totalise. Celui par lequel l’aiguille du ciel jaillit, à l’aplomb du soleil. Il y a dans nos âmes des géométries secrètes, des arithmétiques mystérieuses. Il te suffit de prendre la nuit en abscisse, le ciel en ordonnée, les deux tendent vers l’infini bien sûr, alors les étoiles s’allument, tu n’as plus qu’à joindre chaque lueur de cet espace, puis d’en faire la courbe exponentielle ; au bout se trouve la charnière du cœur à ouvrir. Pour vérifier que tes calculs sont justes, il faut que tu dessines une croix, celle qui nous crucifie, sur l’axe vertical se dresse l’amour, sur l’axe horizontal dispose l’attente, si ça saigne c’est normal, tu dois voir apparaître une myriade de points, ce sont les heures de notre vie, additionne-les, puis, il ne te reste plus qu’à diviser le tout par de nombre d’or. Tu peux aussi utiliser une agate, une topaze, un petit caillou, ou simplement un rêve d’enfant.
C’est  parfois mieux un rêve.

Il nous faudrait renoncer à ne plus renoncer. Et pour commencer, abandonner. Partir du point vernal. De l’articulation des saisons. Nous mettre dans l’embrasure du jour et de la nuit, à cet endroit du clivage de la lumière, à cette place de la coupure, où l’âme se décolle de nos mythes. Avec l’incision du rêve, puis en accepter le sang.

Car le temps s’approche de nos faces, avec sa lenteur, ses à-coups. Et nos os tremblent un peu.
Alors, parler de toi, parler de moi, est difficile. Ce serait parler de l’attente, de cette tension des nerfs, ce serait parler de ta nudité tout contre ma nudité. Ça serait dire nos bouches, leurs murmures de nuit, avec leurs soupirs humides, et les caresses brûlantes dans l’exaltation de la découverte. Ce serait dire la faim, la soif, la fièvre rouge de l’offrande,   la sueur des sexes contre les sexes. Ce serait dire tes eaux et mon navire, la tempête qui brasse nos gestes, l’effleurement de mes lèvres sur ton ventre, cette traversée profonde au cœur de nos désirs, de nos appels.
Tu comprends mon amour, ce serait dire l’obscur pour en faire la lumière, appeler Satan pour nous encourager. Ce serait ne plus se connaître et pourtant se connaître à jamais. Ce serait dire la blancheur de ta peau, les couleurs d’orange de ton sexe qui se déploie, l’enlacement de tes hanches, la poussée des muscles, le serrement de nos cuisses. Ce serait dire ta langue comme un tison ardant sur mes terres secrètes. Ce serait dire les morsures, les écartements, le vertige, les secousses et la charge. Ce serait dire le cercle de feu que le compas de tes cuisses ouvertes dessinerait sur les murs de la chambre. Parler de nous, ce serait dire l’essoufflement de la course batailleuse de nos mains, nos mains voraces dévorant nos chairs offertes, nos chairs béantes, nos chairs promesses. Parler de nous, ce serait dire l’épuisement, puis le triomphe après nos pénitences, la consolation après les jouissances et l’enchantement d’un temps nouveau. Pour parler de toi, pour parler de moi, il faudrait oublier nos dignités, nos élégances pour inventer, une fois de plus, la grâce et l’harmonie…
Que ta bouche soit le brasier, que ton ventre soit la fournaise, brûle !… Brûle !… Sois l’incendie !… Brûle-moi !
Maintenant !

Franck.

15 avril 2018

Lettre N° 9 - Dans l'ombre du silence...

Mon Amour,

Hier, avant de nous séparer nous nous sommes promis de nous écrire. Tu m’as dit « Il y a trop de lumière, il nous faut de l’ombre. Sans ombre il n’y a pas d’amour possible. » Je n’ai pas répondu. J’ai laissé en suspens ta voix qui se mêlait au bruit des vagues.
Hier, lorsque je suis passé te prendre, tu as ouvert la porte, j’ai reconnu Chopin. Tu m’as dit sans autre bonjour : « Oui, c’est Chopin le nocturne numéro vingt. Écoute bien, à chaque mesure on a la sensation que les notes vont défaillir, qu’elles vont s’effondrer, que quelque chose va se briser… ce n’est pas des défaillances, ce sont des passages, des sortes de portes invisibles qu’il faut traverser pour passer du jour à la nuit. L’amour, c’est ça, ce trébuchement qui n’est pas un trébuchement.». Tu as refermé la porte. Dans l’escalier nous parvenait encore la musique de Chopin.
Ce  matin, sous ma porte, ta lettre y était glissée. J’ai pensé à ton visage, hier, aux reflets de lumière qui l’éclairaient, à la densité du silence. J’ai pensé à tes paroles dites face à la mer dans un presque murmure : « Il nous faut inventer un autre langage, définir d’autres espaces. Aimer, c’est subversif, il nous faut un code… »
Je lis ta lettre debout face à la fenêtre dont les volets sont presque clos pour garder un peu de fraîcheur et d’ombre. Je lis ta lettre et j’entends Chopin. Toi aussi tu as su trouver des passages, des portes à travers les méandres du langage.
Tes mots ressemblent à ton visage, au grain de ta peau, j’en suis terriblement ému.

C’est à mon tour d’écrire. Ce soir j’irai déposer cette lettre sous ta porte. Demain nous nous verrons. Demain, je le sais, nous nous dirons rien des mots échangés, les paroles d’ombre doivent rester dans l’ombre.
Je t’envoie ce dialogue qui n’est pas un dialogue, ces deux-là, je ne sais pas s’ils nous ressemblent.
Parfois, j’ai le sentiment que mon écriture est trop bavarde.
Je me lance…..

LUI

« Avec cette lenteur. Je vais bâtir un navire. Puisque la lenteur est le chant de l’amour. Puisque la lenteur pèse de la toute présence, du temps, du tremblement. Avec lenteur, puisque la lenteur arrache leurs sanglots aux heures, puis la vérité aux gestes. Je ferai un navire, pour ce voyage entre nos ombres et nos frémissements, pour ce voyage de peau, pour ce voyage vers l’île perdue de nos corps. Car nous prendrons le large, puisque le large c’est nous. Que c’est désormais notre seul territoire. Notre seule destination. L’achèvement de nos horizons.
Je vais t’offrir le plus beau des cadeaux, la plus belle des fleurs, la source la plus miraculeuse. Ainsi tu toucheras la vie au plus près du sang, nous découvrirons ce qu’est l’amour quand il devient tes lèvres, quand il devient ta main sur ma main, tes doigts mêlés dans les miens, tes yeux sur mes yeux, nos larmes dans nos larmes. Car toi seule sauras ce qu’est l’orage en plein soleil, le désir quand il devient ruisseau, fleuve, océan.

Alors nous écrirons la loi des amoureux, qui dit que les fleuves naissent de l’océan qui les recueille. Baiser après baisers, nous écrirons l’histoire des voyages, des départs, des immensités. Car c’est la loi des étoiles. La seule qui nous oblige.

Je t’offre ce corps pour que tu m’apprennes comment la douleur d’un espoir se transforme en extase, comment le don succède à la perte. Car toi seule sais, que la vraie puissance n’est pas le pouvoir, que la fragilité de nos cœurs vaut mieux que tous les serments.

Aujourd’hui je ne prendrai pas ton corps puisque je t’offre le mien, puisque nous sommes au large de nous-mêmes, si loin de tout. Il te faudra seulement être le vent pour m’accueillir, être lumière pour me brûler, être musique pour le don des murmures, être coquillage pour recevoir mes larmes.
Aujourd’hui, avec cette lenteur, tu m’apprendras que le poids n’est pas lourdeur, que la grâce se tient dans le souffle.
Alors ma belle amoureuse je te ferai l’offrande de mes cris quand ils sortent de ma chair, de mes gémissements quand ils sont miséricorde. Tu seras la vague, serais le sable, tu seras la vague, j’en serais l’écume. Viens envoûter nos jouissances, viens prolonger nos ventres, viens nourrir notre ivresse, viens t'effondrer dans mon âme.
Avec cette lenteur.
Avec cette lenteur, je vais bâtir un navire. Et tu seras voyage. Avec lenteur, puisque la lenteur est désormais notre unique royaume. »

 

                                                   ==================

                                                  LE SILENCE qui les sépare…

                                                  ==================

ELLE

« Je veux sentir tes doigts sur chaque partie de mon corps, avec lenteur, comme un navire qui fend l’océan pour le recomposer indéfiniment.
Je veux que tu en découvres toutes les formes, toutes les couleurs, tous les velours, toutes les soies.
Je veux que tu ailles dans tous mes mystères, que tu fouilles tous mes secrets, toutes mes ombres.
Je veux que tu l’ouvres, que tu épanouisses ses fleurs une à une.
Je veux sentir l’éclat de ton souffle à l’intérieur de mes chairs, tes baisers humides brûler mes tremblements.
Je veux sentir tes frottements jusqu’au cœur de mes os.
Je veux te voir vibrer dans mes moiteurs secrètes, te perdre dans mes broussailles obscures.
Je veux te donner ma source, mes liqueurs odorantes.
Je veux te donner mes plus beaux orages, et t’emporter dans un tourbillon d’ivresse.
Oui, je veux te donner mes résistances, mes peurs vaincues. Que tu sois ma plus belle défaite, que tu déploies mes abandons, que tu sacres mes renoncements.
Je veux ta tourmente pour me sentir mourir et renaître dix fois. Cent fois. Mille fois.
Je veux crier ton nom pour oublier le mien, être indécente et dévastée.
Je veux que tu me perdes pour me redécouvrir à chaque instant.
Oui, je veux être ta morte et ta vivante à la fois.
Je veux sentir en moi la vigueur de ta chair, la chaleur de ton fleuve, la puissance de ton feu.
Je veux sentir ta violence déchirer mon désir, jusqu’à la douleur, jusqu’au supplice, même jusqu’à la tendresse, pour me noyer enfin dans le ravissement. Bien après le vertige, jusqu’à l’éblouissement.
Je veux que tu épuises toutes mes forces, tous mes cris, tous mes blasphèmes. Prends mon corps, prends mon âme, prends ma vie, prends ce que tu veux, vole-moi !
Aime-moi ! »

Voilà mon amour, nous dessinons un peu plus chaque jour, des mondes. Traverser la lumière est une épreuve pour les amants. Traverser le langage en est une autre plus douloureuse encore.

Franck.

8 avril 2018

Lettre N° 26 - Les inconnus...

Mon Amour,

Notre amour échappe à nos mots. Seuls quelques gestes l'éclairent. Il nous faut cette ignorance de nous-mêmes. Comme si les mots pouvaient chasser ou effacer la présence. Il faut n'en rien dire. Délimiter un espace inattaquable. Peut-être pour se préserver de l'incommensurable banalité.  Entretenir l'incroyable. Comme au début lorsque je te voyais traverser une pièce et que j'avais cette sensation que le réel tremblait, que j'étais entre deux espaces, que de te voir, toi, me demandait d'ajuster mon regard à ce qui le débordait. Une sensation électrique. Fugace. Troublante.

Parfois nos visages se rapprochent. Nous fermons les yeux. Presque à se toucher. Sans se toucher. Sentir la seule présence. Proche. Avec le souffle, la respiration. Parfois tu passes ta main sur mon visage, comme une aveugle qui découvre un inconnu. Doigts légers. Dire l'amour dans ce silence aveugle. Éteindre tous les sens pour concentrer l'unique présence dans cette caresse. Ouvrir les yeux pourrait nous annuler, nous effacer, nous anéantir.
Nous restons dans la pénombre de nos vies, à caresser les galets du temps. Pierres lisses. Ombres aiguës. Temps sans mesure. Temps de houle où les vagues se balancent de vague en vague, portées simplement par le mouvement mystérieux qui les enlace.
Tu brodes des caresses sur la dentelle de nos songes silencieux. Alors nous sommes dans l'ignorance sensuelle d'une distance impraticable. Proche, sans se toucher, à la portée d'un désir inavoué. Armés seulement de nos tremblements, pour survivre. Moi, l'Œdipe accomplissant le rêve d'Antigone. Aveugle errant, comme la métaphore d'une humanité ancienne et éternelle.

L'amour bredouille des litanies incompréhensibles, faites du frottement de la parole sur la peau d'un sein, de la coupure des mots à l'endroit du mensonge.

Il y a sur la géométrie de ta peau des angles inconnus, des perspectives lointaines qui crissent sous ma main, de ces coins d'ombres où je me perds, de ces sources d'eau brûlantes qui attisent ma soif, ma faim, ma peur même. Il y a des parallèles folles, des ellipses féroces. Il y a sur ta peau toute une géométrie de l'espace, avec des chiffres que mes doigts devinent, pénètrent, décryptent. Toute l'apesanteur, tous les centres de gravité qui se concentrent dans l'atome du souffle. Il y a ce vertige des nombres vers l'infini du désir ; plus ou moins l'infini, selon le sens de nos nuits, selon la pente de nos caresses. Il y a ce désordre des chairs, ces frottements lents et profonds à la tangente d'un soleil de nuit brûlant nos ventres affamés. Il y a nos disparitions, nos abstractions pour lesquelles nous mélangeons le chiffre de la bête avec le nombre d'or. Il y a tes soupirs cosinus sur ton cri vertical...  ma main sur ta peau,  mes lèvres sur ta peau,  mes rêves sous ta peau. Et tes larmes, aussi. Arithmétique des jours où nous nous tenons à l'écart-type de nos tentations, où nous faisons nos contes d'apocalypse, additionnant la chair à la chair, multipliant les frémissements.
Le temps, avec toi, est une arithmétique insatiable.
Temps qui s'avance sur l'hyperbole de tes hanches.
Temps exponentiel.
Asymptote souveraine qui guide nos heures vers le chant.
Mathématique du silence.
Algèbre universelle des équations à deux inconnus.

Tu le sais, nous aimons à travers nos blessures, c'est pour cela que les amants s'échangent leurs sangs, c'est pour cela que l'amour échappe aux mots. L'amour naît toujours d'une nuit d'hiver, dans le dénuement d'une saison morte. De nuit. Toujours de nuit. Car nous aimons toujours au travers d'un souvenir ancien. Nous aimons toujours comme si nous voulions le retrouver. Comme s'il fallait le retrouver. L'urgence de renouer avec le sacrifice premier, qui nous révèle pour nous détruire en même temps. La première nuit. Aimer c'est tenter de la rejoindre, dans l'ignorance de nous-mêmes. Ainsi, remonter le fleuve de nos générations.

Nos corps démentent nos silences. Nos corps dénient nos souffrances.
Recommencer. Recommencer. Pour ne pas mourir. Ou pour mourir plus vite. Épuiser la langueur, fille de nos peurs.
Recommencer à s’aimer. Encore une fois. La dernière. La seule.
Mais l'amour se dérobe à nos regards. Comme à nos mots. Comme à nos vies.
Simples. Ignorants. Tremblants.
L’algèbre universelle de l’infini, à l’infini des inconnus.

Franck.

31 mars 2018

Lettre N° 28 - Ta parole....

Mon amour,

Ta parole est une parole ininterrompue, pourtant toujours suspendue.
Toujours attendue, toujours dépassée par celle à venir. Dans le mouvement. L’allant.
Ta réalité me vient du mouvement de la mer. Par l’oubli sans cesse renouvelé.
Ta présence déborde ta réalité, assez pour faire naître une attente toujours neuve.

Mon amour, tu le sais, la parole amoureuse est une parole folle, elle se dit avec les yeux ou avec l'horizon. Elle est folle parce qu'elle raconte la nuit, même en plein jour. Surtout en plein jour. Elle est folle parce qu'elle est pauvre, qu'elle n’est faite que de quelques mots, toujours les mêmes, comme les prières. Faite d'un nom, d'un seul nom, comme un seul clou.
Et qu'elle sort froissée par le silence qui la recouvrait, pour qu'elle se déploie, comme un pétale dans l'aurore, comme le pas maladroit de l'enfant qui commence à marcher.
Et qu'il faut pour la dire un ciel entier dans la bouche.

Ta parole amoureuse est ce lent redressement du murmure qui cherche son souffle dans un désastre de lumières, d'ombres. En se dépliant dans ta voix incendiée, elle semble te déshabiller, et tu es là, au bord de l’impudique, offerte, souveraine. Ta parole amoureuse n'est pas seulement belle, puisqu'elle a quitté la terre, et qu'elle est insensée, comme inaudible. Qu'elle est sans intelligence puis que c'est la seule parole vraie, jamais dite. Qu'elle est sang, feu, dévastation, anéantissement.
Elle n'est pas faite de mots, mais seulement de ton visage, de ta chair brûlée, de ta chair sauvage et désespérée.

Ta parole amoureuse est faite de l'échange des lumières, au crépuscule et à l'aube, car il n'y a pas de temps pour la dire, pas de lieu pour l'entendre, à par les angles. Nos angles. Car elle n'est faite que d'abandon, de nos éternités tissées d'infini. Elle est ta peau qui soude nos lèvres. Elle est ma source au milieu des sables, car elle naît au plus profond de nos solitudes claires. Elle ne sait que glisser sur la neige sans laisser de trace. Elle ne sait qu'effleurer l'océan. Enlacer les nuages.

Ta parole amoureuse ne s'écrit pas, elle est la page blanche, la main qui la caresse, la peur qui l'interroge et ta larme qui m'inonde. Elle s'invente puis meurt dans l'instant où tu la dis ; à sa place il ne reste que le printemps.
Elle est houle insaisissable, où l'espoir à la désespérance se mêle. Lent mouvement du temps sur du sang. Lent tremblement de nos chairs.

Ta parole amoureuse est une parole vaincue, jubilant de sa propre défaite, précipitant même cette défaite. C'est une parole qui naît hors de toi, pour venir mourir sur nos lèvres dans l'éclat d'un silence offert.
Elle contient le monde depuis son origine, elle en sait la fin. C'est pour cela qu'elle est d'abord renoncement, puis consentement.
C'est une parole qui n'a pas de force, seulement de la puissance, assez pour couper le réel en son point le plus dur. Hors nous, personne ne la connaît, elle ne s'apprend pas, mais nous la savons, puisqu'elle tient à elle seule les fils de nos vies.

Ta parole amoureuse s'avance à rebours, car elle tourne le dos à tout ce que l'on a vécu, elle revient vers notre enfance la plus pure, la plus désolée, elle va pieds nus dans la langue comme une gitane ébouriffée. Parole dégagée de la parole. Murmure délacé du murmure. C'est une parole effondrée, car il lui a fallu traverser les peaux mortes, les chairs molles, les os cassants et le mur des silences qui la protège de l'indécence,  de l'impudeur. Elle se consume dans le baiser qui la souffle, puis renaît de son propre désarroi.
Ta parole ne sait que fleurir, la nuit, au bout des doigts et sur mes paupières closes.
C'est une parole qui s'est quittée, pour se donner.
Une parole d'au-delà.
Une parole débordée.
Sans mémoire.
Sans lendemain.
Brisée seulement d'éternité.

Ta parole. C’est une parole ininterrompue, pourtant toujours suspendue.
Toujours attendue, toujours dépassée par celle à venir. Dans le mouvement. L’allant.

Ta réalité me vient du mouvement de la mer. De cet oubli sans cesse renouvelé.
Ta présence déborde ta réalité, assez pour faire naître une attente toujours neuve. Source généreuse d’une attente toujours fraîche, d’une attente juvénile, d’une attente entachée d’aucune défaite. Le vieux temps n’ayant pas de prise sur le renouveau ininterrompu du don.
Ce qui espère en nous, c’est l’ombre d’une présence. Les êtres nous arrivent par leur absence, par ce temps de silence qui précède ce frottement des heures du manque.

Je suis l’évadé d’un temps clôt, comme ces îles échappées du temps clôt de l’océan. L’ivresse d’un détachement sans mesure.
Le chant de nos aveux ne dévoilent jamais nos paroles, il dérobe seulement à la nuit la force des aurores. 

Franck.

25 mars 2018

Lettre N° 33 - Intime...

 

Mon Amour,

Il y a des lieux, des géographies. Des destinations. Plus tard, bien plus tard, il a des achèvements.
La pensée, le rêve, se nourrissent d’espace large, d’illimité, de démesuré. Mais l’intime s’édifie dans le grave. Dans les lieux clos du grave. Les îles. Les oasis. Les feux de bois. Les éclairages tremblants. Les chandelles vacillantes.
Lieux du grave, de l’intime. Du début, et de la fin.
L’espace intime fait un trou dans le réel. Comme si la continuité du temps s’effaçait soudain. Un trou. Une crevasse. Une blessure délicieuse. Un chavirement.
L’intime. Ce n’est pas le rapprochement de deux êtres. L’intime c’est bien la disparition de deux astres dans un trou du temps et de l’espace. L’intime. Le réel se détache, s’arrache.

Ce dimanche-là, tu le portais en toi, et tu me l’as offert. L’intime. Simplement. Car je sais que je l’avais toujours désiré ainsi. Homme en guerre, tu me tendais la paix. Je la voulais  tant cette paix. Face à face, dans un autre monde.
L’intime est une disparition.
Alors tu m’as guidé dans ce lieu de la terre, unique, terrible, et béni. Liturgique. Un vortex de l’âme. La disparation des écorces. Le lieu du sang aux tempes. Du battement lent du cœur. De la respiration commune. Il existe d’étranges magies. De fabuleuses géographies.
Nos visages se sont penchés. Nos visages ont dessiné un pays, nos voix en furent la première tribu. Tu fabriquais du secret, juste pour me le dévoiler. Tu inventais du mystère, juste pour le bonheur de me le révéler. Comme si l’aveu était la chose la plus douce.
L’intime est le lieu des enfants et des mourants, c’est pour cela que les amoureux s’y glissent avec tant de jubilation. Ils en ont la clé. Ils en ont l’instinct. Lieu des débuts, et lieu des fins. L’intime est une île dans une mer intérieure. Un silence au centre de l’océan. Une folie convoitée.
Comme si l’espace s’agrandissait de notre seule disparition, de notre abandon, de cette divagation somptueuse.
L’intime se pose sur l’ombre de la voix pour parler une langue inconnue. Ainsi les mots de l’intime n’ont pas de sens, ils n’ont qu’une lumière fragile à transmettre. Le murmure balbutie d’étranges litanies. Alors ta voix se faufile dans les couloirs sombres du temps.
L’intime ce n’est pas le contact. Ce n’est pas la peau sur la peau. L’intime c’est un vide magnifique qui absorbe en un instant toutes nos défaites. C’est la distance la plus petite dans l’étendue la plus vaste. Un infini décomposé sur la bouche du temps.
L’intime c’est nos deux corps l’un vers l’autre, avec cette chaleur d’été au cœur du printemps. Cette vie qui suinte à la suture du jour, avec tes lèvres posées sur la couture de nos heures partagées.
Et cette trace rouge et bleue et blanche…
Ce tremblement de nos chairs…

Franck.

18 mars 2018

Lettre N° 25 - Nous n'aimons pas les prières...

Mon Amour,

Souvent nous nous le répétons, par malice, par défi, nous n’aimons pas les prières. Pourtant nous prions. Et cela réveille la colère des dieux. Parce que celui qui écrit prie. À genoux dans sa voix, joignant les mains de la parole. À genoux dans sa voix, dans l’ombre glacée du monde. Écrire c’est une prière qui n’a pas d’adresse, pas de lieux où arriver. La perte est son horizon, la défaite sa résurrection.
Tu le sais, écrire est un danger pour nous. Avons-nous vraiment le choix ?
Nous n’aimons pas les prières, pourtant nous prions. Blottis dans le manque, passant d’un silence à l’autre, d’une absence à l’autre. C’est le chant inaudible du temps qui agonise dans la lumière. Nos prières d’écriture ne vont pas aux dieux. Elles vont comme l’eau. De débordement en débordement. Elles vont comme l’eau qui s’offre aux créatures. Du lait aux vivants. Le lait du vivant.
Elles vont comme l’eau, d’effacement en effacement. Inventant l’abondance de cette faillite perpétuelle. La voix de nos prières est une voix égarée, qui ne sait pas son chemin, qui s’éparpille dans les couloirs des jours, qui prolonge l’attente d’une attente toujours neuve.
Nous n’aimons pas les prières, pourtant nous prions puisque c’est la forme dévastée de l’amour, sa face bouleversée qui attend un baiser. Une miséricorde.

Nous nous blessons souvent, toi et moi, sur les bords tranchants du poème, à ravauder les déchirures du ciel, à tenter de réconcilier les deux infinis, mais qu’importe. Puisque nos prières d’écriture servent de festins de lumière aux étoiles. Puisque chaque jour la mer invente de grands à-plats blancs d’écume, les grands à-plats blancs des pages à venir.

Alors qu’importe si mes prières païennes épuisent mon sang, je passe d’une ombre à l’autre, d’un silence à l’autre, comme un soleil à l’aplomb du désir, oscillant d’un mouvement lent, majestueux, entre l’extase, la désespérance, entre ton visage et les miroirs en deuil.
Qu’importe mon amour, je suis à genoux dans ma voix, dans la crypte de ta passion. Je suis semailles dans le creux de ta chair, illuminé par ton seul regard. Simplement brûlé par l’attente. Simplement bénit par ton souffle.
Récompensé et maudit. Radieux et misérable. Crucifié entre ma pesanteur et ta grâce.

Franck.

11 mars 2018

Lettre N° 10 - Rien ne s'écrit...

Mon Amour,

On invente des mots pour les mettre à la place des gestes qui manquent à notre vie, tu le sais. Écrire c’est déjà avoir échoué, tu le sais aussi. Quelque chose est advenu.
L’îlien, au départ, croit que le monde a la forme unique de son île. Puis le premier bateau arrive. C’est un désastre de joie, de désespoir à la fois. Quelque chose est advenu. Au départ, l’îlien ne manque de rien, il a tout, il est maître du monde. Alors le premier bateau arrive, alors soudain il est dépossédé de tout.
Écrire c’est faire arriver des bateaux sur nos rivages. Les mots viennent pour nous déposséder. Les mots ne disent jamais les histoires, ou si peu. Ils parlent du pays à venir qui n’existe plus.
Écrire c’est rendre le geste impossible.
Tout s’écrit, mais jamais rien n’est signifié.
On écrit pour ce baiser qui ne touchera jamais mes lèvres.
Les moissons ne lèvent pas sur les champs d’écriture. Elles sont dans un désavenir, comme les âmes errantes des limbes. Ni l’enfer, ni le paradis. Et l’enfer, et le paradis.
Écrire est le trait le plus triste de notre nature, la marque de notre bannissement. Quelque chose est advenu. Le bateau des mots, nous fait île, et brusquement l’exil ressort de notre mémoire. Alors l’horizon change, chavire, et sombre.
La lune joue sur ses grandes octaves de mystère.
Je sais bien que mon exaltation n’a que le sens de mon inachèvement, que ma véhémence signe l’inextricable de mon chemin.
Tout s’écrit, mais rien n’est vraiment dit, pourtant nous continuons à écrire, toi comme moi, pour opposer à la folie quelques parcelles chimériques.
La vérité gît aux cœurs des illusions. Comme l’île au milieu des océans. Et qu’un bateau délivre et désespère à la fois.
Moins je te parle, plus je te dis, car c’est ainsi que font les étoiles, qui jouent au silence et à la nuit. Tout s’écrit, la nuit, l’amour. Tout s’écrit, mais tes yeux, ta bouche, ta voix, ta nuit qui peut les dire ?
Tout ce que j’écrirai viendra à la place d’un baiser impossible.

Franck.

4 mars 2018

Lettre N° 126 - Pluies d'été...

Mon amour, (puis-je encore te nommer ainsi)

Toujours cette sensation de mains vides. Je regarde. Il me semble que tu t’éloignes. C’est inexorable. Une membrane fine nous sépare. Infranchissable. Comme un miroir. Que faut-il que je fasse ? Que faut-il que je dise ? La mer se retire, je vois à la place une plage de cendres. Mes mains vides sont en deuil de ta peau, elles sont creuses comme le malheur. Le malheur est toujours creux. La forme d’un cœur arraché.
Il me semble que tu t’éloignes, c’est comme une croix de cristal encastrée dans le corps. Un reflet douloureux, qui attire une lumière trop forte, me laissant désemparé. Le miroir dédouble nos chemins de verre, rendant l’étreinte désormais impossible. Tu es si loin.
Toutes ces pluies d’été, qui tombent sur notre lit défait, abandonné, délaissé. Il me semble que tu t’éloignes, pas à pas, sans un cri, sans éclat, simplement la lente obscurité des caresses qui se retirent du regard. Il y a un épuisement de la source qui ne va plus vers la soif, l’eau est délivrée du désir, alors elle s’effondre, avec juste un frisson de fièvre. Il y a un épuisement de la source qui ne va plus aux lèvres. L’eau se dénoue, se délie, se détache d’elle-même, de la terre qui la porte, du ciel qui la colore, de la gorge qui l’espère. Toutes ces pluies d’été, toute cette eau morte entre nous, cette eau déchue, dépossédée.

L’aube, mon amour. Te souviens-tu de l’aube ? De ces essaims de lumières, de ta chevelure noire, de ta hanche charitable, de tes seins vertueux, de tes reins secourables. L’aube, mon amour, elle se vide, elle est désormais un temps privé d’élan, privé d’ardeur, privé de feu. Il me semble que tu t’éloignes, que c’est une lente agonie. Au bout de la jetée il y a l’océan, derrière l’océan il y a ton île, j’ai beau lancer mes mots, ils flottent à peine, coulent, là, à portée de voix, comme de vieilles écorces gorgées d’eau salée et de misère. J’ai cette sensation de naufrage, d’engourdissement. Toutes ces pluies d’été qui tombent pour signifier la fin. Je voudrais encore serrer ta main, cette main de caresse ; cette main, désormais, d’au revoir. Je voudrais encore frôler ta poitrine, cette poitrine éblouie, cette poitrine de vertiges, aujourd’hui cette poitrine de cris. Je voudrais encore baiser tes lèvres, pour le souffle, pour respirer, pour vivre un peu plus loin, mais tu es si loin. L’océan nous sépare, l’horizon nous transperce.

Je voudrais encore t’écrire, mais les mots se dérobent sous ma langue. Ils sont sans indulgence. Ils martèlent ton absence. Comme cette marée qui reflue, ces eaux qui abandonnent le rivage. Toutes ces pluies d’été, ce froid. Ma parole se trouble, ma cadence s’assèche, tout blanchit. L’architecture du texte semble engloutie, comme ces empires antiques. Ta jeunesse a vaincu. L’incandescence de tes yeux a brûlé ma voix. Je ne suis plus qu’un fantôme qui erre de profil, couvert d’un voile mortuaire, dans la clameur des souvenirs. Mon amour, ta jeunesse a vaincu mon vieux sang. Ce sang qui sèche, qui s’écroûte sur les murailles de cette mémoire oblique.
C’était écrit, mon amour, c’était le destin de nos âmes religieuses que d’aller s’égarer, se détruire. Bien sûr, il y a eu toutes ces pluies d’été, tout ce froid imprévu, ces distances invincibles. Mais ta jeunesse a pris mon dernier mot, ta jeunesse a vaincu, mon amour. Ce n’est pas triste, car le sang qui s’écaille, dessine les continents de demain. Ton temps d’impatience a vaincu mon temps d’attente. Les étincelles de ton silence ont décimé la horde de mes mots. Je conserve près de moi, comme un dernier trophée, quelques vestiges de larmes.
Un vent squelettique se lève pour dissiper les dernières ombres, avec toutes ces pluies d’été.
Ta jeunesse savait, bien avant nos ruines, que les aurores sont précaires, et les crépuscules définitifs.

Franck.

25 février 2018

Lettre N° 123 - Le baiser abandonné...

Mon amour,

Mes plus belles caresses sont celles qui sont encore dans mes doigts, comme une peau de cendres. Mon plus tendre baiser est encore sur ma lèvre. Il est ma ponctuation. Je respire dans ce souffle qui me reste, celui que tu m’as laissé, comme s’il était le dernier. Le seul.

Comme ces grandes baleines échouées dont l’évent se contracte sur un vide noir et froid. Tellement froid. Tu vois, je suis comme ces grands mammifères échoués qui se sont trompés de continent, qui se sont trompés de dérive, de saisons, qui se sont trompés de visages, d’avenir. Toujours. Les histoires de baleines sont des histoires de harpons. Tu le sais bien, leurs chants sont des plaintes.  Et leurs nageoires ne les font pas voler.

Je suis dans ton silence, comme échoué. Le silence qui n’est qu’une absence n’est pas un silence. Il est un surcroît, ou une négligence. L’insouciance n’est pas un pays. Tout juste un rocher sur lequel on s’arrache le ventre. Pour s’échouer. Je respire dans ce souffle qui me reste, dans ce baiser déserté, abandonné.

Au bout des quais s’enlisent les souvenirs,  se noient les chagrins. Et sur les bancs de sable mugissent les baleines. Au bout des quais les paroles sont vaines. Les résonnances, les correspondances, les vibrations ne sont que les pieds de nez du destin. Des hasards malheureux qui nous font trébucher.

Mon plus tendre baiser est encore sur ma lèvre.
Et m’étouffe.

Franck.

18 février 2018

Lettre N° 112 - Chandelle...

Mon amour,

Cette chandelle révèle la profondeur de ma nuit. Je sais que quelque chose se consume au-delà de la cire. Forcément je le sais. J’ai allumé cette petite bougie. Pour t’attendre. Les flammes font voyager nos âmes dans ces petites sorcelleries dérisoires.  Alors je t’attends dans la flamme d’une bougie taciturne. Je ne t’attends pas pour te faire venir, je ne t’attends pas parce que tu pourrais revenir, je t’attends pour t’attendre seulement. T’attendre jusqu’à la fin.

Si l’attente est notre destin, alors t’attendre suffit à effacer mes peurs. J’ai allumé une petite bougie, maintenant la nuit est venue, ainsi que cette solitude saturnienne. Je n’ai pas d’impatience, puisque je t’attends. Comme lorsqu’on regarde la mer, les vagues, l’horizon vide. On est là, assis sur un rocher, on attend. L’attente est un océan silencieux avec son flux, son reflux, ce balancement des sensations, l’empreinte du temps toujours renouvelée. L’étonnement et le saisissement. Bruissement lent des eaux, long mouvement vers les temps à venir, des temps différents. 
Mon océan est éclairé par cette seule bougie. Je t’attends. Sans impatience.
Puisque tu ne viendras pas.
Avec le flottement de la flamme sur la paroi des heures.
Je peux bien t’appeler puisque tu ne viendras pas. Je peux bien t’espérer puisque cela suffit au salut des marées, des vents, des tempêtes. Je peux bien allumer des chandelles pour faire trembler ton visage, pour dessiner tes yeux puisque nos souffles ne se rapprocheront plus.

Le temps des chandelles est un temps infini. C’est un temps sans réponse, c’est pour cela qu’il sert aux prières, aux solitudes. Aux écritures. Aux morts.
La chandelle accentue la nuit, la rend plus nette, plus pesante, plus définitive. Elle fixe les rivages d’une nuit sans aube. C’est un éternel crépuscule. L’amour brûle, s’épuise dans sa lumière fragile. J’ai allumé cette petite bougie pour rétrécir le monde, pour enlever les distances, pour défaire le chagrin.
Qu’importe.
Je sais bien que ces misérables cérémonies ne changeront pas l’écrasement. Je sais bien tout cela. Sans doute rendent-elles plus facile ou plus simple la traversée des illusions.
Mais peut-être que cette bougie recèle encore dans son feu intime quelques mystères, quelques secrets. Puisqu’il n’y a pas d’espoir. Que c’est mieux peut-être, mieux ainsi.
Ce soir cette bougie est une île dans ma nuit d’océan. Elle est ton île, elle ma tempête. Elle marque un lieu qui n’existe pas, un lieu de chair absente, sa lumière c’est ton sang manquant, ton sang tremblant. Ici, ce soir, c’est nulle part, et partout ta présence.

Le temps des chandelles est un temps d’innocence, d’aveu désarmé. C’est le silence qui brûle, l’amour qui s’égare.
La lumière silencieuse de ces flammes consolées, presque soulagées, presque assouvies, accentue la nuit. Désormais le silence peut bien s’aggraver, même la menace se préciser.
Où es-tu ma beauté pâle ? Ta douceur se consume, elle n’en finit pas de s’enrouler à la flamme captive.

La bougie éclaire toujours la face du naufragé, elle brûle toujours ses rêves. La vie s’épuise, ombre après ombre. Sans impatience.
Il y a des soirs, des nuits, où l’on allume une bougie non pour veiller l’absente, non pour la faire revenir, mais pour l’embraser, donner des couleurs à la tristesse, étouffer le cri.
Je t’attends, toi qui ne viendras pas.
Plus la nuit s’avance, plus l’attente se déploie, plus l’amour se simplifie.
Le feu rassemble les amants séparés, il purifie leurs regards, il invente les caresses en dessinant les peaux.
Apprivoiser l’obscur c’est ce qu’il nous reste après les chuchotements, c’est prolonger les caresses. Comme si la flamme et la nuit nous préservaient d’un dernier sanglot, ou d’une ultime suffocation.
Où es-tu ? Dans cette pâle saison, ou dans ce feu qui meurt… ?

Franck.

11 février 2018

Lettre N° 56 - Dérision...

Mon amour,

Je jour chasse le jour. Le texte chasse le texte. Dérision de la banalité. Ossuaire des mots. Catacombe de nos voix. Lente dissolution de l’insaisissable.
J’envie la puissance entêtée de l’arbre, qui s’additionne de jour en jour, qui jamais ne se renie. Toujours plus de bois. Même exténué, il produit une mince pellicule de vie chaque jour. Lent, généreux. Du bois sur du bois. Avec ou sans soleil il invente l’arbre de demain. Il croit assez dans sa fibre pour la dépasser chaque jour. Lent, généreux. Même désespéré, il pousse chaque jour la vie un peu plus hors de lui.
Chaque jour le texte efface le texte. Ce sentiment de néant, de disparition. Chaque jour c’est un deuil.
Je t’allonge sur la ligne horizontale de la phrase. Sur le grand lit blanc de la page tu sommeilles. Inquiète.
Entre mes lignes tu deviens intraduisible. Femme nacrée méditative, craintive, à la nudité irradiante et solennelle. J’ai des fissures dans ma chair. La corrosion, la rouille altère mon âme, alourdit mes élans, ronge ma parole, la rend impossible et vaine. 
Je voudrais ne plus t’écrire…

Franck.

4 février 2018

Lettre N° 44 - Hors saison...

Mon amour,

Nous vivons hors saison. Attachés à rien. Seulement quelques pas de danse sur le fil tendu de la mort. Seulement quelques mots nous retiennent de la chute. Nous ne sommes pas du temps des chronologies. Nous sommes hors saison. Celle des amoureux. Celle des fous.
Tous les jours j’invente un peu plus ta peau. J’agrandis l’océan.
Porter ton absence c’est comme porter une étoile. C’est l’assurance d’un ciel, d’une immortalité.
Il y a des liens qui ne se définissent pas. Les nommer les affaiblirait.
Se taire. Entrelacer nos silences. Apprendre un peu plus de ce temps déconstruit. Nous vivons hors saison. Seulement quelques pas de danse sur le fil tendu de l’amour.
Il y a une ligne invisible qui nous relie. C’est un mystère qui ne nous appartient pas. Tout juste pouvons-nous le servir, en baissant la lumière de nos chambres d’écriture.
Car ta pudeur éclaire mon désir. Ta bienveillance déploie une aile blanche au-dessus de mes ombres errantes.
Chaque lettre de toi, précise un peu plus mon chemin. Il y a comme un itinéraire dans la tendresse. Une rose des vents dans ton souffle. La géographie de l’amour est un labyrinthe. Avancer c’est toujours se perdre. Comme marcher sur des bouquets de cendres, traverser les champs Phlégréens.
Tu sais, t’écrire n’est pas écrire, c’est cueillir des lucioles, ou s’allonger dans le foin encore chaud des moissons, c’est s’asseoir dans le jardin de la langue, attendre la fin des temps.
Car t’attendre n’est pas attendre, c’est brûler chaque jour un peu plus, comme ce clou planté dans le temps où j’accrocherais l’éternité.
Car désormais nous vivons hors saison. Nous n’avons plus besoin de mémoire. Je suis sans souvenir puisque je tremble de ta seule présence.
Tu as su défaire un à un les murs de mes prisons, avec si peu de choses, seulement un battement de paupière, un effleurement de tarlatane. Dans chacun de tes mots, je sens peser sur ma peau des caresses inconnues. Dans mes veines résonne le pas d’une armée en marche.
Nous habitons la même partie du ciel, mélangeant nos gravités, épuisant nos soupirs. Seuls les murmures nous guident.
L’amour et la mort sont les deux extrémités du silence. Nous, nous avançons sur le fil des jours.
Nous sommes hors saison. Car cet exil nous sauve. Cette perte nous bénit.
Tu le sais nous avons été choisi. Ni par les dieux, ni par les diables. Noces de la terre et du ciel, notre maison est la ligne d’horizon. L’océan est le chemin qui nous y mène. Les anneaux de Saturne scellent nos fiançailles.
Nous sommes hors saison. Nous sommes du temps des fous, des enfants. Des sacres.

Franck.

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