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J'irai marcher par-delà les nuages
8 avril 2005

La langue du lait

Voilà, c’est aujourd’hui. J’intègre la planète blog. Cela fait longtemps que j’hésite. C’est mon Ange qui m’a décidé, cela fait deux jours qu’il bat des ailes autour de moi, et j’ai bien vu à son air renfrogné qu’il était temps d’agir.

Drôle de journée pour commencer. On enterre un Pape. Le monde dans l’émotion d’une perte, avec l’extravagance des commentaires superlatifs.

C’est peut-être le bon jour pour me mettre en marche. Un pèlerinage. Non, pas vraiment, je n’ai aucune reliques à revoir. La seule idée claire que j’ai sur ce blog c’est celle du chemin. Ce matin je me mets en marche sur mon chemin d’errance avec pour bâton tous les mots de la langue et dans mon sac quelques couleurs éparpillées. Ne pas s’alourdir. J’ai dans la tête quelques musiques et dans mon cœur bouillonne un sang noir et épais. Ne pas s’alourdir. L’autre jour mon Ange m’a soufflé à l’oreille " Donne tout et ne renonce à rien ". Donc se dépouiller, de toutes nos vies inutiles, de toute la crasse de nos heures vaines, de toutes nos illusions sociales. Ecrire à partir de l’os, marcher à partir de l’os, être dans l’arrachement, être au plus pauvre de soi-même, au plus nu, au plus seul. Il faut que j’arrête de parler à haute voix et refuser le vacarme des paroles. Retrouver le murmure. J’appelle ça la langue blanche, la langue du lait. La mère serre l’enfant contre sa poitrine abandonnée à une bouche gorgée de vie, la mère baisse les yeux vers cette bouche, elle est dans l’effarement de cet échange insensé. La mère presse sa chair pour l’offrir, presse son sang pour s’oublier, c’est un monde, là, à cet instant précis c’est l’univers qui bascule. La mère parle à l’enfant dans une langue inconnue, elle accompagne les yeux de l’enfants avec des mots impossibles, des mots inventés, des mots presque silencieux, des mots égarées dans le souffle, la mère parle et l’enfant prend son sang, c’est ça la langue du lait. C’est la première langue que l’on entend, c’est la plus douce, la plus vraie, la plus nourrissante. Grandir c’est l’oublier. Retourner à ce premier murmure et se nourrir à nouveau de cette première source. C’est sans doute là le sens de mon chemin. C’est une épreuve et je tremble de ne pouvoir la mener à son terme. Retrouver la parole la plus juste.

Accepter les combats avec les dragons de la mémoire.

Alors ce matin j’ai posé quelques souvenirs, des raines noires sur une terre noire. J’ai allumé de petites lumières pour éclairer des visages perdus.

Les icônes sacrées d’un panthéon délabré, mes amours inachevés, inachevables,

mes amours effondrés au fond des ornières de l’âme, chargés d’une vie qui leur a manqué. Comme ces fleurs séchées, écrasées entre les pages de poésie d’un livre abandonné. Ce matin je sens le poids exorbitant de ce qui n’a pas été vécu

J’ai brûlé quelques battons d’encens pour parfumer la nostalgie.

Tenter de l’alléger. Toujours alléger. Contre l’usure des chairs de la mémoire, contre l’hémorragie de la vie au cœur de la mort.

Et j’ai peur de m’endormir par épuisement, ou de succomber dans le sommeil du désastre. Ce matin rien ne vient traverser le silence, et les regards entrevus s’effacent. Et mes prières désertent mes mots, et mes rêves m’échappent, pesants et ténébreux comme un marais putride. Ce matin j’ai peur que les grandes portes d’airain restent closent, et que je demeure recroquevillé, entassé sur mon espérance où l’espace serait aboli et le temps accablé. Ce matin ma rêverie est opaque, presque épaisse. Je tente d’échapper encore à l’attraction de la langue, et j’erre somnambule de souvenirs en souvenirs, sans ressentir le moindre écho, le moindre reflet. Ce matin je suis dans une vacuité incertaine, sourde, lourde, obscure, un peu perdu dans une ombre pâle entre la chair et l’os.

Qui a-t-il au bout de l’attente ? Quelle folie nous guète ?

Voilà, je viens de poser une premier pas.

Franck

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