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J'irai marcher par-delà les nuages
9 février 2014

Transitoire...( étude )

Depuis des jours je cherchais le mot qui dit ce rapport au silence. J'invente des silences transitoires. Transitoire, c'est le mot que je cherchais. Avec l'idée d'un passage. D'une coupure et d'un passage. D'un changement de rive. De l'extérieur à l'intérieur. Silence contre silence. Silence du monde contre silence de l'âme.
Je passe d'un silence à l'autre. J'arpente. Le silence est la seule musique de l'errance. Car elle n'a pas de lieu, pas se son, pas de nom. Pas de route. Pas de fin.
Ecrire est une tentation pour briser les chaînes bruyantes du monde. Ecrire échoue à ce vouloir. Ecrire le sait, l'écriture est le produit de cette première mise en échec, de ce premier ratage. Et c'est une tragédie. L'écriture c'est d'abord le chant de cette tragédie. La geste. L'odyssée. La conviction de relier la voix au silence.
Au tout début, dans le jardin d'Eden, les sons et les silences étaient réunis, ils ne faisaient qu'un. Qu'un seul mouvement. Comme un soleil. Chaque bruit portait en lui sa part de silence, et chaque silence trouvait avec aisance son harmonie. Et dieu nous chassa. Et dieu brisa l'alliance, et sépara les sons des silences, comme si brusquement il créait deux univers impossibles, comme s'il ouvrait en deux un fruit juteux, avec les chairs à vif, et le sang qui s'échappe. Blessure inguérissable. Alors depuis la nuit des temps, il manque un son à nos silences, il manque un silence à nos rumeurs. Il manque un souffle à notre vie, un horizon à notre rêverie. Un sourire à nos soupirs. Une bonté à nos désirs.
Et cette séparation fut la signature du manque. Et le manque fut la signature de nos vies. L'incomplétude.
Nous reconnaissons dans l'Autre cette part de silence ou ce timbre, cette tonalité. L'accord. Et nous lui demandons ce tumulte qui fécondera notre silence.
Je passe d'un silence à l'autre. Toujours en retard d'une harmonie. Transitoire. Avec l'idée d'un passage, d'une coupure. D'un changement de rive.
Mais je ne suis pas d'une rive, je suis d'une traversée. Ecrire est ce voyage. Je ne suis d'aucun port, d'aucun aboutissement, je ne suis que navire, je ne vis que de vent et d'horizon, que d'écume et de sel. Et je ne connais la route que la nuit, en suivant les étoiles.
L'écriture naît de la confrontation d'un vacarme et d'un silence. L'écriture naît dans ce frottement. L'inscription silencieuse de la voix. C'est une lutte, comme la vie et la mort. J'écris en silence, dans un monde bruyant. Me taire dans les bruits de la ville. Me taire au milieu de ces grognements, de ces rumeurs, de ces vociférations. Ecrire là, dans cette opposition, dans ce contraste, qui révèle le lieu de la charnière, ma jointure au monde. Mon inconciliance. Etre là, mais s'absenter. L'écriture naît de mon silence et du vacarme qui l'entoure, de ma solitude, et de l'agitation autour. Et mon absence n'est pas un retrait, c'est une sorte de réfutation, de contestation. Une façon de lutter contre l'écrasement. Imposer, même modestement, mon taire au monde. Peut-être un refus, aussi. Ou simplement la marque de l'impossible.
Et je passe d'un silence à un autre. Car mes silences sont transitoires.
Un jour, peut-être, le silence sera complet, et le monde et l'âme se tairont. Silence avec silence. Ce sera le temps de la contemplation. Le temps dépouillé. Illimité. Les rives seront débordées. Il n'y aura ni livre, ni mot, ni geste, simplement le monde et le souffle. Il n'y aura plus d'écriture puisque tout sera dit dans la présence et dans l'instant. Il n'y aura que le monde, et cette étonnante brûlure. L'inverse de la mort.
On reconnaît la mort à son vacarme, à son impossibilité d'accueillir le silence et d'en faire l'offrande gracieuse. Et l'accord des silences est le don ultime du vivant au vivant.

Franck.

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2 février 2014

Avant le labour .... ( adagio )

Au pied de l'écriture on est comme le laboureur au pied de son champ, avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Avant, Il y a ce temps d'arrêt. Et le monde est contenu dans ce temps d'arrêt. Et le laboureur regarde l'étendue devant lui, et il la sent déjà dans ses mains, dans ses épaules. Déjà il est chair de terre. Là, dans l'avant. Et il n'a déjà plus famille, plus d'âge, plus de nom. Là, le laboureur ne sait plus rien de sa vie, il respire profondément, déjà il cherche les sillons dans son sang, il appelle l'effort et la douleur, il appelle ses muscles, il regarde l'horizon, il respire profondément au pied de champ, au pied de sa peine, au pied de sa misère et de sa gloire.
Et les senteurs remontent de la terre en attente, des odeurs de siècles, de vie et de mort.
Le laboureur au pied de son champ est seul. Toujours. Car c'est l'œuvre répétée de sa vie. Il est seul, sans personne, sans dieux. Il est simplement avec sa désespérance mêlée de singulière impatience, celle d’en découdre. Il est seul, traversé par les violences et les révoltes, traversé par un océan instable, immense et pourtant incertain. Il respire profondément. C'est l'instant de la terre. Et les prières sont épuisées.
Dans l'avant, la terre est sans miséricorde. Elle est encore sans promesse, elle est là dans une absolue présente. Elle attend. Elle attend les larmes et la sueur, elle attend un sang qui la sacre, elle attend le geste assez droit, assez pur pour se mettre à trembler. C'est le temps de l'avant. Le temps arrêté de l'avant. Un temps sans partage. Mais un temps découpé par le couteau d'une solitude étincelante et verticale. Le temps de l'avant est un temps sidéré. Un temps sauvage, qui précède le cri, qui précède la rage.
A chaque respiration le champ grandit. Alors le laboureur respire de plus en plus profondément pour que le champ qui grandit sans cesse puisse envahir sa poitrine. Et faire pénétrer chaque sillon à venir, et chaque pierre.
Vaincre le champ, ou périr sous a terre.
Déjà, il ne peut plus échapper à son champ. Déjà, il n'y a plus de retour. Et si le laboureur se saisi d'un peu de terre pour la porter à ses lèvres c'est plus pour l'embrasser que pour l'éprouver, et s'il pleure c'est plus par débordement que par chagrin. Car le laboureur ne connaît du désir que le frottement âpre et rugueux du manque, il ne connait du destin que l'horizon de son champ.
Au pied de l'écriture on est comme le laboureur au pied de son champ avant le labour, avant la charrue, avant la fin des siècles. Debout, droit sur sa terre comme le capitaine qui sait la tempête et sa cruauté inhumaine. Debout, droit, pesant déjà d'un surcroît de chair et d'os, d'un surcroît de vie. Lourd comme un titan et pourtant fragile comme un cristal.

Alors il y a ce temps de l'avant, ce temps débarrassé de toute intention, ce temps pur de l'amour.
Et le premier mot rentre dans la terre, ainsi le premier pas de danse.
Et le premier mot perce de la terre, avec le gout d'un sang nouveau.
Et le champ n'est plus un champ, il est supplique.
Et la terre n'est plus la terre, elle est voyage.
Et les heures brillent comme des constellations.

Franck.

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