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J'irai marcher par-delà les nuages
31 juillet 2006

Une étendue corrosive.......

Car il m’a fallut considérer les étendues devant et celles derrières. Et j’ai voulu les mesurer, comme si elles recélaient un savoir, peut-être un pouvoir. Et j’ai regardé longtemps ces espaces fragiles. Et j’ai additionné, et j’ai soustrait, et j’ai fait toutes sortes d’opérations vaines, inutiles. Et j’ai voulu peser chaque souvenir et chaque espérance. Et j’ai voulu équilibrer les plateaux du trébuchet à chaque pesée. Et j’ai pris des microscopes pour voir ce qui ne se voit pas, comprendre la molécule des rêves, étudier l’atome du moindre silence. Et j’ai lu les savants, et les sages, et les poètes. Et j’ai été scrupuleux, attentif, et les étendues devant et celles derrières restaient toujours aussi muettes et inconnaissables. Et j’ai étudié les astres et leurs mouvements secrets, et j’ai mélangé les siècles passés et les siècles à venir, et j’ai fait parlé les étoiles et j’ai interrogé les anges et même les démons, et plus j’avançais dans les étendues devant, plus les étendues derrières me paraissaient lourdes. Lourdes, si lourdes. Car il m’a fallut considérer toutes les étendues et n’être qu’un naufragé au milieu d’un océan de vagues amères. Car chaque leçon apprise fut une leçon oubliée, chaque connaissance un fardeau de plus.

***

Alors je flotte. Je flotte sans direction, considérant toujours les étendues devant et celles derrière, déchirant l’instant, écorchant les heures avec des mots, encochant chaque jour comme un bagnard, qui mesure le rêve à l’aulne de l’éternité. Prison sans porte, sans barreaux, simplement traversée de suspensions, de lassitude, d’affaissements inépuisables. Alors je flotte au centre de cet espace borné par les étendues devant et celles derrière. L’espace infime, vulnérable, précaire.

***

Faute d’aller loin, j’ai cru aller profond, j’ai cru traverser l’épaisseur de mes catacombes, briser l’arche gothique de ma mémoire, désensabler l’édifice ombrageux  enseveli sous les gravas des jours, des saisons, ces citadelles invincibles et arrogantes. 

***

Le temps fuit par les deux bouts comme une hémorragie de braises palpitantes, une messe d’adieux. Le temps fuit par tous les bouts avec cette indolente désinvolture.

***

Sur la page d’écriture il y a une tache. Juste à l’endroit du mot. Une encre noire. Epaisse qui absorbe. Elle n’est ni grande, ni petite. Elle est là, et elle absorbe. Chaque parole écrite semble y tomber, comme si elle était un puits, comme si elle trouait toutes les pages de la création. La tache. Récif inévitable où chaque mot se brise. Elle est le lieu de l’instant, comme si toutes les étendues de langue, celles devant, et celles derrière, venaient y mourir.

Il est une tache. Une souillure qui s’élargit sous ma peau, entre mes lignes. Souveraine. Corrosive. 

***

Qu’est-ce qui peut se dire une fois que tout a été dit ? Qu’elle est le premier mot qui vient, juste après les dernières paroles ? Quelle œuvre s’édifie sur les décombres de la langue ?

Car l’écriture n’est pas le radeau, elle n’a ni voile, ni rame, l’écriture c’est la mer, avec son infini mouvement, son infini tristesse solitaire. Elle épuise sans s’épuiser, elle s’étend sans rassembler, elle appelle sans jamais répondre. Nul secours dans ses vagues, nul pardon dans son écume, nul recours dans ses lancinantes marées. Que l’horizon qui se déploie. On ne traverse pas la mer. On ne traverse pas l’écriture.

***

Il y a une tache, juste à l’endroit du mot, large comme une mer. Une mer d’encre noire. Epaisse. Souveraine. Corrosive.

Franck.

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30 juillet 2006

Un chant introuvable.....

Car chaque mot est une porte étroite. Un passage dans un labyrinthe de miroirs étranges. Singuliers. Qui nous renvoie des images déformées. L’effrayante face qui rebondit dans une cascade d’images aplaties par les saisons révolues, l’usure. Car chaque mot est une scarification, une chair de terre sur un temps de pierre. Sillon d’une parole qui creuse un sol raviné et sec. Et chaque mots dissèque un peu plus l’autre coté de la peau, l’envers des gestes, cette part de retrait, l’incertain de la course, son enroulement autour du coquillage de la mémoire. Chaque mot est une porte étroite, un passage, un crépuscule, un glissement. C’est un endroit de chute, le lieu d’une avalanche. D’un excès de néant ou de nuit. De nuit, surtout de nuit. Le kyste d’un désir impossible.

Car la parole raconte une autre histoire. Elle n’est que forme vide. Et le mot vient boucher un silence mortel. Bâillon des rêves, couvercle insignifiant d’un sens inaccessible. Impudeur. Dénudement dérisoire. Négligeable. Un acte décomposé qui sent le renfermé, le rance.

Car rien n’est dit, ou si peu.

Car il nous faudra signifier au-delà de nos paroles, dans l’avant du dire, dans l’intention claire, dans le chant inaudible et murmurant, et n’être que cantilène, et n’être que berceuse.

Je cherche un chant introuvable et me perds dans des mélodies obscures. Je cherche la litanie cristalline de la vague, ce refrain qui ouvre droit sur l’aube et l’horizon. Je cherche la trajectoire du verbe, celle qui perce l’ombre, celle qui dénoue les sinuosités du temps, je cherche le mouvement sans détour, sans recoin, sans repli. Je cherche et me perds infiniment. Mon balancier oscille sur l’abîme de mes mers introuvables. Alors je cherche à rebours des marées sur un océan désert, comme un radeau empêché, désorienté au large de mes souvenirs. Navigation hasardeuse dans les reflets éblouissants des amours inanimées.

Franck

29 juillet 2006

Vacillant......

Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop plein et le trop vide. J’ai quitté chaque être, chaque chose, chaque lieu. J’ai quitté ma maison, mes ancêtres, ma mémoire, j’ai laissé derrière moi les aubes blanches et leurs promesses, j’ai ouvert des portes et franchi des seuils de chagrins, j’ai déplié un à un chaque souvenir, j’ai prononcé tous les mots pour me défaire des paroles vaines. J’ai déshabillé chacun de mes désirs. J’ai abandonné toutes mes richesses d’or et de pierres. J’ai oublié toutes les grandes pensées, toutes les morales, toutes les fois, j’ai renoncé à tous les dieux. J’ai rompu tous mes liens, répudié toutes mes épouses. J’ai parcouru les chemins les plus pauvres, traversé les landes amères, les déserts lumineux, j’ai grimpé sur les sommets les plus hauts, habité les grottes les plus profondes. J’ai eu soif. J’ai eu faim. J’ai eu peur. J’ai débarrassé mon sommeil de tous les rêves. J’ai attendu, jusqu’à ce que l’attente se lasse et se décompose. J’ai même aimé jusqu’à la douleur. J’ai agrandi l’univers pour y loger de plus grands désespoirs, j’ai inventé des océans violents pour être sûr de mes naufrages. Je me suis vêtu de silences et d’ombres. J’ai même connu l’ivresse et ce qu’il y a après l’ivresse. J’ai épuisé mon sang et ce qui reste après le sang. Car il nous faudra choisir entre le plein et le vide. Entre le trop plein et le trop vide. Entre la pesanteur et la grâce. Car il nous faudra choisir entre les tremblements et les frissons. Et n’être qu’un souffle vacillant.

Franck.

28 juillet 2006

La nef incendiée.....

Le passé se cambre, comme pour soutenir le cintre de la mémoire. Voûte tendue des souvenirs, léchée par l’ombre tremblante de la lumière du jour qui filtre au travers des vitraux du désir, flammèches de lueurs qui donnent encore quelques frissons aux pierres humides, aux dalles froides, au chemin de croix déjà parcouru. Je suis dans la pénombre voûtée de ma mémoire. La peau nue sur les murs noirs. La peau nue sur l’usure de me ans, traversée par une sorte de langueur de crucifié.

J’habite une église désertée, sans procession, sans ostension, les saints de marbres gisent absents, le geste vain, le regard vide de compassion. Et sur l’autel, nul calice, nul livre, nulle parole d’évangile, nul cierge, hormis un silence immaculé et austère, imperturbable, et insensible.

Il est de ces chapelles abandonnées par les dieux, où seul le temps y pénètre, et les seules prières qu’on entend c’est le vent, et les seuls murmures qui s’élèvent sont les larmes qui suintent le long des vitraux. Chapelle de nuit et d’orage. Chapelle d’oubli. Ni portes, ni pardon. L’expiation est un long pèlerinage.

Mais je sais des arcs-en-ciel qui perceront ces murs.

Je sais des océans dans les plis même de la pierre.

Oui, je sais des saintes.

Des saintes résolues à la peau de passion, à la chair de cantiques.

J’entends pousser un arbre au transept de mon silence et couler un long fleuve dans ma nef patiente. Je sais un incendie qui couve.

Et je sais mon sang quand il brûle chacun de mes mots…

Je sais toutes ces choses qui arrivent au bruit de galop qu’elles font, aux frissons des étoiles, à l’effarement des cieux.

Franck

27 juillet 2006

Rupture........

Il y a des lieux de nous-mêmes dont on ne revient pas. On les arpente la vie durant comme un aveugle, se cognant et trébuchant aux mêmes endroits, n’évitant rien des obstacles mille fois connus. Jusqu’à user nos guenilles. Jusqu’à l’épuisement du moindre désir. Il y a    des lieux de nous-mêmes, clôt comme une île perdue, une île usée par les mêmes vents, rongée par les mêmes embruns, brûlée par les mêmes astres. Il y a sous la peau nos déserts, et derrière nos yeux les mêmes images, et dans l’oreille la même musique, et dans nos mains cette même attente inutile, cette même distance infranchissable.

Le baiser c’est égaré, abîmé, il a sombré dans l’espace trop grand des jours, il est resté collé aux lèvres devenues trop sèches. Et la caresse a refluée, c’est reprise, comme une mer qui se retire, arrachant dans son retrait jusqu’au goût de la chair, pour ne laisser qu’une saveur fade d’os blanchi. Comme si tous les départs étaient des retours. Et toutes les fins d’immondes recommencements.

Il y a des lieux de nous-mêmes qui ne nous abandonnent jamais, ils sont la route, et l’unique lumière noire, notre lieu d’éternité terrestre. Le sans fin de notre vie. Les ventres se sont séparés, les cuisses se ont refermées, les sexes se sont cachés, les seins ont durcis pris dans glace du marbre. Les corps sont devenus pierres anguleuses aux arrêtes tranchantes aux paroles acerbes et crues. Les corps ont perdus leurs formes, leur tiédeur, leurs secrets et le mystère de leurs odeurs. A chaque geste un silence en surplomb. A chaque heure un gouffre en partage. Cascade lancinante et dévastée d’ombres sauvages et cruelles. Une à une les portes du langage se sont refermée. Un bruit sec et mat. Mots ravalés, qui viennent s’empiler les uns sur les autres. Murs lourds en parpaing de silence, dressés sur les frontières de l’absence, qui arrivent au grand galop. Déferlante d’indifférence bouillonnante et avide de nouveaux naufrages.

Il y a des lieux de l’autre qui nous dépossèdent. Ou pire, qui nous rendent à nous-mêmes. Lieux néants, lieux vides d’espace où la rencontre n’est plus possible.

J’ai simplement fermé la porte. Un bruit sec et mat. J’ai simplement roulé dans la nuit fabriquant à chaque kilomètre une nouvelle distance. J’ai simplement voulu aller loin, rejoindre mon île perdue. Celle qui gît, là, au fond de mon ventre. J’ai simplement voulu défaire le tricot des mots, des gestes, défaire le temps lourd et lents, défaire les brumes et les landes qui nous entouraient, défaire la citadelle creuse qu’on osait plus habiter.

Alors j’ai roulé. Longtemps.

Cela fait si longtemps que je roule mon errance. Caboteur mélancolique qui cherche sur les rives qu’il frôle le phare. Le phare.

J’ai simplement fermé la porte. Et je ne me suis pas retourné. Il n’y a jamais rien derrière. Il n’y a jamais rien devant. Il n’y a que l’instant, celui-là, celui qui suce le sang. Là, maintenant et qui nous écrase. J’ai les mains vides, même les prières s’en échappent. Et les souvenirs s’écoulent comme du sable au vent.

Comme du sable au vent.

Et les espérances s’éteignent comme des nuits sans lune.

Un lait noir et froid.

Poison silencieux de l’errance.

Infiniment longue, infiniment tenace.

Franck.

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25 juillet 2006

........

Pardonnez-moi ce retard de validation. J'ai quelques problèmes pour me connecter en ce moment.

Merci de votre fidélité. Et de votre lecture, toujours enrichissante pour moi. J'aime cette phrase de John Donne " Nul n'est une île en soi suffisante". Certains commentaires éclairent mes mots d'une lumière nouvelle, et en fait, je me rend compte qu'ils me sont nécessaires, en tous les cas qu'ils portent une partie du texte, cette partie qui souvent est lourde, quand l'élan semble se briser sur le clavier...

Franck

18 juillet 2006

Quelques brindilles pour le feu.....

Je suis resté sur le bord du fleuve. Je ne sais plus combien de temps. Plusieurs jours. Là, sur le bord brûlant du fleuve. Et il n’y avait rien, hormis le fleuve, le désert, et moi assis entre les deux. Juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. A l’endroit où le fleuve se met bien à plat, là où il s’étire pour passer sur les sables incendiés. Un fleuve à plat ventre, ondulant lentement comme s’il traversait des sables mouvant. Temps contre temps. Usure contre usure. Etalé dans le plus large de ses eaux aux risques de perdre ses rives. D’ailleurs elles se perdaient parfois derrière un pli de dune ou dans l’œil humide d’un mirage.

Si la mer parle à notre âme, le fleuve, lui, parle à notre histoire. Il y a dans le fleuve l’ébauche d’un dialogue avec ce qui était avant nous, et ce qui sera après. L’homme au bord du fleuve se sait mortel. Et cela le rend triste. Infiniment triste. Comme ces journées assis sur le bord du fleuve. Le Niger. Au Mali. Il y a longtemps. Tout au début des temps.

Six, peut-être sept jours à attendre, assez de temps pour la création des mondes et des univers, assez de temps pour que s’écoule l’infini tristesse, et pour sentir la lente mélancolie du fleuve. Fleuve des terres brûlées, fleuve des enfers aux langueurs mystérieuses. Fleuve lent. Grave. Aux flots austères et silencieux. Car il y a des lieux où les paroles n’accrochent pas. Rien ne peut se dire. Tout est écrasé par lutte lente des éléments. Lutte antique, immémoriale, puissante confrontation des silences, celui du désert, celui du fleuve et pour les sacrer tous les deux, celui du soleil. La rencontre du temps et de l’espace. Je suis resté sur le bord du fleuve. Assis, sur le lieu même de la folie, de l’incommensurable folie de l’existence, à regarder le fleuve, comme si l’apocalypse devait surgir de l’horizon consumé. Car il y a des lieux où la pensée devient inutile, et vaine, et indécente, où la raison ne peut plus se survivre, où l’intelligence n’est qu’une excroissance du malheur et d’un mauvais hasard. Il y a des lieux où toute pensée n’est qu’une écorce morte, l’enveloppe desséchée de nos vanités. Il y a des lieux où si tu ne sais rêver, tu meurs.

fleuve

Six jours, peut-être sept, à me demander ce que je faisais là, sur les rives du fleuve, pris dans l’étau primitif, originel, radical des lieux. Lieux métaphores. Assis dans la gueule même des mythes. Il est paradoxale d’imaginer que toutes les paroles son parties de ces lieux impossibles. Sans doute que pour poser le premier mot il fallait un espace infini. Peut-être fallait-il un feu solaire pour compenser le feu du mot. Peut-être est-ce le premier mot qui brûla tout. Peut-être…Peut-être faut-il faire traverser à notre verbe un néant embrasé, et rester assis six jours, ou sept, pour qu’il puisse signifier. Prends une parole, fais lui traverser un désert, et si au bout tu peux la dire sans trembler, sans pleurer, si tu sais dire chaque mot, articuler chaque syllabe, sans que ta langue tombe de ta bouche, alors cette parole est vraie. Alors cette parole est puits qui désaltère, fruits juteux qui nourrit, elle est chemin des étoiles, et ceux à qui tu l’offriras, entendront le puit, et recevront les fruits, et recueilleront l’or de chacune des étoiles apportées. C’est comme si les portes de la cathédrale s’ouvraient.

Le silence est beau d’une parole qu’il porte, comme le désert qui recèle un puit. Le silence est riche de l’enfant qu’il porte. Le silence est un champ labouré gorgé des graines de la moisson à venir, il est mûrissement de l’absence. Ainsi dieu et son infini mesure, et son immense retrait. Car depuis qu’on fait parler les dieux on ne les entend plus.

Six jours, peut être sept, sans action, à rester là, assis, à aléser les gestes, à façonner l’attente et à se laisser pénétrer par le fleuve, lent, large, comme un sang ancien chargé du temps qui passe. Comme un arbre qui devine la sève dévorer sa fibre. Car il y a des lieux où toutes actions s’épuisent, il y a des lieux où agir est dérisoire, où l’acte n’atteint plus que son propre néant, où précisément le désir de l’acte s’effondre sur lui-même. Il ne reste plus que les gestes simples. Chercher l’ombre ou l’inventer, préparer le thé, manger des gâteaux secs avec quelques dattes, arpenter la rive pour trouver assez de petits bois pour faire un feu le soir. Étirer chaque geste, pour lui donner l’ampleur suffisante, le souffle et la parcimonie, et l’efficacité nécessaire pour maintenir la vigilance, l’attention précautionneuse. Ne rien oublier de l’essentiel, regarder le ciel, se perdre dans les horizons, et tout le jour désirer intensément la nuit. Et la nuit venue souhaiter, encore avec plus de force, le jour.

J’ai peu prié dans ma vie. Pourtant, là, je me souvient avoir risqué mes premières prières. Je me souviens de la timidité de ces premiers élans. Les lieux imposent bien sûr, encore faut-il vouloir s’y soumettre. Accepter, et ne pas craindre l’immense vide au fond de soi. Et cette peur qui surgissait. Accepter l’envahissement par le fleuve, par le sable et cette sensation de perte absolue, comme si rien ne pourrait jamais nous sauver. Et que désormais c’était sans importance. Oui, sans importance…

Durant six jours, peut-être sept je me suis appliqué à mettre une majuscule pour honorer l’aube naissante et j’ai mis des virgules après chaque heure, j’ai ouvert des parenthèses pour envelopper le fleuve, et posé un point à l’instant du zénith, et au bord de la nuit je n’avais plus que des étoiles à accrocher aux points de suspensions…pho1_221432

Ecrire me renvoie à ces temps où je pouvais m’assoire juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. Bien avant mes premières morts, bien avant mes premières renaissances. Et chaque texte est comme un jour passé sur les bords du fleuve, à retenir les gestes, et à ramasser quelques mots, comme des brindilles sèches pour allumer le soir venu le feu de ma parole, afin qu’il ne reste rien. Rien. A chaque fois rien. Car écrire est un horizon consumé.

Franck.

16 juillet 2006

Le corbeau.....

Il y a des jours où la mémoire est veuve, comme si elle venait d’enterrer le dernier souvenir, et qu’elle se préparait aux noces macabres de l’oubli. Rien ne pourra pénétrer ces instants, rien ne pourra les brûler, ils sont comme l’écume morte d’une vague qui s’est retirée, des instants vautrés dans une impudique langueur. Vautrée dans les draps d’une vie déboutonnée, déshabillée, détachée de son sens. Et c’est une pure béance. Et c’est l’indécence des heures repues, à la chair triste et flétrie, à la vulve offerte sur des temps catacombes. Vulve des temps inhabitables. Indésirable. Il y a dans ces temps de déficience, de défection, la sensation d’un décollement, comme une dislocation lente et acharnée. Une usure opiniâtre. L’assèchement lent du sang…

Et puis il y a dans cette vacuité pâteuse, assourdie, la sonnerie du téléphone qui vous annonce la mort de quelqu’un. Comme un réveil qui vient brutalement resserrer les chairs, et contracter le corps, le redresser. Comme si la mort attendait, là, tapis dans ces instants en creux. Rappel à l’ordre. A l’ordre des choses et des jours. Ordonnance de la fatalité. Comme si jamais rien ne lâchait vraiment. Sourdine sombre en forme de glas. Me revient en mémoire ce poème de Poe, le Corbeau.

Il s’appelait Robert. Au départ il fut l’ami de mon père. Puis il fut le mien. Nous traversions les mêmes univers professionnels, nous nous croisions souvent, et nous nous respections. Il avait un sens inné de l’accueil et de l’amitié. Une amitié, drue, ferme, solide et pourtant simple. Robert était un perfectionniste. A commencer par sa femme, plus jeune que lui et d’une beauté ravageuse et d’une probité sans faille. Perfectionniste dans son travail, dans ses jeux, dans ses sports. Mais surtout dans son amitié. Entrer chez Robert et Raymonde c’était tout d’abord être attendu. Attendu comme un roi. Chez eux ils n’y avait pas de temps mort, il y avait un temps doux qui s’écoulait, régulier et serein, un temps de bien-être clair.

Il fut le dernier à supporter mon père, à lui pardonner tous ses écarts, ses colères, ses excès d’alcool et de mots. Robert était anxieux mais fidèle. Fidèle en amour, en amitié, en sa ligne de vie, dans sa présence. Robert n’était pas un intellectuel, c’était un homme droit, généreux, attentif, conciliant, sa colère il la réservait, à ses moteurs, ses voitures, son bateau, jamais pour les siens, ses proches, ses amis. Non, il n’était pas parfait, mais ses imperfections n’entamaient jamais l’essentiel.

Voilà, c’est fait. Mort. Pris par un Alzheimer évolutif. Plus des trucs qu’il avait dans le cerveau. Huit ans à désapprendre chaque geste. Terrible quand la vie oublie la vie. Raymonde n’était pas là, hier, quand il est parti pour sa longue promenade. Huit ans de veille et le jour des adieux elle n’était pas là. Elle venait juste de se faire opérer. Alors il a profité de son absence pour échapper à sa vigilance. Pied de nez du destin. Une présence qui s’oublie. Et tout s’effiloche, comme si la vie passait sous la carde. Arrachement des dernières chairs. Séparation des derniers fils tressés. Déroute silencieuse. Raccourci écrasant. Lente agonie des siècles.

Il est des jours sans dimension, sans réelle durée, sans étendue. Ils ne prolongent rien, ils n’aboutissent à rien, ils ne sont que le corps mou du temps, un débordement vain où les heures s’étirent comme si l’on remontait lentement un suaire sur tout ce qui nous parait être notre vie.

Robert, c’est lui qui m’accompagnait le jour des cendres. Des cendres de mon père. C’est lui qui conduisait le bateau. Ce bateau qu’ils avaient acheté ensemble, lui et mon père. Un bateau pour la pèche, un bateau pour les soupe de poisson, pour le vin rosé, les casses croûte, pour le bleu de la mer, et le soleil, et l’amitié. Un bateau qui restait au port, parce que mon père rendait tout impossible. Alors Robert, entretenait le bateau, l’astiquait, le préparait en espérant que l’amitié reprendrait le quart.

Nous étions tous les trois ce jour là. Mon père en cendre. Presque inoffensif dans son urne. Le temps était couvert sur le golf de Saint Raphaël. Robert pilotait avec gravité. Avec précision. Avec cette sorte de détermination puissante qu’il faut aux actes importants. Le visage fermé, les yeux sur la ligne d’horizon. Le reste c’est passé en silence. Il a arrêté le bateau, il fixait toujours le large, pudiquement il me laissait à mon œuvre. Et puis, il y a eut ce petit coup d vent. Ce petit coup de vent du destin. Ce petit coup de vent qui rabattit les cendres. J’en fus couvert. Le visage. La bouche. Le goût de ces cendres. Et puis les gestes pour m’épousseter, j’en avais partout. Il y en avait aussi sur le bateau. Du plat de la main je nettoyais. J’enlevais les dernières traces. Après je lui tapoté l’épaule. Il a remis les gaz. Droit devant. Tout les gaz. Le bateau a bondi, le vent froid de février nous glaçait. Il allait droit. Droit devant. Alors j’ai vu les larmes couler sur son visage. Il allait droit, il aurait voulu crever l’horizon. Et le bateau tapait sur les vagues. Et Robert était fidèle, même à son ami félon.

Nous sommes rentrés au pas. Lent retour vers la terre. Toujours en silence.

Et le bateau est resté au port. Et le bateau fut vendu. La messe fut dite.

Il y a dans ces temps de déficience, de défection, la sensation d’un décollement, comme une dislocation lente et acharnée. Une usure opiniâtre. L’assèchement lent du sang…

Ce que j’aimais chez cet homme c’était sa capacité à affronter ses peurs. Car il en était plein. Jamais je ne l’ai vu reculer, esquiver, il prenait ce qu’il y avait à prendre. Peur ou pas. Il disait ce qu’il avait à dire, de façon direct, mais avec humilité, souvent avec compassion, toujours avec générosité. Il ne s’est jamais renier, et je n’ai pas connaissance qu’il pu blesser quiconque. Non, il n’était pas parfait. Il essayait seulement d’être juste. Il savait ses imperfections. Mais il essayait. Comme un enfant têtu. Il essayait.

Il était devenu une ombre sans mémoire. Il était devenu un chaos. Il était devenu une terre brûlée. Sauvage et vaine. Il était devenu un vent fou, il n’était que le souvenir de ses souvenirs perdus. Qu’un ciel déchiré. De l’absence sur l’absence. Le clown triste d’une pauvre tragédie.

A la fin il n’y avait plus rien de lui, tout était parti, il ne restait que la trace de ses peurs, qu’il ne pouvait plus affronter, il ne restait que la forme de ses angoisses archaïques. Comme si la mort attendait, là, tapis dans cette lande ouverte, dans le désert aride de la débâcle.

Écrire ne sauve pas, tout au plus cela permet d’occuper le terrain, d’occuper la lande, et le désert. Écrire ne sauve pas, mais chaque mot est cette tension pour faire reculer le fatal, l’inévitable, et le rêve fou d’inventer un pays que la mort ne connaît pas, inventer ces lieux impossibles à trouver.

Écrire, c’est comme Robert, mettre les gaz à fond et vouloir trouer l’horizon. A chaque instant. Tenir serré les mots comme la manette des gaz, et jusqu’à faire exploser la parole, et si la langue tape, cogne, contre les vagues, il faut encore accélérer… je sais des bateau qui on pu décoller, je sais des bateaux qui deviennent des étoiles…

A bientôt Robert… par-delà les nuages….

Il y a des jours où la mémoire est veuve, comme si elle venait d’enterrer le dernier souvenir, et qu’elle se préparait aux noces macabres de l’oubli…

Franck.

14 juillet 2006

Le mouvement de Fleur.....

Dissonance. Souvent, trop souvent la lumière du jour en frottant ma peau, m’écorche. Mes gestes sont noués. Ils manquent d’élan, comme noués ou pris dans l’étau d’une drôle de fatalité. Pour avoir accès au geste léger il faudrait se quitter. Mais il y a une épaisseur invincible. La profondeur d’une ombre collante, grasse, visqueuse. Je cherche le mouvement. Celui de l’arbre. Floraison de puissance calme. Je ne suis que racine noyée de terre. Je cherche le mouvement. L’allègement d’un élan pur. Net. Clair. Chantant. Vaincre le paradoxe, car il faut s’absenter de soi pour être présent. Là. En totalité, d’accueil et de don. Juste là, posé sur le fil, léger, dansant. Mon geste est pris dans la rigueur d’un hiver perdu. Mon mouvement à froid. Pris dans la glace d’un silence. Ce n’est pas un vrai silence. C’est une parole empêchée. Parole de terre noire. Impossible germination. Essor vaincu. Défait. Grouillance obscure. Fermentation acide d’une parole stagnante. Une vase filandreuse et puante. Mon geste est dans l’enfouissement, dans consistance de son retrait, de son en deçà. Comme si le corps ne portait plus la parole, la sensation d’une chute, d’une déchéance, une déliquescence qui n’en fini pas. Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Juste la musique. Et la danse. Traverser la lumière en son point de tremblement. Un mouvement qui part à sa propre rencontre, qui se découvre, qui se dénude, qui s’invente au moment où il se fait.

Elle s’appelait Fleur. Quelques étoiles nous ont rassemblés, l’espace d’un passage de comète. L’espace d’une sonate. Elle avançait dans la vie avec un grand regard effarée. Un visage de lune inquiète, d’une beauté fragile, de ces beautés que l’on n’ose déranger. Comme si elle nous venait d’un autre monde, d’un autre mystère. Grande, mince, des gestes lents et gracieux, toujours à la recherche d’une harmonie secrète, d’une perfection étrange. Grande, mince toujours vêtue de noir, ce qui faisait ressortir la blancheur de sa peau, et la lumière de ses yeux étonnés. Quand elle posait sa main sur mon bras, j’avais l’impression d’une chaleur diffuse et d’un frisson soyeux comme si un moineau au cœur battant était là, à portée de souffle. Délicate élégance de l’âme incarnée. Noce de la pudeur et de la grâce, de l’émotion et du désir désarmé de ses violences. Elle habitait la rue du Mont Cenis dans une petite chambre cachée sous les combles où elle récitait ses rôles. Comédienne. Jeune comédienne, qui cherchait son souffle dans le verbe, qui cherchait son corps dans des morceaux de paroles, qui habillait la vie de mots, de poésie, raccommodant chaque jour la dissonance des heures avec son violon. Et cette sonate de Schubert. Fleur, ce qui touchait en premier c’était sa légèreté, puis juste derrière, son inquiétude, une sorte désarroi sans lourdeur, comme si elle était perdue, ici, sur une terre incompréhensible. Seulement perdue. Je ne lui ai jamais connue de tristesse, elle marchait sur son fil, elle dansait sur son fil et le soir elle sortait son violon et jouait Schubert ou Vivaldi. Il faut imaginer la scène : la petite chambre, la pénombre d’un soir d’été, par le velux ouvert une sereine fraîcheur, sur le bord de son petit bureau une bougie allumée, et elle, droite, simplement vêtue d’une chemise rouge sombre, une chemise d’homme qu’elle portait déboutonnée, les manches relevées, et ses longs cheveux noirs défaits. Elle inclinait doucement la tête, glissait l’instrument au creux de son épaule, posait sa joue sur le bois brillant du violon, comme pour un baiser, comme pour une tendresse, comme elle aurait fait sur la peau d’un amour. L’étroitesse de la pièce la rendait encore plus grande, encore plus droite. Pénombre grandissante dans cette lumière orangée, ensanglantée du rouge de sa chemise ouverte. Et son corps nu. Blancheur palie. Droite sortie directement d’un mystère, d’une légende. Sorti d’un rêve. Elle posait avec lenteur l’archet sur les cordes, la chambre était envahie d’ombres dansantes. Instants singuliers. Fleur jouait Schubert, presque nue, presque immortelle. Et le jour fléchissait encore comme pour rendre grâce, ou pour la protéger un peu plus, et le violon appelait une à une chaque étoile, et Fleur appelait la nuit, la nuit des premiers temps, la nuit prodigieuse, saisissante des premiers temps. Et la nuit lui répondait. Et la nudité de son corps s’estompait peu à peu emportée par chaque note. Et Fleur appartenait à la nuit, et la flamme dansait cherchant l’accord avec les sons du violon. Nuit ruisselante de chaleur musicale, d’émotion traversée, feuilletée note à note, comme si à cet endroit du monde, dans ce temps précis, une source naissait répandant son eau lustrale, comme si un trou de lumière perçait le néant. Fleur savait remettre en ordre le monde, elle harmonisait ici, ce que d’autres défaisaient plus loin. Mais Fleur n’avait pas de lassitude, et le mouvement de son geste sortait de son long corps nu, comme la houle sort l’été, des grands champs de blés brassés par une brise amoureuse. Elle inventait le geste pur, elle inventait la nuit, elle inventait l’impossible temps de la présence révélée. Il y a dans le jeu de l’ombre et de la musique un accord particulier, comme si du vivant cherchait du vivant, comme si nos égarements trouvaient leur issue. L’amour se bâtit dans l’ombre et dans l’alvéole que laissent les notes d’une sonate de Schubert à l’approche de la nuit

Fleur a posé on violon. Fleur c’est allongée sur le lit, j’ai simplement placé mes mains sur son ventre, j’ai simplement baisé ses seins, j’ai simplement goutté sur ses lèvres la saveur de la nuit, j’ai simplement caressé le silence qui recouvrait son corps, j’ai simplement enfoui ma figure dans sa chevelure, j’ai simplement entendu son cœur battre, j’ai simplement senti dans mon cou son souffle mêlé de notes insolites…

Fleur parcourait la vie avec cette élégance rare des funambules. La pièce qu’elle répétait l’accaparait beaucoup. « La valses des hasards », elle y jouait une morte si vivante, en prise avec un ange si facétieux. Jouer c’était d’abord se battre avec son corps, c’était trouver le geste, le mouvement. Chercher dans le mot, le mouvement juste, celui qui fait tinter le ciel. Jouer c’était d’abord chercher la voix, celle qui va dire le corps, c’était chercher le souffle qui allait porter le geste. Fleur s’épuisait dans cette descente au fond du mot. Jouer c’était devenir un arbre dans sa croissance et dans ses fruits, dans ses craquements, dans son élancement solitaire et généreux, jouer c’était arracher le trop plein, évider le surplus, sabrer dans la chair des faiblesses, tarauder les peur les entraves. Jouer c’était accepter de vivre dans le pli du texte, à la jointure du vide laissé par le rêve effondré sur lui-même. Chaque jour Fleur partait au plus loin d’elle, elle quittait tout, laissait tout ouvert, et il y avait de l’exaltation dans cette perte, et il y avait du ravissement, de la jouissance dans cet abandon. Et chaque jour elle partait sur son fil tendu au-dessus des gouffres d’insignifiance. D’un pas de danse. Ivresse du vertige. Chaque jour elle accordait un peu plus, sa chair à la chair du texte, chaque jour elle inventait le geste qui devrait naître plus tard, chaque jour elle inventait l’enfance et la présence, et l’arbre qui la traversait.          

Je cherche le mouvement au-delà de la dissonance, un mouvement qui aurait perdu sa propre mémoire. Un mouvement juste. Vertical. Un mouvement qui passerait en son propre centre. Le mouvement de Fleur lorsqu’elle jouait Schubert nue, dans l’ombre envahissante d’une nuit d’été.

Ce matin j’ai reçu un texto de Fleur : « Cher Franck ! J’ai pensé fort à ton anniversaire, hier. Alors il n’est pas trop tard pour te souhaiter une heureuse et tendre année. J’espère que les fenêtres de ton âme vont s’ouvrir pour mieux te sourire et guider tes pas vers le chemin de la quiétude et de la félicité. Fleur. »

Si tu savais comme je suis loin de cette quiétude, si tu savais combien Schubert me manque. Si tu savais mon écrasement à chaque texte et l’harassement qui s’en suit. Si tu savais comme chacun de tes gestes peuple encore ma mémoire, si tu savais ma maladresse sur le fil tendu et ma marche hésitante, et cette vie qui s’effrite, et cet arbre mort qui me troue les entrailles.

Franck.

9 juillet 2006

Questions...?

Pourquoi tu écris ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que je le fais. Et que c’est la chose la plus difficile que je n’ai jamais faite. Qu’est-ce que tu écris ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que ce n’est pas des histoires, c’est un mouvement. Toujours le même. Un geste, toujours le même. Et une attente. L’attente que ce geste se sépare de moi. L’attente que quelque chose me quitte. Avec ce désir souterrain qui me happe avec lenteur, une sorte d’élan décomposé, obstiné. N’être rien. N’être plus rien, sinon ce temps d’écriture, cette condensation. Comme une buée qui sort du ventre, parce qu’il s’exaspère de ses trop lourdes macérations. Une buée qui vient se coller aux parois des veines, du crâne, des yeux, et qui se condense dans le mot, et le mouvement, et le geste, et le sang, et les chagrins. Temps d’écriture perdu dans l’alchimie des heures dérobées au temps. Archipel des mots. Récifs acérés du verbe. Naufrage. Naufrage toujours recommencé. Lassitude. Affaissement. Avec l’exaltation des extases mélancoliques. Une sorte de jouissance ténébreuse. Un battement organique, qui donne cette sensation diffuse de tremblement des chairs. Il y a dans cette buée comme un froissement de la lumière, et dans cette condensation comme une hémorragie d’un liquide épais et noir. L’ombre liquide de l’existence. L’épanchement d’une solitude absolue. Irréversible.

Car il n’y a jamais d’histoire, il y a seulement le mouvement, le même geste de vie, le même élan sur le même chemin. Et au bout, le même écrasement. Les histoires ne s’écrivent pas, car il n’y jamais d’histoire. Seuls quelques éblouissements. Et l’illusion qui les suit.

Qu’est-ce que tu écris ? Je n’en sais rien. Je brasse les temps et mes peurs, je fais de mon passé un futur acceptable, je fais de l’avenir des souvenirs lumineux, j’étire les bords du présent, je déploie l’instant, agrandit l’impossible frontière des aurores. Que pourrais-je faire d’autre, sinon ces trous dans la durée, sinon brouiller les cycles et faire entrer en moi assez de folie, et effacer ma trace pour que la mort m’oublie ou qu’elle me sacre, qu’importe. Je n’écris pas ce qui se raconte, je n’écris pas ce qui se dit, j’écris ce qui se marmonne, ce qui se murmure, j’écris pour le souffle, pour rester en deçà du silence.

Mais comment tu écris ? Je n’en sais rien. A part le désordre et cette agitation qui nourrit mon attente, juste après l’appel. Car j’appelle, et certains mots me répondent, vagues échos en résonances. J’écris dans la lenteur, presque dans l’arrêt. Rumination de la langue. Pesant dégorgement. Mastication des humeurs amères. Mâchement de chaque souvenir où se mêle le souffle d’aujourd’hui. Incantation lancinante, jusqu’à l’envoûtement, jusqu’à la folie. Assonance de l’âme. J’écris crucifié sous le poids d’une interminable transfusion. L’inachevable échange des sangs. Et cette impression de séparation, de ruine. Atteindre mes défaites et ce point d’inflexion du destin, le point frontière, le point de la séparation des eaux. Le point invivable parce qu’il n’a pas d’espace et qu’il n’a pas de temps. Point mort, où la mort même s’épuise. Où certains jours elle recule terrifiée par sa propre image. Point juste assez vaste pour esquisser un pas de danse.

Alors, où écris-tu ? Je n’en sais rien. Ce n’est jamais le même endroit, et pourtant chacun se ressemble. J’écris sur des débris de néants, sur des restes, sur la trace infime et dérisoire que laissent le vol des oiseaux dans l’œil de l’amoureuse, j’écris sur les gouttes de pluies, parfois sur des larmes, j’écris dans les bourrelets des nuages entre la blancheur et le gris, entre les boursouflures et l’étirement, j’écris sur le fil de l’éclair dans les zébrures de lumière, ou sur des pétales de roses, ou sur l’élytre des cigales, sur le souffle des accordéons, dans mes landes froides, j’écris dans des lieux qui n’existent plus, dans les citadelles détruites, dans les villes incendiées, j’écris dans le recommencement, et dans la fin, ou sur la peau des mes amours perdues, j’écris sur l’ourlet de mes cicatrices, sur le cuir noirci des trahisons. Parfois, j’écris dans l’épuisement du rêve, ou sur des vertiges, ou sur le champ de neige qui s’étend derrière la vitre de ma mémoire. J’écris sur le rouge, et dans le rouge des amours, dans profusion et la parcimonie, dans l’avant et dans l’après. Jusqu’à l’incandescence. Jusqu’au pétillement de l’univers, lorsque les étoiles claquent leurs doigts pour accompagner le chuchotement, ou la prière, ou seulement le silence.

Et quand écris-tu ? Je n’en sais rien. Tout le temps, ou jamais. Je suis sur le rocher et j’attends la marée. La noyade. L’échouement. Lorsque la véhémence me submerge, ou que l’arrachement me cloue. Quand écris-tu ? J’écris aux temps creux. Au contre temps du temps. Au temps du naître. Au temps du mourir. Dans les fissures des crépuscules et jusqu’aux affleurements des aubes. J’écris surtout dans les autres saisons, celles qui viennent après, ou celles que l’on a oubliées. J’écris dans les temps ouverts aux quatre vents, dans les temps des mille solstices, celui des roses des temps égarés, ou dans le cœur brûlé des éclipses. En fait, j’écris dans les temps pauvres, les temps abîmés, dépossédés de leurs durées, les temps usés, délaissés. Dans ces temps qui nous quittent, dans ces temps qui nous manquent. Ou ces temps cueillis, au hasard, comme l’on cueille une mûre sur les ronciers des chemins. Temps pèlerinage. Temps des cortèges ombreux ou des longues processions.

Alors je vais pieds nus dans mon écriture, comme dans ce torrent caillouteux et sauvage, et lorsque je trébuche, l’eau fraîche des mots me désaltère et me lave des bassesses, des insignifiances, des séductions perfides. Je vais pieds nus dans mon écriture, maladroit et douloureux, remontant l’eau des mots… et jusqu’à la source symphonique de leurs silences.

Franck.

1 juillet 2006

Le mot.....

Le mot est sorti du texte. En sortant il a brisé la phrase, et en a recouvert les lambeaux. Il a tout recouvert. Le mot. J’ai laissé le livre. Il n’y avait plus que le mot. Mille fois connu, et là, il était nu chargé d’une nouvelle évidence. Avec un goût de poison. J’ai laissé le livre. J’ai oublié le livre. J’avais le mot coincé dans l’œil. Une écharde. L’écharde. Celle plantée dans la chair du cerveau. A l’endroit de l’hémorragie. Le mot. De l’œil à la mémoire. Droit. Rigide. Tranchant même dans sa mollesse. Tranchant à cause de son insignifiance. J’ai du prendre le mot, l’arracher, le serrer, je crois que je l’ai gardé longtemps dans mon poing fermé. Je crois que je l’ai mis dans ma bouche, aussi. Je crois que je l’ai mâché, j’ai sucé chacune de ses syllabes. Je crois que j’ai fait passer ma voix dessus. Oui, j’ai entendu ma voix dire le mot. Plusieurs fois. Je savais que c’était lui que je cherchais. Banal. Trop banal. Trop simple. Comme l’évidence nouvelle. Comme la révélation. A force de raboter au même endroit, quelque chose ressort. Quelque chose que tu ne sais pas, et que pourtant tu sais. Alors le mot sort du texte, et tu le reçois comme si tu le découvrais. Dans l’œil, et après tu le pose sur ta voix pour vraiment savoir si c’est lui. Tu l’as toujours connu. Il est d’une banalité effrayante. Tu l’as déjà prononcé mille fois. Et là, dans l’œil du texte, il ressort et tu sais que c’est lui. C’est lui qui t’a trouvé. Tu avais beau te cacher. Le mot te trouve. Un jour.

Maintenant il est là, avec moi, devant moi, et dedans aussi. Il est là et il occupe tout l’espace. Il est là comme un ciel de ténèbre, avec un horizon sanglant. A la fois vulgaire, et médiocre et tellement lumineux, et si net, et si limpide, et si exact. Comme une croix dressée. Tu la connais cette croix. Les quatre horizons du malheur. Et le mot est inscrit en haut, trônant comme une chape envahissante, lourde. Le mot est là, il occupe tout l’espace avec ses bras de pieuvres hideuses. Il tient la mémoire, tous les fils de la mémoire, avec tous les autres mots, comme l’eau d’un marais une eaux puante, invisible. Mais puante. L’eau filandreuse d’un marais. A force d’user la langue il ne reste plus rien, sinon l’inusable. L’inattaquable. Comme vissé dans l’os. Mot citadelle, avec ses douves, ses créneaux. Mot déluge qui répand ses eaux insidieuses, comme un barrage qui cède brusquement. Le mot est rentré dans l’œil comme une catastrophe. Un accident de lecture. Et il est là, dans sa résonance, dans toute sa vibration. Avec l’écho qui ricoche dans tout le corps, et maintenant qui fait trembler la chair. Je sais qu’il a coloré toute mon enfance, je sais qu’il a été de chacune de mes aubes, je sais que j’ai reçu à chaque crépuscule son baiser de glace. Maintenant, en le disant, en le répétant lentement, en murmurant chaque lettre, tout remonte, tout revient, les champs de neiges, les landes, les déserts, les solitudes, le gris, le rouge, l’épaisseur des jours d’enfance, le tranchant des heures perdues. Ca arrive en vagues successives et noires, comme une marée de désespoir. Et le mot est là, disant toute cette vie, et toutes les peurs, et toutes les fuites. Et les naufrages. Il est sorti du texte comme un orage soudain, d’une brutalité incontrôlable. Sauvage. Ecrasant tout. Condensant l’espace. Réduisant la respiration à une suffocation, imprégnant la mémoire d’une moiteur insupportable. Poissant chaque souvenir. Mot canevas, mot trame, mot tressé dans ma fibre. Depuis toujours j’ai du brodé entre ses fils. Et aujourd’hui le grand drap est prêt. Le grand suaire noir. Le linceul des jours et des espoirs. Le lit du mot est prêt, bordé de silences. Pour les noces du passé, pour la dévoration de l’avenir. Il est promesse. Il est danger mille fois annoncé, il ouvre sur les terreurs, il est la voix du futur qui gueule sa haine au présent et sont arrivée prochaine, il est annonce, il est avertissement du destin. Il est tout ce qu’il m’a laissé, lui le père, en héritage, il est sa trace dans mon sang, il est son goût de cendre dans ma bouche. Lui le père, m’a laissé ce mot, le silence de ce mot, et le trou dans la langue que fait ce mot, quand il s’approche trop près du cœur. Il est sa métamorphose, il est sa résurrection du mal, il est la prière qu’il me souffle, il est sa voix. C’est le mot de ses yeux, de sa bouche crispée, sa seule prédiction.

Le mot s’appelle menace. Menace, c’est le mot. J’ai lu menace, et brusquement j’ai fermé le livre. Parce que c’est ce mot qui dit au plus près le début et le fin. Parce que c’est lui qui dit au plus juste cet abîme qui me brasse. MENACE.

Comme si chacun de mes gestes était sous sa protection, comme si chacun de mes rêves lui était destiné. Menace. Je pensais être dans l’urgence, je n’étais que sous la menace. L’urgence promet la guérison, le sauvetage, et on se précipite vers le futur pour se sauver d’un présent. Mais menace c’est autre chose. C’est n’attendre rien, sinon le pire. La menace emprisonne l’avenir et tous les temps, leur dicte leur soumission, invente les découragements, les abattements, les déceptions. Menace, c’est inventer le pays des accablements, des lassitudes, des torpeurs.

Maintenant je sais. Je sais le nom de cette ombre qui m’accompagne. Je sais qui murmure à mon oreille. Je sais qui habite avec moi, qui ricane au près e moi.

Menace, menace…..même mort, ses menaces rampent encore, comme des ordonnances imprescriptibles.

Le mot s’appelle menace.

Mon père s’appelle menace. Même mort il s’appelle menace, puisque demain….

 

Franck.

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