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J'irai marcher par-delà les nuages

23 décembre 2005

L'infini du fleuve......

Au départ, la route des infinis est une route solitaire, loin des hommes, des foules. On part du plus faible pour arriver au plus fragile. Ainsi le fleuve. Ainsi l’amour. Ainsi notre amour. Ainsi le temps qui nous éloigne. Ainsi le fleuve.

Tu n’es pas l’amoureuse qui descend les marches de l’extase abandonnant sa tunique et ses masques, courant au plus droit du désir, au plus près de sa perte, joyeuse et gracieuse, le cœur brûlant, les chairs tremblantes. Non, tu n’est pas cette amoureuse là.
Tu n’es pas l’ insouciante, ni l’inconstante, ni la désinvolte. Tu n’es pas l’illusion de l’amour, ses vapeurs, ses fumées roses ou vertes . Tu n’es pas dans ces dentelles là.
Non, tu n’es pas.
Mais qui es-tu alors ? Qui es-tu si tu n‘es pas celle-là ?
Quelle amoureuse es-tu ? De quoi est faite notre marche du plus fragile au plus faible ? De quoi est fait le fleuve ?
Tu es la forme même de l’amour. La forme qui appelle toutes les formes. Tu en es le cri. Le premier cri, celui de l’arrachement, celui qu’on jette aux quatre horizons. De l’amour, tu en es la lame qui pénètre la chair pour la sauver de l’affaissement. Tu en es l’extrême et l’urgence. Tu en es la première exigence. Tu en es l’aube. Mais pas seulement. Plus qu’une aube, plus qu’un commencement, plus qu’une promesse. Tu en es la révélation et l’évidence nue, puisque tu n’a rien évité, ni les blessures, ni les désirs, ni les passions, ni les souillures, ni les trahisons. Voilà ce que j’entends, quand tu dis ton amour. Et quand tu dis ton amour, je sais le fil tendu sur lequel tu marches. Je sais les gouffres qui nous appellent ensemble. Je sais la mort qui nous guette, qui nous nargue.
Et les deux infinis.
Et le zénith.
Et le Nadir
Tu es le fleuve.
Fleuve, qui a fendu les continents. Tu es le partage des terres. Nul pont ne te traverse. Nul ne remonte tes cataractes. Tes eaux bouillonnent, impénétrables, grosses des ruissellements noirs des rives, tes eaux débordent de toutes tes nuits invraisemblables et elles charrient des os cassés mélangés aux chagrins humains, aux plaintes des enfants. Tu es flot de blessures. Tu es cette forme de l’amour qui épanche son sang et sa chair écumante et fougueuse. Tu es cette première forme de la supplique des eaux. Comme la source qui réclame déjà l’océan. Comme la rosée qui espère déjà le ciel.
Tu es le fleuve dans le grouillement jubilatoire des eaux qui fait un rêve d’estuaire.
Un rêve d’estuaire.
Tes eaux appellent la plénitude de l’estuaire. Le mariage des eaux sacrées à l’acmé de leurs œuvres. Et je suis la mer qui s’offre ouvrant large ses entrailles. Et tu es le fleuve étalant sa délivrance dans sa course vers l’horizon, poussant ses eaux toujours plus loin dans la profusion magnifique de sa voix.
Tu sais, il y a un point du fleuve. Il y a un point du temps. Il y a un point du désir où la violence des eaux jaillissantes doit s’effacer, doit presque s’effondrer. C’est le temps des mélanges des eaux. Il y a un temps de l’alliance. Il y a un temps du fleuve où les eaux consentent à la confiance. Il y a un temps du destin où le fleuve étend ses larges mains ouvertes vers l’océan, vers l’horizon. Il y a un temps où la mer se rassemble pour accueillir le fleuve. Et le fleuve, enfin, peut se reposer dans sa grâce totalisée.
Et chaque vague...
J’enlèverai une à une les épines de colères qui blessent l’intérieur de ta vie, aux jointures de tes souvenirs, aux articulations du passé.
Et chaque vague.
Je goûterai chaque plat avant tes lèvres et chaque eau avant ta gorge pour t’éviter les poisons.
Et chaque vague.
Je serai l’épaule, la canne, je porterai la lampe, j’allumerai le feu, le soir.
Je dresserai les esprits des revenants à ne pas t’effrayer, à se vêtir de prévenances. J’enfermerai tes fantômes dans les placards du temps.
Et chaque vague.
Je taillerai comme un rosier chacun de tes jours, je polirai toutes tes heures pour les arrondir. Mon rabot à misère usera les angles de ta mémoire écorchée.
Et chaque vague.
Je prendrai la lueur de la lune pour t’en faire un voile d’or pâle aux plis d’ombres sauvages et j’en recouvrirai ta peau nue et silencieuse.
Et chaque vague jusqu’à l’estuaire.
Car le lieu de nous deux est un lieu illimité, démesuré, que chaque baiser inventera et agrandira, que chaque caresse élargira, que chaque regard éclairera et qui va du plus faible au plus fragile. Ainsi nos âmes entre la source et l’océan. Ainsi le fleuve de notre amour.
Franck.

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18 décembre 2005

Lettre Ouverte à Hélène Grimaud et à.......

(J’ai peur mon amour de te dire « mon amour » et je dis « mon amour » pour ne plus avoir peur.)

Chère Hélène Grimaud,

Chaque vie possède une ligne mélodique, une musique qui n’advient qu’après le chaos.

La langue qui la dit est blanche, c’est la langue du lait, celle de la mère qui allaite son enfant, celle des prières ou des aveux, elle résonne en nous pour dire l’impossible, l’indicible, l’inaudible de l’amour. Seul le vent lui fait écho. Elle est destinée à se perdre…

Peut-être pour nous racheter.

Tenter de vous célébrer et retrouver la blancheur des mots.
Au début il y a une apparition, une fulgurance qui embrase l’instant, un écrasement lumineux.
Au début il y a un ange qui s’ébroue dans l’éclat du soleil, une foudre étoilée.

Pardonnez-moi mon audace, sans doute me faut-il répondre à la fascination, à ce saisissement, au brusque étranglement de la vie, à cette suffocation de l’âme.

Votre image est venue percer l’épaisseur du jour jusqu’à blesser les heures. Le flot du sang m’envahi, je suis submergé par le rêve et je poursuis la déroute de la lumière dans la valse inquiète des ombres.

Vous dire mon admiration, ma fascination ? Oui, bien sûr, mais pas uniquement, cela ne suffirait pas, il faut que je sois au plus près de mes dragons, des gouffres qui gisent en moi. Etre dans l’imminence d’un danger.

Ecrire conjure le vide. C’est la tentative d’un dialogue avec sa part la plus irréductible, sans doute la plus douloureuse.
Il s’agit de côtoyer les mystères de les frôler, de les désigner de les ressusciter. Il faut rajouter quelque chose au vivre, soit pour le parfaire soit pour le refaire, pour lui donner enfin sa dimension de silence. De ferveur.
En fait, écrire nous dit la noirceur de nos actes, de nos paroles et le trou décelé dans l’écorce crevassée de nos vies démembrées.
Ecrire touche à la substance même de ce que nous ignorons.
Ce qui fut ignoré sera écrit
Ce qui n’a put être dit sera écrit
Ce qui n’a put être écouté sera écrit
Ce qui a été refusé sera écrit
Ce qui a été perdu sera écrit
Ce qui a été espéré sera écrit
Ce qui a été pleuré sera écrit
Alors, alors seulement, ce qui aura été écrit sera chanté.

Je ne suis pas musicien à peine mélomane, au fond, juste un écoutant qui se laisse transporter par son émotion, souvent par sa solitude, toujours par un chagrin.

Les doigts coulaient sur le piano ; douce et folle farandole de notes tourmentées sur la valse éclatée d’un Chopin triomphant.
Les doigts coulaient sur le piano ; ruisseau nostalgique de résonances recueillies sur les pétales rougis des roses.
Les doigts coulaient sur le piano ; vertige de neige argentée au bout de l’hiver languissant
Les doigts coulaient sur le piano ; funambules sur des lunes livides, danse chavirante, liturgie magique, ensorcelante.
Papillons des doigts… chrysalide de l’âme…

Et puis votre voix…

Grave, sourde, pas une voix de bouche, mais une voix de corps, une voix de nuit chargée d’ombres avec des mots de lumières.
Voix venue du silence, dépouillée, nue, lourde de son urgence, lourde comme gorgée de vie, lourde d’un feu primordial.
Voix propulsée pour se survivre, souffle d’hiver qui appelle la neige, souffle du vent sur la lande.
Pure tension d’absolu, prière vibrante au-delà du murmure, au-delà des couleurs.
Ardeur radieuse, voix de l’amour qui invente l’amour.
Vous avez conquis l’âme du monde pour l’accomplir ou la brûler. Pour l’accomplir en la brûlant.
La puissance ne serait rien s’il n’y avait pas l’abandon et l’abandon pure folie s’il n’y avait pas l’offrande.
L’amour véritable c’est peut-être cela, la puissance et l’offrande qui passent ensembles sous la même arche, la puissance qui s’exalte de sa disparition, saisie d’un trouble d’une douleur sublime pour ouvrir le ciel, éclabousser la nuit.

J’écoute……. une musique calme, captivante, pénétrante, une vague inaltérée, effleurement de notes claires, de notes d’eau lustrale, de notes qui se donnent la main dans une ronde lente juste un peu triste.

Les lueurs du soir se condensent sous le sortilège des sons. La rêverie s’incline peu à peu et longe un court instant l’éternité, un très court instant.

La cathédrale s’élève autour de sa rosace comme autour d’un regard, par elle, à travers elle se réalise une mystique alchimie de la grâce.
Ainsi votre regard, captant le bleu au-delà du bleu du ciel, toujours en avance d’une vision. Regard d’abondance. Regard étincelant de fleurs incendiées.
Comment tant de force sans l’ombre d’une violence ? Comment tant de pouvoir sans l’once d’un mépris ?
Vos yeux évoquent des terres brûlées de solitude. Dans une fixité irréelle des lacs de montagne ils racontent l’enfance qui s’entête pour ne renoncer à aucun de ses rêves. Ils désignent cette parcelle de vérité faite d’invisible et de douleur, de véhémence et de piété.
Regard d’étoiles qui consument nos peurs ; ouvrant l’espace il nous atteint à la place la plus chancelante, il pourrait nous anéantir pourtant il nous retient dans sa flamme déposant sur nos cœurs la poussière d’or d’un ange.

Sans doute la musique est-elle l’expression la plus épurée d’une tension. Elle semble relier les silences en soutenant leurs fragilités en deçà et au-delà de nos vies comme si l’infini traversait nos chairs.
Elle est ce lien tissé de nos manques, un souffle d’aurore brûlant le crépuscule, un ruisseau de lumière apprivoisée, tous les mots de la langue décomposés en rosée par l’attente et nos veillées désolées.
Il y a dans la musique quelque chose qui appartient à la nuit et s’oppose à la vacuité de nos destinées. C’est une stridence impossible faite d’extase et de mort, de volupté et d’effroi, quelque chose qui nous dévisage pour nous perdre ou nous sauver, pour nous perdre en nous sauvant, pour dire notre absolue finitude et notre résurrection inévitable.

Nul lieu ne nous attend.
Nul temps ne nous espère.
Nous sommes issus d’une fièvre ou d’une folie, nous sommes une trace qui s’épuise dans l’infini des cieux, une ivresse à la dérive, une note qui s’obstine, un rêve qui s’effiloche, un simple souvenir dans la mémoire des dieux.

Voilà pourquoi vous êtes si importante, si essentielle : à cause de notre insoutenable vulnérabilité que vous savez étreindre si fort comme si le miracle nous appartenait, à cause de nos épuisements sans fin que vous transfigurez par votre seule présence.
Vous venez du pays d’Eurydice et de la lyre d’Orphée et votre regard ne nous trahit pas, il nous guide hors des doutes, hors des ténèbres sur des chemins sacrés, avec assez de folie pour qu’on veuille perdre la raison.

Maintenant vous êtes au piano…

Le monde est effacé… il n’en reste que le souffle, le silence et l’appel d’un loup, il n’en reste rien ou si peu. Pourtant tout est là dans la profusion de la vie qui commence, dans l’exubérance d’une joie nouvelle, immaculée, dans la majesté d’un dépouillement.

Vous êtes au piano, j’entends la simplicité d’une émotion qui se dénude, bienveillante simplicité, quelques notes sur une portée, des silences, des soupirs, juste de quoi accrocher un sourire.

Il est temps de terminer ce billet, de le refermer avec précaution comme le couvercle d’une boîte à musique ou une porte sur le sommeil d’une chambre d’enfant.
Il est temps d’aller marcher dans la ville, de se laisser envahir par les grisailles de l’hiver, j’ai pour m’accompagner une petite lueur arc-en-ciel dont chaque couleur soutient quelques notes invincibles.

Je vous prie, Hélène Grimaud, d’accepter mes plus chaleureux remerciements ; merci d’être ce que vous êtes, merci de le donner à voir et à entendre avec générosité et simplicité, merci d’entrouvrir la porte sacrée de la transcendance et d’être cette page lumineuse du livre obscur du monde.

Franck

( Sans doute un autre visage est venu s’intercaler ici. Sans doute y a-t-il une autre femme derrière ces mots. Sans doute……
Sans doute suis-je toujours dans la plus grande confusion. Sans doute….Pendant que je rassemblais ces mots j’écoutais « Winter » de Tori Amos. En boucle. Jusqu’à l’usure….. Sans doute…..Il y a des moments où la vie manque à ma vie.
J’ai peur mon amour de te dire mon amour et je te dis mon amour pour ne plus avoir peur…)

17 décembre 2005

La sonate à Kreutzer......

Parce qu’elles sont des continents. Parce qu’elles sont vastes. Inconnaissable. On croit savoir. Mais on ne les sait jamais vraiment. Puisque savoir c’est un pèlerinage. Un abandon à la route, au chemin. Certaines sont tempérées, leur climat est doux, il est aisé d’y vivre. D’autres sont luxuriantes, débordantes de moiteur et d’exotisme. Certaines sont glacées, blanches et cassantes comme des banquises, ou brûlante et plate comme des saharas. Et enfin il y les impossibles. Les rares, celles qui sont des continents perdus, sauvages et rudes comme l’Australie. Les connaître c’est partir en exil, elles résonnent comme un rêve prononcé bien avant que de la voir. Elles sont terres dévorées, plus que vastes. Inépuisables. Et lointaine. Elle, je l’appelais l’Australie. Parce qu’elle est un continent cerné par les océans. Parce qu’elle est mon exil. Mon lointain. Mon pèlerinage. Ma rédemption. Et le sang de l’étoile colore ma source. Je l’appelle l’Australie, à cause de la première lettre. Et je n’irais jamais en Australie. Il faut des visas. Je n’en ai pas, et je n’en veux pas.

C’était….. Il n’y a pas si longtemps. Rencontre d’un soir. Pourtant ça ne m’arrive pas ce genre d’histoire. Elle était plus jeune que moi. Pas beaucoup plus, pour une fois.

Nous étions dans sa voiture.
Cela allait trop vite.
Les gestes du sexe.
Cela ne me plaisait pas.
Mais j’étais là.
J’y allais.

Je préfère la marche lente vers le désir. J’aime la fragilité des instants, et le tremblement des gestes. J’aime ce chemin que l’on emprunte avec ce léger vacillement. La lenteur de la marche qui hésite et qui se nourrit de ce vacillement. Les regards qui se regardent sans se voir. Les regards qui se dérobent. Dernière pudeur avant l’abandon.

Ce jour là ça allait trop vite.
Trop vite elle a relevée sa jupe.
On ne se connaissait pas.
Et elle se contorsionnait pour relever sa jupe.
Le volant la gênait.

Je préfère la marche lente vers le désir. J’aime ces premiers baisers, ceux qui précèdent la noce des chairs. Ces baisers qui oscillent entre la dévoration et l’effleurement. L’échange des salives, avant l’échange des sangs.

Là, ça allait trop vite.
Grenouille impudique
Les cuisses écartées.
Et la main à la place des yeux.
Et les mains sur les sexes
À la place des mots.

Je préfère la marche lente des premiers baisers. Longs. Infatigables. Inassouvis. Le bout des doigts près de la bouche. Le bout des doigts qui courent sur le corps. Frôlement tremblant. Bouts des doigts qui ne s’attardent pas pour éviter de se brûler aux formes du désir. Sur le pull. Sous le pull. Les cheveux. Le cou.
Gestes frénétiques et lents à la fois. Gestes qui vivent et meurent, dans l’instant où ils vivent et meurent. Impatients. Urgents. C’est un lent dépouillement de soi.

Il y a une brutalité
Quand le sexe exige.
Une avidité à prendre ce qu’on croyait avoir perdu.
Il faisait nuit dans cette rue éteinte.
Seulement le plafonnier de la voiture.
Et ma main ouvrant les chairs.
Et sa bouche dévorant mon sexe.
Bruits de bouche. De succion. De marais.

Il y a comme une musique dans le désir qui se déploie. La sonate à Kreutzer. Un enroulement. Les souffles. Les peaux. Lente montée des eaux. Le violon répond au piano. Préparer l’offrande. Faire place nette. Il a beaucoup de pudeur dans ce dénudement. Chaque mouvement est porté par un voile. Comme si la caresse était là pour habiller cette tension relâchée mais ferme. Hésitante et déterminée. Mouvements à peine déployés du désir qui se déploie.

Les corps se heurtent
Dans l’habitacle étroit du désir
Exacerbé. Les corps s’essoufflent.
Avec cette odeur d’appétit. De convoitise.
L’odeur moite des sexes qui parlent forts.
Elle est belle. Belle mais triste.
Elle tend son ventre pour attraper ma soif.
Ma faim.

La musique joue dans les ombres des corps. Chaque note est un tremblement, un frémissement. Être au plus près, sans être encore arrivé. Être là sans y être encore tout à fait. Reculer le moment. Remonter tous les chemins de peau qui mènent à la perte totale. Lente, très lente. Lenteur exaspérée qui soutient la grâce des corps offerts. Lente tension du flot qui monte. Chaque baiser est une aventure nouvelle. Chaque baiser découvre des contrées inconnues, chaque baiser invente le suivant. Comme des notes. Comme la sonate à Kreutzer.

Elle ouvre son sexe en grand
Elle veut être remplie. Bouchée. Pour arrêter
L’hémorragie de vie et de peur.
J’ai sa chair partout sur moi.
Chair irisée d’odeur.
Trempée de nos substances.
Chair emboutie, tamponnée.

Et la musique dessine des océans sur la peau des amants. Noces blanches avant les noces rouges. Dans le silence des caresses les amants s’appellent, et leurs plaintes résonnent, comme dans ses clairières de lumières au centre des forêts. Les membres sont enlacés comme de grandes racines et les baisers sont là pour cueillir les étoiles.

Je n’irai jamais plus en Australie. Même si certains soir je crois que j’y suis déjà.

Franck

16 décembre 2005

Sillon de vie tordue.......

Depuis deux jours je regarde les commentaires s’empiler sous un de mes textes. Ça tourne tout seul. Il n’y a même pas besoin de texte. Ça serait bien, cela éviterait de devoir en parler. Du texte. Bref, moi je préférais l’autre texte. Je préférais « Infiniment ». Sept commentaires. Contre quarante et un pour le précédant. Mathématique et écriture vont très mal ensemble. « Infiniment », j’avais été le chercher plus profond. Vraiment.

Et là je suis à la cuisine en train de préparer les petit fours pendant que cela s’agite au salon. C’est dans ces moments là que j’ai envie de m’en aller. Bref, c’est ainsi….

Estelle, ma « logeuse » va de plus en plus mal. C’est fou ce décrochage. Cette chute. Il y a quelques mois encore….. Et puis maintenant, la chute. Sans frein. Chaque jour elle est ivre. Ivre à tituber. Ivre à ne plus pouvoir parler. Tous les jours. Avec le verre caché. Le verre bu en cachette d’elle-même. Vin rouge. Vin blanc. Bu à grande goulée. Elle se cogne. Elle tombe. C’est une chute sans fin. C’est une chute qui appelle d’abord une déchéance. La réduction de tout. Je ne peux plus lui parler. Elle n’entend plus. Elle ne veut pas que l’on parle de ça.

A table. Elle ne prend plus ses couverts. Avec les doigts. La tête presque posée sur le rebord de l’assiette. Voûtée. Avec les bruits. Les balancements ; le corps qui cherche à s’accrocher à l’oxygène qui lui manque parfois. Je la regarde et je ne sais plus quoi faire. Personne à prévenir. Il y a son fils Jérôme. Quand il vient la voir, il boit avec elle. Il part, et elle s’effondre sur le lit. Comme un reste de vie, qui n’est plus la vie. Qui n’est plus rien.

Parfois elle dit qu’elle veut mourir. Elle ne sait plus dire pourquoi. Mais elle sait que c’est ça qu’elle veut faire. Elle ne sait plus parler de Daniel. Elle est plus loin.

Je vis cela de l’intérieur. Avant, il y a longtemps, j’étais peut-être comme ça. Pas peut-être. Vraiment comme ça. Je lui dis. Elle ne veut rien entendre. Elle calcul les moments où elle va boire. C’est petit ici. Parfois elle boit au goulot. Pour gagner du temps. Pour y aller plus vite. Pour y être déjà. Mais elle n’y est jamais. Je sais, j’en viens. Je sais tous les mots. Tous les mots de l’alcool. Des mots qui ne disent rien. Et un lieu qui n’existe pas. D’abord c’est la chute. Après c’est la chute. Il n’y a pas de bout, pas de fin. C’est les premières marches de l’enfer. Une à une elle grimpe les marches en titubant. Avec la paranoïa qui accompagne le vin. Pour elle, je suis suspect. A table j’ai mon verre d’eau. Elle, elle n’a pas de verre. Puisqu’il est à coté caché. Je ne peux rien lui dire. Elle ne veut rien entendre. Ça me fait mal. Parce que je connais tellement cette chose. Je devrais partir. Aller ailleurs. Fermer la porte. Mais je sais qu’elle va glisser encore plus quand je partirai. Quand je la vois, tout me revient. Tout me saute à la gueule tous les soirs, comme un pied de nez du destin. Alors j’attends. Elle va tomber. Et il faut que je sois là. Au bon moment. Mais le vin a le temps. Il est patient, il est dans l’ombre du verre caché. Dans ce pli de la vie détruite. Elle va tomber. Elle est guettée. Elle trébuche. C’est trop tôt. Je ne peux rien. C’est trop tôt. Quand ? Quand ? A table elle n’est plus humaine. Mais moi je l’entends. Je sais tellement. J’ai l’ouie fine. Borgne mais pas sourd. Ne rien brusquer. Être dans la même patience que le vin. Être dans son temps, son rythme, sa parole. Je n’ai pas peur, j’ai mal. Elle me fait mal. Mais je n’ai pas peur. Il faudrait que je sois là, quand elle va tomber. Elle est écroulée comme un sac d’os et de viande encore vivante. Quand elle se réveille elle pleure. Et toujours « Je suis tellement triste ». Toujours les mêmes mots. La désespérance se creuse. C’est un champ que le soc creuse pour faire remonter tout un passé confus. Une terre noire de passé. Noire et stérile. Sillons de vie tordue. Il n’y a pas de justice ici, pas de sens. Le royaume de sa vie c’est écroulé le vin l’a envahi. Et il règne. Et il trône. Un grand lac noir de vin. Des marais putrides de vin. Elle voudrait partir maintenant. Mais c’est le vin qui décide, et lui, il a le temps. Il usera tout ce qu’il peut user, tout ce qui restera de chair et de sang. Il lui faut toute la place, et je vous garanti qu’il lui en faut de la place. Pas un souvenir ne lui échappe, pas un rêve, pas une espérance ne trouve grâce à ces yeux. Rien, puisqu’il est tout. Je voudrais gagner ce nouveau combat contre lui. Mais pour ça il faut que je sois là. Être là, en silence, moi aussi tapi dans l’ombre.

Franck

9 décembre 2005

Infiniment

Rester dans l’axe du centre. L’axe de tension. Ne pas dévier. Se faire sourd aux rumeurs du monde. A la fois ne pas être dans le mouvement, et être dans le mouvement. Dans ma maison ils parlent. Tous. Avec leurs langues différentes, cataracte effondrée de tour de Babel bruyante et sourde. Et bruyante. Et sourde. Fracas des mots qui s’entrechoquent avec ce bruit de tôle froissée, et de crissement d’ego. Ils parlent tous avec leurs mots coupants d’acier glacé. Certains arrivent, d’autres s’en vont, s’enfuient. A la fois être dans le mouvement et ne pas être dans le mouvement. C’est l’heure des marées qui montent avec leurs souffles de nuit. C’est l’heure des marées lancinantes, des marées blanches et bouillonnantes, c’est l’heure de l’eau souveraine. Un autre mouvement. Comme la mer. Bon je la refais plus intello…. Un autre mouvement. Comme l’amer. Et puis, non… la mer. C’est à elle que je pense, la mère. Bon, j’arrête. J’arêtes dorsale et je m’écaille. Revenons… au centre. La mer et la perdition dans l’immense. Dans le même. Ce même jamais pareil. Du même qui se change en même. Du même qui s’enroule en vague à lame successif. L’infini ruissellement du même. Comme si la tension de se survivre était là. Dans cette répétition qui se dépasse un peu plus à chaque fois. Cette sursomption des actes et des jours, et des conséquences. Totalisation. La marée n’est pas grosse, avant. Avant elle est une simple écume, un reste de houle. A peine l’ébauche d’une vague. Elle est un souvenir ancien qui s’est épuisé, elle est une mémoire fatigué. Au bout du rouleau. Avant c’est une simple écume blanche. Blanche. Pas encore une dentelle bouillonnante. Blanche. Simplement l’idée du blanc, avant qu’il soit blanc. Au départ il y a tout un ciel étalé sur la mer avec les étoiles qui scintillent et qui flottent. Noces de la transparence, qui fait le blanc de l’écume, comme après la mort. Le corps saigné à blanc. Bercement infini du ciel dans les bras de la mer. Berceuse du temps qui passe « Do.. dinn, do… dan, il est mort Bertrand, qui lo tùa c’est lo limaço, quo faÿ sa caisso c’est l’homo d’aixe, son tro lou maigro, sa prièra quatre bergèra… do dinn, do dan…. » Dors petit bonhomme. Dors dans le blanc de la mère. Dors dans sa berceuse triste et blanche. Et Blanche. Comme l’écume de l’océan. Dors de ton sommeil d’écume. Dors dans le sein blanc et la parole blanche du lait. Dors dans l’écume des heures, dors. Dans le lait de la mer. Infiniment naissante, infiniment mourante. Comme la mère. Mourante et blanche. Posée comme Ophélie dans le lit blanc. Blanc de mort. Dors… Avant elle est une simple écume. Après c’est un tonnerre, la mer et qui s’offre l’abondance illimitée des possibles. Toujours identique et jamais pareil. Ne pas dévier, rester dans l’axe de la marée. Ne pas dévier de l’axe du désir. Comme lorsqu’on marche sur les eaux. Irréfutable et fragile. Comme l’enfant qui dors. Là, dans le bruit des vagues. Sur la peau blanche de la mère morte.
Je suis la source qui rêve d’océan, un océan qui s’essoufflerait à tirer ses marées. Je suis dans le mouvement de l’eau. Je flotte. Je me noie. Je dérive. Je déluge. Je cascade de mots. Je déferle. Je reflux. Je larme. Même ma terre est de l’eau. Même mon sable s’écoule. Je suis une île entouré d’îles. Je suis une eau entourée d’eau. Je vague, imprécis et confus. Vague comme une brume lascive. Et je pluie, et j’orage, et je source. Ruisselant, coulant, ravinant. Mon univers c’est l’eau, mon ciel est d’averses, mes nuages sont gorgés de torrents de tristesses et mes jours s’évaporent comme l’eau des étangs. Je suis un océan dans l’axe de mes marées, en mon centre une source. Si mes rêves se condensent, c’est l’Amazone qui passe saturé de boues grasses et fertiles où l’opaque et l’obscure s’accouplent aux puissances invincibles du courant. Monte ta marée, petit bonhomme. Une de plus. Courage ! Vas donc chercher ces rouleaux de mémoire, et déploie-les, va plus profond racler le fond de l’océan, vas, n’hésites pas, prends les plus lourds s’il le faut ! prends les plus tristes, n’oublie pas les plus beaux ! Vas chercher ta marée dans le fond de ton ventre ! Dans le fond de son ventre. Vas ! Tu es l’infiniment vivant, l’infiniment mourant, tu es dans le bercement des mers qui se disent et se redisent jusqu’à l’ultime bord où le ciel agonise dans les flots. Qui a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n’est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ? Qui a-t-il au fond des mères si ce n’est le sommeil d’un enfant ? Qui a-t-il dans mon balancement si ce n’est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C’est l’heure de la marée blanche et écumante. C’est l’heure d’appeler la nuit et ses mystères, c’est l’heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C’est l’heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d’un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent ma prière. Blanche comme l’aveu d’un aveu. Blanche comme la peau avant l’amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lentes houle des chairs qui s’offrent au blanc du désir blanc. Monte-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c’est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c’est l’amour qui se dresse, dans chaque écoulement c’est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c’est des liens que tu brises. Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

 

Franck

 

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4 décembre 2005

C'est après que ça commence......

L’expérience l’écriture est une épreuve. C’est l’épreuve que j’ai choisie. Certains blogs s’élaborent dans la plénitude, le plaisir de faire partager une joie de vivre, d’autres sont plus orientés vers des passions diverses et variées, certains sont littéraires, d’autre ludiques, certains sont des journaux plus ou moins intimes, d’autres sont prétextes à l’expression d’une convivialité. On échange, on se parle, on se commente, on se congratule, on peut même se déchirer, s’insulter.

Et puis il a des lieux rares. Où il se construit, jour après jour un art nouveau. Une autre façon de faire, de vivre la littérature. Où l’art et l’existence se mêlent, s’incrustent l’un dans l’autre. S’accomplissent l’un et l’autre dans une inscription éphémère. Ils sont rares. Parce qu’il faut du talent. Du talent d’artiste, et du talent de vie. Ce sont des lieux brûlés. On n’y entre pas sans prendre le risque d’être brûlé soi-même.

Très souvent les écritures de blogs, flirtent avec l’intime. Un intime arrangé, un intime supportable, peu jouent réellement le jeu de l’impudeur, du dévoilement, absolu, peu dépèce la langue et la vie. Peu cherchent l’ultime. L’extrême. La parole blanche. Nue. Il y en a. J’en connais au moins un ou deux. Qui a-t-il au bout de l’écriture ? Qu’est-ce qu’on peu dire quand on a tout dit ? L’aventure commence là. Parce que c’est une aventure. Puisqu’on peu se perdre. Se perdre vraiment. Mais que vaudrait un art qui ne nous mettrait pas en danger. Que voudrait un acte sans risque ? Que vaudrait un art qui ne s’appuie pas sur le socle toujours fuyant de nous-même ? Que vaudrait les mots s’ils n’étaient rattrapés dans leurs chutes ? Juste avant la notre.

Alors voilà, pour moi, c’est une épreuve. Je ne sais pas me situer, dans tous ces blogs. Et cela n’a pas d’importance. Pour moi c’est difficile. Ce qui compte ce n’est pas ce qui est dit, c’est ce qu’il y au-delà. Parce qu’il y a toujours un au-delà des mots. Nous faisons les mots, mais ils nous font aussi. C’est pour cela, l’aventure. Et elle n’est pas gagnée d’avance. Loin de là.

Le blog est un lieu ambigu. Il y a soi, et il y a les autres. Au départ, j’ai écris pour être confronté à l’écriture. Pas pour faire salon. Pas pour m’exposer de façon impudique. Non. Mais pour écrire. Simplement pour écrire. Sans d’autres prétentions. Comme un dialogue avec moi-même. Comme un défi avec moi-même. L’œil des autres n’a pas d’importance, pourtant il est essentiel. Puisque rien n’existerait de la même façon sans le regard des autres chez moi. Mais c’est une épreuve. La joie, la joie véritable n’est pas gaie. On confond souvent. Non, la joie est grave. Et grave, ça ne veut pas dire sérieux. Grave, ça veut dire grave. Important. Car il s’agit d’être plus que sincère, car cela au fond, c’est facile d’être sincère. Il faut être sans complaisance avec soi. Et cela on l’est à longueur de journée. Complaisant. On s’attendrit à nos souffrances, nos douleurs, nos manques. On est dans la plainte de nous même. C’est utile, certes, mais ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qu’il y a après ? Après la plainte. Après les pleurs. L’écriture commence là. Dans cet après des évidences. Si un jour je veux, il faut que je traverse ce miroir là. Ce miroir de moi-même. Avant, ce n’est pas vouloir assez.

Un jour, c’était à l’armée. Il y a longtemps. On marchait beaucoup. Les parachutistes marchent plus qu’ils ne volent. Un paradoxe de plus. J’ai toujours eu les pieds fragiles. Ils ne sont pas plats, ils sont éversés ( !). Bizarre comme truc. Bref, ils ont du mal à supporter la marche très longuement. Mes tendons des chevilles et des genoux fatiguent vite. Enfin, vite, tout dépend du point de vue. Dix, quinze kilomètres, passe encore. Mais au-delà de trente…Un jour il fallut marcher longtemps. Dernière marche de fin de classe. J’étais déjà blessé. Tendinite aux deux genoux. Mais j’ai demandé à faire cette marche. C’était important pour moi. Il fallait marcher beaucoup. Ils ont décidé. Soixante dix kilomètres dans la journée. Casque sur la tête, sac sur le dos, fusil au bout des bras. C’est la guerre. Il faut faire comme si. Les hommes ont de drôle de jeux quand ils sont ensembles. Dès les premiers mètres mes tendinites se réveillent. Déjà c’est douloureux. Soixante dix kilomètres c’est long. C’est absurde. Et c’est long. Ne pas s’arrêter. Tenir. Une journée, tenir. Tenir l’absurde une journée. Au bout de dix kilomètres je suis dans un bulle de douleur physique. Je n’entends plus rien. Je m’arc-boute sur chaque pas. Je suis en fin de colonne. Je subis ce qu’on appelle l’accordéon. C’est à dire les à-coups. Accélérer, freiner. Accélérer. Freiner. C’est impossible, ça coupe le souffle. Ca use plus vite. Bientôt mes jambes durcissent. J’ai l’impression d’avoir deux battons brûlant plantés dans mes chaussures. Encore la journée à marcher. La douleur irradie jusqu’au haut de la cuisse. User le temps. User la douleur. Je ne peux plus dérouler les cheville. Tout est d’un bloc. Et la journée passe. C’est une hécatombe. Les mecs s’arrêtent sur le bord des chemins. Un camion les ramasse. L’officier : " Arrête-toi, Nicolas ! " " Non ! ". C’est plus possible. Il faut aller au bout. Qu’est-ce qu’il y a au bout de cette douleur consentie ? " C’est bon, tu en as assez fait…. ! " " Vas-te faire foutre mon capitaine ! ". Maintenant il fait nuit. Plus jamais on arrivera nulle part. Je fais des petits pas, de touts petits pas. Une sorte de trottinement désespéré. Je remonte la colonne. Il fait nuit. Je la dépasse. Ne pas s’arrêter. Garder mon rythme. Si je m’arrête, je ne pourrais plus repartir. " Nicolas ! Ta place !…. " " Ta mère !… ". Il fait nuit. Je crois que j’ai pleuré. Personne ne me voyait. Ne pas penser. Je sais que je peux m’arrêter à tout moment. Ne pas y penser. Je récite tous les textes que je connais. " Frères humains qui après nous vivaient, n’ayez les cœurs contre nous endurcis… " J’ai les pieds durs. En feu. Des douleurs qui me cisaillent les jambes au niveau des genoux. "  Ainsi toujours poussés vers de nouveau rivage, dans la nuit éternelle emportés sans retour… ". Je marmonne. Je psalmodie. J’incante. Il fait nuit. La troupe désarticulée avance toujours. C’est sans fin. " Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, le prince d’aquitaine à la tour abolie… ". L’officier : " Donne-moi ton sac ! " " Merde !… " Je m’accroche à mon sac. Ca sera avec lui. J’arriverai complet. Entier. Entier dans ma douleur de chair. On est plus beaucoup dans la colonne. Je ne vois plus rien. Je prie. " Rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur…. " Et pour en être atteint, il faut faire une marche absurde dans une nuit absurde. Marche petit bonhomme. Marche. C’est juste après que ça commence. Comme l’écriture, quand tu as tout usé. Quand il y n’y a plus de mot à écrire. Quand il n’y plus de pas à faire. " Comme un vol de gerfauts….Ivres d’un rêve héroïque et brutal… ". Je n’ai plus de temps dans la tête ? Plus d’horloge. Ca pourrait durer comme ça à l’infini. Je n’attends plus. J’avance. Je n’espère plus la halte, la fin. Le casque pèse et ses courroies trempées de sueurs me coupent les joues, le menton. " La nature est un temple ou de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles… ". Maintenant il me laisse marcher, trottiner à mon rythme. Je suis devant. Seul. Les phares des camions nous guident. J’arriverais ainsi au camp. Un feu nous attend. J’arriverais. Seul. Je tomberais. Je perdrai connaissance. Ils me réveilleront avec de l’eau de vie. Rigolo, non, l’eau de vie. Quand on sait le profit que j’en ai fait plus tard. Je n’ai plus de pieds. Plus de peaux dessous. Les chaussettes sont trempées de sang et de peau décollée. Les chevilles ont doublé de volume. Les genoux sont violacés. Je ne parlerais à personne. J’irai loin du feu, loin des autres. Parce qu’écrire c’est comme marcher, c’est après que ça commence. Après.

Franck

3 décembre 2005

"Alors tout est bien..."

On revient toujours. Toujours d’un peu plus loin. Il faut bien continuer, à revenir. Comme à renaître. Comme à revivre. Les choses importantes ne tiennent que dans une fraction de seconde. On ne les voit pas arriver. Elles sont là, devant vous. Et tout se joue, là. Dans cet instant précis. Comme un accident. Choisir c’est un accident.

Ce matin j’étais plus apaisé. J’avais une richesse de plus. Elle ne tient qu’à un fil. Mais elle est là. Fragile. Faite de bribes. Mais elle est là.

Alors, se remettre à l’écran.

Continuer à dire. L’autre jour je disais à un ami poète : " j'aime la sensualité des corps, des mots, j'ai souvent l'impression que c'est ce qui se trouve au plus près de la chair, et que la poésie naît aussi dans ces régions obscures, ombrée, de nos vies. Comme si la chair, le sang, la matière, cherchait des mots pour se dire, des formes pour se prolonger, des sons pour se survivre. "

Qu’est-ce qui cherche à se survivre en moi ? Je suis toujours dans la même ignorance. Pour Sandra, je suis son Astrologue préféré. Sandra est dans le bouillonnement du sang, de la vie, dans cette agitation des sens, quand plus rien n’a de sens. Et moi, au moment où je lui parle je suis dans une désespérance de plus. Mais je lui parle. Que te dire Sandra ?. Tente d'être plus apaisée. Tu es pressée, et ça je le comprends. Mais vu de mon grand âge, tu as tout le temps. Tu es belle et pleine de vie, belle et plein de sensibilité. Tu trouveras forcement quelqu'un. Maintenant est-ce que ça sera celui qu'il te faut ? Toi seule auras la réponse. Celui que tu rencontreras, te fera battre le cœur, en prononçant son nom tu trembleras légèrement. Ton corps vacillera juste à son approche. Tout ça ton cœur te le dira. Vraiment Sandra je ne suis pas inquiet, même si tu trouves le temps long. On le trouve toujours à votre âge. Il est toujours long, même pour moi. Si tu connaissais ma tempête Sandra, mes orages. Chaque jour est un plus grand naufrage. Comme si l’eau manquait à l’eau. On scrute l’horizon derrière, pour être sur d’être déjà parti. Vraiment parti.
Prends ton temps, Sandra. Laisse venir l'amour à son pas. Tu ne le sais pas, mais il s'est mis déjà en marche vers toi. Ni lui, ni toi le savez, et pourtant vous marchez l'un vers l'autre..

Traverse un désert, deux déserts, ais soif, et faim. Chante, prie sous la lune, et au bout du sable, derrière les mirages, pas loin de la dernière dune tu le verras. D'abord comme une ombre et après, brusquement, comme soleil.
Laisse-le avancer. Laisse toi avancer vers lui.
Tu aimes l'amour Sandra, mais je sais que l'amour t’aime. Ne le déçois pas en te précipitant sur le premier berger venu.
Approfondis ton âme. Creuse ta chair, polis tes rêves, caresse le ciel, et les étoiles.
Il arrive, je l'entends.
Si tu savais Sandra mes orages, mes tempêtes. On scrute l’horizon derrière pour être sûr d’être déjà part. Vraiment parti. Qu’on ne reviendra pas. Et on scrute l’horizon devant pour chercher les raisons de la bonne raison du départ. Il y a une fêlure dans l’aube qui se lève Sandra. Une drôle de fêlure. Comme si la brume de verre allait se briser, comme si l’aurore elle-même devenait cassante. Il y a une brisure au fond de l’œil. Plus loin que l’œil. En amont du sang. A la source. Et la rosée semble crisser, Sandra, comme des vitres casées. Crisser et couper. Il y a des matins plus cendreux Sandra. Des matins de verres cassés.
Souviens-toi de Janvier Sandra. Presque un an. Déjà.

Voilà, parler….

Continuer….

Sous mon dernier message, toute une humanité de commentaires. Des personnes que je ne connais pas qui sont venu dire la couleur de leur vie. Alors voilà, parler… Continuer….

Ce matin, je lui ai dit : " Alors tout est bien. Même si tout va mal par ailleurs dans nos vies. Tout est bien, là. Ce matin, je me sens plus apaisé. " Avec le sentiment que sur ce fragile, sur ce ténu, sur la précarité des instants, un temple pouvait s’élever.

Un temple pouvait s'élever.

C’est quoi un ami ? Je ne sais jamais répondre du tac au tac. L’ami ? C’est comme les gros cailloux posés dans le courant des torrents, ils n’en changent pas le cours, Ce n’est pas ce qu’on leur demande, ils font seulement chanter l’eau. Ils sont passage vers l’autre rive.

Voilà, continuer….

Et puis la journée a passée.

J’ai fait une folie, histoire de décompenser. J’ai un nouvel ordinateur. Un portable. Une petite merveille. Mais comme rien n’est parfait. Je ne peux m’en servir pour me connecter sur Internet. Et oui, mon kit Aol est resté en Dordogne. Et impossible d’en trouver un. Donc, je vais attendre qu’Aol m’en envoie un. Bon, ça frustre un peu. Mais bon. Du coup, mon vieil ordinateur, sentant sa relégation proche, c’est remis à me faire les accents circonflexes. C’est un brave celui-là. Sur certaines touches les lettres sont effacées, l’écran est pâle, il est lent et poussif, mais il est ma mémoire. Tout ce que j’ai écrit est dessus.

Est-ce qu’en changeant d’outil, on change d’écriture ? A voir….

Franck

28 novembre 2005

Mon sac est prêt.....

Chaque jour je chevauche un orage. Ca tiraille les organes et fait saigner les peaux.

Et puis, ça passe. La journée passe. Elle retombe dans le sac à journée passées. Aussi anonyme que les autres. A peine incrustée de souvenirs. D’ailleurs, il suffit de regarder dans le sac pour s’apercevoir que rien n’est reconnaissable. Hormis le poids du sac. Toujours un peu plus lourd.

Où va-t-il ce sac, quand on disparaît ? Où vont tous ces jours passés ? Où va ce fleuve bouillonnant d’espoirs, d’amour, de désillusions, de couleurs, d’odeurs, d’appétit ? Une fois passée la journée ne vaut pas plus que son rêve. Elle ne vaut pas plus. Pourtant elle pèse. Elle pèse le poids de ce qu’elle a été, auquel s’ajoute le poids de ce qu’elle n’a pas été. Rien ne s’annule ? Rien ne se compense. Tout pèse. Toujours un peu plus chaque jour, comme l’avancée dans le jour d’une tragédie de Racine. Une tragédie sans dénouement. Mais toujours un peu plus tragique.

J’ai envie de refermer le livre d’images, de sceller le rouge ou le bleu qu’importe, dans l’entre page du livre d’images.

Il y a comme une brise sur mes mots qui fait tourner les pages. En effaçant l’encre bleue ou rouge, qu’importe.  Une brise fraîche qui dit que le temps est venu de tirer sur les voiles et de prendre le cap. Face au large de moi-même. Droit sur l’ailleurs, dans d’autre lieux du cœur, pour changer de couleurs. Changer d’espérances. Temps de chercher une autre terre. Il y a comme une musique dans le vent qui réveille.

Il y a un temps où l’attente s’achève. Quelque chose dans l’air à tourné. Invisible. Tout est identique et pourtant tout à changé. On sait. Quelque chose en nous sait. Qu’il est temps de se lever. De refermer le livre d’images, et de le laisser là, à la place où il est. Avec ses couleurs, avec ce qu’il renfermait. Peut-être. On ne saura pas la fin, d’ailleurs on ne sait jamais la fin. Même notre fin nous échappe. On est naît de l’inachevé, c’est pour cela que toute les histoires sont inachevables. On est naît d’une attente, d’un rendez-vous manqué, d’une invitation qui s’est perdue.

Il y a un temps où l’on se lève, et où l’on boucle son sac. Son sac à vie. Son sac à jours. On regarde le ciel. On sent le vent. On respire profondément. On regarde une dernière fois le beau livre d’images. Et l’on se met en marche. Libre et déchiré. Une fois de plus. Mais libre un peu plus. Lourd des passés et des avenirs perdus.

Léger d’une nouvelle grâce.

D’autres océans. Sans fin. D’autres voix du miracle. D’autres livres d’images aux couleurs infinies.

« Les oies sauvages vers le nord

Leurs cris dans la nuit montent

Gare aux voyages car la mort

Les guette par le monde »

J’ai un peu froid aux os, aux chairs blessées. Noel approche avec ses solitudes habituelles. Mais mon sac est prêt.

« Ô mort, vieux capitaine !… levons l’ancre… il est temps !... »

Mais mon sac est prêt….

Franck

27 novembre 2005

J'aurais du.....

Quand on est jeune on ne sait rien. Quand on est vieux on oublie. En fait, on passe sa vie à oublier ce qu’on ne savait pas. Drôle vie. Drôles d’humains. Et le peu qu’on sait ne nous sert jamais à rien, puisque nous refaisons toujours les mêmes erreurs. Inlassablement. L’ignorance. Voilà, je suis dans un perpétuel état d’ignorance. Je me sens toujours aussi dépourvu. Comme si le monde ne m'apprenait rien. Cela doit venir de ma nature. Un morceau qui manque. Le morceau du savoir et de la sagesse. Tout me traverse. Tout me blesse. Mais rien ne reste à part les cicatrices. De l’eau qui passe dans une passoire. Rien. J’étais un rêveur. Donc, pas fait pour ce monde. Il aurait fallu me faire disparaître. Un monde parfait, m’aurait fait disparaître, ou alors m’aurait reprogrammé. Mais le monde n’est pas parfait, alors j’ai traîné mes rêveries comme on traîne une misère. Toujours dans l’à coté, dans l’en-deça, dans l’au-delà. Jamais au bon endroit. Jamais dans le bon temps, le bon rythme. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir entendu le discours de mon père, qui avait avec le réel un rapport d’évidence, la preuve il est mort alcoolique. Si ce n’est pas une preuve ça ! " C’est comme ça ! ", " Ça marche comme ça… ! " " C’est la réalité… ! " Sous-entendu : c’est la vérité. Les évidences du monde ne m’ont jamais atteint. J’avais la faculté de m’abstraire. Ou de dénier. Ou de résister. Résister, je préfère. Le rêve est une résistance, pas un abandon. Résultat, je me suis heurté à tous les murs de la réalité. Et j’ai conjugué tous les temps des verbes devoir, falloir, pouvoir. Et je continue encore, comme autant de marques de ratages. D’occasions manquées. D’actes inaboutis. Des milliers de bifurcations, des milliers de choix possibles. Et en fait, on fait toujours les mêmes.

J’aurais du dire à ma mère que je l’aimais, j’aurais pu, j’aurais du. Mon orgueilleux silence n’était que bêtise. Enfantillage. Perte de temps. J’aurais du casser la gueule à mon père plus tôt. Ca n’aurait rien changé, mais ça m’aurait fait du bien, plus tôt. Je n’aurais pas du me marier avec Ghislaine. Je le savais, avant. J’aurais du écouter ce que j’entendais. C’était le temps où je confondais aimer et aimer être aimer. J’aurais pu faire carrière dans l’armée. J’aurais du reprendre mes études de psycho. J’aurais du rester chez " Hachette ", je serais maintenant un gros con de cadre (peut-être supérieur), avec une grosse voiture et plein de certitudes et d’ennui, avec un avenir aussi droit que le passé. J’aurais du être patient, ne jamais trépigner devant l’indignité des uns et des autres. J’aurais du faire des économies pour acheter une maison et cultiver un bout de jardin. Le samedi j’irais à Bricorama ou a Jardiland. Je n’aurais jamais du boire, à part de l’eau ou de la grenadine. Parce que la grenadine c’est joli. J’aurais du avoir le courage de rester, au lieu d’avoir celui de partir. J’aurais du être un bon citoyen pour faire partie du groupe et chercher là, le surcroît d’existence qui m’a toujours manqué. J’aurais pu ainsi commenter " le 20 heures " avec juste ce qu’il faut d’exaltation et d’intelligence sage et pondérée. J’aurais du partir en vacance tous les ans u bord de la mer l’été et au ski l’hiver.
J’aurais pu être mercenaire en Rhodésie, et brûler ma vie dans le feu, l’alcool et la violence. J’aurais pu être moine pour m’abandonner aux prières, à oblation, à l’holocauste. J’aurais du vaincre mes scrupules. J’aurais du entretenir un bon carnet d’adresses. J’aurais du passer à Tamanrasset au lieu d’aller tout droit. J’aurais du pardonner plus facilement à ceux qui m’ont offensé. J’aurais du être moins excessif, plus tolérant avec les autres et avec moi. J’aurais du être moins exigent en amour, accepter l’indifférence et l’habitude, j’aurais eu des maîtresses et le temps aurait passé, ni mieux, ni pire. Passé. J’aurais du tomber amoureux de celles qui voulaient au lieu de toujours aimer celles qui ne voulaient pas. J’aurais du continuer mon analyse. Et ne pas démissionner sur des coups de têtes de ces emplois bâtards mais rémunérateurs. J’aurais du me réjouir plus souvent du simple soleil, du printemps qui arrive, des fleurs de leurs pétales. J’aurais du aller aux concerts, aux vernissages. J’aurais pu parler aux gens plus souvent, mieux. J’aurais du me contenter des jours, de leurs grâces, de leurs douceurs, au lieu d’être dans cette exigence puérile et vaine. Il aurait fallu que j’ai un frère ou une sœur. Une sœur j’aurais adoré. Il aurait fallu que je sois plus sot, plus bête, plus stupide ou alors carrément beaucoup plus intelligent. Mais ce cerveau bon à tout, n’est en fait bon à rien. Toujours trop ou pas assez. J’aurais du continuer l’équitation, je pourrais passer mes loisirs au grand air. J’aurais du lire " Belle du Seigneur " plus tôt. Ne jamais lire Malraux. D’ailleurs je n’aurais jamais du, rien lire. Ni rien écrire.
Et aujourd’hui ? j’use les dernières scories. Je ne bois plus. Je fume encore un peu. Je vis dans un appartement qui n’est pas à moi. Je n’ai pas un pouce d’avenir précis devant les yeux. J’attends ma prochaine paye pour acheter un nouvel ordinateur. Pour taper des textes qu’y irons vers l’oubli sitôt écris. Je devrais lire " Le Monde ", compulser chaque semaine " L’officiel des spectacles " pour avoir des sorties intelligentes. Je devrais être écologiste, acheter un vélo. Pratiquer le tri sélectif. M’inscrire sur les listes électorales. Je devrais militer pour des causes. Et surtout arrêter d’être amoureux. Ce n’est plus de mon age n’y de ma condition. En fait quand j’y réfléchis, c’est ce seul petit truc, qui a toujours fais la différence. J’ai un cœur amoureux, c’est ça qui a toujours fait dévier mes routes. L’amour et le désamour. Souvent le désamour. Le rêveur amoureux renonce à jamais, sans le savoir, au bonheur. A la paix. Le rêve c’est résister. C’est résister même au bonheur. C’est comme écrire.

Franck.

26 novembre 2005

Une lande ouverte....

Alors user la même corde. Lancer toujours plus loin le même filet. Des mots qui font retour, comme s’ils sortaient des circonvolutions d’un coquillage. Toujours le même filet. Toujours aussi vide. Piètre pêcheur. Sinistre pécheur. Des mailles trop grandes, trop lâches. Et un filet toujours vide. Pourtant un filet tissé dans les rêves, avec des mailles de solitude et d’espérance, tissé avec le fil des jours, tressées avec les heures d’attentes, noué par de longs et solides silences. Un filet brodé pour cueillir les étoiles. Et toujours le remonter aussi vide. Comme si tout le traversait, sans jamais s’arrêter. Rien. Ces filets là ne retiennent pas qui ne veut s’y blottir. Ils ne prennent pas. Ils accueillent. Changer de mer n’y ferait rien. Alors autant continuer à lancer le même filet et tirer la même corde jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à l’étoile peut-être. L'étoile bleue.

A force, de racler le fond de l’océan je ramène parfois quelques mots égarés. Quelques mots de tristesse. Quelques mots à l’agonie parce qu’ils ont été trop dit, trop écrit. Je les pose sur ma page, je les réconforte un peu, puis ils s’en vont mourir plus loin, dans d’autres mains, dans d’autres voix, sous d’autres yeux. Sous d’autres bleus. Piètre pêcheur, perdu dans ses marées, empêtré dans son filet. Bénissant les tempêtes et leurs promesses bleues.

En moi, tu es comme un vertige de bruyères battues par les vents du nord. De ces bruyères brûlées par les embruns salés qui me viennent de la mer. Là-bas, au plus loin de ma mémoire.
Tu es ma terre hostile et fraternelle, mon endroit de misère et de miséricorde, mon lieu de pénitence et d’espérance sacrée. En moi, tu es la nuit, la nuit ouverte sur les rumeurs du monde. Tu habites en moi au lieu le plus fragile, le plus secret, celui que je ne dis pas, que je n’avoue jamais. Au lieu le plus ténu, sans doute le plus clair et le plus vacillant. Tu es l’immensité et le cheval qui va avec. Tu es un galop de folie sur la folie des hommes. Tu es une course folle sur cette lande ouverte, comme une éventration sur le corps de la terre. La glace et l’incendie jaillissent de tes sabots. Oui, je te le dis, tu es ce pur galop qui ravage mes nuits.
Bleues.
Je suis un errant, un nomade. Il me fallait ta lande pour habiller la mienne. Il me fallait tes brûlures pour révéler les miennes. Il me fallait ta nuit pour éclairer la mienne. Il me fallait tes mots pour que je puisse, enfin, accrocher mon rêve au bord violine de l’horizon. Je suis un errant, un nomade, un perdu, il me fallait l’espace, tu n’as pas de limite. Il me fallait du temps, et tu es immortelle. Il me fallait un regard tu as celui de l’aigle, il me fallait une voix, tu m’as appris le cri. Je voulais la chaleur et tu vaux mille soleils. J’ai besoin de lumière et tu te dresses comme un phare.

En moi tu es une lande ouverte sur les brumes. Tu es l’espace sauvage, et rude, et fier, et dépeuplé, et arraché. Tu es l’espace sans fin troué par les crépuscules et les hurlements des loups. Tu es la vie quand elle doit se survivre. Et le sang quand il faut qu’il soit bleu.
Tu es l’endroit du mystère et de l’appel, celui de la quête et du renoncement. Tu es une lande ouverte qui porte le désir avec acharnement, comme une plaie qu’on lèche pour être sur d’être encore vivant. Tu dis être en enfer. Alors j’irais là-bas. Une fois, déjà, j’ai traversé ses abîmes sans me retourner. Je connais le chemin, je te ramènerai. Et ta peau sera blanche. Immaculée. Tes cicatrices je les effacerai. Ta lande à ma lande s’ajoute. Ton ciel à mon ciel se répond et se mêle. C’est ton sang qui coule dans mes veines.
Qui passera du rouge au bleu.

Franck.

23 novembre 2005

Je fais des fautes.....

Je fais des fautes. Des fautes d’orthographe, de frappe. Mon clavier est usé, les touchent me trahissent. Je frappe avec un doigt et comme je n’y vois que d’un œil, je tape entre deux touches. Il faut rajouter à cela ma dyslexie et ma dysorthographie. Alors je fais des fautes. Partout, tout le temps. J’écris et je ne sais pas écrire. Je vis et je ne sais pas vivre. Je fais des fautes, de goût, de choix, des fautes d’existence, des fautes d’amour. Depuis tout petit je tape entre les touches de mon cœur et de mes rêves. Chez moi rien ne s’accorde. Ma grammaire de vie me trahit. Je ne vois rien, je ne comprends rien, ni les accords, ni les désaccords. Je conjugue à coté des temps, des modes. Ma vie est illisible, même pour moi, et mon correcteur d’orthographe n’y peut rien. Même le verbe aimer, qui pourtant est facile, je n’arrive pas à le conjuguer. A l’imparfait je me débrouille. Au passé ça va encore, mais au futur… Au futur je n’y arrive pas. Je mets toujours un « s » à « j’aimerais », comme si je voulais déjà être plusieurs, innombrables. Je t’aime, au présent je me trompe rarement, sauf si le clavier fait des sienne. Mais même lorsque j’écris sans faute on ne le remarque pas.  Voila ma vie est illisible. On n’en voit plus l’histoire derrière toutes ces fautes, ces erreurs de syntaxes.

Le verbe avoir, c’est un calvaire : s’accorde, s’accorde pas, le COD avant, après. C’est bien simple je n’ai rien. A force de ne pas connaître ce verbe je n’ai plus rien. « Etre », c’est plus simple. Il y a ceux qui sont dans « l’avoir », et ceux qui sont dans « l’être ». Moi je suis dans l’être. Dans l’être plein de fautes. Mais j’y suis.

Alors pardonnez-moi si je vous livre cette vie, ces écrits, avec plein de fautes. Ce n’est pas vraiment de l’inattention. C’est ma vie qui est dyslexique. Je voudrais tellement écrire mieux, vivre mieux, aimer mieux, même au futur. Etre dans le bon temps, la bonne grammaire, où tout s’accorde, sans exceptions. Je voudrais pouvoir lui dire, je t’aime et je t’aimerai longtemps, sans faute de goût, sans faute de vie. En fait j’écris comme je vis dans le désordre des lettres. Comme si le vent passait dessus pour ébouriffer ma langue, comme si l’eau la noyait, comme si le sel la creusait afin qu’il n’en reste rien.

Faut-il arrêter d’écrire pour ça, arrêter de vivre, d’aimer, de rêver ? Faut-il toujours les bonnes règles au bon endroit ?

Je continuerais à écrire, avec mes fautes. Je continuerai à vivre avec mes fautes. Je continuerai à aimer celle(s) qui ne faut pas. Et j’aurai « zéro » à ma dictée, comme toujours. Et zéro, cela me convient, c’est juste la rencontre de deux infini. C’est juste là, où je veux être.

Pour l’attendre.

Franck.

 

20 novembre 2005

Rouge.......

Le rêve était rouge.
D’habitude je ne me souviens pas de mes rêves. Là, il était rouge. Un envahissement de rouge. Une chute de neige rouge. D’où me vient cette image ? La neige rouge. Où ai-je lu ça ? Ce rouge est incrusté dans l’électricité de ma tête. Et dans mon rêve tout était rouge, même la neige. Surtout la neige. Une avalanche de sang cotonneux. Une sorte de plumetis vermillon sur l’écarlate de l’horizon. Comme à l’intérieur d’un corps. Les yeux du rêve pris dans l’épaisseur d’une chair ouverte. Sentine perdue et vorace. Chair vorace. Rouge. Elle est là, dans le rêve rouge. Là. Déplaçant une ombre pourpre. Une ombre de velours pourpre. Grande tenture lourde et pourpre. Je devine à peine son visage. Mais je sais qu’elle est belle. Mon rêve le sait. Pas besoin d’un visage pour savoir la beauté des êtres. Mon rêve le sait. Ses lèvres comme une blessure. Elle saigne. Des mots. Une parole cramoisie qui brûle. Une neige de feu autour. Elle brûle. Je brûle. On est dans le rouge. Le rêve nous a mis dans le rouge. Pour nous protéger. C’est certain. Protéger de l’innocence. La neige crisse sous nos pas. Il fait froid. C’est l’hiver. Un hiver rouge. Nous marchons en silence. Il n’y a pas de destination. Il n’y a jamais de destination. Quand on arrive c’est toujours nulle part. Pourtant ce rêve est un mélange. Dans ce rouge il y a l’expression d’une violence abrupte et dans le même temps une plénitude immense, intense. Je traverse la couleur et c’est comme une symphonie. Comme si elle était une musique. Des milliers de notes de musique tombent. Rouges. Sur le tapis rouge. C’est comme un bonheur cette marche dans le rouge. Un bonheur. Elle est là, à coté. Dans son silence elle me parle. Je l’entends. Il y a une tremblance, c’est par-là que je l’entends. Par la tremblance. Cet ébranlement du monde autour. On est sur ce chemin de chair rouge. Dans l’envahissement du sang. Invulnérable. C’est la sensation du rêve. Invulnérable. Pourquoi ce rêve ? La première marche de l’arc-en-ciel. Je ne sais pas lire les rêves. Parfois je lis certains dessins des étoiles. Jamais les rêves. Alors pourquoi ce rêve rouge. Et cette marche vers nulle part avec ce sentiment d’accomplissement. Comme si le rouge devait me parler. Me dire un secret. Comme si s’était ma seule destination. Une fatalité. Un bonheur incarnat. Et dans ses yeux cette poudre de cinabre, et dans mon cœur érubescent les étoiles amarantes. Et dans ce ciel garance des promesses de roses.
Franck

19 novembre 2005

Que vaudrait mon bonheur......

Au départ on avance dans la prudence. Sur la pointe des mots. On avance dans l’ombre qu’ils laissent sur le blanc de la page. On avance sans forme, sans poids, sans vraie consistance. On est dans la grâce d’une apparition. Comme un cygne sur un lac. Une parole lente et blanche qui s’avance sans froisser l’eau. Au départ un souffle pourrait nous arrêter. C’est après que ça devient une éventration. Après.
Au départ, il n’y a presque rien, une simple trace sur le bord des paupières, un fantôme évanescent à la tombée du rêve, une faible lueur dans les grottes du cœur, un voile léger flottant sur l’océan. Au départ on ne sait rien. Après cela devient une marche folle. Après.
Au départ il n’y a qu’un fil de soie qu’on tisse avec patience pour en faire l’arc-en-ciel, l’arche rayonnante, qui relie deux absences ou deux cotés du ciel, passerelle fragile pour soutenir le désir et favoriser l’espoir. Au départ on court à demain, puisque demain la contient. Après on court n’importe où puisqu’on est désossé.
" Les oies sauvages vers le nord… " Voilà je vais vers mon nord. Vers mon polaire. Là, où il n’y a plus de latitudes. " Les oies sauvages vers le nord, leurs cris dans la nuit montent… " Et chaque mot prend la place d’un cri.
Tout ça, parce que j’ai vu l’horizon porter ton nom,
Et parce que cette aube qui se lève porte ton nom,
Parce que mes pénitences portent ton nom,
Et chacune de mes heures appèle ton nom,
Et chacune de mes secondes épèle ton nom.
Voilà pourquoi l’éventration, la marche folle. Voilà pourquoi le corps désossé.

Il faut que je vous parle d’elle. De toutes les façons je ne pourrais pas parler d’autre chose. Je suis un exilé qui fixe l’infini des eaux. L’endroit ultime où s’inscrit les destins. Les débuts. Les fins.
D’abord il faut savoir qu’elle est un rêve aux racines du réel. Elle est un chant sur l’aile de la vérité. Elle est un fruit au soleil de midi. Elle est la flamme aux ténèbres de ma nuit. Elle n’est pas en argile, on ne contraint pas se forme. Parce qu’elle est libre. Elle surgit de sa voix qui la module et l’élève. Elle est faite d’eau et de feu, parce qu’elle est baptême et holocauste. Elle est brûlure, elle en est le remède. Elle est une soif, mais elle est source innombrable. Et si elle est graine, elle est aussi moisson. Elle est le jour d’après, toujours en avance d’une saison. La pureté la dévore, la passion l’illumine. Elle a l’œil de l’aigle et l’ouie du félin. Elle traverse la vie en traversant les morts. Et ce qu’elle touche, elle le sacre. Elle est Prothée le voyant aux milles formes. Elle est le lion, le dragon et l’agneau, elle est le torrent, l’incendie, elle est mille formes insaisissables pour qui voudrait la serrer de trop près. Mille formes et pourtant toujours la même. Puisqu’elle c’est celle de l’amour. Qu’elle soit colère ou ferveur, tendresse ou abandon, elle est toujours la même. Toujours l’amour. Sans pitié pour elle et si miséricordieuse pour les autres. Et toujours l’amour. Elle est une montagne, tout d’un bloc de granit, comme la vérité dont elle est le mystère.

Vous comprenez, elle est le blé pour la faim, et sa couleur pour l’appétit, et son ondulation pour la satiété. Elle est la source pour la soif et sa limpidité pour le désir, et sa fraîcheur pour la foi, pour l’angélus. Il faut comprendre sa vie est un cantique pour les Chemins de Croix, sa voix le diapason d’une belle Clavecine et ses mots des miroirs traversés d’éclats noirs.

L’eau vient d’un appel. Et le feu en est la réponse. Entre les deux, la longue marche d’une prière infiniment longue, et belle. Et longue. Blanchie d’orage. Et belle.

Redis-moi la couleur de tes yeux, redis-moi ta parole, ton sourire. Redis-moi. La forme de ta main, dis-moi les lignes qui la dessinent, qui la traversent. Dis-moi la ligne de vie, interminable comme une douleur, profonde comme l’espoir qu’on creuse jour après jour, nuit après nuit. Dis-moi la ligne de tête parsemée d’or comme une auréole, cassante comme une couronne d’épines. Dis-moi la ligne de cœur, dis-moi qu’elle me ressemble, qu’elle a la forme d’un sentier qui chemine vers moi, vers nous, dis-moi qu’elle esquisse les îles où nous habiterons. Dis-moi que ta ligne de chance trace nos noms en les tressant ensembles, en les enchâssant dans le sang de nos rêves. Oui, redis-le-moi.

Tu le sais, je suis la corde et tu en es le nœud.

A l’intérieur de ces mots, tu es mienne. Un peu. Si peu. Là, uniquement nos pas s’accordent l’espace d’un instant, ils vont l’amble. Ailleurs tu es libre, libre d’amour, de moi, de nous, comme un rêve ou le vent. Ici, je te retiens un peu. Si peu, entre ces lignes qui ne sont que les gammes maladroites d’une musique sacrée qui se perd dans les étendues de nos déserts.
Je voudrais tant, dépasser les temps vulnérables, les temps précaires et périssables, humides, qui nous séparent comme le jour et la nuit. Dépasser cet espace friable entre le toi, le moi, le nous où il ne reste qu’à inventer à chacun de nos pas des archipels qui se retrouvent dans des mers qui nous accueillent. Il nous faudrait vouloir comme le funambule sur son fil, vouloir inventer l’autre rive, inventer des pas qui sauvent, des pas qui traverse le vide, et le manque, et l'absence, inventer les pas qui nous rejoignent. Qui nous ressemblent.

Voilà. Il est tard. Il faudrait dormir et ne plus rêver. Tout arrêter. Ne plus écrire. Jamais. Ne plus parler. Il faudrait oublier. Tout oublier. Elle. Elle aussi, il faudrait ne plus y penser.
Eh bien, non. Je continuerai. Ca serait trop facile. Je continuerai, sinon, cela serait trop facile, je risquerai d’être heureux. Alors, je continuerai. Que ferai-je du bonheur sans elle ? Que vaudrait mon bonheur sans le sien ?

Franck.

12 novembre 2005

Une peau pour écrire.....

J’ai laissé partir le poème. Je suis mal dans mes mots. Comme une hémorragie. J’ai tout effacé. Ma rêverie est lourde. Lancinante. La sensation de redire. De redire toujours le même manque, la même espérance, les mêmes échecs, les mêmes relents de vie. Hoquet. Haut-le-cœur. Avec l’amertume dans le fond de la gorge. C’est long. Ca n’en fini pas de finir. Je suis dans quelques mètres carrés. Dans ma tête c’est encore plus étroit. Je n’ai plus de place. Je n’arrive pas à faire entrer d’autres mots. Même mon souffle s’épuise. J’ai l’impression de ne plus pouvoir arriver au bout de mes phrases. Alors je les coupe. Je mets des points partout. Pour exorciser. Puisqu’il n’y a que là, où je peux mettre des points. Clôturer. Arrêter tout. Ecrire fin, et finir. Tant d’années que je me retrouve dans de mauvais scénario. Une écriture qui manque d’ambition. De mauvaises histoires, mal fagotées, ni vraiment tragiques, ni vraiment drôles. En fait, je suis un mauvais acteur dans de mauvaises pièces. Ni vraiment mouton, ni vraiment rebelle. Pas très convaincu par la distribution des rôles. Tant d’années que je cherche, que j’essaye, que je me trompe et que tout s’échappe de mes mains comme une savonnette humide. Toujours cette impression d’être à coté, ou jamais dans la bonne distance. Avec moi, avec ma vie. Avec les autres surtout. Et puis il y a eu tout ce temps d’alcool. Temps perdu. Temps bu dans l’ivresse, et l’oubli. J’aurais du finir, là. Partir ce jour là. Mais le scénariste n’avait pas encore écrit le mot fin. Pourtant, je trouve que j’étais un alcoolo sympa. Certains sont violents, plein d’aigreurs, de hargnes, j’en ai connu un, mon père. Vindicatif, agressif. Certes il ne tapait beaucoup. Un peu quand même. Moi j’étais un alcoolo parlatif. Je me souviens, quand l’ivresse montait, j’étais brusquement envahi d’un sentiment d’amour pur. Ca me prenait dans tout le corps, comme une grande vague qui déferle. Oui, de l’amour pur, qui sortait de mes os, de mes chairs. Il fallait bien que ça existe quelque part en moi, pour sortir de cette façon. Je me souviens de cette sensation d’amour absolu. J’avais l’impression d’être immense, d’être un océan. A ceux qui étaient là, je pouvais dire dans mon délire cet amour, ce scintillement dans les vagues d’une mer en mouvement. Cette illumination. Certains sont dans la haine, d’autres dans le désespoir, moi j’étais dans un halo de lumière bleuté et tendre.

Alors écrire. Sans gueule de bois. Ecrire pour retrouver cette impression, cette sensation. Savoir si elle existe toujours. S’il y a bien un endroit de moi qui la contient, qui peut la dire. Qui peut l’offrir. Ecrire pour se dire qu’on n’est pas mort. Pas tout à fait. Encore.

Besoin d’une peau pour écrire. Tous mes mots viennent d’une peau. D’un désir. D’un rêve. J’ai été monté à l’envers. Ma seule réalité c’est mes rêves. Le reste, je ne veux pas y croire. Non, ce n’est pas vraiment cela. Non, en fait, j’y crois. J’y crois trop, même. Je ne vois que trop bien le monde, ses dérives, ses violences, ses morts successives, je ne vois que trop bien l’insolence des puissants, des sexes, des générations, je ne vois que trop bien ses messes du mensonge, ses incantations populaires, populistes, je ne comprends que trop bien que les pauvres doivent rester pauvres pour que les riches puissent se sentir riches. Plus de deux mille ans pour en arriver là. On n’a pas avancé d’un pouce.
Moi, il me faut une peau pour écrire, un rêve, un désir, une ivresse nouvelle et sobre, l’ivresse d’un visage, l’ombre d’une âme, ou l’éclat d’un regard. J’ai besoin d’une Autre pour peindre le monde pour lui donner des couleurs acceptables. Une peau comme un pays. J’ai besoin de parler à une autre bouche, de boire à d’autres lèvres, de me perdre dans une autre vie.
Alors reprendre le poème. Ramasser les mots éparts autour de moi. A nouveau tenter de les arranger, de les dévêtir, de me dépouiller un peu plus. Appeler le désir, l’inviter. Tresser les mots avec une image, un visage. Un visage inconnu. Imaginer derrière le vide la chaleur d’une peau. Imaginer qu’elle me parle. Imaginer que tout s’arrête, que plus rien n’a d’importance, puisqu’elle s’adresse à moi. Que les mots s’enlacent, qu’ils disent, enfin, un peu plus qu’eux-mêmes. Reprendre le poème, le rêve. Inutile et indispensable rêve. Je ne vois pas de paysage, je n’entends que des voix, parfois de simples murmures. Un lieu clôt. Toujours une faible lumière. Un feu de cheminée, ou quelques bougies. Des ombres tremblantes, comme le cœur, comme les choses importantes, comme le jour qui meurt, ou qui naît. Elle parle, et chacune de ses syllabes court sur mon corps comme des gouttes de feu. Je caresse lentement sa parole comme une chair généreuse. J’écarte ses mots, je les ouvre au plus large pour y déposer mes lèvres frémissantes. Boire son souffle au bord de sa broussaille ourlée, conjuguer tous les temps de ses formes…D’où vienne ces voix ? Qui m’appelle en moi ? Pourquoi tant de déraison ?

Franck

12 novembre 2005

Mon hiver......

Je suis entré dans mon hiver. En quelques jours. Ma parole est blanchie de givre, et mes mots se perdent dans les brumes grises et filandreuses accrochées aux bruyères. Mes mots peinent à sortir du miroir froissé de mes lacs noirs. Brumes grises s’étirant dans la suspension du temps d’aurore. S’étirant, se fondant, se délayant, se désagrégeant dans le jour qui se lève. Lente incorporation des brumes et de ses fibres qui serrent comme une écharpe usée les arbres raidis de froid, mes pensées inachevables, imprécises, insuffisantes et mes amours décomposés, délabrés. Quelque chose de la fin. Je suis dans les heures cassantes, et les brumes laineuses et molles s’insinuent entre mes mots, au cœur de mes silences. Brumes laineuses et molles au cœur de mes songes fiévreux. Matin d’usure grise quand la terre refoule les vapeurs faisandées de mes os morts.

Franck

11 novembre 2005

A Quelle Station ?........

Je suis dans le métro. Je lis. Pas concentré, mais je lis. Pas pour m’occuper, mais pour m’extraire. Pas le journal, mais de la poésie. Pour m’emmener plus vite, plus loin. Ne plus être là. Jamais. Il m’arrive parfois ces vagues de désespérances. Pas d’issue. Je n’ai pas de place ici. Je ne veux pas de place ici. C’est quoi ce mouvement d’océan au fond de moi ? Ils sont deux. Jeunes. Ils montent dans la rame. Brusquement ils se mettent à parler fort. En fait, ils jouent. Ils jouent une scène de théâtre. C’est incongru. Mais le mystère des mots fonctionne. Il y a un silence dans la rame. Simplement les bruits de ferraille des wagons. Elle, elle est dans son rôle. Sa voix est juste. Ses yeux surtout. Elle le regarde. Lui, a une voix forte puissante. Il est a coté. Il sonne faut. Il est agacé, d’être ici. Dans ce wagon de nul part. Surtout quand un groupe entre dans le wagon. Jeunes, comme eux. Bruyants. Ils ne font pas attention à eux les comédiens qui jouent. Ils se moquent. Un peu. Ils rient fort. Un peu. Ils se mettent à chanter. Un peu. Les deux continuent. C’est elle qui a les tirades les plus longues, elle brûle. Son visage semble éclairé. Pour elle c’est une mission d’être là, à déclamer. Cela se voit. Cela s’entend. Mon livre c’est refermé. C’est une cacophonie. Les comédiens. Et cette jeunesse moqueuse et bruyante. J’ai perdu ma poésie. Là. A ce moment là. Je ressens une violence extrême. Je reçois le monde en pleine face. Un wagon qui nous tire, des voix qui ne s’entendent plus, de l’amour impossible à dire, des passions qui semblent s’étrangler dans la gorge de lui. De la colère. Et ma poésie qui me tombe des mains. Ils arrivent au bout de leur scène. Les autres ont fini par se taire. Quelques applaudissements. Quelques pièces. Elle descend, toujours accompagnée de cette lumière. Lui, toujours engoncer dans sa colère. Au moment ou elle quitte le wagon je me rends compte de l’harmonie de ses traits. Elle est belle. Elle est belle. Je ne descends pas. Je reste dans le wagon. Encore un peu. Dans la vie, ni on monte, ni on descend aux même stations. Les rencontres sont impossibles.
Drôle d’humanité.
Et je pense à cette autre qui écrit. Tous les jours, elle écrit. Des milliers de mots. Elle pourrait être dans un wagon parti vers quelle destination ? Elle aussi elle parle. D’où vient ta voix ? D’où vient cette parole ? Tous les jours tu dis des pays que l’on connaît. Tu dis des formes qui nous ressemblent, tu dis la vie sur sa tranche la plus aiguë, la plus coupante. Où va ton regard ? Où va ta voix ? Quelle est ta destination ? Quelle est ta station ? Couvrir le vacarme du monde, avec une seule parole, dite au plus près de soi et lancée au plus loin. Dire comme un soleil jette ses rayons. Avec la même constance. Des paroles offertes comme des rayons, qui peuvent incendier ou guérir, qui peuvent éclairer ou aveugler. Tu t’avances au centre de tes mots en tambour et trompette, mais d’où vient ces tonnerres que tu traînes avec toi ?

Et d’où vient ma lassitude de ces parcours en wagons qui n’en finissent pas.

Franck.

6 novembre 2005

Elle et moi de front.....

Pour elle, je veux d’abord un grand silence. L’accueil du premier grand silence. Parce que c’est là que tout se joue. Un grand lac bleu de silence. Parce que le silence agrandit l’espace, mais réduit les distances. Les paroles nous éloignent. Elles arrivent avec leurs cortèges d’ombres et de montagnes aux parois vertigineuses. Je veux d’abord un grand silence. Comme la première nudité. Comme la première offrande. Un vrai silence est toujours plus pur qu’un diamant, c’est un socle, puisqu’il contient tout. C’est une église. Une promesse. Une source cachée dans le désert. C’est lui dire, à elle : ici, dans mon silence, celui que je t’offre maintenant, tu es chez toi, puisque c’est la clé qui ouvre toutes les portes, puisqu’il te faut l’infini comme horizon et l’éternité comme ciel de lit. Ce silence est mon œuvre la plus achevé, je te le donne pour t’en faire un royaume, un océan, une étoile accrochée à tes yeux. Je te le donne puisqu’il à soutenu, mes années perdues, mes guerres inachevées, mes blessures, puisqu’il a fait de moi un homme encore vivant. Il contient tout puisqu’il a la forme de ton cœur, puisque je l’ai fait pour toi, puisqu’il t’attend depuis si longtemps.

Chaque jour je rajoutais un grain à cette grappe se de silence. Chaque jour qui me séparait de toi. Chaque grain, un silence, qui te disait : je t’entends. Simplement je t’entends. Je sais. Je t’entends. Une grappe alourdie, de grain en grain, de jour en jour, grosse de jus sucré, grosse d’espérance, une grappe de silence assez vaste pour contenir tout de toi, tes Chemins de Croix, tes cabarets d’empire et tes baleines blanches. Assez vaste pour contenir toute ta langue, tous tes mots prononcés et ceux à inventer et ton désarroi joyeux. Ce silence est ma seule richesse, pour t’entendre et t’écouter, alors il est à toi. Il ne m’a pas fait fort, il m’a rendu puissant, et si je ne suis pas grand j’ai de la hauteur. Alors je te le donne, il est à toi, maintenant. Il te fera le souffle, pour crier à nouveau, pour rire et pour chanter. Peuple-le de tes jours couleur d’oranges. Croque dans cette grappe de fruits longtemps mûrit, qui n’attendent que ta bouche, et ta langue, et tes dents, pour exploser enfin, de sucs et de lumière, de soleil et de lendemain.

Voilà, ce que veux pour elle. Ni collier, ni maison, ni palais, mais ma seule richesse, ce silence de fruit. Vous croyez cela pas suffisant ? Détrompez-vous, c’est l’histoire une vie, de deux vies, d’une éternité. L’amour a besoin du silence, c’est son eau sacrée, sa seule pitance. Il est présent juste avant la chair, et juste après. Pendant c’est le désir. Mais juste avant, juste après. L’amour vous le connaissez dans tout ce qui vient du silence. Ces gestes minuscules, presque inaudibles, cette main qui vous frôle, ce regard dans la glace, cette rose qu’elle respire.

Et après ce silence et seulement après, je veux, pour elle, un chemin. Pas de collier, pas de maison, pas de palais. Non, un chemin. Un chemin qui serpente et qui monte, un chemin dans la langue, qui traverse les saisons, les orages et le temps. Un chemin suspendu tout au bord de l’humain. Un chemin juste assez large pour elle et moi de front. Elle et moi de front.
Franck

5 novembre 2005

Ce n'est pas triste, perdu......

Certaine fois je me dis que les images qui reviennent ne m’appartiennent pas. Pourquoi la mémoire choisit ce souvenir plutôt qu’un autre ? Pourquoi, cette mémoire efface-t-elle tant d’images ? Pour n’en garder que quelques unes. Comme les photos que vous prenez. Au moment où vous appuyez sur le déclencheur vous avez l’impression de fixer une chose inoubliable. Vingt quatre poses d’éternité. Puis, quand vous les avez devant vous, une fois développées, vous vous rendez compte qu’elles n’ont aucun intérêt. Vous rangez la pochette dans un tiroir. Et l’affaire est pliée. Je ne prends plus de photo depuis longtemps. Et surtout je ne veux être sur aucune photo. Sans doute mes souvenirs subissent-ils le même chemin. Pas de trace. Aucune. Je ne laisserai rien. Mon dernier souffle finira de m’aspirer. Une bulle de savon qui claque. Ploc ! Et puis, rien. Et c’est bien ainsi. Mes deux valises finiront chez Emmaüs ou dans une poubelle. Rien. Instantanément mes mots s’effaceront. Et s’effaceront le bien et le mal qu’on m’a fait, et le bien et le mal que j’ai fait. Rien. Pas de trace. Je n’ai pas le sens de l’humanité, ni le sentiment d’appartenir. Sans doute un reste d’orgueil. Car il en faut beaucoup pour vouloir n’être rien. Les groupes, la communauté, mes congénères, tout cela m’est étranger. Je les vois, bien sûr, mais comme derrière une glace. Je suis à coté. Non, en fait, je suis loin. Déjà loin. Il faut se mettre en route de bonne heure si l’on veut s’échapper. Je ne crois qu’en une seule chose : deux regards qui se fixent, s’absorbent et se reconnaissent dans l’instant où ils se captent. Et brusquement la neige du Kilimandjaro fond et se répand comme un déluge de miel tendre. Le reste, n’a aucun intérêt, comme les photos que vous rangez dans un tiroir pour les oublier. Deux regards, juste avant les deux peaux, juste avant les deux sangs.

Parfois, il y a des instants qui sortent de la chronologie du temps, comme une pierre qui affleure au milieu du torrent. Le courrant vient butter, mais il la submerge, la contourne dans un éclat d’écume. L’eau gargouille un peu, brille un peu dans le soleil et continue son chemin. Voilà, mes souvenirs sont ces pierres, sur lesquelles je m’appuis pour remonter le courant, et mon écriture c’est l’écume. Rien que de l’écume.

C’était, il y a longtemps. Le temps où je traversais l’Afrique. Où mon sac était trop lourd de trop d’illusions. Le temps où la fuite se nommait espérance. A dix-neuf ans on ne connaît pas le sens des mots. La compréhension n’arrive qu’avec les brûlures. Il faut d’abord pleurer pour que la parole s’éclaire un peu. A dix-neuf ans je n’avais pas encore assez pleuré. C’était, il y a longtemps. Pour survivre, je vendais des encyclopédies à des gens qui n’en avaient pas besoin. Le prix d’un livre inutile pouvait atteindre deux à trois mois de leurs salaires. Eux, les gens, les Africains, à qui l’on vendait ces livres, voulaient nous ressembler. Si seulement ils savaient ! Si seulement j’avais su ! Pendant trois semaines, nous ratissions une région. Trois semaines de brousse. Tout ce qui se trouvait à cinquante kilomètres d’Abidjan s’appelait la brousse. Là, nous étions au centre de la Cote d’Ivoire, au beau milieu de la forêt tropicale. En réalité dans les bourgades, les petites villes. Nous roulions sur des routes de latérite et nous nous arrêtions à chaque fois que nous repérions au moins deux maisons en dur. Trois semaines, c’est long et c’est court à la fois. Le samedi soir il fallait s’occuper, sortie de nos chambres non climatisées et des moustiquaires trouées. S’occuper et regagner une rive connue. Poser le voyage quelque part. Se dire qu’on n’est pas perdu au milieu d’un continent. Que la route empruntée, n’est pas un cul de sac. Qu’il y a une issue à la route, à la chaleur, à la moiteur, aux moustiques. Qu’il y a une issue à tout ça.

Les villes de brousses sont toutes identiques. La route les traverse, quelques routes ou chemins transversaux, quelques bâtiments administratifs avec leurs grands toits de tôle ondulée, un ou deux magasins où l’on trouve de tout, tenus généralement par des libanais, une ou deux pompes à essences, et disséminé quelques maisons protégées pas des murs bas et des jardins. A la périphérie, une ou deux entreprises, scierie, transport, construction et surtout les petites maisons des habitants. Des vrais. On leur a appris la ville en les laissant autour. On leur a appris les maisons en construisant des villas vides. Les villes de brousse sont toutes identiques, avec cette végétation qui envahie tout. Les herbes hautes. Là des bananiers, ou des manguiers, ici un flamboyant ou un fromager avec ses drôles de nervures à la naissance du tronc, comme des empennages d’avion. Elles sont toutes pareilles, ces villes, qui n’en sont pas. La même chaleur, la même boue après la pluie. Les gens les traverses, à pied ou en vélo. Ils sortent de nulle part, et vont vers nulle part. Ils traversent sans s’arrêter, chargés de toutes sortes de fardeaux, valises, ballots, bassines vides ou pleines, transistors, ils poussent, ils tirent, ils portent, ils dansent. Les villes de brousse possèdent toutes un lieu de rencontre où les blancs et le pouvoir local se côtoient. Ce sont souvent des bars, des hôtels. J’ai connu quelques un de ces endroits du monde. Le Yargla à Gao, sorte de caravansérail, où se mêlait les petits trafiquants de voitures, les marchands de moutons, les aventuriers du désert. Je me souviens aussi de ce bar sans nom, à Mopti. A coté du fleuve. Lieu d’alcool et de violence. De fumée et de filles sans nom.

Dans cette ville de brousse il y avait un bar comme cela. Un truc perdu pour des gens perdus. Lieu d’alcool, de tension brutale, de voix fortes. C’était le rendez-vous des forestiers. Ce sont des lieux où tout peut arriver, parce qu’au fond du verre il y a l’espoir, parce qu’au bout du verre il y a le rêve. A ces comptoirs s’accoudaient toutes les culpabilités du monde, toutes les lâchetés, toutes les fuites, tous les remords, tous les regrets. Et les grands ventilateurs brassaient la puanteur, la sueur, la poisseur. Et les grands ventilateurs faisaient flotter les jupes courtes des filles offertes. Des filles offertes aux yeux brûlés. Des filles brûlées aux yeux offerts, aux corps vendus. Rires forcés par les liasses de billets. Filles offertes aux mâles qui puent le mal.

C’était le rendez-vous des forestiers. Quand je suis rentré à l’intérieur il y avait déjà du monde, du bruit. Le ventilateur brassait. La patronne trônait derrière son bar. Patronne, matrone, sur le retour, avec son accent marseillais, avec son maquillage dégoulinant. Il faisait déjà nuit. La nuit tombe vite en forêt, dans ses villes de brousse. Samedi soir forestiers. Il faut les avoir vu. Dans leurs ivresses frelatées. Je ne sais pas s’ils existent encore comme cela. Ils étaient une race d’hommes à eux tous seuls. Une race sans dieux. Ils vivaient, la plus part du temps, au milieu de la forêt, dans des campements de fortune. Ils passaient leur vie à chercher les essences rares, à les repérer, à les marquer. Ils arpentaient le monstre grouillant de la forêt en quête d’une folie ou d’un oubli. Accompagnés de quelques porteurs, sur lesquels ils avaient pouvoir de vie et de haine, ils saignaient, mesuraient, comptaient, durant des mois. Sans arrêt. Qu’y a-t-il au bout de la forêt ? Encore la forêt. La forêt n’est pas propice aux rêves. Car elle est là. Si forte, si présente. La forêt ne permet pas de réfléchir, d’imaginer. Y être c’est déjà vouloir en sortir. Les forestiers gagnaient gros. Le prix d’un voyage impossible. Alors quand ils revenaient dans un port, même un port de brousse, ils arrachaient avec les dents leur sueur et leur suaire, ils se jetaient dans l’ivresse comme pour embrasser l’horizon. En un soir il fallait assez de démesure pour effacer tant de jours de forêt obscure. Effacer en un soir la détresse de six mois. Retrouver en une heure l’illusion d’une dignité. L’illusion d’une indignité. La forêt épuise, ronge. Ronge à l’intérieur. Elle vous mange du dedans. Elle vous avale la bouche et les mots qui vont avec, elle vous gratte les yeux, vous fait pourrir la peau. Elle vous suce le sang, les sucs, l’envie, le désir. Elle vous prend le ciel et les étoiles et votre âme en supplément, elle s’accroche à votre peur et ne vous lâche plus. Alors l’ivresse, comme profusion, comme salut, comme résurrection. Ivresse frelatée, faite de mauvaise bière, trop chaude, bues trop vite. Ne plus penser à l’humidité, à l’oxygène qui manque toujours, aux insectes extravagants, aux rampants insensés, aux cris des singes, à tous ces bruits inconnus, à la folie qui monte, à la solitude qui bouffe vos entrailles et qui vous colle la cervelle aux parois de vos manques. Alors l’ivresse comme les seins de la mère, comme les premiers abandons, comme une île qui vous sauve du naufrage. On les reconnaissait bien, les forestiers du samedi soir. Rasage, lotion bon marché, et les mains écorchées, et le visage mutilé par les absences, et cet éclat dans l’œil qui regardait les fesses des filles de la patronnes.

Drôle de lieux, drôle d’hommes. Drôle de samedi.
Elle est entrée avec un homme. Ils connaissaient bien l’endroit. Ils avaient leurs habitudes, leurs connaissances, leurs tutoiements. Elle a embrassé la matrone, et a suivi son mari, sous le grand ventilateur. Elle était blonde. Vêtue de blanc. Un pantalon de toile blanche et un chemisier, plutôt une chemise d’homme. Sa peau dorée sous le blanc, et sous l’or qui pendait à son cou, à ses poignets. Peut être quarante ans. Peut-être moins. Une beauté évidente et sûre. Mince, avec des gestes gracieux. Elle paraissait étrange dans ce lieu du bout du monde. Je l’ai vu entrer et je l’ai trouvé belle. Infiniment belle. Infiniment blanche. Infiniment désespérée. Dans ses yeux bleus, dans sa blondeur ondoyante sous le grand ventilateur.

La nuit n’en finissait pas de s’effondrer sur elle-même. Son homme était parti rejoindre les forestiers, leurs voix fortes, leur ivresse, et les filles aux jupes trop courtes. Elle restai là, seule, infiniment seule, et blanche, et triste, et patiente, et seule, et triste. Posée au milieu de l’Afrique, au bout de cette route perdue. Un voile sur les yeux, et le regard au loin de sa vie.

Moi, je la regardais, elle était comme une apparition, comme un songe. L’espace d’un instant elle devint l’unique.

C’est elle, qui est venue s’asseoir à ma table. Il était tard. Elle a posé son whisky sur ma table. Elle connaissait tout le monde ici. Moi, j’étais une tête nouvelle. On a parlé. Je lui ai dis, ma jeunesse, mon voyage, le désert. Et elle m’a raconté, l’ennui, la chaleur étouffante, l’ennui et l’amour qui s’en va. Un mari qui l’oubli, une maison trop grande. Des aventures rapides, imparfaites, elle m’a dit le poids des silences, des regards, et l’ennui, toujours l’ennui. Elle était belle dans ses mots, dans son ennui, elle était belle dans cette nuit d’Afrique. Dans l’air brassé par le grand ventilateur. Elle parlait d’une voix douce, quand on est au bout du monde, on ne peut aller plus loin, mais surtout on ne peut plus revenir. Alors on reste. On reste dans l’ennui. Avec un verre ou deux de whisky. Parfois quelques bras de passages, quelques peaux nouvelles, quelques rêves de mendiante ou de princesse. Elle disait des mots perdus, à quoi ça sert d’être belle ici, à quoi ça sert l’argent gagné ici.

On est sorti pour faire quelques pas. Dehors la nuit africaine. Cette touffeur qui vous rentre par les narines. Et le silence maintenant. Elle m’a pris le bras, elle avait toujours son verre avec elle. Et on a marché. Lentement. Elle m’a raconté ses rêves de petite fille, et l’Afrique qu’elle avait rêvé. Elle voulait Daktari et se retrouvait dans le Salaire de la peur. Elle s’appelait Catherine. Et l’on marchait lentement. Son bras pesait sur mon bras. C’est elle qui m’a embrassé. Une seule fois. Un baiser long, qui avait goût de whisky, et de solitude amère. Elle sentait bon et sa langue avait la force de tous ses désespoirs. Mon cœur battait. Et si se baiser durait toute la vie. Et s’il ne s’arrêtait pas. Et si l’on continuait jusqu’à la fin de la nuit, jusqu’au jour, et même après le jour. Qu’est-ce qu’il y a après le jour et la nuit, Catherine ? Qu’est-ce qu’il y a après ce baiser, Catherine ? A près ? Elle a pleuré. Un peu.

Je ne crois qu’en une seule chose : deux regards qui se fixent, s’absorbent et se reconnaissent dans l’instant où ils se captent. Et brusquement la neige du Kilimandjaro fond et se répand comme un déluge de miel tendre.
J’ai cette fin de nuit en moi depuis toujours. Le regard plein de larmes de Catherine. Son baiser, qui m’a plus appris sur la vie que tous les longs discours.
Je suis de ce baiser qui se lève comme un aurore et de cette tristesse qui hante les forêts, je suis de ces lieux perdus. Ce n’est pas triste, perdu. C’est simplement perdu.

Franck.

1 novembre 2005

Dis-moi...encore...pour toujours......

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des poings qui s’abattraient à toute volée à l’endroit de ma face, sur le nez par exemple. Je lis tes lettres et ça fait comme des brûlures. Je lis et ça fait des cicatrices, comme une lame d’acier dans le vermillon de la vie.

Tes mots me touchent comme s’ils avaient des mains. Des mains douces. Des mains qui se poseraient sur ma peau cornée et usée, à l’endroit du cœur. A l’endroit des battements. Je lis tes lettres et cela fait des caresses. Je lis et cela fait comme un souffle, comme une eau transpercée de lumière.

Dis-moi encore les terreurs de l’amour
Dis-moi encore les envoûtements de ta vie.
Apprends-moi les ténèbres, moi qui me crois voyant

Dis-moi encore tes secrets d’amour.
Dis-moi encore les magies de ta vie.
Apprends-moi le ciel, moi qui ne fais que le traverser d’un pas agité et inquiet.

Chante pour moi. Hurle pour moi.
Danse pour moi. Chiffonne-toi pour moi.
Ris pour moi. Pleur pour moi. Pour moi seul.
Raconte-moi l’amour de dieu et des hommes. Dis-moi leurs chairs et leur sang.
Raconte-moi la fourche de satan et la queue du mâle. Dis-moi leurs viandes et leur foutre.

Dis-moi l’enfer qui vrille ta mémoire.
Dis-moi ton délire lancinant et mortel.
Dis-moi tes os et leurs cendres et leur haine.
Dis-moi tes cuisses ouvertes et les tritons que tu recèles.

Dis-moi l’éternité qui porte tes offrandes.
Dis-moi ton âme murmurante et fragile.
Dis-moi ton corps et sa flamme et sa piété.
Dis-moi tes cuisses souples et ces coquillages que tu protèges.

Dis-moi toutes ses choses.
Dis-le moi, mille et une nuits, et quelques siècles de plus.

Dis-moi le marbre froid de ton cou.
Dis-moi les vipères de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son abîme.
Dis-moi tes râles, tes pertes blanches, tes indécences, tes violences

Dis-moi la douceur de ton cou.
Dis-moi la forme et la pâleur de tes seins.
Dis-moi ton ventre et son velours.
Dis-moi tes soupirs, tes abandons, tes pudeurs, tes outrages.

Dis-moi tes litanies comme un poison à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand elle est sacrilège.
Dis-moi le ricanement quand tu plaisantes de moi.
Dis-moi tes conjurations quand je suis trop près de toi.
Dis-moi tes cauchemars et tes arcanes.
Dis-moi la bile de ton sang.

Dis-moi ton chant quand tu le donnes à mes lèvres.
Dis-moi ta danse quand tes voiles se défont.
Dis-moi ton rire quand tu te dérobes.
Dis-moi ta prière quand je dors près de toi.
Dis-moi tes rêves et tes mystères.
Dis-moi tes larmes, dis-moi ta joie.

J’aime tes affronts quand ils disent : vas-t-en.
J’aime ton cri qui arrache les miens.
J’aime ton bec quand il déchire mon nom.
J’aime tes crocs qui serrent mes paupières

J’aime tes mots quand ils disent : je t’aime.
J’aime ta voix quand elle s’offre à ma voix.
J’aime ta bouche qui appelle mon nom.
J’aime ta langue sur le bord de mes yeux.

Dis-moi l’incendie qui dévaste ta langue.
Dis-moi la substance qui écorche tes veines.
Dis-moi les cyclones qui brassent ainsi ta chair.

Dis-moi le feu qui brûle ton esprit.
Dis-moi l’étoile qui coule dans tes veines.
Dis-moi tes tempêtes de chair.

Dis-moi surtout la paix et le recueillement et l’abondance dans le renoncement.
Dis-moi la sagesse des sables et comment on dénude son cœur pour marcher sans impatience vers un point d’eau perdu au fin fond du désert. Dis-moi les paysages de neige, les lumières d’un hiver, et le givre comme un gant de dentelle sur les ramures déshabillées des grands cerisiers.

Franck

30 octobre 2005

Ce que le printemps fait........

J’ai porté chaque jour ta voix. Vraiment porté, avec tous les muscles du corps. Jusqu’à la douleur. Jusqu’à l’épuisement. J’en ai fait mon sang. Jusqu’à l’empoisonnement. Entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un gouffre. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de mon ombre à ta lumière. Mais nulle route nous destine. Aucun ciel nous espère. J’ai baisé sur tes mots les bords tranchants de tes cicatrices. J’ai semé dans tes champs, griffés de labours. J’ai semé dans tes veines de terre noire, espérant des moissons de couleurs. Je me suis fait chevalier, prince, roi, jardinier. J’ai sacré chaque aurore et béni chaque crépuscule. J’ai scellé dans les roses, en leur centre incandescent, quelques gouttes de rosée pour adoucir les feux de l’été. Je me suis fait pèlerin, bateleur, vagabond. Je me suis fait mendiant pour recueillir tes restes. J’ai chanté, j’ai dansé, j’ai ri quand il fallait rire. Et pleuré. Et pleuré. J’ai appris ton silence, ses épines, ses gloires, j’en ai fait ma nourriture, mon horizon. J’ai brassé mon attente pour en faire la voûte des jours à venir. J’ai martelé ton seuil, jusqu'à l’aveuglement. J’ai inventé des rêves à mes rêves et rajouté du manque à nos distances. J’ai accroché ma vie à la dérive du temps, et accroché mon cœur à la queue des comètes. J’ai effrité chaque saison, égrainé chaque heure, émietté chaque seconde pour en faire une allée assez douce à ton pas, où même ton ombre n’aurait pu se blesser. Je t’ai maudit, aussi, et détesté te maudire. Je me suis bannit, exilé, méprisé. Je me suis caché derrière mes propres ruines. Je me suis abîmé dans mes égarements, bu l’eau saumâtre de mes puits d’amertume.

Pourtant j’ai renommé chaque étoile pour t’en faire des pays, des voyages, des oublis, des processions, des fiançailles. J’ai inventé des mers, des orages. Avec mes nuages, j’ai dessiné pour toi des escaliers immenses, tendus vers le soleil. J’ai ramassé chaque brindille de nuit pour t’en faire des archipels exotiques aux odeurs de vanille. Et je l’avoue, j’ai désiré tes yeux, tes lèvres, la peau de ton cou, la forme de tes seins, la courbe de ton ventre. J’ai composé pour te rejoindre des caresses imaginaires, chimériques, faites de respirations prises aux cratères des volcans, ou dérobée à la voix abandonnée des saintes. J’ai désiré tes mains au creux des miennes. Simplement. Même tes larmes. Même tes peurs. Je voulais déclouer tes mots de tes souvenirs. Je voulais pour tes mots un ciel entier. Un ciel et l’océan pour les contenir, des vagues pour les mélanger, des écumes pour les orner, des tempêtes pour les dire. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai cru que ma parole brûlait comme un cierge qui délivrait ses mots en consumant sa flamme. J’ai épuisé mes jours sans rien dire d’important. J’ai refait cent fois la route de la lune au soleil en fouillant tes mystères. Sans jamais rien comprendre. Mais entre toi et l’étoile il n’y avait qu’un souffle. Entre moi et l’étoile il n’y avait qu’un abîme. J’ai porté chaque jour ta parole, la plus enchevêtrée, la plus fervente, la plus flamboyante, mais nul chemin ne mène de ta lumière à mon obscurité. Tu avais l’abondante blancheur ourlée d’un grand lys, qui promène son auréole aux pieds des mondes crucifiés. Je n’avais que la grâce pataude de ces avancées frileuses, engourdies par les neiges trop lourdes de ses hivers trop longs. J’ai épuisé ma langue, en oubliant l’essentiel. J’ai oublié d’être poète et de dire avec lui, toutes les paroles en une seule suffisante :
" Je veux faire avec toi
Ce que le printemps fait avec les cerisiers. "

Franck/
Et P. Neruda

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