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J'irai marcher par-delà les nuages

29 octobre 2005

Pure perte......

clubbing_ange1

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Entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix. Même dans ses oublis. Il faudrait pouvoir revenir à la simplicité du sable, ou à l’écriture de sable. Sable. Sable à l’infini. Sable dans le jeu des vents, dans les brûlures des soleils. Sable dans le déploiement du même, dans la création perpétuelle de ses formes, dans ses déplacements, ses envols, ses glissements, ses enfoncements. Sable dans ses couleurs. Le sable se souvient qu’il n’a pas toujours été sable, qu’il vient d’ailleurs, d’autre chose et c’est cela sans doute cela qui me fascine. Il vient d’une usure, à ne pas confondre avec la décomposition. Il vient d’une usure, d’un épuisement et d’une résistance. Il est un souvenir. Trace. Il ne produit rien, rien d’autre que de l’éternité. Il ne fait rien, rien sinon engendrer des formes, des couleurs et du rêve. Du silence. On n’habite pas le sable, on ne peu que le traverser, comme les souvenirs, comme l’espérance, comme le malheur, comme un trépas ou une naissance. C’est lui qui loge en nous et qui tisse nos déserts et nos miséricordes, et qui crie nos vanités, nos orgueils, il entre dans nos blessures pour les élargir. Béance et solitude. Etendue morte où il faut enfanter et bâtir nos heures. Etendue d’attente et de renoncement.

Je suis revenu à Paris. Comme un voyageur sans terre. L’obligation de répondre aux appels, aux codes. Mais à Paris je n’ai plus de lieu. Alors, il a bien fallu trouver une solution. Estelle m’a proposé une cohabitation passagère. Estelle, généreuse et désespérée. Elle est toujours dans son deuil. Trente mettre carré. Trente mettre carré de générosité et de désespérance. On habite à trois. Estelle, le vin d’Estelle et moi. Les surfaces sont mal réparties. Le vin et sa parole ont pris toute la place. Estelle n’est plus là. Plus très souvent. Ne pas faire de bruit. Deux pièces, pour moi c’est important. Deux pièces. Dans la première une cuisine et une banquette. C’est là que je dors. Dans un sac de couchage. Trop petit pour ouvrir la banquette. Le sac c’est pratique. Dans la deuxième la chambre d’Estelle et un petit bureau. Sur le bureau j’ai mis mon ordinateur portable. Mais c’est la chambre d’Estelle. Ici c’est tout petit. Comme dans ma vie. C’est tout petit et surchargé d’objets. Sur les murs, sur les étagères, des objets qui s’empilent les uns dans les autres, qui se touchent les uns les autres. Comme des grains de sable. Ici, il faut être précis dans ses gestes, parce qu’on vite fait de renverser, de faire tomber, de déranger. Je ne sais pas si je dérange Estelle. Si, certainement. Je dérange certainement le vin d’Estelle. A trois, c’est encore plus petit. Chaque soir il est là. Il trône. Il occupe l’espace, le temps, il coule comme un déluge, comme une catastrophe, comme une tragédie. Essayer de parler, d’aider, de dire. Impossible. Pourtant je connais bien le langage du vin. Il a failli avoir ma peau. Et je l’ai vu sur la face ravagée de mon père. Père de vin, grimace de haine obscure. Parole d’effondrement, d’écroulement. Je le connais bien, le vin. Et me revoilà en face de lui. Egal à lui-même. Tristesse. Déferlement pathétique. Je regarde. Je me tais. Pourtant je lui ai déjà parlé à Estelle. Pour qu’elle entende. Pour qu’elle se sauve. Pour qu’elle arrête. Elle m’écoute avec l’oreille de l’amitié, et puis le lendemain tout est oublié. La bouteille est cachée. Pas très loin. Dans l’ombre d’une étagère. Aujourd’hui, j’ai été récupérer l’adresse d’un alcoologue dans le quartier. Je lui ai dis que si elle voulait, je pourrai l’accompagner. Mais, je sais que c’est inutile. Elle n’entend rien. Elle n’est plus là.

Hier, tout c’est passé en silence. J’avais le cœur pris dans un étau. Elle titubait. Butait, dans tous ses objets. Les objets moqueurs tombaient. Elle se raccrochait au vide qui l’entourait. Impossible à vivre. J’étais envahie de compassion inutile, et de colère inutile. Cette colère que j’ai gardée des cendres de mon père. Elle titubait. Même ses mots ne sortaient plus. Ils n’arrivaient pas à se dégager de la pâte collante d’où ils essayaient de sortir. Mots décomposés, en dehors de tout langage, de tout sens. Ecroulée sur la table, toussant, hoquetant, reniflant, pleurant. Et la tête qu’elle ne tient plus, qui se balance de droite à gauche. " Estelle.. Allez vous reposer…. " Entêtement du vin. Estelle s’accroche à des habitudes. Presque minuit, c’est l’heure de nettoyer la cuisine, les plaques chauffantes. Les nettoyer en détail. Cent fois passer l’éponge au même endroit. Tous les deux on est dans le silence. Il faudrait qu’elle s’arrête. Mais elle continue. Jusqu’au bout. Elle titube. Le verre se brise. La cigarette tombe. " Estelle…. S’il vous plait allez vous reposer… posez cette éponge… " Mais rien n’est fini, rien n’est assez propre. Les objets autour d’elle s’affolent. Ils volent, ils tombent. Je voudrais ne pas être là. Pourtant c’est bien là que je suis. En face d’un déluge. Ou d’une tempête de sable.

" Je sais ce que pensez….. " " Non, Estelle vous ne savez pas…. " Vous ne savez pas la dérision des instants qui se succèdent dans une vie. Vous verriez mes abîmes…. Elle a posé l’éponge. Elle s’est assise sur le banc. A coté de la banquette ou je suis empaqueté dans mon désordre. Je lis. Non, je fais semblant de lire. Je voudrais être seul. Moi aussi je voudrais mourir un peu. Ses yeux se ferment. Le coude glisse. On pourrait en rire si ce n’était pas une désespérance. C’est tout petit. Elle est là, posée à coté de moi. Je voudrais m’enfuir. Pas un mot ne peut être échangé. Je ne peux plus parler. Cela fait longtemps que je ne parle plus au vin. Le temps s’est étiré. Rien n’avance. Tout est figé dans cet accablement.

Il est tard, il est tôt. Elle se lève et s’effondre sur son lit. Il faut imaginer le corps qui refuse d’aller plus loin. Le corps qui coupe tout. L’écroulement des os sur la chair sans résistance.

Les jours passent et n’en ai pas encore fini de ma vie. Alors, entre deux vies il faut inventer. La mort nous oblige souvent à inventer. Mais dans la mort, dans l’entre deux, il reste des traces. Des traces d’avant. La mémoire ne nous laisse jamais en paix.
Ou revenir à la simplicité du sable, à l’écriture du sable. Est-ce possible ? Je ne sais plus vraiment. Une écriture identique est toujours renouvelée, vaste comme un océan. Solide et fluide et coulant, et portant. Poussière et mer. Une et innombrable.

Empaqueté dans mon sac, je suis transpercé par des déserts. Les anges me manquent. Ils ne passent plus dans ces paysages de dévastation. La nostalgie, c’est ce qui permet de remonter le temps, de nouer le présent avec le passé. De les nouer avec les fils de la perte et du manque. Oui, mes anges me manquent.

Ecriture de sable. Dépeuplée mais traversé de louanges. Dénudée, lente et minérale. Ecriture de sable où trébucher fait surgir d’autres créations. Ecriture du lieu élémental, archaïque. Le premier, donc le dernier. Donc le seul. Lieu limite, juste posé entre soi et la mort.
Mes nuages ne sont plus assez hauts. Trop proche des fumées d’usines. Même les anges les ont désertés.
Nous ne sommes que pure perte, croire le contraire nous rassure. Mais nous ne sommes que pure perte.

Franck.

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25 octobre 2005

Prudence peut-être avec la petite fille.......

Il nous arrivait de faire quelques sorties. Souvent pendant ce mois précis de l'année. Où les Chemins de Croix étaient si beaux que cela résonnait face à ma toute jeune conscience de la foi, peut-être qu'il s'agissait bien de ça, la foi, appeler lorsqu'on avait besoin d'aide. Je trouvais ces endroits si beaux avant. Mais l'aide humaine n'était jamais à la hauteur contrairement à l'offense. La folie l'habitait déjà à l'époque, les folies les habitaient déjà à l'époque. Mettons ça sur le compte du pluriel. Ce n'était pas une étoile tombée du ciel, ce n'était pas une image, c'était un bloc, un gros rocher noir de plusieurs kilomètres de diamètres qui, tel l'aigle noir de Barbara, s'est écrasé dans la mer. Et les dégâts ont été considérables pour la planète. Qui avait besoin d'aide. La conscience de la foi était peut-être déjà en moi. Peut-être que j'étais déjà une meurtrière en puissance d'un Frère Roger quelconque. Il nous arrivait de sortir dans les chemins, en ville, et les marchés, où ça crie, les femmes un peu populaire, voire carrément hurlaient à qui voulait les entendre qu'elles vendaient les meilleurs poissons, les meilleures volailles, les meilleurs chaussettes. Des sous-marques disait sa femme, en noir souvent, pas musulmane mais la tête recouverte. Que tes cheveux sont jolis, il devait lui dire la nuit, lorsqu'elle lui refusait un rapport sexuel. Parce que...Parce qu'elle ne savait pas trop, elle n'avait pas envie. Peut-être qu'elle savait qu'il aimait les enfants. Toujours est-il que la folie était déjà en moi avant ce beau jour ou peut-être cette nuit. Elle arpentait le marché populaire d'un oeil humide cette femme, elle ressemblait à une ombre et elle me révulsait, c'était viscéral et je n'essayais pas de lui faire ressentir parce que ça n'avait aucune importance et parce que je ne voulais pas blesser les autres, même ceux qui me dégoûtaient. Elle lui refusait parce qu'elle l'aimait trop peut-être / Dans un petit restaurant en face du cinéma Denis m'a dit que de me rendre heureuse c'était le challenge qu'il s'était fixé et j'ai eu des pensées cyniques à son égard, en me disant que le pauvre ne savait pas vraiment de quoi il parlait. La folie humaine. Une folie à deux ? Deux salles, dont la deuxième diffusait des films improbables de séries Z me tentait bien, il faisait chaud, elle était climatisée. J'avais envie de l'embrasser et de lui dire de partir. De partir. Les folles qui sont des Hommes ne savent pas vraiment ce qu'elles veulent, comme si les couples unis, avec enfants et maris savaient ce qu'était l'amour. Apparemment, oui, ils savent. Des étoiles ? Non, des étoiles sont des étoiles. Et des blocs qui tombent du ciel sont des blocs qui tombent du ciel. C'est évident. Il paraît qu'il y a une forte demande en ce qui concerne la rêverie des fées, la vie réelle est de plus en plus dure, il paraît / Nous étions dans le temps de l'amour, et nous caressions nos corps de nos voix les plus intimes. Je lui racontais la blessure à l'intérieur, et il me racontait son âge. Car il avait la cinquantaine. Et j'avais à peine vingt-et-un an. Il était cultivé. Il était charmant, et il avait même un charisme puissant. L'amour avait une couleur pourpre, même les fleurs ont besoin de musique pour vivre, tout ce qui vivait à cette époque avait besoin d'amour. Et Edgar avait des airs d'Al Capone. Cependant je l'aimais. Il était doux, attentionné, patient. Il avait peur pendant l'amour, il résistait, sans vraiment résister mais ça revenait tout de même au fait qu'il ne savait pas bien se positionner par rapport à la jeunesse de ma personne toute entière. Sa jouissance était cachée à lui-même et à moi-même pour la simple et stupéfiante raison qu'il tenait absolument à me faire jouir tout en s'oubliant. Il existe encore à notre époque des femmes de ce genre, avant certainement beaucoup plus, elles avaient le pouvoir de renverser des rois mais attendaient que leur mari fasse ce qu'il avait à faire et puis dormaient dans l'ennui de leur vie. Une vie de Maupassant. Il était un homme comme ça, il effaçait sa jouissance comme si ça effaçait son âge et il se sentait trop vieux pour elle et pour moi. / Il lui arrivait de déposer sa pudeur au fond de l'église et ressortait vêtue de simples terreurs camouflées et ténèbreuses, presque de l'ordre de la Charogne pourrissant dans les cimetières, ceux que vous aimiez tant et qui dansent avec les ancêtres sous la forme de sacs d'os. De fines sandalettes, une jupe longue sur la peau Crépuscule de ses jambes, un chemisier blanc sur sa poitrine nue, sans maquillage, sans bijoux, ça ne lui avait même jamais trotté par la tête, avant, elle a dû, c'est vrai, ensuite, apprendre à les aimer ces broques parce qu'elle avait un métier où elle devait, comme une hôtesse d'accueil dans une bijouterie, être avenante avec les clients. Comme dans une bijouterie. Pendant ce temps-là, la convoitise, elle s'en rendait compte, mettait le monde à l'envers. Elle était dans un non-temps absolu, de toute puissance et cette puissance était froide car elle venait des glaces de l'enfer. En pleine saison des brûlures, elle pleurait d'une manière théâtrale sur scène. Elle était belle, le beau chemin de croix lui disait qu'elle était belle, dans la glace éternelle, et reflétait quelque chose de terrible et de sombre à la fois. Intérieurement, elle ressemblait à une sorcière, encore et toujours, de plus, on lui disait d'aller se faire interner, on voulait la mettre de côté, elle et les gens comme elle, car elle devait produire des effets qu'elle ne comprenait pas bien elle-même, la convoitise foutait le monde en l'air. On lui disait de la fermer, elle devait dire quelque chose d'important et en effet ça l'était. / Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe et souriait en tenant sa petite voisine par les bras, la faisant tourner avec elle. Lorsqu'il arrivait, prêt à travailler la terre car il était paysan, elle arrêtait, et disait discrètement à la petite de partir. Elle ne voulait pas qu'il pénètre la petite, en plus d'elle. La parole dans la gorge, renfoncée, son oncle lui avait dit une fois : tu ne diras rien. Comme si c'était dans le Beau Chemin de Croix, et comme si c'était la voix de Dieu. Elle essayait d'aimer Denis ou un autre homme merveilleux mais bon, à son travail on avait découvert récemment une chose stupéfiante et très très dangereuse : elle écrivait sur des gens réels ce qu'elle avait entendu de leurs bouches et vus de leurs actes. Ils ne toléraient pas la liberté qu'elle s'octroyait avec les codes des rapports humains qui pour la plupart, baignaient tous dans une onde de mensonge qui devait être très ancienne comme le mal de Dieu pour réussir à drainer autant de monde de nos jours encore. Intérieurement, elle pleurait bien sûr, mais sans avoir envie qu'on la console, ni qu'on l'emmerde d'ailleurs. Alors pour aller mieux, elle écoutait la musique idiote du groupe R.E.M, rapid eyes movement, la phase de rêve active pendant votre sommeil. / Il venait poser sa tête au creux de mon cou comme si mère nature était tombée d'accord avec les pharaons d'Egypte et les gens du Pas-du-Calais, les ch'tis, beaucoup d'inceste là-bas et d'alcoolisme, beaucoup aussi. L'androgyne était une guerre à lui tout seul, et son corps de fille blessé avait enfanté d'une âme sans sexe, l'androgyne devait peut-être mourir, les animaux sentent, le sentent, comme les tremblements de terre, à l'avance, et les sirènes sonnent, et Denis partait sans que ma tristesse ne m'accable, j'aurais dû me sentir vide, mais non, son départ était son départ et je ne me sentais pas vide qu'il m'abandonne, au contraire, j'étais comme heureuse, soudain, de retrouver ma solitude qui s'appelle écriture. Je couche avec elle. Je la suce, et souvent maintenant, c'est elle, de plus en plus, elle me suce. Elle est belle, Ecriture. C'est quelqu'un de bien. Avec elle, la liberté ne me fait plus sentir vide. Ou en tout cas, la chose est plus supportable. C'est quelque chose de douloureux mais c'est un amour qui est éternel, pour ceux qui savent ce que veut dire le mot éternel, je pense que ce n'est pas sur vos terres que la réponse va être positive. / Des regards qui s'échangent sans que je m'en sente bouleversée, des peaux qui se frottent simplement pour sentir tout ce sang retenu depuis des années, plus définitivement dans un dessein qui m'échappe encore totalement, mais qui peut prétendre être le porte-parole de l'amour, et de la parole de Dieu, j'ai vu ce qu'était ce Beau Chemin de Croix et j'ai vu vos Maisons à l'extérieur, et je vois ce qu'elles sont à l'intérieur et je les vois encore, et je les verrai encore jusqu'à mon décès, proche je le sens, et c'est mon don, en quelque sorte, c'est aussi ma malédiction. Qui peut prétendre que le temps était rouge, et que le temps était à l'inaugurations des histoires qui se finissent, et de l'intime qui s'offre, des amours débarassées de toutes graisses imparfaites ? / Je tournais sur moi-même avec ma longue jupe dans laquelle, si j'en avais ressenti le besoin, cet après-midi là de bonne humeur et de soleil, j'aurais pu cacher le corps d'une petite fille entre mes longues jambes de gazelle.

Les lionnes attendent avant de passer à table.

Prudence peut-être avec cette petite fille jetable.

ANGELINE

23 octobre 2005

Simple et vacillante......

Il nous arrivait de faire quelques sorties. Rarement. Elle se trouvait bien dans notre petite maison au milieu des champs, entre nulle part et le désert des humains. De loin cette maison semblait flotter au-dessus de la verdure des prés. La nuit, lorsque les lumières étaient allumées, elle donnait une impression étrange. Une lueur sortie du vide. Une étoile tombée du ciel.

Un petit restaurant où nous avions nos habitudes, en face, le cinéma. Deux salles, dont la deuxième diffusait des films improbables de séries B. Nous étions dans le temps de l’amour, et nous caressions nos corps du bout de l’âme. L’amour avait la couleur d’un vitrail inondé de soleil. Et Isabelle avait des airs de madone. Pourtant, elle vivait la chair de façon ambiguë, en résistant, sans vraiment résister. Sa jouissance lui paraissait toujours un peu suspecte, un peu effrayante. Pourtant elle s’y abandonnait avec délices, avec la même foi qu’elle mettait dans ses prières. Il lui arrivait de déposer sa pudeur au fond de l’église et ressortait vêtue de simples désirs transparents et sensuels, presque charnels. De fines sandalettes, une courte jupe sur la peau blanche de ses jambes, un tee-shirt sur sa poitrine nue, un peu de rose sur les lèvres, un peu de noir aux yeux soulignant son regard brillant de Lilith improvisée. Elle était dans son temps de toute puissance. En pleine saison des brûlures. Elle était belle, dans son impudeur, et reflétait quelque chose de maladroit et d’insolent à la fois. Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe et riait de monter sa culotte. Elle rougissait et venait poser sa tête au creux de mon cou. C’était le temps des amours éternels. Des regards qui s’échangent hors du temps, des peaux qui se frottent simplement pour se sentir exister plus fort, plus définitivement. C’était le temps rouge, le temps des odeurs d’épices, et de la nudité qui s’offre, des baisers humides. Elle tournait sur elle-même faisant voler sa jupe haut sur ses cuisses, dans l’insouciance de son rire, dans l’évidence de la lumière qui lui refusait l’ombre, de crainte d’assombrir, ne serait-ce qu’un instant, l’éclat de ses vingt ans.

Nous avions nos habitudes dans le petit restaurant. La table au fond, dans l’angle de la banquette. Ses yeux brillaient, débordant de malices, et nos mains se serraient pour s’assurer de l’autre, et de son infinie présence. Indéfectible présence. Soirée d’été et d’étoffes moites. Sous la table ma main caressait sa cuisse. Soirée chaleur, soirée touffeur, soirée de fièvre. Ma main sur sa cuisse. Ma main brûlait. Toi qui riais. Chair offerte, chair ouverte à peine cachée par la nappe. La conversation qui s’effiloche, les mots qui se séparent, les phrases qui s’épuisent de ne rien vouloir dire. Mots décousus, chairs décousues. Et ma main au bord de ton intime. Terre de feu. Ma main sur la bouche mystique de ton ventre qui s’ouvre, et de tes cuisses qui s’écartent. Grappe juteuse. Chair juteuse d’une flamme pressée comme une orange sanguine. Temps d’été. Temps des amants, des gestes indécents, à peine cachés. Et tes joues rouge sang et mes doigts jouant entre tes plis secrets, entre tes peaux mêlées, avides et déjà imprégnée des plaisirs à venir. Mes doigts sur les paupières du ventre, sur l’œil de ton ventre. Sur la bouche de ton ventre. Bouche muette, bijou sanglant, pétales de chairs mouillées par les rosées crépusculaires. Mes doigts au centre de tes chairs nocturnes et bourdonnantes où scintille un brasier d’odeurs océaniques blanchies de désirs. Un désir que mes doigts dénouent en tirant sur les fils de lune et d’or qui le retienne. Bouche muette et gourmande, qui dévore mes doigts, les mâche avec douceur et profondeur, les aspire. Salade de chairs de fruits sauvages. Satin cramoisi. Le rubis électrique de ton ventre vibre et frisonne comme la corde de l’arbalète tendue, bouton de fleur qui attire et respire des arcs-en-ciel entiers. Diapason donnant sans retenue le " là " de nos effleurements. Cela pourrait durer des heures. Ta jupe est remontée sur ton ventre, ta culotte sur tes genoux. Pénombre du lieu. Gestes obscures. Tortillement. Nos corps s’agitent dans des poses instables. C’est du feu. Et tu jètes des regards affolés pour voir si l’on te voit. Tu t’accroches à la crinière d’un songe interminable. Ma main se tord pour fouiller ton onde vibrante, pour trouver un salut, une issue. Eau bénite de ta source qui lave mes péchés. Seuil des terres d’asile. Tes jambes sont écartées et tu pousses ton ventre. Ton eau sent l’amour jusque dans nos assiettes. Et ta main presse la mienne. Et ta main force la mienne. Plus loin, plus fort, plus désespéré, au bout des chairs de silence et d’écume. Oui, au bout.
Quelles sont loin les prières, les églises. A moins que nous soyons au centre de l’offrande. A moins que ça soit cela, les vraies prières. Peut-être que ton ventre offert est une église. Folle Isabelle. J’aime ta folie. Parce qu’elle est douce comme les premières brises de printemps, douce et insensée comme les sauts de vents dans les peupliers. Oui, tu es une église et je joue sur l’harmonium de tes chairs, croches, doubles croches et jusqu’au point d’orgue. En amour un silence vaut un soupir. Puisque le temps n’existe plus.

Il y avait peu de monde ce soir là. Et personne n’a remarque nos jeux sous la nappe. Enfin, je crois. Quand tu m’as offert ta jouissance j’ai cru assister à un envol de milliers d’oiseaux. Tu t’es caché dans ta serviette, et ton ventre s’est serré. Tes cuisses ont pressé jusqu’à la dernière goutte l’instant vermillon. Ta jouissance était belle, parce qu’elle était dérobée aux anges, aux dieux, elle était belle parce qu’elle avait le goût de pomme. Dans l’hémorragie de ravissements, j’ai reçu cette part rare, que l’on reconnaît qu’après avoir traverser mille vies. La part de joie. La part des anges.

Isabelle sans jupon, tournant dans le soleil avec aux joues le rouge de sa honte gourmande. Isabelle, au goût d’orange sanguine. Isabelle impudique et ouverte, transfusant ses tentations sucrées dans mon sang noirci. Isabelle, comme un territoire de mystères, de landes et de bruyères et de vents qui apportent les folies et les prières. Certains jours mes nuages recomposent ses formes et dans le bleu du ciel je peux voir flotter sa jupe polissonne sur ses cuisses de soleil.

C’était le temps des coupes pleines que par insouciance on pouvait renverser. Bien sûr cette nuit se poursuivi, mais l’essentiel est là. Dans l’instant arraché.
C’était le temps des coupes pleines. Aujourd’hui c’est le temps creux des sécheresses, et les brûlures qui viennent sont inguérissables.

J’ai un goût de violon dans la bouche.
L’entendez-vous ?
Il vient de si loin, il s’est épuisé à traverser les temps, les orages, les absences, les déraisons, les abandons, les cassures, les brisures, les déserts, les solitudes, les abattements, les exaltations, les passions, les espoirs. Il a tout traversé, et il surnage, et il survit, et il s’essouffle. L’entendez-vous sous les cendres ? L’entendez-vous sous les feuilles qui tombent des arbres dans les aurores automnales ? L’entendez-vous sous les mots qui s’échappent encore de moi ? Dite-moi que vous l’entendez, ce violon. Dites-le-moi…
Je ne suis pas une âme calleuse qui cherche l’absolution au fond des abbayes. Je suis une âme perdue qui hante et erre, la nuit.
Et qui pleure ; pas assez.
Et qui prie ; pas assez.
Une âme simple et vacillante.

Franck

22 octobre 2005

Par où s'écoule ce qui me reste......

Puisque c’est sans fin…..

J’ai reçu le monde dans un enchevêtrement absolu. Définitif. Une confusion, un désordre. En fait, je n’ai pas été invité le jour de ma naissance. Ce jour là je n’étais pas là. Ailleurs. Déjà. Ils ont fait un paquet à mon attention, qu’ils ont déposé dans l’endroit transpercé de la vie. L’endroit ouvert à tous les vents. Ils l’ont laissé là, en attendant que je passe le prendre.
Et j’ai du oublier de passer. Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses.

Alors c’est sans fin, puisqu’il n’y a pas de lieu.

On vous plante l’enfance avec des clous. Comme le grand crucifié. Lui, le père, il n’aimait pas les enfants, pas plus le sien que ceux des autres. Elle, la mère était dans la déraison de son amour effondré. Ses vingt ans sont tombés sur le sol comme un sac de billes qui se déchire. Alors elle s’est absentée de sa parole, de ses gestes, de sa lumière, elle est devenue sa femme. Jamais ma mère. Elle lui a donné son temps, sa peau, ses cuisses, son ventre, mais son âme d’oiseau s’était déjà envolée. C’est une tragédie miniature. Tous les jours cela se passe ainsi. Une tragédie insignifiante. Une goutte d’eau qui s’éclate un rayon de soleil. Quelques éclaboussures de lumière, et puis, plus rien. Elle aussi, n’était pas là le jour de ma naissance. Personne. On ne peut pas habiter un lieu où il n’y a personne.

On vous plante l’enfance dans le sang, avec des clous. Des clous de silence. Les plus longs, les plus pointus. Ils rentrent facilement dans la chair de l’enfance ces clous là.

Car ils brassaient du silence. Les mots tombaient comme un verre qui se brise. Et les bords coupant des mots blessaient tous les rires, tous les élans. La moindre joie se tranchait la gorge sur les morceaux coupant des mots tombés, des mots brisés.

Dès qu’on marche, on apprend à passer de pièce en pièce dans la plus grande transparence et à déposer de temps à autre sa misère sur le sol. On jette des cubes ou des osselets, on ouvre un livre cent fois ouvert, on apprend à user chaque chose, chaque instant, chaque saison, on apprend l’attente vaine. Et les nuages défilent, se font, se défont, au gré des vagues grises d’ennui, qui se déversent au creux des jours sans fin, où le silence règne en maître absolu.

Voilà, j’ai été condamné à rêver. A rêvasser, même. J’ai collé ma face d’enfance sur la vitre du monde et la buée de mon souffle à envahie mon horizon. Comme un brouillard entre le monde et moi. Un brouillard sur lequel mon petit doigt dessinait des formes absurdes, des signes cabalistiques, qui me permettaient de glisser, sans trop d’encombre, sous la surface âpre et rugueuse des heures.

Aujourd’hui encore, puisqu’il n’y a pas de fin.

Tous mes mots sont en vracs, posés là. Je voudrais m’endormir dessus. Je voudrais qu’ils soient comme un tapis dansant, un matelas de paroles douces et aimantes. Je voudrais qu’ils s’ordonnent dans le sens de mon rêve. Changer de tristesse. Changer de ciel. Les prendre un par un. Toujours les même mots. Les regarder à nouveau. Les essayer dans une parole. Les passer à la lumière du jour. Voir leurs reflets. Kaléidoscope de mémoire. Cendres. Parole en cendres noires. Scories des heures perdues. Des mots en formes de reste.

Je les prends, je le reprends, les pèse, les soupèse. J’en cherche le centre de gravité. Je les mets dans ma bouche, pour en goûter l’amertume, l’acidité. Les peser, c’est bien là la question. Dire le bien, dire le mal ou ne rien dire. Ou redire, sans cesse. Les paroles du Bien n’ont pas de poids dans la balance. Sauf les gestes arrachés, dénudés, dépouillés. Le mal est lourd et compact. Lui, il pèse. On cherche un instant de paix. Un seul instant. Mais l’on se noie dans la lenteur orgueilleuse des océans. Les grands édifices de l’espérance, drapés dans leurs manteaux solennels, sont à l’agonie et brûlent sur l’autel pétrifié de nos cœurs. Rien, rien ne tient, même la chair humide des femmes n’adoucit plus l’absence, ni le désordre des mots. Ni le bien, ni le mal qui ronge. Ni l’oubli.

Il reste la grâce, qu’on confond souvent avec la lumière. Pour aujourd’hui il reste la grâce. La grâce, c’est marcher sur le fil des mots avec une ombrelle rouge. C’est se couper la langue et boire son sang après chaque mensonge, la grâce c’est écrire dans la neige pour l’éternité, c’est tracer dans le sable le visage de l’amoureuse, ou celui de dieu, c’est le corps joyeux du papillon jouant dans les corolles transparentes du vent. La grâce c’est avoir le cœur percé, comme il existe des paniers percés. Le cœur percé qui laisse s’écouler nos offrandes. Pour ne rien garder. Rien.

Celle-là, portait la grâce comme un diadème de feu.

Je lui ai dis : Dieu sourit quand on lui désobéit avec le cœur pur, il sourit. Comme lorsqu'il surveille les enfants. Le désir pur, du cœur et du corps est une aubaine pour lui, il ne se nourrit que de cela. Sois heureuse de ton désir. Offre ton corps à ton bien aimé, fait lui ce beau cadeau d'être une femme amoureuse, langoureuse. On reçoit par le cœur, mais par nos chairs aussi. Elles s'épanouissent et s'ouvrent comme des fleurs pour qu'on les respire. Dieu sourit parce que c'est le temps des amours purs, le corps se vide de nos maux inutiles, du vacarme de nos paroles vaines pour faire une large place. Aussi large qu’un ciel étoilé.

Je lui ai dis ces paroles de sable et de nuages, qui ne sont que des murmures que j'égraine comme un chapelet.

Je n’ai jamais été là. Même aujourd’hui. Il aurait fallu me faire naître. Au moins une fois. A la place j’ai erré dans des limbes opaques et ténébreuses. Des silences cloués sur le corps, par où s’écoule ce qui me reste.

Franck

16 octobre 2005

Du ciel, je vous dis...!

On a tous des enfances blessées, des adolescences trouées, des vies chaotiques, décousues, disloquées. Pour la plus part d’entre nous. Cette semaine, dans le métro. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Ce n’est pas le cœur qui bat. Plutôt nos chairs qui viennent cogner contre la vitre du monde. Là, dans les secousses du wagon. Je vois mon reflet dans la vitre du monde. Entre deux stations. Dans ces tunnels à répétition. Je vois trop de gens en ce moment. Des foules. Des visages. Des centaines, des milliers. On regarde et on ne voit rien. Personne, sinon son propre reflet dans la vitre, entre les stations. Image de soi, transparente. Presque rien. En fait, rien. Un rien qui glisse dans la lumière des jours. Des riens qui se heurtent à l’épaisseur de nos néants. Elle a le regard froid, dur, fermé, lui est trop raide dans son costume froissé, celle-ci bouge la tête avec son baladeur sur les oreilles, l’autre est pressé, celle-ci s’est trop parfumée, lui s’endort, l’autre lit le journal à coté de celle qui lit un roman d’amour, lui est assis sur sa valise, ils sont de toutes les couleurs, blancs, jaunes, noirs, bruns. De toutes les couleurs et pourtant le même silence. L’absence est de toutes les races. L’exil à la même saveur amère. Eux, sont ensemble et se taisent, lui, regarde la jeune fille, l’autre se croit déjà au bureau, celle-là est encore dans son lit. Toutes ces faces absentes qui ne disent rien. Puisque se taire est la règle. Puisque rien, est la règle. Celle-ci révise ses cours, lui relit son rapport, l’autre lève les yeux au ciel cherchant un prince hypothétique, lui regarde ses pieds. Toute une humanité en marche. En transit. En absence. Les regards se cherchent pour mieux se fuir. Ne pas e voir. Ne pas se reconnaître. Comme si nous étions honteux, d’être ici, d’être ensemble, là. Celui-ci entre et débite son message à haute voix, presque dans un seul souffle, presque dans un cri. Pour s’en débarrasser, du message, de la honte, de la notre. L’autre a une guitare et des paroles de dérisions, sur sa vie, sur la notre, il fait vite pour passer ensuite dans l’autre wagon. Il a des trous dans le vacarme. Pas des silences. Des trous.

Et au plafond tous les rêves collés. Ca fait comme une pellicule de sang brun. Ca fait comme un grand chagrin. Sans forme, sans odeur, sans bruit. Quelque chose s’acharne, insiste, ponctue, scande, martèle, quelque chose bat la mesure. Presque huit jours sans écrire. Sinon des notes. Quelques mots arrachés ici ou là. Le wagon secoue les chairs, les os. Presque huit jours sans écrire. Avec du manque et de l’épuisement Pas de la souffrance. Du manque, seulement. Ma bulle résiste et ça fait comme un trouble. Une sensation étrange. Comme si je repartais de rien, et cette idée me convient. Repartir, c’est ne jamais arriver. C’est puéril. Entre deux stations. Et mon reflet dans la vitre, un reflet qui ne me dit rien. Ici ou là j’ai lu dans les blogs des désarrois d’écritures. Des blogs en suspends, certains qui reprennent, d’autres qui se posent, se reposent, d’autres encore qui voudraient arrêter. Lieu mouvant d’écriture. Lieux émouvant d’écriture. Petites maisons de douleur et de joie. Quotidien des souffrances et des espérances ponctuées par des mots, des petits paquets de mots lancés dans la mer, derrière l’écran. Expiation dérisoire. Exorcisme vain. Des mots cent fois usés, cent fois jetés. Dans la vitre il y a mon reflet, et pas de mots. Je suis dans un lieu sans parole sans langage. Sinon celui des corps muets. U espace sans issue. Même ma rêverie est plombée, noircie. Les portes s’ouvrent, il y a ceux qui descendent, et ceux qui montent. Comme dans la vie. Se croiser et ne rien dire. Surtout ne rien dire. Se croiser dans nos peurs, nos délires. Se serrer dans ce cortège d’ombres errantes. Grand écoulement d’humanité en marche vers où ? Grand flot inassouvi. Il n’y a pas de fin, dans ces faces effarées, belles ou moches, ou maquillées, ou apprêtées, ou banales. Faces posées dans le repli et la distance de ces mondes clos. Celle-là a les yeux rougis par des larmes, et ces deux là qui se bécotent, leurs bouchent qui se cherchent dans les secousses du wagon. Foule serrée, vidée. Foule sans colère, sans haine, seulement épuisée d’elle-même. Las d’elle-même. Foule serrée dans ses humeurs. Sans rage. Et sans espoir, et sans révolte. Seulement secouée en cadence, penchée du même coté du virage, cramponnée à la même barre, vidée de la même vie. Bruit des roues sur les aiguillages, qui n’aiguillent vers aucune destination, sinon celle du soir, de retour, de l’éternel retour à la même place. A la même vie.

Ses paquets sont encombrants et lui, tient bêtement son bouquet de fleurs. Mains qui se touchent et s’excusent de se toucher, corps dandinés, ballottés, regards chaussures, regards plafonds, regards fenêtres. Vies de pluies et d’imperméables. Agitation silencieuse et pressée. Aller vite, surtout vite. Les portes s’ouvrent. Courir. S’échapper vite au plus loin. Et ne jamais se retourner sur cette désespérance. Courir vers d’autres accablements, d’autres battements, d’autres affaissements. Au bout des couloirs il y a toujours des wagons qui attendent les âmes ombreuses qui embarquent comme sur la barge de Charon, sans mémoire, sans demain. Et pour ponctuer la dérision ce violon qui jouait Brahms, un solo du concerto pour violon. La musique résonnait sous la voûte des couloirs. Un morceau qui m’arrache des frissons à chaque fois que l’entends. Musique du ciel. Du ciel, je vous dis ! ! C’est un monde ou les larmes n’existent pas. Pourtant ce violon, qui parlait du ciel au fond de ces catacombes. Du ciel, je vous dis ! !

Franck

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7 octobre 2005

Allures......

L’image de l’homme à cheval. Comme la métaphore de l’écriture.
J’ai galopé dans mes mots. J’ai eu ces moments d’ivresse que la parole écrite suscite quand elle s’affranchit de la pesanteur, quand l’air de la langue vient fouetter l’intérieur du corps. C’est vrai qu’il y a quelque chose de grisant dans le déferlement en cascade de cette parole éprise de sa liberté, de son mouvement naturel. On ouvre les portes et on se lance dans ce galop échevelé. L’air vient faire comme une musique à l’oreille du cœur, les parfums sortent des mots comme des fleurs qui éclosent, fruités, musqués, poivrés, printaniers, capiteux, tout ensemble. Dans ses galops la phrase traverse la lumière comme rayon en surcroît, trajectoire de reflets de lueurs, comme si l’encre incendiait le blanc de la page, comme si derrière le blanc il y avait des étendues infinies à conquérir. Oui, j’ai connu la cavalcade des mots dans le désordre de l’âme, l’exaltation et le vertige des sons, des musiques. Tout est là, tout est dit. Les mots écument, soufflent, crinière au vent, et à chaque foulée on sent dans le corps le mouvement de balancier de la course, le bercement vigoureux de l’échappée libre, de l’échappée belle. Oui, il m’est arrivé d’être dans le galop de mes mots, d’en sentir la puissance dans mes muscles et de pousser la vitesse jusqu’à l’emballement, au-delà de la chevauchée pour aller plus vite encore, pour s’envoler, extase frénétique du lyrisme, comme si la vitesse créait un envoûtement. Le soleil bien en face. Comme un point de fusion, et le galop des mots droit dedans. Droit dans cette jouissance cavalière.

Le plus souvent j’ai connu l’allure plus chaotique du trot. Où l’équilibre de la parole vacille. Epuise. Le corps de la langue devient lourd, maladroit. Chaque mot cherche l’autre mot auquel il veut se raccrocher. On est dans un temps saccadé. Secoué. Toujours au bord d’une chute. Impossible allure. Douloureuse allure, qui tire sur les muscles. Chaque pas sauté tasse un peu plus l’âme et le cœur sur les os du dos, du ventre. Les gestes sont moins sûrs, et l’horizon disparaît. C’est une écriture cassée, essoufflée, périlleuse, usante, harassante. La langue nous secoue comme l’animal, l’animal en soi, l’animal qui tremble entre vos jambes. Ecriture de labeur, de doute, de chancellement. La plume se raccroche à la page, qu’il faut creuser, buriner, tarauder. On sent le malaise d’être instable dans ses mots. Sans tenue. Ballotté. Il y a dans l’écriture du trot quelque chose d’intenable. D’irréel. De funambule fou qui aurait perdu son balancier. Pour le cheval, le trot, n’est pas une véritable allure. C’est une allure de transition. Dans la nature les chevaux ne trottent pas. L’écriture du trot n’est pas une véritable écriture, elle vient seulement user la chair. L’encre bouillonne, et laisse de grosses taches d’inachevé dans la parole offerte, dans la parole écrasée. Et c’est de cet écrasement dont il faut ressortir. C’est là, dans l’impossible tenue qu’il faut chercher son centre. C’est là, quand les forces s’épuisent, qui faut tenir l’animal. Mieux, encore, c’est surtout là, qu’il ne faut pas le blesser, avec des coups de mains sur les rennes. C’est qu’il faut ne pas casser les dents de la monture par des gestes brutaux. C’est juste là, dans ce désordre qu’il faut trouver le reste de stabilité, et l’aplomb des mots. Sentir leur poids et ne pas chuter. Ecriture de chaos, de douleur. Apprendre à lâcher, quand l’instinct dicte à tous vos muscles de se crisper, de se raidir. Oui, je la connais bien cette écriture du trot, quand les mots s’écoulent de vos doigts gourds, comme l’eau d’une source d’eau trop pure. Je connais bien ces brûlures du muscle du cœur qui pompe du vide pour s’extraire du néant. Enlever les étriers, rajouter de l’instable au déséquilibre, accepter de perdre. De se perdre. Sans lumière et sans gloire. Sans soleil à traverser. Sans ciel à conquérir. Mot après mot, arraché à l’effondrement du corps, arraché au silence.

Il est une autre allure de l’écriture, celle du pas. Du pas, droit et digne. Serein. Marcher " droit " en équitation est un acte plus compliqué qu’il n’y paraît. C’est une allure complexe, qui n’a rien à voir avec le relâchement ou la promenade. Marcher droit, c’est marcher juste. Il faut que les postérieurs du cheval viennent se superposer à l’empreinte laissée par les antérieurs. Ni trop avant, ni trop après. Ni à droite, ni à gauche. Juste dans l’empreinte. Et le dos droit. Cette justesse s’obtient, lorsque l’animal mobilise toute son énergie. Qu’il est, comme on le dit, dans l’impulsion. C’est à dire décidé à engager toute sa puissance sous sa masse. L’impulsion c’est cette volonté franche et directe de vouloir se porter en avant. En avant, mais juste. En avant mais contrôlé. Le mot tombe dans l’ombre du pas de celui qui le précède, chargé de sa propre densité et dans la toute puissance de la langue. Une langue souple, sans raideur. Vraie. Il faut avoir assez de folie dans le sang pour consentir au pas, droit. Droit dans sa vie, droit dans ses rêves. La parole du pas est la dernière à venir. Parce que la plus difficile. La plus âpre. C’est celle qui demande le dépouillement. La mesure. C’est celle qui appelle les forces les plus grandes puisque les moins visibles. Il y a dans le galop l’illusion des soleils couchants. Il y a dans le trot, la douleur jusqu’à l’insupportable, jusqu’à la répugnance. Il y a dans le pas, le silence invulnérable d’une sagesse qui se déploie. Sans hâte. Sans chagrin. Simplement être là, avec l’animal, dans le travail de la langue, appelant chaque mot par son nom, par sa couleur ou son odeur, ou la trace qu’il laisse sur le bord d’un nuage, ou dans l’eau d’un ruisseau. Ecrire le pas, c’est avoir traversé sa vie ; mille fois être mort, pour renaître à chaque aube. C’est brûler sans rien incendier. C’est aimer sans regret. Et être dans cette impulsion de la parole qui cherche devant, sa récompense, simplement dans ce mouvement d’aller en avant, calme, dans l’équilibre des sons, des images, dans la retenue du souffle. Ecrire le pas, c’est supporter un soleil et les planètes qui tournent autour, c’est construire un monde pour l’offrir. Le pas s’invente à chaque pas. Il n’est jamais le même. Puis qu’il est consentement, puis qu’il est totalisation, comme le murmure, comme l’aveu, comme la prière.

J’ai souvent galopé dans ma parole. Inconstante et sauvage. Et j’ai dans le cœur des chevauchées éperdu. Mais j’ai dans l’âme le calme tendu du pas. Du marcher droit. Du marcher juste.

Franck.

6 octobre 2005

Elle était déroutante.....

Page d’un souvenir. Un livre qui s’ouvre au hasard. On laisse glisser sous le pouce les pages du livre, toujours à l’envers. On remonte les mots. Les phrases. On revient vers le titre. Parfois le pouce se crispe un peu et le défilé des pages s’arrête. Au hasard. Alors on cueille ici ou là quelques mots dans l’espoir d’être saisi ou appelé. Et le pouce lâche. Et le défilé des pages reprend De la fin au début. Comme ces souvenirs qui reviennent aujourd’hui. Le pouce de ma mémoire vient se crisper.

Elle s’appelait Pascale. C’était une âme brûlée. Un mélange d’urgence et de nonchalance. Durant quelque mois nos routes se sont croisées C’était, il y a longtemps. Pascale était brune. Magnifique. Tout en rondeur et en harmonie. Un éclat de lumière noire. Des yeux sombres, une bouche gourmande, sensuelle et un rire sorti tout droit des enfers. Un jour j’ai posé ma main sur la sienne, et elle simplement dit " non ", avec un sourire bordé d’une infinie tendresse. Mais elle m’avait laissé dans le trouble, l’émotion, comme si elle avait jeté un voile d’ombre sur nos deux cœurs. Un voile de soie noire, où l’on pouvait voir le soleil en transparence. Pascale voulait être actrice. Comédienne en fait. Elle me disait qu’elle aimait cette peur qu’elle éprouvait sur les planches. Une peur qu’elle apprivoisait, qu’elle dominait au fil des tirades. Pas comme cette peur d’enfance qui parfois la submergeait. Le souvenir de sa mère suicidée sous un train. Et un père invisible. Translucide. Pas comme ses peurs d’adolescence avec les premières mauvaises expériences de la sexualité. Une sexualité brutale, volée, comme des fleurs arrachées et jetées parterre. Elle ne savait plus dire si elle avait été consentante. Elle avait eu peur. Après elle avait pleuré. " J’ai regardé ce sang qui coulait sur mes cuisses, j’ai regardé ce sexe qui ne m’appartenait plus… j’avais peur que le sang ne s’arrête pas. " Sur les planches elle se sentait entière. Comme une vraie femme. Elle m’avait dit non, et puis elle s’était presque excusée. " J’aime Paul… " Et elle a déposé un baiser sur ma joue. Un vrai baiser de joue. Long et tendre.
Elle est venue habiter chez moi. En amie. Elle ne connaissait personne à Paris. Pour chercher un cours, Paris c’était mieux. Alors elle a déposé son sac. Elle était jeune mais savait déjà l’errance. Rassembler sa vie dans une valise pas trop lourde. Elle savait les consignes de gare, l’entre-deux portes. A vingt-trois ans elle savait toutes les formes du regard des hommes sur elle. Elle savait toutes leurs paroles. Le savait se défier, se méfier, s’esquiver. Elle a posé son sac et s’est endormie sur la banquette. Tout de suite. Pour rattraper un siècle de sommeil. Recroquevillée comme un enfant perdu. Epuisée. Rêvant sans doute de tragédie antique et d’applaudissements. Ou d’une mère. Ou de Paul. Moi j’ai veillé sur son sommeil. C’était mon rôle dans cette pièce. Veilleur. Sentinelle. Elle était belle Pascale, avec ses cheveux noirs qui lui couvraient la figure et sa bouche entrouverte. Elle dormait. Elle était une île et j’étais l’océan.

Après, je lui ai donné ma chambre. Je voulais qu’elle soit bien. Pascale allait et venait sans contrainte. Elle partait le matin et rentrait une heure après ou douze heures après. Parfois en pleine nuit. Elle était déroutante. Chaleureuse, presque tendre et l’instant d’après distante. Volubile et enjouée, puis silencieuse. Très silencieuse. Grave. Absente. Discrète mais d’une présence absolue. On ne pouvait pas ne pas l’aimer, à cause du feu. Elle semblait brûler l’air qui l’entourait. Innocente ou ingénue, on ne savait jamais. Elle traversait la lumière comme une ombre étincelante. Elle m’avait dit " non ", alors nous n’en avions plus reparlé. Je me contentais d’être un veilleur attentif. Souvent, le soir quand nous parlions, elle devenait triste, brusquement. Et les larmes perlaient. Elle posait sa tête sur mes genoux et s'endormait. Je caressais ses cheveux, presque en tremblant. Pour ne pas effrayer ses rêves.

Paul était son amour. Il est venu plusieurs fois la voir à la maison. Il habitait la province. Loin. Elle, elle voulait être comédienne à Paris. Au premier regard ils paraissaient ne pas aller ensemble. Pourtant elle l’aimait c’était l’évidence. Il était instable, fragile, il était tout pour elle. Elle était sa mère, sa sœur, son amante. Elle le portait, et le ramassait lorsqu’il trébuchait. Elle le secouait quand il se laissait aller à quelques démons, l’alcool ou d’autres filles. Elle le menaçait mais avec tellement de douceur. Elle se moquait des autres filles, parce qu’elle savait ce qu’il devenait quand sa bouche touchait son sein. Et Paul repartait.

Elle était déroutante, Pascale. Comme ce matin là, où j’ai traversé la chambre pour aller dans la salle de bain. Ce matin là, où elle dormait. Nue. Les draps repoussés au pied du lit. Elle était allongée sur le dos, un bras replié au-dessus de sa tête, les cuisses nonchalamment ouvertes. Et la lumière du jour passant au travers des doubles rideaux, colorait de rose sa peau. Elle était belle Pascale dans son sommeil. Elle dormait comme une reine. Mon cœur battait. Ce corps si beau. Posé comme une offrande du jour. Je ne bougeais plus. Fasciné. Ses seins lourds s’écartaient légèrement, sa respiration lente faisait frémir son ventre et ce sexe. Aux poils noirs et drus. Touffu. Un sexe fait pour les caresses, les baisers, la damnation. Elle avait dit " non ". J’ai pris le drap et avec mille précautions j’ai recouvert ce corps. Le corps de Pascale. Elle était une île, et j’étais naufragé. Le drap comme une nouvelle peau. Après ma douche j’ai retraversé la chambre. Elle s’était tournée sur le dos, le drap avait glissé et découvrait ses fesses. Rondes. Belles comme un soleil. J’étais en feu. C’était presque douloureux, comme lorsque le cœur se mêle au sang, se mêle au corps. J’ai refermé la porte. Doucement. Elle était déroutante Pascale. Dormait-elle ou non, je ne l’ai jamais su. Il ne me reste que cette image d’un corps de femme nue, posé sur un lit comme une gerbe de fleurs sauvages. Un corps de printemps dans le soleil du matin, un corps de vierge obscure et brûlante à la fois.

Elle était déroutante. Comme ce jour, où rentrant à la maison elle se trouvait en grande conversation avec une autre fille. Une amie d’enfance. De pension plus précisément. Claudy. Elles étaient assises sur le tapis et semblaient être dans la joie des retrouvailles, des souvenirs. Claudy était une fille pleine de charmes. Très mince, presque maigre. Sans poitrine. Elles étaient déroutantes, dans leurs souvenirs. Presque les mêmes. Il semblait que je n’existais plus dans cette pièce. Les même souvenirs. Un père pour l’une, un beau-père pour l’autre. Je ne le savais pas. Je le découvrais. Là. Pascale ne m’en avait jamais parlé, de ce beau-père. De ses mains d’homme sur son corps d’enfant. Pas vraiment violée, mais souillé à jamais. Blessée. Cassée. Déroutante lorsque qu’elles se sont embrassées. Là. Devant moi. Un baiser d’une tendresse inouïe. Un baiser qui n’en finissait pas. J’étais troublé. Pascale tenait la tête de Claudy et je voyais leurs langues se mêler, leurs lèvres s’écraser, leurs bouches se boire. Je me suis éclipsé dans la cuisine. Un long moment. Puis, je suis revenu. Elles étaient allongées nues sur le tapis. Leurs corps emmêlés. Soudés dans une étreinte irréelle. Quand elles m’ont aperçu, elles se sont simplement dénouées, et redressées, sans cacher leurs nudités, avec un naturel déroutant. Je ne savais que faire. Rester. Partir. M’enfuir et les laisser seules.

Pascale s’est levée, a enfilé une chemise sans la fermer, elle s’est approchée de moi et à déposer un baiser sur ma joue. " Tu peux rester…. Je veux que tu reste… " " Pourquoi ?… " " Chut !… Tais-toi… reste, n’en profite pas, mais reste… ". Elles ont disparu dans la chambre. J’ai défait la banquette. J’ai essayé de dormir sans y parvenir. Je me suis assoupi. Le jour commençait à blanchir. Et Pascale est venue se glisser à coté de moi. Elle s’est serrée tout contre. " Non, Franck, seulement comme ça…. Comme un frère et une sœur…Comme deux amis…". Son corps a brûlé ma peau. Comme une torture. Elle était si proche. Si collée à moi, que ses seins s’appuyaient sur mon torse, que ses jambes s’enroulaient aux miennes, que son sexe frottait ma cuisse, que son souffle frôlait ma gorge, que sa tête pesait sur mon épaule. Non, je n’ai pas dormi. Quand j’ai touché sa toison elle a simplement écarté un peu plus les cuisses. " Doucement… fais doucement… " Elle s’est glissée sous mon corps, et quand j’ai voulu baiser ses lèvres elle a seulement détourné la tête. " Pas la bouche… " Elle m’a accueilli dans son corps. Lentement. Au plus profond de ses chairs. Lentement. Dans un incendie. Lentement. Elle appuyait sur mes reins. Lentement. J’étais au plus près de sa source, ivre de ces instants qui m’échappaient. Elle était là, dans moi, et moi dans elle, et pourtant elle était si loin. Où étais-tu Pascale ? Dans quel ciel ? Dans quelle galaxie ? Ses cuisses se sont nouées dans mon dos, ses bras m’ont serré terriblement fort. Alors ce fut une trouée de lumière, une fulgurance. J’étais devenue une île, elle était l’océan, et ses vagues battaient mes côtes, mes digues. Elle était l’océan qui montait sa marée du plus profond de l’horizon. Elle venait de loin Pascal. D’un pays inconnu. Plein de mystères. De silences. Elle voulait être comédienne, elle voulait Paris, elle aimait Paul, et Claudy, elle n’avait jamais d’heures pour rentrer, et là, elle était dans la profusion de sa chair, de ses eaux, elle était don, cadeau, richesse, opulence, elle était le déluge, le débordement, la fournaise, toutes les saisons à la fois. " Pas la bouche... " Mais elle donnait tout le reste, presque avec rage, comme pour franchir une ligne imaginaire, comme pour atteindre un pays, une frontière, un espace. Sa chair s’offrait avec ce voile de désespérance et d’exaltation, de frénésie. Où étais-tu Pascale ? Où allais-tu ? Nos sexes se sont cognés, nos ventres se sont heurtés, nos sueurs avaient le goût salé des tempêtes, nos râles racontaient les orages. Et ta houle à tout emportée. Tout. Tout.

On a dormi longtemps. Lentement. Claudy nous a réveillé avec du café. Pascale a déposé un baiser sur ma joue. " J’aime Paul…tu comprends, alors c’était juste cette nuit. Promets-le-moi…n’abîme rien….. "

Elle est restée trois mois. Nous n’avons jamais évoqué cette soirée, cette nuit. Elle a repris ses vadrouilles, ses absences, ses mystères…

Un jour elle m’a dit qu’elle déménageait, qu’elle allait habiter avec une copine de son cours de théâtre. Parce que Pascale voulait être comédienne. Elle aimait cette peur, sur les planches face au public. Elle disait qu’elle se sentait entière dans ses instants. Elle a bouclé son sac. Elle a tiré la porte. Je vois encore son sourire triste au moment de partir. Elle a tiré la porte.

Nous sommes téléphonés quelques fois. Puis, tous s’est éteint.
Je l’ai aperçu deux ou trois fois dans des téléfilms. Des seconds rôles.
Elle était déroutante Pascale. Je l’ai profondément aimé Pascale. Elle a laissé une trace de soie noire et incendiée entre les pages de ma mémoire.
Parce qu’elle était déroutante, Pascale.

Franck..

5 octobre 2005

Comme écrire......

Revenir sur l’errance. Comme une boucle infinie. Un chemin qui perd sa trace. La route s’absorbe dans la fin d’un rêve. Dans les glissades de la fin d’un rêve. Partir sans jamais arriver. Puisqu’il n’y a pas de lieu. Jamais. Sinon les lieux de la route empierrée de l’âme. J’ai mis le ciel dans mes yeux au plus près de mon sang. J’ai fais briller des étoiles au plus près de mon ventre. Il m’est arriver de prier des dieux en exil. J’ai soufflé dans les couleurs des fleurs pour éclairer ma nuit. Je crois même avoir pleuré certains soirs sur la peau de quelques souvenirs. J’ai surtout jeté des mots au hasard.

Sur la route de l’errance il me faut sans cesse passer entre deux grandes statues. La blanche et la noire. L’amour et l’insondable solitude, et consentir à ne pas entendre leurs chants, et consentir à baisser les yeux pour ne pas brûler les derniers souffles. Baisser les paupières du cœur pour appeler à mon secours des silences de pèlerin.

Ici, c’est une mer de verdure sévère. Une verdure de tempête. Une verdure de gros temps. Les bois viennent mourir dans les champs en écumant leurs dernières branches. Sans rage, mais dans la puissance sereine des grandes marées. Des embruns de verdures s’éclatent dans les deniers rayons d’un soleil d’automne. Un soleil épuisé de ses feux. Appauvri de sa gloire. Au bord du naufrage. Lui aussi voudrait prier. Lui aussi voudrait consentir. Et ses forces l’abandonnent.

Je suis ici le temps d’une escale. Entre deux vies. Entre deux souvenirs. Comme aux temps des oasis et des déserts. Je suis dans l’entre de moi-même juste au- dessus de l’os. Que je voudrais curer une dernière fois. Le blanchir de mes mots.

Sortir de l’errance, du flottement, de ses vagues.

Ici c’est une verdure immense, impossible à décrire. Des monts, des vallons comme une grosse mer houleuse. Je flotte. Elle m’a dit : tu flottes. C’est quoi flotter ? Le flottement, c’est toujours le risque de l’errance, c’est souvent être rejeté sur des rivages inconnus. Le moment entre les lieux. Même entre les lieux du corps. Dans l’absence de soi. Dans ce mouvement qui tire vers l’extérieur. Dans un lointain. Dans un lointain sans forme, sans borne. Comme une chute. Je flotte dans un mouvement inconnu d’où ma voix ne sort pas. C’est un silence cassant comme l’oubli. Ce n’est pas un exil. Le flottement c’est un oubli. L’exil vous tient dans la tension, la colère, le ressentiment, la trahison, l’injustice. L’oubli n’a pas de forme. On est sans lieu, sans autre. Suspendu. Vidé du sang. Bousculé par les mouvements erratiques des heures, des humeurs, des regards. Comme une hémorragie, une perte de substance. Et cette envie d’hurler, de crier. Et toute cette ré-ingurgitation comme s’il fallait ravaler sa vie. Chaque heure, chaque jour. Là. Dans ce lieu hasardeux, sans frontière. Et l’on voudrait appeler, s’ancrer dans la chaleur d’un regard. Mais le flottement est un lieu qui n’existe pas, où nul ne peut vous voir..

" A quelle station tu t’arrêtes ? "  " Là-bas… Plus tard…L’autre là-bas… " " La prochaine ? " " Non, jamais la prochaine…. Mais l’ultime, l’extrême. Je suis de la dernière station, celle qui vient après toutes les autres. Au-delà des voies… Là où nul passager ne monte. Je suis du pays des landes, des bruyères froides du cœur. "

Pourquoi cet effondrement, cette coupure, ce glissement des chairs de l’œil et de l’âme, ce frottement de l’absence sur les mots de la langue, cette parole qui ne sait plus s’arracher ?

Ici, dans cette verdure brutale, il y a quelque chose d’écrasant. Une présence absolue.

Alors je marche. Pour m’arracher au flottement je marche. Comme j’écris. Pareil. Pour retrouver le corps et le souffle. S’immerger dans ces forêts grandioses. Comme écrire. Pareil. Le corps qui s’arc-boute dans l’épuisement des muscles. Comme ces mots déterrés, extraits de mes restes. Le corps qui retrouve sa puissance. Sa rage vitale. Sa survie dans la douleur des muscles asphyxiés. Comme la prière offerte aux lèvres d’un mourant. L’extrême tension du corps. Ces noces obscures du silence et de la solitude. Marcher sur ces pentes infinies couvertes de forêts drues. Comme écrire. Souffrance primitive et sauvage du corps dans le vrai sang des muscles. Souffrance sans recours. S’arrêter. Continuer, trouver la limite. Etre dans la limite. Et au-delà. Ces marches épuisantes ne sont plus un effort, mais une lutte. Comme écrire. Quelque chose se rassemble, là, dans un instant qui efface tout. Tout. Monter encore, pour finir. Rechercher la pente la plus droite, la plus éprouvante, la plus absurde. La plus féroce. Comme écrire, et rechercher le geste le plus droit. Maintenant mes pieds, mes mains s’accrochent. Mes genoux aussi. Ne pas glisser. Ne pas perdre les mots et leurs lumières. Coller à la paroi de cette montagne. Coller aux battements du cœur et du sang, toujours, qui jaillit dans mon corps. Comme écrire. Tendre. Projeter mes membres vers une douleur plus grande, plus absolue sur la pente. Le corps collé. Hors de moi et totalement moi. Dans la rage. La colère. S’arrêter. Impossible. Fixer un point là-haut, pour y jeter ce qui me reste de souffle. Même la mort est vaincue dans cet effort. Simplement l’instant qui rassemble tout. Qui totalise tout. Tout ce qui restait au fond de ma mémoire. Etre dans l’instant du premier geste. Du seul geste. Comme la phrase qui s’arrête parce qu’elle attend du silence une consécration. Fixer un autre point. Un arbre, une pierre, une branche, une souche. Et toujours la rage pour survivre à l’essoufflement, au feu du corps. A l’incendie qui brûle ma tête et ma poitrine. Comme écrire. Comme aimer. Et gagner une fois de plus sur l’errance et le flottement.

Et maintenant le sommet. Et son ciel.

Comme écrire ou prier. Ou simplement pleurer comme un enfant. Sans raison. Seulement à cause de la lumière et de cette joie incoercible d’être en vie. Le corps détruit de souffrance mais rayonnant d’avoir survécu à l’asphyxie. Comme écrire. Comme écrire.

Franck.

25 septembre 2005

Un papillon.....

C’était un temps comme aujourd’hui. Un temps d’inlassable pluie. Comme si le ciel avait brusquement décidé de brusquer le ton. D’arracher les derniers lambeaux de l’été. De lessiver le bleu. Mais pour que gris tienne il faut du froid. Alors ce matin il fait froid. Et la pluie traverse la mémoire. Et les souvenir arrivent par ce coté glacé du cœur. Parce qu’on n’y va pas assez souvent. C’est un coin de jachère et d’éloignement. Coin de misère. Large lande battue par l’oubli. C’était un temps comme aujourd’hui, un dimanche, comme aujourd’hui. Un dimanche d’automne. Nous habitions encore Limoges avec Isabelle. Je n’ai jamais aimé Limoges. Pourtant j’y suis né. A cause de ça peut-être. Toutes les saisons lui allaient à Isabelle et l’automne redonnait à peau sa pâleur, sa transparence et son regard se couvrait d’un voile de lointain. Ses yeux brillaient moins, mais vous regardaient mieux. Plus proche. Plus chaud. Plus tendre. Elle a voulue sortir dans la campagne. Prendre la voiture et aller au hasard. Rouler un peu, s’arrêter, et marcher. Cette pluie faisait flotter son âme. Elle avait besoin d’un peu de terre pour ne pas se perdre dans cette journée d’inlassable pluie. L’odeur de terre humide. Alors on est parti. Elle voulait simplement marcher. Un peu. Et on a vu le panneau Oradour. Elle a seulement pose sa main sur mon bras. Alors j’ai suivi la direction du panneau. Sans un mot. On est arrivé devant le petit parking juste avant les grilles. Il y avait peu de monde. La ville fantôme était rendue à ses fantômes. Et puis on a emprunté la rue principale qui monte. Me revenait, les histoires que ma grand-mère racontait. Claire, la femme de Georges. Il tenait un restaurant à l’époque de la guerre à Limoges. Rue du Maupas. Ca s’appelait « Chez Catherine ». Alors tout le monde appelait ma grand-mère Cathy. Elle disait : « Avec le débarquement on croyait que tout allait s’arrêter, mais c’était pire. Les Allemands s’agitaient dans tous les sens. » Claire aimait raconter les histoires. « Ils sont rentrés dans le restaurant… c’étaient des jeunes…. Ils avaient des regards de fous. Y’en a qui disent qu’il y avait des Alsaciens. Ils aboyaient. Ils hurlaient. Dans la rue il y avait tout un convoi qui attendait. Ils sont passés derrière le bar pour prendre des bouteilles d’alcool. Et puis ils ont ouverts les frigos et ils pris tout ce qui pouvait se manger. J’étais seule. J’ai eu peur. Ils étaient fous. Et si jeunes. Je ne comprenais rien de ce qu’ils disaient. Mais c’était des SS. Il y avait l’insigne. Ils n’étaient pas d’ici. Ils venaient d’ailleurs. Du Sud. » « Quand il sont passé chez nous on savait pas encore ce qu’ils faisaient à Oradour. C’est le lendemain qu’on a su. Et pour Tulles aussi. Peut-être que ceux qui sont passés ont participé… Nous on a su que le lendemain… De Limoges on voyait la fumée. » Souvent, Claire pleurait quand elle racontait. Ils ont tout brûlé. Ils les ont tous tués. Et les femmes et les enfants dans l’église. Les hommes dans les granges ».

Nous montions la rue principale pavée. Et je racontais à Isabelle les mots de Claire. « Ils ont décidé de garder la ville en l’état ». En l’état de brûlure et d’incendie. En l’état de mort. Ils n’ont rien changé. Aujourd’hui c’est les mêmes ruines. Le même silence d’après. Parce qu’il y a toujours un silence après. Carcasse de voiture. L’église éventrée. Les maisons écroulée. Les traces de suie sur les murs. Isabelle se tait. Elle est au bord. Je le vois. Elle est au bout de quelque chose. Elle a vingt ans, et là, brusquement, elle est à un bout de l’humanité. Il bruine. Il fait froid dans cet automne. Il fait seul. Les petites rue de village. Là, la maison ouverte comme un poitrail déchiré. Plus de toit. Comme une béance. Alors je l’ai vu s’agenouiller. Dans l’herbe mouillé de pluie. Devant cette maison. Je l’ai vu joindre ses mains. Fermer les yeux. Alors j’ai vu les larmes couler. Elle était dans un silence inattaquable. A qui parle-tu Isabelle ? Où crois-tu que tes prières vont ? Je voudrais quelles restent ici mes prières. Là. Juste là. Sur cette pierre luisante de pluie. Dans cette journée. Dans cet automne. Elle me montre une petite roue de poussette d’enfant toute rouillée, toute tordue. « Il y avait un enfant ici…. C’est lui qui prie pour moi….moi je ne fais que recueillir…. » Et l’église à nouveau. Et la place. Et le monument avec tous les noms. Le petit musée. Avec les photos. Les restes. La dérision des restes. Où es-tu Isabelle ? Elle marche les deux mains plantées dans son manteau. Elle est loin.

Et puis la lumière a baissée. Puis on est reparti, toujours en silence. Dans le village reconstruit d’Oradour, on a but un chocolat chaud. C’est là qu’elle m’a regardé. Elle avait une figure défaite.

Et le mal s’empile sur le mal depuis des siècles. Et la seule chose à y opposer, c’est une petite prière, à genoux, dans une rue d’histoire dévastée. C’est quoi la mémoire Isabelle ? C’est quoi le bonheur ? C’est quoi ces journées d’automne ? Quand nous sommes enfin arrivé chez nous, il faisait nuit. La pluie avait cessée. Elle n’a pas voulue qu’on allume la lumière. On c’est assis sur le tapis. Et là elle s’est blottie. Là dans cette nuit du limousin elle s’est blottie. Nous sommes restés longtemps enlacés en silence. Nos baisers. Nos corps. Cette chaleur de l’amour des corps. Là, dans le silence. Et ses cris. Et sa joie. Et ses larmes d’amour. L’abandon de ses chairs. Et la rage du corps quand il arrache sa jouissance au désespoir. Et les coups de ventre en forme d’oublis. « Nous aurons un enfant et nous l’appellerons Oradour ». « Chut ! Isabelle…demain il faudra encore se souvenir… demain et tous les autres jours….jusqu’à la fin… » « Comment fait-on pour se souvenir ? » « Il faut transformer la haine en amour, Comme Antigone : je suis venue pour partager l’amour et pas la haine. » « Mais elle meurt, à la fin… Antigone. » « C’est le prix de l’amour… c’est pour cela que peu aime, ou si mal… » « C’est quoi demain ? » « Demain c’est d’abord ce soir, cette nuit, demain c’est l’amour que l’on vient de se donner, c’est peut-être un enfant qui s’appellera Oradour…. Demain c’est la prière que tu as faite… elle peuple le ciel désormais. »

Il faisait le même temps qu’aujourd’hui. Un temps pluvieux d’automne. Je viens de finir mes valises. Demain mon errance reprend. Demain je serais à nouveau à Paris…. Mais après-demain je la verrais…Ce n’est pas un ange, c’est un papillon. Un papillon aux mille couleurs. Après-demain je la verrais, je lui parlerais et elle dépliera ses ailes. Mais il ne faut rien en dire. Les mots peuvent abîmer les plus belles choses. Il faut attendre après-demain. Attendre ses yeux, son sourire, l’énergie de sa parole. Il faut attendre notre marche, bavarde ou silencieuse. Le partage des heures. Je suis dans une errance nouvelle. Je suis arrivé seul et je repars innombrable. Un papillon posé sur la bouche. Sur les rêves. Sur demain.

Franck

23 septembre 2005

Intermède (2).........

Hier au soir je prends au hasard un bouquin dans la bibliothèque. Et je tombe sur ça. Un truc impossible. Qui vient faire une sorte d’écho à mon « intermède ».

Bon je le recopie. Même en recopiant ça fait une drôle d’impression :

« Fermez vos cœurs à la pitié ! Agissez avec brutalité !

Quatre-vingt millions d’hommes doivent obtenir justice… La raison appartient au plus fort. Soyez durs et impitoyable. Blindez-vous contre tous signe de compassion. Tous ceux qui ont médité sur l’ordre de ce monde savent que celui-ci ne trouve son sens que dans le succès de ceux qui savent le mieux utiliser la force. » Adolphe Hitler (avant l’invasion de la Pologne).

Depuis hier je relie cette phrase. Et tout le monde est d’accord, c’est abject. On lit l’auteur, et on est révulsé.

Pourtant notre monde fonctionne bien ainsi ? C’est bien ça qui se passe ?

On a beau trépigner dans notre coin, on en est bien là. Tristement là. Et le pire c’est que cette idée se cache partout, elle est rampante. Elle s’insinue en permanence dans notre quotidien. Dans nos geste individuels, dans nos pensées, dans nos rapports intimes. Ils y a bien sûr les cyniques dont je parlais hier, mais eux c’est facile on les reconnaît tout de suite. On peut s’en défendre. Sous prétexte d’un pseudo principe de réalité ils avancent partout dans nos vies. Ils se reproduisent aussi. Et leurs progénitures leur emboîtent le pas. Il y a des écoles pour les élever, HEC et consorts. Et puis il y a le plus insidieux, qui sous couvert de dénoncer, ne fait que renforcer ce discourt. Parce qu’il y a une sorte de complaisance à désigner le mal. Plus je dénonce, plus cela le fait exister.

Ces derniers jours j’ai eu l’occasion de lire de longs textes. Des textes qu’on m’a fait parvenir. Des histoires de vie. Des histoires terribles, puisque le monde est terrible. Des histoires d’enfances, de jeunesses, de violences, toutes sortes de violences, des plus banales aux plus impensable. Et le hasard a fait que je les ai lu le même jour. Et ces deux récits avaient un point commun au-delà des souffrances et des douleurs, chacun d’eux essayait de s’extraire des ténèbres. L’écriture semblait s’arracher des couches les plus sombres de la chair pour tenter d’issir à la lumière. L’écriture semblait être le lieu de la transfusion sanguine. Les deux témoignages étaient bien différents, dans la forme, dans les événements racontés, pourtant il y avait une même lumière, la même volonté d’espoir. L’écriture semblait être le chemin d’une destination solaire. Ce qui m’a le plus frapper à la lecture de ces deux vies, c’est la bonté. C’est bête comme mot : bonté. Portant c’est un des rares mots qui s’opposes à la citation du haut. La force des mots venait du fait qu’ils se dirigeaient vers le haut.

Deux textes, qui devenaient chants, danses, qui cherchaient le souffle et l’envol. Deux textes sans complaisance, durs, qui disaient chacun ce qu’ils avaient à dire, mais avec retenue. Même un mot cru, peut être dit avec retenue et pudeur. Puisqu’il est là pour dire la trace, mais pas la fin.

Le frère de la complaisance c’est le silence. L’une dans la jubilation, l’autre dans le déni. Ces deux textes étaient beaux, parce qu’il évitaient les écueils de l’un et de l’autre.

J’ai donc reçu ces mots comme une offrande. En me disant, qu’il y avait une issue au monde décrit au début. L’issue c’est le don, l’accueil, c’est l’amour.

Ces deux textes étaient en fait des textes d’amour déchirés, mais d’amour lumineux. Puisqu’au bout des mots il y avait une immense miséricorde. Celle des âmes blessées, celle des âmes ressuscitées, celles des âmes généreuses, celles des âmes qui marchent dans la lumière, pour la lumière. Une miséricorde qui dit : je me sauve, parce que vous aussi vous méritez d’être sauvé. Je me pardonne parce que vous aussi vous méritez d’être pardonnés.

Merci à toutes les deux, de m’avoir éclairé, et d’avoir répondu au triste sire du début. Votre écriture est belle parce que votre âme est belle. Ecrire, aimer c’est le même mot, c’est re-lier ce qui a été défait, humilié, bafoué, oublié, c’est tirer sur les bords de l’infini, pour faire une place à chacun. C’est prendre dans sa part la plus consternée, la plus affligée, le souffle que je dépose sur les yeux de l’autre. Et l’écriture est belle, quand elle rend digne, puisque ma dignité vaut celle de l’autre. Ni plus, ni moins.

Franck

22 septembre 2005

Intermede.....

Je me rends compte à nouveau comment mon écriture est empêchée. En ce moment. De quelle façon je ne suis pas libre. Comme si le mouvement ne se développait pas. Comme s’il y avait quelque chose d’autre à creuser. Mon écriture, mes textes, mes sujets semblent tourner autour. Ce que j’appelle la danse du scalp. Depuis des mois j’essaye, je cherche. La forme, le fond. Souvent je repasse au même endroit en étant juste un peu décalé et pourtant j’ai toujours le même sentiment d’inachevé, d’inachevable, comme à mon premier texte. Il y a d’abord beaucoup de thèmes que je n’aborde pas frontalement comme les thèmes sociaux, le monde du travail. Là c’est un choix. Qui fait écho à ma division intérieure. Le fait que je ne me sois jamais senti très à l’aise dans le social au milieu de mes congénères. Même quand j’ai collaboré au système. Donc c’est un choix arbitraire de ma part. La sensation que tout ce monde qui défile sous nos yeux dans nos entreprises, ou au 20 Heures de PPDA, pollue, contraint mon imaginaire. Il n’y a pas d’espace dans ce monde. A vingt ans j’avais l’impression d’avoir tout compris. Stratégie, géostratégie, politique, Marx et le capitalisme, l’homme et la machine, l’homme et le travail. J’avais des théories sur un peu tout. J’’expliquais. Bêtement, mais j’expliquais. Les contradictions ne me gênaient pas, je m’en accommodais. Et le temps a passé. Et maintenant j’ai la sensation de ne plus rien comprendre, de ne plus rien relier. Je ne décrypte plus le monde, ni le social. Je reste bloqué sur quelques révoltes de bases, sur lesquelles j’appuie mes refus. Et entre autre le refus du politique sous toutes ses formes. Je pourrais les résumer ainsi : une société évoluée, et dites démocratique, qui ne peut pas assurer et garantir le minimum de dignité à tous, n’est plus crédible. Un travail digne, un toit digne. Pour tous. Tant que cela n’existe pas chez nous (sans parler des atrocités dans le mondes) à quoi bon discuter. Discuter de quoi ? La seule chose qui m’intéresse dans le social c’est la question de la dignité. Or, celle-ci est bafouée à longueur de journées, à longueur de discours. Le pire dans tout cela, c’est que le système ou les systèmes utilisent chacun de nous. Qu’on le veuille ou non, on est complice. Je connais bien l’univers des entreprises privées. L’univers de la compétence, de la production, de l’efficacité, que reste-t-il d’un individu au bout de vingt ans dans ce rouleau compresseur décervelant. Ce qu’il y a de terrible c’est qu’il n’y a pas besoin de grands ordonnateurs, le travaille de sape c’est chacun qui le faisons, l’indignité c’est nous-même qui la créons. Chacun en défendant sa gamelle.

Je sais la banalité de mes mots en la matière, mais pourquoi vouloir compliquer les raisonnements ? Tout le monde, à par les cyniques, est d’accord pour dire que faire fonctionner une économie aux seuls profits des fonds de pensions américains, qui réclame une rentabilité  de 15 à 25% est une aberration. Tout le mode est d’accord, pourtant tout le monde continue son petit bonhomme de chemin. La voiture, les vacances, la consommation. La peur. Les images sont là pour nous dire combien on a de la chance, d’être ce qu’on est, et pas ce que les autres sont. Depuis des siècles l’ambition est la même. L’argent, le pouvoir, le sexe. Dans l’ordre qu’on veut.

Alors, voilà. Je ne parle pas de ça. Parce que ça ne m’intéresse pas. Ou plus.  Parce que je n’ai aucune prise là dessus.

La seule chose qui me reste c’est ma parole. Ce sont mes mots. Qui évoque autre chose. Une autre couleur. Des mots qui voudraient dire : et si….on regardait autrement…. Alors souvent on peu me croire naïf…. Mais je pense que l’écriture sert aussi à ça… dire qu’une belle émotion permet d’entretenir ce qui reste de flamme. Ou d’âme.

Je ne crois pas aux révolutions sous nos latitudes. Je n’y crois plus. Il faut avoir faim pour cela. Il faut n’avoir plus rien à perdre. Or nos systèmes nous donnent assez à bouffer, même au prix de notre dignité, pour la révolte soit possible.

Alors je suis un mauvais citoyen. Qu’importe… Et je ne suis pas un militant, les pensées de groupes m’angoissent.

Mon pays ce sont le ciel et les nuages, et là tout le monde à sa place. Pourvu qu’il soit sincère.

Pardonnez-moi d’avoir évoqué toutes ces banalités. Mais je voulais les dire au moins une fois.

Sans doute pour mieux revenir à ma parole.

Franck.

19 septembre 2005

Aïcha.....

Me revient en mémoire mon arrivée à Alger. Alger, notre première étape. En fait le voyage commençait réellement ici. Nous étions partis ensembles, parce que nous avions rêvé ensemble d’un voyage. Mais nous ne faisions pas vraiment les mêmes rêves. Lui il était plutôt « Tintin » et moi plus « Petit Prince ». Mais au début ces choses là ne se voient pas. Un an de la même pension nous avait rapproché. Quelques mois de périples nous sépareraient. Mais là nous sommes au début. On ne sait rien de la suite. On est dans la griserie du départ. Des amarres coupées. On est dans la brûlure de nos dix-neuf ans. Dans l’impatience des jours. Des aventures, des découvertes. La seule chose de sûre, c’est que nous ne savons pas quand nous reviendrons et si nous reviendrons. Il y avait de la fuite là-dedans. Mais nous étions à l’âge où l’on ne le sait pas. Où d’ailleurs ce n’est pas grave de ne pas le savoir. Dix-neuf ans, ça suffit comme seule réponse. Et le monde devant nous, dans notre sac à dos. Et nos rêves, même différents. Alger en 1975, ce n’est pas Alger en 1992, ou 95, ou 2000, ni même 1962, ni 1862. En 75 Alger c’est une lumière, et des enfants plein les rues. C’est des odeurs, et un soleil d’hiver qui s’accroche aux balcons et joue dans les linges multicolores.

Cela fait trois jours que nous somme à Alger. Trois jours à défaire et à refaire nos sacs à dos. Trop lourds, trop chargés. Comme si nous n’avions pas réussit à nous dépouiller de nos enfances ou de nos peurs. Comme si à l’intérieur nous avions voulu tout emporter, le passé et l’avenir, la jeunesse et la sagesse. Comme si le bonheur, ou la joie devait tenir tout entier dans nos sacs. Trois jours à tout refaire. Nous logeons dans un petit studio au centre ville. Avant de partir nous avions une adresse. C’est un Français. En 62, il était là. Il a voulu rester. Il est resté. Entre deux cultures, deux pays, deux solitudes. Il se sent bien ici, à Alger. Enfin…. bien… il faut le dire vite. Il se sent mieux. Mieux, qu’avant dans sa jeunesse. Il est ingénieur géomètre. Ca lui permet de voyager dans tout le pays. Immense pays. Débordant de promesses. Avec tous ces enfants qui courent dans les rues. Il vit seul. Parfois il s’ennuie. Mais il est mieux. Quelques histoires de cœurs. Mais il est pudique. Alors il se tait, ici. Il préfère nous parler de l’Algérie, la sienne. Pas vraiment, la sienne, mais un peu. Après le départ des Français, la révolution, l’espoir et tout un peuple partagé entre la joie et la crainte. Il n’aime pas parler politique. En fait, il vaut mieux ne pas en parler. C’est mieux. Il y a eut des blessures, des déchirures, des arrachements, il y a eut des violences. Quand les révolutions soldent leurs comptes….Il préfère nous dire les enfants qui courent, le pétrole qui coule, le soleil, le désert. Il est heureux de nous voir. On ne se connaît pas mais il est heureux. Alors il nous prête son petit studio. Nous on est au début du voyage. Et Alger fascine. On y sent des mystères, des pudeurs, des silences, un feu qui brûle en dedans. Derrière les murs des immeubles. On est en hivers et les couleurs sont belles, douces, elles semblent couler du haut de la ville, elles caressent les façades des maisons, pour venir se mélanger au bleu de la mer.

Le troisième soir il est arrivé avec elle. Elle, c’est Aïcha. Elle voulait voir les deux français. Elle habite dans l’immeuble. C’est la fille des voisins. La grande fille des voisins. Elle hésite avant d’entrer. Elle reste dans l’encadrement de la porte. Elle a peut-être un ou deux ans de plus que nous. Elle est habillée à l’européenne. Il faut comprendre c’était en 1975. Il y a deux ou trois siècles. 1975 est un futur impossible. A Alger les étudiantes se maquillaient, un peu. Elles portaient des jupes, des pulls de couleurs, des bijoux. Elles écoutaient de la musique française à la radio. Aïcha est entrée. Elle c’est assise sagement sur le lit qui était posé à même le sol. Aïcha était belle. D’une beauté juste. Claire. Sereine. Une beauté douce. Gracieuse et à la fois charnelle. Je la regardais sans la fixer vraiment pour éviter de la gêner. Des yeux sombres immenses. Des lèvres sensuelles bien dessinées, une peau de vanille. Aïcha a des formes. De belles formes. Mais elle se tient sagement assise sur le lit, les jambes repliées sous elle. Lui, il fait les présentations tout en préparant un thé. Aïcha est timide. Nous aussi. Moi surtout. Je la trouve belle. Elle ressemble à cette ville. Tout est là, et pourtant on ne voit rien. Comme s’il fallait apprivoiser son propre regard. Comme si quelque chose existait derrière. Derrière les yeux de Aïcha. Derrière sa peau. Derrière son sourire. Avec juste ce petit défaut, deux dents qui se chevauchent, et qui la rend plus belle encore. Une princesse d’orient. Sage à peine cachée par son regard de feu noir intense.

Et puis elle ne peu pas rester. Elle doit remonter chez elle. Mais le lendemain on doit la revoir. Elle n’a pas cours à la fac. Demain elle nous accompagne à Tipaza.

Tipaza nous y arrivons en début d’après-midi. Tipaza, les ruines romaines. Le temps qui se condense. Les ruines juste face à la mer. Morceaux de colonnes, morceaux de temples, pierres usées. C’est en janvier. Il fait presque froid. Dans mon souvenir j’ai l’impression que le soleil se couche à gauche du tableau. Peut-être que c’est ma mémoire qui invente ça. J’ai une impression de rose, d’ocre, d’orange. Peut-être les pierres. Je ne sais plus.  Les autres ont disparus. On est assis sur la même pierre, avec Aïcha. La mer est là, devant. Et brusquement je suis envahi. Une bouffée énorme de nostalgie. Quelque chose qui vient de profond. Dans ces ruines, face à cette mer, il y a un sentiment d’éternel. Tout le monde a ressenti ça. Mais tout le monde n’est pas assis à coté d’Aïcha. Nos bras se touche. On dit des banalités. Je lui dis que de l’autre coté de la mer il y a Marseille, où je vivais quand j’était plus jeune. Elle me dit que souvent elle vient là. Dans ces ruines. A cause d’un sentiment de paix. Comme si seules les ruines pouvaient traverser l’histoire. Une ruine c’est se qui se survit. Après la mort. Après les morts. C’est une trace dans le sang de la terre. Sa voix est chantante, elle na pratiquement pas d’accent. Elle en est fière. Mais je resterais ici. Parce qu’ici c’est mon pays. Peut-être à cause de ces ruines. De toutes les ruines, mais celle-là en particulier. Qui nous racontent une histoire avant notre histoire. Qui nous dit l’infini du temps. Et notre misère, et notre grandeur. Et la beauté des heures. Elle me récite un poème en arabe. Je ne comprends pas, je me laisse simplement bercer par des sons qui ressemble à de l’eau qui coule et qui traverserait les nuages et viendrait s’épandre dans l’eau de la mer. Là, juste devant nos yeux. En haut du cœur, à l’endroit du feu. Elle me dit qu’il est question d’une jeune fille qui tisse un voile de ciel en attendant son berger. Elle me dit que la jeune fille nomme toutes les étoiles, en pleurant, dans l’attente…. Et qu’un jour elle entend des bruits de sonnailles et que son berger apparaît. Redis-le Aïcha. Redis-le, lentement. Et Aïcha le redit. Et Aïcha a une larme au coin de yeux. Et devant cette mer elle se serre contre moi. Et on se tait. Longtemps. Longtemps. Un silence qui vient de loin, qui tourne autour de ces pierres usées. Un silence qui s’est posé sur ses lèvres si belle. Au fond de ses yeux si noirs. Sur sa peau si lisse. Un silence doux, léger comme les heures invincibles. Mes lèvres ont touché les siennes. Nous étions assis sur ces pierres comme deux enfants abandonnés dans le soir. Deux enfants prêts à s’enrouler dans la nuit pour préparer un voyage plus lointain. Assis tous les deux au bord de la mer, que le soir tombant habille d’ombres, de mugissement, de souffle mystérieux. Juste ses lèvres. Nos bouches à peine entrouvertes. Effleurement des langues, juste pour goûter les dernières paroles de l’autre, les aspirer. Juste pour dire l’instant. Pour l’inscrire, sur ces pierres. Pour éclairer les ruines d’un avenir sucré. Un baiser timide. Sans les mains. Juste nos bouches, nos saveurs, nos souffles. Un peu de nous qui s’échange. En fait, tout de nous qui se donne. Dans un baiser ralenti, presque arrêté, enveloppé de pudeur. Des lèvres à peine ouvertes.

Et puis les autres sont revenus. Avec quelques sourires. Nous sommes repartis. Nous sommes passés devant le tombeau de la Chrétienne. Dans un petit port avant Alger nous avons mangé des gambas. Et moi je ne voyais qu’Aïcha. Sa chevelure brune à peine frisée, ses yeux.

Nous nous sommes retrouvés dans le petit studio tous les quatre pour un dernier thé. Elle s’est serrée dans mes bras. Lumière tamisée. Un disque tourne. Ce sont ceux de notre hôte. Drôle de musique. Je me souviens. Alain Barrière qui chante « Ma vie ». Rien n’est grave. On est au début du voyage. Et Aïcha se serre dans mes bras. Nous sommes cachés dans l’ombre du studio. Elle veut connaître nos vies en France, nos sorties, nos occupations, les boites, les cinés, la télé. Elle veut savoir Paris. Et les filles, comment elles s’habillent. Elle veut savoir la campagne et les odeurs. La cuisine. Elle veut savoir notre chambre. Et les rues. Et les cafés, avec la fumée. Les gars, les filles, les amours. Nos corps sont protégés de nos vêtements, comme protégés de nous-mêmes. Nous nous caressons chastement. Nos bouches se donnent plus librement que sur notre pierre de Tipaza. Nos mains osent la peau et osent la chair. Son odeur d’épice se mêle au parfum du thé. Elle regarde nos sacs. Elle sait notre départ. Elle ne dit rien. Je ne dis rien. Pas de parole inutiles. Vaines. Ou des mots que nous pourrions regretter. Ou des gestes. Seulement nos mains sur nos corps. A l’abri du regard des autres. Recroquevillé sur nous-mêmes. Enlacés en nous-même. Serrés. Collés. Brûlants de nos chaleurs. De nos désirs. De nos retenues. De l’impossible à faire. Et de l’abandon à consentir. Au plus près de l’infaisable. Nos mains sur nos corps vêtus et sa chair comme un fruit protégé de sa peau. Ils nous ont laissés. Juste un peu de temps. Seuls. Ils sont dans la petite cuisine. Je les entends parler. Nous sommes allongés, collé l’un à l’autre. Et nos mains qui froissent nos vêtements. Nos mains qui doivent trouver la limite dans ce pays des chairs sans limites. C’est une douceur impensable et impossible à vivre. C’est une torture et un miel rare. Nos jambes sont emmêlées. Mais l’on ne sent pas nos peaux. Simplement les corps. Et les baisers violents maintenant. Et ses cuisses, protégées d’un collant. Sa robe qui se lève. Ma main sur ses cuisses, au plus haut de ses cuisses, ma main sur la douceur électrique du collant, la forme de son sexe. Sa chaleur. Sa brûlure. Et la moiteur qui traverse les tissus. Large ventre qui ondule. Danse voilée. Offre couverte de pudeur. Nos sexes collés l’un à l’autre, derrières nos tissus. Nos ventres défendus qui se cognent. Nos sueurs, mêlées à nos silences, le bruit des bouches et des salives, et des souffles. Derrière l’amure impossible je sens la lourdeur de ses seins. Je voudrais les atteindre. Les sentir contre moi. Les couvrir de baisers. Les mâcher, les manger, les aspirer. Et elle les libère et les tend comme si c’était le dernier sacrifice possible, comme si s’était l’ultime geste. Alors je les recueille comme un trésor. Et les bois avec lenteur, comme si tout était là, dans cette poitrine offerte. En cet instant elle était sa terre offerte et imprenable, riche de tous les désirs, de tous les lendemains. Elle est, là, comme un fruit d’espérance grave, qui se donne entièrement sans le dernier abandon, qui retient son sucre, mais donne sa couleur et toute sa saveur. Oui, elle les tend pour que mes mains récoltent, pour que nos âmes. se touchent un peu plus. Pour reculer plus loin la limite de la soif. Je n’étais qu’un début et elle était un pays. Et son ventre était lourd des lendemains sombres. Mais là elle était une terre infinie de bonté, de douceur, de richesse. Juste défendue par quelque tissus, juste offerte mais pas donnée, ardente sous les cendres de l’avenir en marche.

Douce Aïcha, belle Aïcha, tu reste pour moi ce baiser d’enfants aux ruines de Tipaza, au pied du bleu de la mer, sur ces pierre immuables qui survivent aux saisons et aux révolutions, des pierres qui raconterons un baiser de deux enfants égarés. Aïcha qui chantait des poèmes et un petit prince sans royaume.

Franck.

17 septembre 2005

Ecran.....

Il y des images qui reviennent. Des morceaux de mémoire. Quelque chose qui adhère, qui est collé aux parois. Je regarde les photos que je viens de recevoir. Des photos d’enfance, de familles, des portraits, des jeux d’insouciances. Dans ma tête ça fait comme un patchwork. Il y a cette petite fille grave et triste. En fait non, elle n’est pas triste. Elle est grave. C’est moi qui suis triste. La photo me regarde. Me regarde à l’intérieur. J’ai neuf ans. Dans l’appartement je suis seul. Mon père et ma mère sont là. Mais je ne les vois pas. Rarement. Peu d’images. Sinon je suis seul. Je me vois dans l’appartement de Marseille. Seul à travers les pièces. Je ne joue pas. Je vais d’une pièce à l’autre. Il n’y a jamais personne dans les pièces. Pourtant ils sont là. Mais leurs regards ne m’appellent pas. Il n’y a pas de reflet. Je ne me vois pas. Au fond de moi il y a toujours quelque chose d’effondré. J’ai neuf ans, c’est la première télévision. Elle est là depuis quelques jours. On est au mois de mai. Je m’en souviens. Au mois de mai. A la télévision ils commémorent. Première télévision en noir et blanc. Elle est posée sur la petite table roulante, à coté du secrétaire. Je suis assis par terre, sur le tapis. Je ressens à nouveau la morsure du souvenir. La morsure, à l’intérieur. Un patchwork d’images. Souvent il n’y a pas d’émotion dessus, dedans. Je les vois. Et c’est tout. Je les laisse. Elles ne me disent rien. Comme si elles n’étaient pas à moi, et il y en a d’autres où l’émotion est impossible. Comme celle-là. Toujours aussi incompréhensible. Toujours impossible. Je suis assis sur le tapis et je dois jouer. Ca je ne m’en souviens pas. Des jeux. A neuf ans je suis dans l’épaisseur de l’ennui. Déjà. Je ne me souviens pas des jeux. A neuf ans on ne joue pas seul. On est seul, c’est tout. La télévision est là, et puis brusquement il y a l’image. Ils commémorent les camps. Et brusquement je vois cette image en noir et blanc. Ce sont des corps décharnés. Nus et décharnée. Un tas de corps nus. Des hommes des femmes empilés. Derrière, des baraquements, des sortes de maisons de bois. Et devant ce tas humain. Non, ce n’est pas humain. Je ne comprends pas. L’air me manque. Je suis devant l’image. Non, je suis dedans. Dans ma tête quelque chose se casse. L’image n’arrive pas rentrer. Un tas d’hommes et de femmes empilés dans le décharnement, et la mort. J’ai envie d’appeler. Les mots ne sortent pas. Ma mère est à coté, dans la cuisine, elle ne peut pas voir l’image. Je ne peux pas lui dire. J’ai peur, et pourtant je regarde. Je ne peux pas m’enfuir, je suis collé sur l’image. Presque à l’intérieur de l’image. Des hommes en uniformes jettent des corps nus sur ce tas immense de chair et d’os. Mais ce n’est pas, ce n’est plus vraiment, de la chair et des os. C’est de la mort. Les têtes n’ont plus de cheveux, et les corps sont nus, on voit des sexes d’hommes et des sexes de femmes empilés dans un désordre de corps impossible. Les membres raides sont tordus dans des positions impossibles. Je voudrais partir. Ne pas être là. Mais déjà l’image est dans mon sang. Elle se mélange. Cela dure quelques secondes, à peine quelques secondes. Je voudrais crier, mais rien ne sort. Je voudrais pleurer, mais rien ne pleur. Dans la télévision les images partent, elle ne sont plus là. Et moi je suis toujours devant. Impossible de bouger. J’ai toujours l’image des corps nus incrustée derrière les yeux, dans la tête, à l’endroit où quelque chose s’est cassé. « Franck, qu’est-ce que tu as ? » « Rien, j’ai rien… »

C’est à partir de là que les choses sont devenues compliquées. Ca va durer des mois. Des nuits. Des mois de nuit. Le soir, je ne voulais pas me coucher. J’avais peur. C’est normal, souvent les enfants on peur d’aller se coucher, peur de retrouver leurs cauchemars, peur d’être sans réveil, d’être perdu dans un éternel sommeil sans réveil. Le premier soi fut terrifiant. L’image revenait sans cesse. Elle me passait dans tout le corps. « Maman ! Je ne peux pas dormir, j’ai des cauchemars dans la tête…. » « Fais pas l’idiot, va te coucher, tu vas énerver ton père… »  « Recouches toi, je viens… » Moi, je tremble. Elle le voit. « Qu’est-ce qu’il y a ? » Impossible de dire l’image. Impossible. Ca va durer six mois. Chaque soir. Avec la peur de la peur.  La peur a l’avance. Et l’image. Toujours la même. Toujours impossible à dire. Lui, il ne comprend pas. Lui ça l’énerve. Un soir il cogne. Plusieurs soirs, il cogne. Ma mère en travers de lui. Lui qui la pousse. Je suis recroquevillé sur le lit. J’ai l’image en travers de la chair. Il bouscule ma mère qui crie. Je vois son corps bousculé comme si elle était jetée sur un tas d’humains. Un corps nu qui cascade, qui glisse sur d’autres corps nus, décharnés. Lui il cogne. « Tais-toi… ! ». Moi je ne sens rien. Je ne me rappelle pas avoir senti les coups. Ma douleur est ailleurs. Je sais qu’elle est ailleurs, mais je ne sais pas où. Dans un lieu de la mémoire, sans doute le lieu de l’image. Ma mère glisse sur ce tas d’os humains, elle glisse sur la maigreur de ces corps nus, où je vois des sexes d’hommes et des sexes de femmes accrochés à des chairs qui ne les retiennent plus. Tous les soirs. Pendant six mois. Docteurs, psychologues, qui ne disent rien, qui ne savent rien. Mon père, lui, sait. Ils veulent divorcer. C’est à cause de ça. A cause de moi. A cause des coups. C’est plus possible de continuer comme ça tous les soirs. J’ai peur dès le réveil. J’ai peur du soir, de la nuit, de l’image. Je me mets à saigner. A saigner du nez. C’est des hémorragies impossibles à arrêter. Un jour dans la voiture. Sa voiture. Il ne s’arrête pas. Le sang coule. N’en finit pas de couler. Je me vide. J’ai l’impression que l’image s’en va avec le sang. Que tout s’en va. Je n’ai pas peur du sang. Il y en a partout. Il ne veut pas s’arrêter. Ma mère crie, hurle. Ils se battent, la voiture roule toujours. Après des mètres de gaze. Le sang s’arrête. Six mois, et peu à peu l’image est partie, elle s’est lentement condensée.

Après de nombreuses années, je suis en analyse. C’est alors qu’elle revient. Dans les mots d’abord. Pendant des semaines ma parole tourne autour de cette image. Elle revient comme un écran. Pour faire écran. Je ne peux rien dire de l’holocauste. Ce n’est pas la même histoire. Sauf que quelque chose en moi ne peut se dire aussi.  Je ne peux rien dire qui ne soit pas indécent. Pourtant cette image de l’histoire est rentrée dans mon sang. Ce n’est pas mon histoire, et pourtant c’est aussi mon histoire. Pendant des semaines sur le divan ma parole cherche. Comme s’il y avait un secret. Mais il n’y a pas de secret. Il n’y a rien à trouver. Ou une si pauvre vérité. Ma parole suffoque, s’épuise, dans les sens à tiroirs, des sens gigognes. Derrière, les mots d’autres mots, cascades de sens, enfilade de significations, glissement, dérapage de la mémoire. J’ai l’impression de remonter vers une source. Mes mots disent l’accouchement. Derrière l’image, il y a l’accouchement. J’ai la tête prise dans un étau. Il faut sortir, je suffoque. L’impossible naissance. Mes mots ignorants de moi-même disent les avortements, les fausses couches. Moi, je ne dis rien : je ne sais pas. Mais les mots disent tous ces petits morts du ventre de la mère. Ils disent le sperme trop clair du père, si peu riche, si peu habité, si peu prometteur. Ils disent la mère aux parois trop lisses, qui laissent glisser les enfants. Ils disent tous ses petits mort, avant. Ces petits morts de frères, morts de sœurs. Et puis tous ceux après. A chaque fois on les jette sur un tas. Ils n’ont pas de forme. Pas de nom. Pas de sexe. Pas d’images.

Elle est enceinte. C’est moi. Pendant cinq ans ils ont essayé. Moi je tiens. Moi, je ne me décroche pas. Moi je reste. Elle, elle ne veux plus de lui, du père. Alors elle ne veut plus de moi. Elle veux, mais ne veux plus. Plus avec lui. Elle a peur. Je sais qu’elle a peur. Mais moi, je tiens. Moi, je suis là. Après moi, les autres ne tiendrons pas. Sur un tas. Ils glisseront sur un tas d’os et de sang, de sang en noir et blanc. Ce n’est pas de vrais souvenirs. C’est juste mes mots qui disent…. et l’image. Toujours plantée. Et moi qui suis vivant. Encore. Comme un rescapé coupable. 

C’est au début de cette année. Ils commémorent à nouveau. Je regarde à nouveau l’écran. Dans cette sorte de fascination tétanisée. En janvier, je regarde tout.  « Nuit et Brouillard », « Shoa », tous les reportages, toutes les images, quelque chose est a dire qui ne peut se dire. Je lis, je relis Primo Lévy, Semprun, d’autres livres. Plus je lis, plus je vois, plus quelque chose monte en moi. Et puis, soudain, au hasard de l’écran : l’Image. La même, le même morceau de film. La même couleur. Le tas inhumain des hommes et des femmes, des chairs atrophiées, de la vie humiliée. De la vie trahie. Du Mal, avec sa majuscule. Tas inhumains du temps où les dieux étaient distraits. Alors j’ai vu l’image. C’est alors que tout est venu, les larmes à flot, un sanglot incoercible. Quelque chose est venue là. Ce dire à cet instant. Sur cette image, d’horreur. Enfin, les larmes que je n’avais pas versées enfant. L’impression d’être un survivant de mon propre sang, de ma propre histoire.

Quelques jours plus tard je découvrais une Maison, qui s’appelait « Les Récits de la Maison des Morts ».   

Franck.

(Pardonnez-moi s’il reste plus de coquilles ou de fautes que d’habitude, je suis incapable de relire, ce texte)

14 septembre 2005

Cinq cigarettes......

Cette année là j’étais plus à cheval qu’en cours. Tout mon temps libre je le passais au centre équestre. S’occuper des box, des chevaux. Leur donner à manger à boire. Les brosser. Aller jusqu'à la plage, pour que les vagues massent leurs tendons. Cirer, astiquer les selles, les brides. Construire les obstacles pour après les sauter. Je venais presque tous les jours. Ma récompense était de monter. Des cours particuliers avec le moniteur. Cette année là, ce fut des promenades dans le maquis Corse, des galops sur la plage, les obstacles sur lesquels je m’envolais et le dressage. Le dressage était la partie difficile. Dure. Apre. Epuisante. C’est sans doute là que j’ai appris les premières choses utiles.

C’était un temps d’adolescence où la mémoire est encore vierge, où rien n’est vraiment inscrit, où rien ne semble irrémédiable. Le matin on se lève et aussitôt on est dans l’humeur du soleil. Bien sûr c’était un temps où l’amour traversait le corps, mais la trace qu’il laissait était encore supportable.

J’aimais Frédérique. Et elle tournait autour de moi comme un papillon facétieux. J’aimais son rire. Et le clignement de ses yeux. C’était un temps d’odeurs variées et fortes, la sueurs des chevaux, le maquis, les orangers, la fumées des premières cigarettes, les cheveux de Frédérique, et la mer si proche, et le vent du large, et la vie qui poussait dans le sang. Le moniteur utilisait mes bras, mais il aimait aussi m’enseigner. D’abord se taire. D’abord sentir. Laisser monter dans sa chair l’animal. L’écouter, l’entendre. Le voir. Le comprendre. Et l’aimer. Et lui dire qu’on l’aime autrement qu’avec des paroles usées. Lui dire qu’on l’aime, simplement d’un tassement de rein. Simplement d’une tension de plume sur le mors. D’un murmure. D’une longue caresse sur l’encolure. Seul dans le manège, avec Cyrnos. Cyrnos était un drôle de mélange de races. Mais il était beau Cyrnos, fier, joueur. Bai brun. Une crinière noire, et des yeux rieurs. Tout le monde aimait Cyrnos, mais personne ne voulait le monter, son trot était dévastateur. J’aimais Frédérique. J’aimais Cyrnos, dans ce temps d’odeurs d’oranges. Lui, le moniteur, il disait, pas besoin de galoper pour apprendre à monter. Apprend d’abord à marcher droit. Droit et dans l’impulsion. Au pas avec un cheval au travail. Au pas dans la douceur du geste, et dans la fermeté de l’intension.

Cette année là, la police est venue. On les a accompagné dans le maquis. C’est là qu’on a découvert le corps. Avec le fusil. Et le sang. Cyrnos piaffait. Il sentait la mort. Et le désespoir. C’était un temps de jeunesse et de vent. Où rien n’est vraiment inscrit. Sauf ce corps désarticulé, avec la tête dispersée. Et ce sang brun, presque noir sur les rochers blancs, perdu au milieu des arbousiers.

On devient souvent adulte par hasard. Comme ce jour là. Où quelque chose s’est inscrit.

Ils ont enlevé le corps. Puis ils sont partis.

Et je suis remonté là-haut, avec Cyrnos. Et je suis resté longtemps, à coté des roches tachées. Comme obnubilé. Il y avait cinq mégots de cigarettes. Et des allumettes éparpillées. Cinq cigarettes. Le temps d’un courage. Il a du s’asseoir. Et fumer. Et pleurer peut-être. Et attendre. Et avoir la peur collée aux parois du ventre. Une cigarette, et puis l’autre. Et la vie qui défile. Et cette mer si bleue en face. Si désespérément bleue. Puis une autre cigarette, pour faire passer le plomb qui sort du cœur. Et le fusil posé. Peut-être partir, peut-être s’enfuir. Tout recommencer. Il y avait cinq mégots, mais une quinzaine d’allumettes. Le vent sans doute. La peur. Les tremblements. Cinq cigarettes le temps d’une vie. Quand on l’a trouvé son corps avait glissé dans la pente après qu’il eut tiré. Posé comme un pantin. Sa face n’existait plus.

Ce sont les cigarettes que je voyais. Plus que le sans coagulé et noirci par le soleil. C’est long, cinq cigarettes, c’est long et s’est court. C’est rien. Il avait du aimer, ou haïr. Il avait du rêver enfant. Il avait du être un roi dans les bras de sa mère. On n’a jamais rien su de sa vie, de son geste. Moi j’ai dans la mémoire cinq cigarettes, et quelque allumette éparpillées.

C’était un temps d’adolescence, où les amours traversaient nos saisons. Des amours légers comme le vents et bleus comme la mer, là devant.

J’ai repris le pas dans le manège. Droit. Grave. Desserrant les doigts sur la bride. Le corps souple, sans tensions, simplement l’intension ferme d’aller de l’avant. Simplement le désir accroché à l’horizon.

Ecrire c’est un peu ça. Etre dans un geste souple et ferme à la fois. Ne rien tenir et pourtant être là. Droit dans sa parole, engageant sous la masse des chairs de l’animal l’énergie d’un devenir inconnu. Le moniteur disait. Si tu ne l’aime pas tu n’arrivera à rien. C’est un peu comme l’écriture. Il ne s’agit pas de galoper. Etre dans le juste abandon. Tu comprends, il faut de la joie. Même dans la souffrance de tes muscles. Sinon ton cheval s’emmerde. Intéresse-le avec calme, et douceur. Dis-lui dans la vérité de ton geste l’importance qu’il a pour toi. Soi humble, mais fier. Fier de lui. Ne tire jamais sur les rennes, parle lui du bout des doits. Ne le brutalise jamais, fait le rire plutôt. C’est un peu comme l’écriture. Il faut qu’elle monte en toi comme une impulsion souveraine. Il faut que chaque mot soit droit par rapport à ton chemin de vérité. Ne jamais la précipiter, elle doit être ton rire même dans la pire tristesse.

Aujourd’hui ces souvenirs reviennent, comme une marée oubliée. Les cinq cigarettes et les allumettes, et Frédérique, et Cyrnos. Et la mer bleue. Et la vie qui affleure, et la mort, là, tapie. Dans un coin de maquis. Avec sa tache brune. Et l’attente. Et l’écriture. Et cette idée d’être droit, dans l’axe des étoiles. Aujourd’hui ces choses ont déferlées, comme un souffle. Lentement. Un souffle qui me vient, de ces premières choses inscrites dans ma peau comme des énigmes. Ce n’est jamais la bête que l’on dresse, c’est soi et soi seul. Ce n’est jamais l’écriture que l’on travaille, mais elle qui nous ouvrage. Le moniteur disait : entre toi et le cheval, c’est toujours au cheval que je donnerai raison. Et toi là-haut, qui a eu raison de toi ? Avec tes cinq cigarettes. Et ta tête éparpillée.

Parce qu’écrire c’est aussi ça : en avant, droit, et au pas. Même si le galop existe, même si les mots te submergent, souviens-toi de la mesure du pas.

Nous sommes remontés là-haut à cheval. Il y avait Frédérique, le moniteur et moi. A l’approche de la tache, Cyrnos a dresser ses oreilles, et soufflé dans ses nasaux. On s’est arrêté. On a jeté ensemble quelques fleurs d’orangers. Des pétales blancs sur la tache brune. Un peu comme dans l’écriture, quelques mots dénudés sur l’hémorragie du cœur. Quelques pétales blancs, sur cinq mégots de cigarettes. Comme une parole blanchie par l’attente et la peur. Et comme un renouveau et comme une espérance. Et comme un long silence.

Franck

13 septembre 2005

Il est des nuits.....

On arrive à Gao comme si l’on quittait l’océan. Toujours harassé d’une traversée. Lourd d’un voyage. Lourd d’une fin. Les yeux brûlés par les éclats du soleil, par le reste des rêves et le reste des nuits. On arrive à Gao couvert d’un linceul de sable poisseux, collé comme une peau sur la peau. On arrive à Gao toujours à la tombée du soir. Presque en cachette. On arrive à Gao sans tristesse, sans joie. Seulement une immense fatigue. Arriver à Gao c’est arriver de loin, c’est venir d’un désert, d’au-delà d’un désert. C’est avoir franchi sa vie dans une étendue de poussière, dans l’étendue sans fin de nos questions vaines, de nos réponses craintives et faciles. C’est d’avoir mesuré la pauvreté de nos prières, l’étroitesse de nos désirs. Et nos misérables souffrances. Arriver à Gao c’est être un naufragé, puisque là-bas, plus au nord, quelque chose de nous est resté. Peut-être le meilleur. Peut-être le pire. C’est cela qui épuise, ne jamais savoir, même après un désert, même en arrivant à Gao.

Cela faisait plusieurs jours que le marabout voyageait avec nous sur les sacs de dates que le M.A.N. diesel transportait. Il était silencieux. La vitesse du camion faisait flotter son chèche qu’il enroulait comme les gens du sud du Sahara, comme les Touaregs. Ce n’était pas un touareg. Il portait une sorte de grande djellaba bleu clair, qui couvrait un large pantalon de toile légère et blanche, et qui masquait à peine une ceinture où était accroché un poignard ouvragé au bout recourbé. Il avait la peau mate, très foncée, mais pas noire. Il était grand et maigre, des yeux clairs perdus au fond d’un visage sans âge, usé de soleil et de contemplation. Un visage tout en angle. Tout en avancée. Tout en tension calme et sereine. Sur le camion il ne bougeait pas. Il gardait tout au long du jour la même position. Accroupi, les genoux au nivaux des épaules sur lesquels il appuyait ses bras. Depuis des siècles il avait cette position. Depuis des siècles il fixait l’horizon des sables, sans attendre rien. Sans rien espérer, que de pourvoir regarder cet horizon des sables pendant des siècles encore. Il avait fait un trou dans un sac de jute, et de temps à autre il prenait une datte, et la mâchait longtemps, et il suçait le noyau. Longtemps. Ca veut dire quoi longtemps ? Là-bas longtemps ce n’est pas du temps, c’est une distance, c’est une direction, c’est une légende, c’est un mystère. Longtemps. C’est la vie d’un homme, son histoire, ses rêves. Longtemps, c’est un ciel, ou une source, ou les yeux de la reine de Saba, ou la mort et son cortège de djinn.

Il nous a dit : a Gao vous viendrez dans ma maison. Son Français était approximatif. Mais on se comprenait. Pour lui s’était important qu’on vienne chez lui. Sa voix était grave, profonde, traînante. Il accompagnait souvent la fin de ses phrases d’un geste ample de la main, le bras tendu, comme pour désigner au loin le reste d’une signification que les mots sont impuissants à dire. Il hochait la tête, et tout était dit.

Gao, c’est la fin des sables et c’est le début du fleuve. Nous sommes arrivés à Gao, il faisait presque nuit. Nous n’avons pas vu le fleuve, mais nous l’avons senti. Un souffle obscur dans la nuit. Une présence. Un épanchement de vie nouveau. Presque incongrue. Quelque chose était là. En plus. A l’entré de la nuit Gao ce sont des musiques de balafons et de quelque tambours improvisés. La ville est plate sans étage, presque sans éclairage. On s’oriente toujours aux étoiles, et au souffle du fleuve et aux odeurs, et a l’inclinaison de son cœur, à sa nonchalance. A son abandon.

Nous l’avons suivi.  Comme des ombres sans ombres. Sa maison état là. Grand cube de un étage, en terre séchée, sorte de pisé. Un grand cube vide de meuble, vide d’âme. Avec seulement un escalier de terre qui montait sur une terrasse. Une terrasse qui ouvrait sur la nuit. Nous nous sommes installés dans une pièce vide. Il nous fit comprendre que le repas arriverait bientôt. Et qu’il nous attendait sur la terrasse pour boire de thé, le temps que le feu soit allumé.

Et puis sorti de nulle part, une sorte d’agitation calme. Des ombres. Des ombres silencieuses sont arrivées. Un homme squelettique fit le feu à l’air libre sur la terrasse. Il prépara la théière. Sorti des verres d’un sac de toile. Brisa les restes d’un pain de sucre, fit couler de l’eau dans la théière et y rajouta les graines noire du thé. Le marabout était là, assis. Depuis des siècles assit, sur cette terrasse de nuit et de désert. Silencieux. Il y eut un premier cérémonial de thé. Puis l’attente. Puis le silence. Puis la nuit qui s’intensifie. Une femme voilée est arrivée. Elle a posée une bassine en émail au centre du cercle que nous formions, et puis a disparu. Une ombre dans l’ombre de la nuit. Dans la bassine il y avait du mil cuit et au-dessus quelques maigres poissons bouillis. En silence nous avons mangé, récupérant avec le bout des doigts cette pâte de mil brûlante. Chacun creusant un cratère devant lui. En silence.

A la fin, la femme est revenue, sortie de nul part. elle à repris, la bassine de nourriture vide. Puis elle a disparu à nouveau. Sans bruit. Sans mot. Depuis des siècles sans mots.

Maintenant nous étions autour du feu. Un autre thé se préparait. Puis ils sont arrivés. Un à un. Des hommes jeunes. Trois. Aux regards éclatants. Avec une immense déférence il ont salués le marabout, puis nous, les invités. Ils ont prit place autour du feu. Le thé a circulé. Le marabout nous a expliqué que ces jeunes gens étaient ses élèves. Et que ce soir il allait les enseigner. C’était un temps où les barbes ne couvraient pas la religion musulmane d’un voile sombre. C’était un temps de l’Afrique pauvre mais sereine. C’était un temps où l’on parlait aux étoiles, la nuit, au bord du fleuve Niger, aux portes de l’océan saharien. C’était un temps sans peur.

Alors il a parlé. Longtemps. Il parlait une langue que nous ne comprenions pas. Mais il s’arrêtait parfois pour se lancer dans une traduction hasardeuse. Qu’importe, sa voix était belle et profonde, elle venait de si loin, d’un désert et du fond des siècles. Toujours avec cette voix de ventre, cette voix grave qui montait dans la nuit. Et sa main qui désignait les étoiles pour les prendre à témoin. Il parla de religion, il expliqua Le Prophète, et Jésus, et le roi Salomon. Il expliqua la reine de Saba, et le berceau de nos fois communes. Il disait qu’on avait le même dieu, et la même espérance. Il disait la Bible et le Coran, en montrant les étoile, en les appelant de leur noms, en expliquant les pays qu’elles désignaient. « Là, dans la direction de cette étoile, si tu voyages quarante lunes tu arrives au pays de Salomon. » « Il faut donner à Dieu, tes mains, ton cœur, et il s’occupera de tes rêves et de ton âme. » « Il faut prier ton Dieu et abandonner ta colère et il te conduira à la source. » « Va dans le désert, cueille un silence et revient. » C’était une nuit du monde, sous les étoiles brûlantes du désert, une nuit de passion dénudée. Pauvre et infiniment abondante.

Sa voix semblait chanter une mélopée lancinante. Seuls ses yeux brillaient. Seule son âme embrasait le ciel. Cette nuit lui répondait, comme chaque nuit de désert répond à celui qui s’est longtemps tu.

Les trois jeunes hommes l’écoutaient en silence, avec seulement quelques mouvements de têtes. « Nos dieux sont des frères, ils viennent du même sable, et regarde le même ciel et s’éclaire du même soleil. » « Chaque homme est un pays, conduit-le à ta source, donne lui de ton eau, et vos pays seront un royaume. Tends lui cette fleur et vous élèverez un temple. Tends lui la main et Dieu priera pour toi. »

Il est des nuits qui prennent naissance hors d’un temps connu. Il faut avoir traversé sa vie comme un long désert pour les contempler. Il est des nuits perdues où dans la voix d’un vieux marabout, un ciel entier s’illumine. Il est des nuits sans peur, puisque tout est là. Dans l’instant. Dans le souffle du fleuve. Dans un thé arachide. « Brûles ton désir aux feux du soleil du désert et une reine embrassera ta main. » « Fais-toi un rêve à la mesure du ciel, et ton cœur sera un jardin aux fleurs éternelles. »

Franck.

12 septembre 2005

Comme un soleil qui monte......

Je l’ai vu arriver de loin. Un point dans perspective du chemin. Un point sans forme précise. Un point qui se rapproche. J’étais assis dans un creux d’existence. Et j’ai vu une silhouette de feu, qui avançait avec une détermination de tonnerre, sur ce chemin pavé de silences et de mots, ce chemin de désordre. Je l’ai vu arriver de loin. Comme de derrière ma mémoire. Nue, habillée de sa seule parole. J’ai vu la poussière que soulevait ses mots à chacun de ses pas, j’ai bien vu la poussière se transformer en poudre d’or à chacun de ses mots. J’ai bien vu dans son approche souveraine mille ans d’histoire s’effriter sous ses pas, trente siècles se répandre comme une rosée de cristal. J’ai vu au loin les dieux fermer les yeux et se mettre à genoux, et prier, et pleurer, et les saintes arracher des soupirs aux cendres noirs des cloîtres, j’ai vu le criminel embrasser la victime, et le bourreau se pendre à sa corde, j’ai vu le sage perdre sa raison et le fou enseigner aux enfants, j’ai vu les mères offrir leurs seins pour sauver les malades, et les vierge chanter dans le vent les prières du matin. J’ai vu les saisons défiler et les heures danser, et les guerriers brandir leurs cœurs ensanglantés empalés sur leur glaives. Oui, je l’ai vu approcher comme un tonnerre de dieu, même son ombre l’avait désertée, seul le soleil pouvait la protéger.

Quand elle fut près de moi elle n’a pas ralenti, elle a simplement tendue la main, pour montrer le chemin. Et je me suis levé. Moi aussi j’ai marché. Quand elle fut près de moi j’ai vu sur son visage le souvenirs des pages blanches, la trace des paroles écrites à l’encre rouge et celles à inventer à l’encre bleue, j’ai vu la forme que prend les rêves brisés, j’ai senti dans son souffle la profondeur des exils, sur le bord de ses lèvres le murmure des aveux. Et sa voix sonnait comme un cor blessé. Un cor immense et profond et lourd. Et blessé.

Sur sa peau dénudée se dessinaient les mondes engloutis, les mers déchaînées, les naufrages humains. Chaque cassure du temps était transcrite à l’endroit de douleur, à l’endroit du mystère, à l’endroit meurtri, fracturé, éventré, gravé en lettre blanchie à la chaux, en lettres pleurées, en lettre hurlantes.

Elle marchait vite et droit. Droit et longtemps. Et j’ai suivi un temps. L’espace d’un printemps. A chaque étape un pays. A chaque pays une misère. A chaque misère un soleil. Et demain, et toujours, et sans cesse refaire le même souvenir avec des mots nouveaux, venus de la même chair, sortis du même sang, du même cri. Elle marchait comme une guerrière, sans se retourner puisque le passé était là, devant, comme un baiser mortel, comme une urgence impossible. Là. Seulement là. Et ce goût de la vie et ce goût de la mort et ce rire étranglé. Et cet or sur la route à chacun de ses pas. Et les morts à convaincre de respirer encore, une dernière fois. Et l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Elle marchait vite et droit, sans baisser son regard, sans trembler. Mot après mot. Mort après mort. Nuit après nuit. Des sanglots dans les rires. Oui, je l’ai vu traîner l’univers pour le faire plier et l’obliger à rendre l’âme des hommes, des femmes, des enfants, des errants, des perdus. Les âmes volés. Les âmes souillées. Les âmes oubliées. Oui, j’ai vu l’écriture s’engendrer pour désigner plus fort chaque lâcheté. Pour éclairer et dire autrement les parures du vrai. J’ai vu les Galaxie à l’envers, s’excuser pour leurs indifférences. Et les puissants rougir de leurs indécences. J’ai vu les riches brûler leurs richesses. Et les pauvres embrasser son sourire.

Elle marchait vite et droit. Je l’ai vu s’éloigner sur le chemin des mots. Comme une guerrière, sans se retourner. Simplement l’amour qui gueulait, qui gueulait, qui gueulait. Laissant tomber son or, d’une langue souveraine. Offrant, sa chair carbonisée, son sang calciné, sa mémoire embrasée, même aux morts. Surtout aux morts. Pour leur donner la force de sortir de leurs cendres.

Elle n’est plus qu’un point au bout du chemin. Il n’y a plus que l’or au bout du chemin. Et ce point si proche du ciel, qu’on le croirait dans le ciel. Comme un soleil qui monte à l’horizon. Étincelant d’une infinie miséricorde.

Franck

11 septembre 2005

Je sais des silences.....

Je parle du silence. Souvent. C’est un lieu étrange, qui m’habite comme un ciel tourmenté. C’est une immense mer aux rives brumeuses, aux contours disparus. C’est un lieu de profondeur sans épaisseur. Sans naissance et sans mort. Mais les silences ne se valent pas. J’aime le silence. Je n’aime pas tous les silences. J’aime la parole, je n’aime pas toutes les paroles. Le silence a deux couleurs. Deux non-couleurs. Le silence blanc et le silence noir. Le blanc couronne la langue du lait, il est l’or d’une parole qui a suffisamment signifiée et qui s’efface. La parole se retire et ouvre un ciel. La parole se retire et appelle un monde. La parole se retire et emporte avec elle nos guerres, nos stridences, nos impatiences. Elle emporte le vacarme de notre vie et jusqu’à notre présence. Silence blanc d’une harmonie enfin retrouvée, silence blanc d’un abandon enfin consenti, silence blanc d’un temps qui ne blesse plus notre chair, notre mémoire, notre espérance.

Silence blanc qui permet l’envol de la flamme dans sa plus juste tension, parce que le poids s’allège et que la grâce affleure. Silence blanc de l’offrande amoureuse, avant le geste, après le geste, ou comme un geste apprivoisé soumis au regard attentif et bienveillant qui l’accueille. Se taire pour laisser la place au monde. Se taire pour trouver sa place, ici, dans l’instant de mon souffle et dans la plénitude de mon dénuement. 

Et l’autre. Le noir. Celui que je connais si bien. Je suis issu d’un silence noir. Né dans cette béance, de cette béance. Le silence noir est une hémorragie, une fleur de néant, une orchidée d’absence brûlée par l’oubli. C’est la vague écrasante qui déferle par ennui sur les insuffisances d’une vie, c’est le silence du crime quand le crime se commet, quand il est consumé. C’est la douleur sans mots, parce qu’elle est sans rémission. C’est le bruit qui s’arrête épuisé de lui-même et gorgé de vengeance. Il est nourrit d’indécence, d’impudeur et d’orgueil. C’est le trop plein du crime, le reste du sang, le reste d’une attente vaine. Le silence noir a le poids du péché et le goût du mépris.

Il parlait peu. Il a toujours parlé peu. Sauf les jours de vin. Sinon, il parlait peu. Il parlait avec ses yeux, avec ses maxillaires. Avec ses silences surtout. Il parlait avec son mépris. Avec sa distance. Parce que ses silences étaient pleins. Epais. Sa parole arrivait comme une délivrance, même les paroles cassantes. Son pouvoir était fait de silence. C’est là que je suis né. Au cœur de ce silence noir et épais. Sauf les jours du vin. Où les mots venaient en cascades déferlantes. Où les mots déferlaient comme un poison dans le sang. Où les mots épais, s’empilaient sur les silences épais. Il est des silences généreux où chacun a sa place, il des silences meurtriers qui aspirent la vie, les sourires, la couleur des jours et jusqu’aux joies les plus simples. Lui il taisait les autres. Il les enfermait dans une absence de mot. Sa femme, ma mère. Et moi, son fils. Tout devait être réduit au silence. Et les coups ne s’arrêtaient que lorsque que je me taisais. Vivre en silence, souffrir en silence, haïr en silence, mourir en silence. Il y a des silences de paix, il y a ceux de guerre aussi. Il est aisé de briser la parole, parce qu’elle est fragile, inconstante, évanescente. Le silence noir ne se brise pas, parce qu’il est fort de nos peurs, de nos faiblesses, de nos forfaits, de nos trahisons, de nos omissions. Le silence noir est un lit boueux. Il taisait. Et brusquement il n’y avait plus d’espace. Plus de lieu. Il taisait. Et il n’y avait plus de vie possible. Plus de respiration suffisante. Il taisait, et la parole de l’autre s’éteignait. Il taisait, parce qu’il y a des silences d’une violence absolue. Comme les paroles du vin qui sont elles aussi dans la violence. Le samedi soir il parlait. Pas tous les samedi. Il parlait de lui. De lui. D’un lui suffisant. Il disait ses histoires. Toujours les même. Toujours le même, lui. Et toujours pas d’espace. Sinon, l’espace du vin et l’ivresse des mots qui jouissent d’eux-mêmes. Partager la bière comme partager la haine. Nous ne partagerons plus la même bière. Ni le même caveau, ni le même ciel, ni les mêmes silences. Je ne suis pas de toi, papa, puisque je m’accouche tous les jours un peu plus. Je ne suis pas de toi, parce que je ne suis plus de ton silence. En fin de nuit souvent revenait la même histoire. Tes actes de bravoures. La libération. Le débarquement a eu lieu. Il est temps de s’affoler. Bien sûr tu es jeune. Tu fais parti de ceux qui on eut honte, et de ceux plus rare qui trouvait beau les chants allemands. Il était temps de résister. Alors il y a eu l’attentat manqué contre ce capitaine de la gestapo. Il vous attendait. C’est ce que vous avez dit. Vous avez été trahis. C’est ce que vous avez dit. Alors celui-là, vous l’avez pris. Alors celui-là vous l’avez massacré. Souvent, le samedi soir tu racontais dans les parole du vin cette histoire. Je l’ai entendu cent fois, peut-être mille. Peut-être que je l’ai toujours connue. Peut-être que j’y étais. Dans l’avenue de la gare. Tout ce silence. Et tous ses mots du vin. Il ne voulait rien dire, il disait qu’il ne savait de quoi on lui parlait. Il restait silencieux. Il n’était pas courageux. Mais il restait silencieux. Dans le silence du vin, j’écoutais chaque samedi la parole du vin. Toujours la même histoire, tu employais toujours les mêmes mots, les mêmes séquences de mots. C’est fréquent avec la parole du vin. Vous l’avez pris, et il ne disait rien. Tu m’as dit que dans l’avenue de la gare, Pep t’a pris le pistolet des mains et l’a achevé comme un chien. Parce qu’il était presque mort déjà. Et il ne disait rien. Tu m’as dis qu’il ne pouvais plus rien dire a la fin. Parce qu’il était massacré. Toujours les mots. Le silence de l’autre. Mille fois la même histoire. Sans dévier. Souvient toi un soir. La parole a déviée. Moi je ne buvais plus. Toi tu continuais. Jusqu’au bout tu as continué. Alors bien sûr tu finissais par la même histoire ? L’attentat manqué. L’interrogatoire du traître. L’avenue de la gare. Pep, qui prends ton pistolet. Pep qui t’écarte. Pep qui tire. Mais ce jour là je n’étais plus dans le silence du vin. « Je suis sûr, papa, que c’est toi qui a tiré… » Tu m’a regardé. Tu n’a rien dis. Tu m’as regardé. Ton silence avait changé. Brusquement il était devenu accessible. Presque humain. La parole du vin s’est suspendue. La première fois. Dis papa pourquoi tu ne dis rien ? Pourquoi ce silence.  Pourquoi tu as tiré ? Pourquoi tu as tué ?

Je sais des silences lumineux, éclatant comme un ciel étoilé, je sais les silences amoureux des peaux qui se frôlent. Je sais mon silence, et sa source et son eau, et je sais le chemin, et l’offrande et peut-être l’oubli.

Dis, papa pourquoi tu as tiré ?

Franck.

10 septembre 2005

Il neigeait.......

C’était juste après les fêtes de fin d’année, début janvier. Elle m’a simplement dit qu’elle était de passage à Paris et que nous pourrions nous voir. En ami. Pour parler d’astrologie. De ses astres. De son présent. De son futur. Tout le monde a un passé, un présent, et un avenir. Certains ne le vivent pas dans cet ordre. En fait il n’y a pas vraiment d’ordre pour vivre. La vie n’est pas raisonnable. On croit connaître notre passé, mais souvent il n’en est rien. On croit connaître notre présent, mais souvent, il n’en est rien. Quand à l’avenir, on ne le connaît jamais même s’il nous occupe la plus part du temps. Nous sommes dans des temps à contre temps. C’est banal de le dire. Elle m’a dit que ça allait, mais que bon, pas si bien que ça quand même. Ca serait bien d’en parler. En ami. Comme ça autour d’un coca. De vive voix cela serait mieux qu’au téléphone. Parce que souvent, dans la vie, les heures pataugent. Comme cet enfant accroupi autour d’une flaque d’eau et qui tape en faisant des éclaboussures, qui tape sur son reflet qu’il ne reconnaît pas. Qui tape sur une vie qu’il ne sent pas dans ses veines. Un petit Narcisse de colère. Les heures pataugent. Nous éclaboussent de leur vacuité. Parfois un éclair nous traverse, rarement. On sent bien que tout est écrit, qu’on est condamné à réécrire, et à redire, et à rejouer la même pièce. A redire et réécrire notre impossible, notre indicible. On le sait. Mais on continue. Puisqu’on sait faire que ça : continuer. Même en tapant sur un reflet tremblant dans l’eau douteuse d’une flaque d’eau. Sandra allait bien, mais pas si bien que ça. Alors parler des planètes, de l’avenir, c’était bien. Même si c’est faux, c’était bien. Parce que c’est bien d’imaginer que dans le ciel il y a quelque chose d’écrit pour vous. Et pour vous seul. Sandra voulait s’entendre vivre, elle et elle seule, dans la parole d’un autre. Parce que tout dans sa vie n’était pas si bien. A cause des peurs, des souvenirs, à cause de la langueur dans son sang. A cause des larmes qu’elle verse quand son mari la caresse, et lui fait l’amour. A cause des désirs étouffés, des révoltes avortées qui gisent abandonnées dans un placard noir et sombre, en bas, à droite du cœur. Pourtant dans sa voix, j’entendais tous les restes d’une enfance joyeuse, tous les rires d’une adolescente effrontée, tous les silences d’une jeune femme perdue. Une belle voix, riche. J’aime les voix, celles qui portent les mots, celles qui osent porter les mots. L’offrande du souffle et du son. C’est un beau chemin la voix de l’autre. J’ai tout de suite aimé la voix de Sandra. Au téléphone. Une voix qui porte avec douceurs ses hésitations. Sandra chante. Justement parce qu’elle a une belle voix. Mais ce que j’ai préféré ce sont les petits espaces, les petits vides entre les mots. La vie qui se suspend un court instant, un petit creux dans le trop plein, qui dit la blessure, qui dit ce qui ne sera jamais dit. Alors on s’est donné rendez-vous dans un café de Montmartre. Au pied de la Butte. Journée grise d’hiver. Journée qui attend la neige. Qui l’espère. Une chute de blanc sur nos corps sans ombres. Un étouffement de blanc. Du blanc sur nos sanglots étranglés. Du blanc dans nos tremblements. Et l’attente. De la chute. Comme une délivrance. Comme une grâce. Comme la fin d’un rêve qui s’effondre et s’effiloche au réveil. Impossible réveil, impossible blancheur, impossible attente. Et pourtant l’attente. Sandra attend que la vie s’intéresse à elle. Moi j’attend la fin. Je suis arrivé en avance. Beaucoup trop en avance. Quand on attend la fin, souvent on arrive en avance. Je buvais un café. Je faisais des mots croisés. Ceux de Scipion. Un truc que mon père m’a laissé. Scipion et ses définitions alambiquées, à tiroirs. Je me dis que c’est agréable d’attendre une jeune fille. En ami. Qu’elle va entrer dans ce café comme la blancheur de la neige, comme la fin d’une attente, comme un début. Je me dis que fatalement mon cœur chavirera. Et que ce n’est pas grave, qu’une averse de neige sur un cœur noirci de cendre, ce n’est pas grave. Que rien n’est grave. Rien. Je me dis que ses yeux seront comme sa voix, juste colorés d’absence, des yeux de rivière rieuse qui coure vers demain, qui coule vers l’errance. Je me dis que dans quelques minutes je serais amoureux. Chez Scipion le « un » horizontal et le « un » vertical n’ont pas de cases noires. « Ordonnance ou sur ordonnance » en douze lettres. J’attends, je cherche. Je suis en avance. Elle entrera et tout deviendra nouveau. Comme la page que l’on tourne pour écrire une nouvelle lettre d’amour, sur un vieux cahier usé, blessé. Blanche, comme la neige qu’on attend. Nouveau. Il fait chaud dans ce café. Il fait bon. Il fait l’attente quand elle est au début. Douze lettres : « Ordonnance ou sur ordonnance » Les mots se tirent la langue. Si je trouve, ça voudra dire qu’elle sera à l’heure. Le « un » vertical : « Futur antérieur » en dix lettres. Ca tombe bien comme définition. Au départ, avec les mots croisés on a rien, pas un mot. On ne sait rien. On ne trouve rien. Comme dans la vie. Et puis les lettres arrivent, par petits morceaux, par petits mots. Des mots qu’on attrape par le ventre, par le milieu. On trouve. Ce n’est pas comme dans la vie. Il n’y a rien à trouver, dans la vie. En fait, on ne sait jamais rien. C’est pour ça qu’on continue. « Futur antérieur » en dix lettres. Dans la vie il n’y a pas de mots qui correspondent à une définition. La grille est vierge. Que des cases blanches. Comme la neige qui ne vient pas. Que des cases blanches. A la fin, que des cases noires. Si je trouve le deux vertical, le rendez-vous sera lumineux. Dans ma poche j’ai quelques feuilles pliées. Des cartes du ciel, avec des dessins cabalistiques, des symboles. Je souris. C’est dérisoire. Lumineux, comme la neige, comme un feu, comme un ciel. Comme l’attente au début. « Ordonnance ou sur ordonnance », je crois que j’ai trouvé : Prescription. Ca colle avec le nombre de lettre. Bon ça veux dire qu’elle sera à l’heure. Je regarde les dessins. Son thème que je commence à connaître par cœur. Un mélange de légèreté et d’ombres. De puérilité et de gravité. Oui, je vois bien l’ombre de Saturne. Ses anneaux auxquelles nos chaînes s’accrochent. Toujours regarder Saturne dans un thème. C’est lui qui tient les clés. « Futur antérieur », il faut que je trouve avant qu’elle arrive. J’ai le P de prescription. Elle va arriver, et je sais que je devrais prendre une partie de sa peur, une partie de son angoisse. Je devrais soutenir le temps de quelques heures, un morceau de sa vie. Alléger le poids. Je devrais trouver les mots justes, ceux qui lui parlent. Ceux qu’elle entend. Des mots de neige blanche. Frais et doux. Froids mais légèrement brûlants. Comme l’absence. Ou l’attente. Avec le P c’est facile : Prescience. Oui, là aussi ça va. Le mot croisé est décoincé. Comme la neige qui commence à tomber. « Effets de lune » en quatre lettre. Maintenant les mots viennent et se croisent vite. Et puis elle est là. Slip. J’adore Scipion. Elle a repéré le livre posé à plat sur la table pour que l’on se reconnaisse. « L’inespérée » de Bobin. J’était dans une époque Bobin. Il y a dix ans c’était à la mode de l’aimer, aujourd’hui c’est l’inverse, il est de bon ton de ne pas l’aimer. Des paroles hésitantes un peu gênées. Déjà le monde est différent. Elle est comme je l’avais imaginé. Claire comme un soleil d’hiver. Surtout les yeux. Brillants, à cause du froid, dehors. Surtout la bouche et son sourire triste. Surtout ses gestes maladroits. Un chocolat chaud. Et le monde change. Paroles convenues. Je ressors mes papiers : son ciel qui était plié dans ma poche. Ses étoiles que j’avais écrasé sur mon cœur, son avenir. Le temps à glisser avec douceur. Bien sûr c’était à moi de parler de dire le vrai, sur l’impossible à dire. C’était à moi de dire ses orages, et ses joies, de dire pourquoi maintenant, alors que tout devrait aller bien, elle avait ce lac sombre, ce marais d’indifférence au fond du ventre. Pourquoi il ne restait que les épines à sa rose. J’aime parler d’astrologie. J’aime raconter leurs étoiles aux gens. J’aime les emporter dans l’histoire d’eux-mêmes, et peindre ce qu’il croient connaître de couleurs singulières. Comme la neige qui recouvre peu à peu la ville. La nuit est tombée. Dehors quelques flocons n’en finissaient pas de voler. Maintenant nous étions proches. Dans l’intimité d’une parole d’étoiles. Dans le café les gens entraient, sortaient. On ne les entendait pas. La parole intime est comme une muraille, comme un château, c’est un pays étrange. La parole intime se fabrique avec des murmures, des silences, elle est proche des lèvres, elle est tendue à l’autre dans un simple mouvement de la langue et on l’offre naturellement avec un souffle. La parole intime est faite d’un grand voile de velours que l’on tisse avec des mots qui se dénudent avec lenteur et sans impudeur. La parole intime est une longue promenade dans sous-bois traversé par les rayons du soleil. Elle en a la saveur, les odeurs, et les frémissements. C’est elle qui voulu marcher. Dans la nuit. Monter au Sacré-Cœur. Marche après marche. Lentement. Nous étions coté à cote. Nous ne sentions ni le froid, ni la nuit. C’était un temps doux. Sans raison. C’est elle qui m’a pris le bras et a glisser sa main dans ma poche de manteau. C’est elle qui s’est serrée. Pendant qu’on montait les dernières marches. C’est elle qui a posée sa tête sur mon épaule. C’est elle qui a imposé le silence lumineux. Qui a fait taire la parole de l’intime, pour nous glisser dans l’intime de l’intime. Entre deux lumières de réverbère, sur les marches à peine blanchies par la neige. J’ai posé mes lèvres sur les siennes. Nos lèvres refroidies. Elle a ouvert le cœur brûlant de sa bouche. J’ai le souvenir d’un ralenti. Ma poitrine battait, le muscle du sang cognait à l’intérieur. J’ai tenu sa tête entre mes mains, pendant que nos bouches s’échangeaient leurs salives, pendant que les langues disaient tous les mots oubliés. Un baiser long dans cette nuit froide, qui consolait on ne sais quelle véritable tristesse. Un baiser d’abandon. Un baiser qui n’en finissait pas de dire l’épuisement de la terre et des chairs et des os. Un baiser long aux salives amer et douces. Nos manteaux et le froid empêchaient des gestes trop sensuels. Nous serrions mutuellement nos joues dans nos mains comme pour presser la vie de l’autre par la bouche, pour la boire et se dire sauvés des naufrages, des oublis, des absences. Un baiser de présent sans avenir. Qui devait être en totalité là, sur ces marches, dans cette nuit, dans ce silence. Peut-être l’unique baiser qui devait tout résumer. Qui devait être le début et la fin. Qui signifiait tout dans l’instant et sans doute plus rien après. Un baiser long pour ne pas finir, pour ne pas mourir. Baiser de bruit de bouche, de dents cognées. Un baiser long comme un long désespoir, un baiser violine au goût de chocolat, un baiser d’hiver.

Arrivé chez moi je n’ai pas allumé la lumière. Arrivé chez moi je l’ai lentement déshabillée. Nous nous sommes allongés en silence sur mon lit. Comme si toutes paroles étaient devenues vaines. Et c’est avec lenteur que nous nous sommes aimés. Avec douceur. Son corps sentait un parfum de fruits. Son corps voulait s’ouvrir. J’ai caressé sa peau, j’ai senti sous mes doigts la lourdeur de ses seins, j’ai léché son ventre souple et généreux, je me suis perdu dans les lèvres de son sexe et j’ai bu ses eaux secrètes. J’ai serré dans mes bras ce corps qui se donnait, effleuré, câliné ces fesses qui se tendaient. J’ai accompagné chacun de ses cris et tremblé avec elle à chaque tressaillement. Elle m’a guidé au cœur des ses plaisirs les plus sanglants, les plus incandescents. Elle a tendu son ventre, et j’ai tendu le mien. Ella a serrée ses cuisses autour de mes reins. J’ai embrassé son ombre et ses yeux scintillants, et sucé sa poitrine, et aspiré ses chairs, ses sucs, et sa vie, et sa tristesse et sa joie aussi. Dans le seul silence de l’abandon. Dans cet instant dérobé. Hors du temps. Hors de nos temps. Elle s’est endormie enlacée à mes rêves. Elle à juste dit « Chut…. Ce n’est pas une histoire d’amour Franck. Chut… ne dit rien. » Elle s’est endormie. J’avais sur le corps le poids de sa chair, j’avais sur le cœur le poids des amours impossibles, j’avais tout autour de l’âme un immense arc-en-ciel.

Parfois elle m’écrit Sandra. Des petits mots, avec des smiley en formes de clin d’œil. Jamais nous avons parlé de cette journée, de cette nuit. Comme si les mots ne pouvaient rien dire, de la neige, du blanc, et d’un arc-en-ciel au bout de l’âme.

C’était en janvier. Ce jour là il a neigé. J’écrivais des mots sans les montrer. En janvier aucun Ange ne m’avait encore visité. Sans doute fallait-il préparer la place. Pour un ange aux ailes si grandes.

C’était en janvier, ce blog n’existait pas, et j’étais déjà mort, mais je ne le savais pas.

Franck.

5 septembre 2005

Que faisons-nous.....

On vit dans un drôle de monde. Cela fait quelques jour que j’ai arrêté de poster régulièrement. Et la machine continue à tourner toute seule. On n’a même plus besoin de moi. Je trouve cela plutôt bien. Quelqu’un me disait récemment : " J’écris, et personne ne vient poser des commentaires. " Chez moi c’est l’inverse.

Oui, vraiment on vit dans un drôle de monde. Chacun dans sa bulle. Aveugle et sourd, mais surtout pas muet. Nos ego, bourgeonnent, gonflent ; et alors qu’il faudrait lutter contre cette tendance morbide d’exister avec un moi malade de lui-même, - ne serait-ce que pour rencontrer l’autre et l’accueillir dans un cœur laver de nous-même – que faisons-nous ? Au lieu de retenir nos élans violent, que faisons-nous ? Au lieu d’être silencieux ou reconnaissant que faisons-nous ? Au lieu d’habiller notre âme pour recevoir l’amour que faisons-nous ? Au lieu d’accepter les différences, que faisons-nous ? Au lieu de brûler nos faiblesses, que faisons-nous ? Au lieu de dire que la parole de l’autre me grandit, quelque soit la parole, parce que cette parole s’adresse à nos manques, nos absences, que faisons-nous ? Au lieu de dire, " c’est à moi d’être à la hauteur. " Que faisons-nous ? Au lieu de penser que la trahison pourrait aussi venir de soi que faisons-nous ? Au lieu de voir la beauté évidente de l’autre, que faisons-nous ? Au lieu d'écouter, que faisons-nous ?

Oui, que faisons-nous ?

Franck.

31 août 2005

Au moins j'ai pu le retourner.....

Estelle, elle m’appelle presque tous les jours. Depuis le mois de juillet. C’est difficile pour elle. Daniel est mort. Son ami, son compagnon, son amour. La mort est un pays caillouteux interminable. Ils ont eu six mois de bonheur. Le reste, la maladie, longue. Estelle, avant était forte, énergique. Là, elle ne veut plus rien. Si, elle voudrait mourir. Le rejoindre. En finir. Pour continuer à l’infini avec lui. " Vous ne pensez pas, Franck, qu’après la mort… la haut … il y a quelque chose ? " Je ne sais pas. Je ne crois pas. Il faut vivre Estelle. Encore un peu. Ma voix n’est pas convaincue, ni très convaincante. Pourtant, oui il faut continuer. Quand j’ai vue Estelle il y a une quinzaine de jours, elle pleurait beaucoup. Elle répétait toujours les même phrases, les même mots. " Je suis tellement triste ". Une fois dite la phrase provoquait des sanglots. Estelle ne veut plus avancer. Six moi de bonheur. Ce n’est pas assez. " Vous savez, Franck, avec Daniel, on s’aimait. Vraiment, on s’aimait. ". Elle ne dort plus. Alors elle boit un peu. Beaucoup. Du vin. A sa voix j’entends…. les mots du vin. Elle n’en veut plus de cette vie. Les mots du vin avec leurs épaisseurs, leur écho, et l’interminable redite, de l’absence, de la peur, et les larmes qui étranglent. Et le chagrin qui colle aux heures, aux secondes. Elle a essayé avec des médicaments. Fin juillet. Une nuit de vin, une nuit de trop. " J’ai tout raté, même ça… je n’ai réussi qu’à m’assommer pour deux jours. " " Et avec mes fils ?… avec le plus jeune on est brouillé… et avec le grand…il a sa vie.. ". " Je n’ai rien qui me retient ici… ". La semaine dernière, le téléphone lui a annoncé que la mère de Daniel venait succomber d’une crise cardiaque. Quand le sort trouve un coin, il tape, il tape. " Nous étions bien toutes les deux, on parlait de lui… Voilà, ça continue… jamais ça pourra s’arrêter. Il faut que j’aille là-bas. Vous comprenez, ils vont rouvrir de caveau. "

On s’est parlé aujourd’hui. Je vais à Paris, je la verrais. Sa voix est cassée. Le vin. Elle me dit qu’elle contente quand même. Parce qu’elle a pu retourner Daniel. " Ils avaient disposé l’urne à l’envers, alors ça ne pouvait pas aller. Je l’ai retourné. Je me sens mieux. Il est droit maintenant. " " On peut pas monter au ciel la tête à l’envers ". Elle me dit qu’elle va mieux. Je verrais bien ce week-end. Elle m’a dit qu’elle irait voir un docteur, qu’il faut qu’elle remange, qu’elle redort. Estelle parle beaucoup, elle donne toujours tous les détails. " Quand, il était encore conscient, il m’a dit : je veux que tu sois heureuse. Mais vous comprenez, sans lui….j’aurais l’impression de le trahir… " Ecoutez-le Estelle. Posez votre verre, et essayez encore coup. Une fois encore, je suis sûr que ça va marcher. " Je suis heureuse, au moins j’ai pu le retourner… Je suis tellement triste, mais maintenant qu’il est droit…. "

Oui, il est droit, Estelle, et vous aussi vous êtes droite. Difficile de respirer quand la mort étouffe les jours. Mais vous êtes droite. Posez votre verre Estelle. S’il vous plait, posez-le ! Je vous raconterai mes histoires de blog…
Ce matin je disais dans un courrier : quand une étoile s’éteint, il y en a une qui s’allume. En fait c’est faut, quand une étoile s’éteint, il y en a deux qui s’allument. Et je connais leurs noms.

Franck

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