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J'irai marcher par-delà les nuages
31 mai 2008

La parole charrie deux fleuves......

La parole charrie deux fleuves. Deux voix. Il y a toujours deux langues dans la voix du texte.

J'écris à l'intérieur de l'écorce. En-deça de ma peau. Sur les parchemins des viscères. J'écris dans un étouffement progressif. A l'intérieur. Pas à pas je remonte la spirale du coquillage de ma langue.
Au départ la bouche était béante, grande ouvert sur l'océan. Et puis je suis parti vers le centre, vers le rare, vers le peu, vers l'intérieur. Des tours de plus en plus court dans la spirale des mots. Avec de moins en moins de place. Et la mer est loin, et le ciel est loin, et l'air manque. Et chaque mot est de plus en plus difficile à atteindre, ma langue râpe, s'écorche, ma parole s'épuise à racler les parois du texte. C'est un tunnel qui se rétréci à chaque tour. Un resserrement. Lent. Un étouffement. Lent. Mon endroit d'écriture n'a plus d'espace. Comme une pénétrante agonie qui rafles les dernières mises oubliées sur la table de « je ».

Et c'est un cheminement vain. Il n'y a rien au bout de la route. Le centre est un lieu vide. Nulle présence. Au bout de la spirale il n'y a rien. C'est seulement un point d'écrasement.
Ce point se nomme la disgrâce. Il est sans épaisseur. Et sa masse est infinie. Il est le lieu de l’attente.

La parole charrie deux fleuves. Deux voix. Il y a toujours deux langues dans la voix du texte. Celle qui pousse. Celle qui tire. Et chaque mot pèse le poids de son contraire. Et le chant s’élève du lieu où les forces s’annulent. Et le chant s’élève de l’instant immobile. Absolu irrévocable et solitaire.

Franck

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25 mai 2008

La voix trouée....

Ecrire c'est définir une frontière. A la fois une limite et un passage. Un au-delà de la limite. Ecrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l'exil.
Ecrire, parle déjà une autre langue que la notre.
Ecrire c'est passer la ligne imaginaire de l'être.
Le pays d'après recèle des dangers. Des vies et des morts.
Le pays d'après n'a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n'est pas innommé, il reste innommable. Ecrire le sait. Et la voix qui parle « l'écrire », le sait. C'est pour cela qu'elle est trouée.

C'est une étrange sensation. Cela vient peu à peu. On marche et le paysage change. Ce n'est pas un changement brutal, c'est la lente infusion du temps. Comme si la végétation s'appauvrissait au fur et à mesure que la marche se déroule.
Au départ il y a la luxuriance, le foisonnement du lyrisme, des élans désordonnés. Au début c'est un temps d'abondance. L'exaltation. C'est comme tous les départs. L'agitation. L'effervescence. On est sans fatigue, sans mesure, alors on passe d'un sujet à l'autre, d'un talus de la langue à l'autre. On cueille, et on s'essouffle, et cela n'a pas d'importance. On est plein de soi et de confusion. Le déluge d’une ivresse.
Et puis on avance de texte en texte. Et le paysage change. Peu à peu. Lentement. Le te deum devient requiem. Le temps serre le sang. Ecrire c'est perdre quelque chose à chaque fois. Une perte insignifiante. Une perte malgré tout. Quelque chose de soi se vide, s'écoule. Le temps incise les chairs de la mémoire. Le temps défait le temps. On ne s'en rend pas compte. Le paysage change.
C'est une étrange sensation, peu à peu mes textes se sont vidés de moi et pourtant j'y suis plus présent. Moins j'y suis, plus j'y suis. Un autre soi. Un autre geste. Un voyage qui s'enracine dans un mystère épais. Pourtant c'est un dénuement singulier. Cette impression de perte et de désert, cette impression d'immense et de vide, ce roulement lent des saisons.
Au fur et à mesure que le paysage s'élargit, l'écriture se comprime, étrangle, au fur et à mesure que le paysage devient pauvre, l'écriture se simplifie.
Et peu à peu on entre dans la monotonie des sables. Ce qui était joie, jubilation, se transforme en entêtement. Ce qui était arabesque devient attèlement. Ce qui était promenade, se transforme en pèlerinage, ce qui était pèlerinage, se transforme en marche errante, et lente, et pesante. Ce qui était la marche vers l'après, devient le long déploiement de l'avant, dans ce brassement des temps qu'est le texte.

Je me souviens des mes premiers pas dans le désert. On monte des dunes en courant, on dévale des dunes, on tombe, on roule, on laisse sa trace éphémère, on monte sur la plus haute colline de sable, et l'on en voit une autre encore plus haute, et une autre, et une autre... alors on court, on s'essouffle.

On s'épuise. On épuise en soi ce trop plein d'énergie vaine. Cette volonté de puissance pitoyable et vaine, et ce lamentable désir de conquête. Cette désolation. On s'épuise, et on s'affaisse. Et on s'écroule.

Alors soudain, on comprend le pas des chameliers, on comprend la constance d'un pas glissant et lent. D'un pas économe et généreux. Alors on revient sur ses pas, encore haletant de la course sur les dunes, on revient à pas compté, à pas mesuré sur les traces laissées. Et c'est le temps du chamelier, qui est effacement. Qui n'a pas de début, qui n'a pas de fin.

Après l'épuisement ce n'est plus le même désert. Ce n'est plus la même marche, plus la même soif. Après l'épuisement des mots, ce ne sont plus les mêmes mots. Après la fin des premiers textes, c'est d'autres textes, mais ce n'est plus la même parole. Il y a une autre langue derrière la langue et qui nous vient de cet épuisement, de cette marche continuée. Un retour sur les pas du texte, comme si l'on ravalait sa salive. Et c'est faire pénétrer un désert entier dans chaque mot. Ce retour après l'épuisement c'est la vie retrouvée. Temps des sables et des mots des sables. Des mots pauvres et déchaussés. Des mots débarrassés.

Le retour lent est chargé de l'immense, et l'épuisement porte en lui l'infini.
Il porte un désert.
Et parfois un puits.
Ceux que l'on voit marcher dans le désert ne vont nulle part, ils reviennent, ils reviennent... toujours ils reviennent, et c'est ce qui fait leur étrange beauté.

Et moins ils sont là, plus leur présence est grande. Ils habitent le temps.

C'est l'ultime secret du désert.

Ainsi les grands textes qui ne sont qu'enroulement des temps. Retour, et enroulement du silence. Un glissement lent sur le silence d'une parole qui s'épuise. L'effacement et la révélation de la présence inouïe.

Ecrire c'est tracer une frontière. A la fois une limite et un passage. Un au-delà de la limite. Ecrire est un lieu de passage où la langue et la voix partent pour l'exil.
Ecrire, parle déjà une autre langue que la notre.
Ecrire c'est passer la ligne imaginaire de l'être. La ligne inimaginable.
Le pays d'après recèle des dangers. Des vies et des morts.
Le pays d'après n'a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n'est pas innommé, il reste innommable. Ecrire le sait. Et la voix qui parle « l'écrire », le sait. C'est pour cela qu'elle est trouée.
Ecrire révèle les contours d'un lieu impossible. C'est une autre langue que la notre. Une autre voix. On n'y reconnaît pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Ca ressemble un peu à notre mort. Pourtant rien n'est triste. Et même si la mélancolie s'insinue dans la voix, car écrire la rend nécessaire et incomparable, surprenante et irréprochable. Invincible.
Le pays d'après est un pays clôt. On ne le connaît pas et pourtant on s'en souvient. L'écriture en fait le tour en un silence. Et dans l'infime de cet espace des univers entiers dérivent.
Franck.

24 mai 2008

La disgrâce encore.......

C'est souvent le même rituel. J'allume l'écran et je rentre dans la salle d'attente du texte. La salle d'attente du texte est un lieu, et un temps. Le lieu du temps. Un univers. Une vie. On est là et l'on sait que personne ne viendra vous chercher.  Personne d'autre que vous, n'attend. Vous êtes seul et vous attendez. Il n'y a pas d'impatience. Simplement l'attente. Le flottement du désir. C'est une urgence douce. Une urgence qui n'appelle aucun soin, aucun recours. C'est un temps paradoxal dans un lieu de conscience paradoxal. Tout y est plus vrai, sans pourtant y être tout à fait réel. Comme le danger. Ce sentiment, cette sensation d'être en danger. Pourtant, là, rien ne me menace, mon corps ne risque rien hormis un tremblement de terre peu probable.

 

De l'extérieur je dois donner l'image d'un homme paisible, concentré, ou perdu dans ses rêveries. Mais je sens un danger. Un danger qui ne menacerait pas ma vie réelle, mais quelque chose d'encore plus important que ma vie réelle. Je n'arrive pas définir ce que c'est. Personne ne peut définir ce que c'est. C'est la chose la plus importante et personne ne peut dire cette chose. Elle est là, on est construit autour et on ne sait rien d'elle. Alors on écrit en décrivant de grands cercles de parole. Pour ne pas tomber. Tomber dans cette chose qu'on ne sait nommer et qui pourtant est nous.

 

Je ne sens ce danger que lorsque je suis dans la salle d'attente du texte. Comme si le texte nous inquiétait dans son approche lente et diffuse. Comme si le texte sortait de la chose inconnue de nous. L'inquiétude. Le danger. Quelque chose qui pourrait nous réduire à rien. Nous renvoyer à une sorte de néant. Des limbes.

 

Le texte s'avance et nous sait mieux que nous-même. Il rentrera par la porte la plus faible.

 

Au départ il rôde au loin, on ne l'entend pas, on ne voit rien, à part quelques ombres furtives. Il n'a pas de forme. Il cherche. Il cherche l'endroit de mélancolie, l'endroit de tristesse en nous.
Il y en a toujours. La chair est nostalgique par nature. Alors il rôde, et nous affame. Comme une ombre qui traverserait nos temps, nos passés, nos futurs. Car le texte connaît notre destiné, c'est pour cela qu'il « est » le texte. Ce texte, et pas un autre. Ces mots seuls, et pas d'autres mots. Il sait l'impossible lien qui tisse nos heures, il en connaît la couleur, la substance, la destiné. Le texte tiens dans sa main l'origine et la fin, et il nous les tend sans qu'on sache les reconnaître, comme dans un jeu de courte paille, où l'on ne gagne jamais.
Les règles du jeu changent en permanence. Nous ne savons rien. Le texte, lui, sait. Il a traversé plusieurs vies, plusieurs siècles, et il cherche en nous le plus faible, le plus désespéré.

 

On est dans la salle d'attente du texte et peu à peu il se rapproche. On le sait à ce brassage des chairs molles de notre pensée. Car au départ le texte n'est pas fait de mot, du moins on ne les voit pas. On ne discerne rien, hormis une rumeur de marée, hormis une présence qui nous afflige et nous met en joie en même temps. On reconnaît sa présence à ce mélange, à cette confusion, comme un horizon qui s'inquièterai, comme le bruit d'une bataille, un galop lourd au-dessus des nuages.

 

Et puis les choses se précisent. Les premiers mots nous guident vers d'autres endroits. Ils tombent, là, avec leur consistance indécente, une nudité presque obscène. Toujours, au début, il y a ce sentiment d'une réalité inacceptable des mots. Toujours. Un couloir. Un couloir sombre. Un couloir sans fin. Un couloir qui traverse notre vie. Le texte choisit toujours les lieux étranges de notre vie. Les chemins cabossés, les landes sauvages, ou les couloirs sombres. Les lieux de passages déserts, nos lieux d'errances. Nos lieux inhabitables. Nos lieux d'inquiétudes.
A l'intérieur, notre géographie est tourmentée. Paysage lunaire. Paysage de fantômes.

 

Alors commence la longue traversée. Mot après mot. C'est comme s'il y a avait un trou d'où les mots s'échappaient, un à un. Il faut simplement maintenir les bords de la plaie ouverte. Car c'est une plaie. Enfin, cela y ressemble. Souvent on dit que c'est une douleur, mais ce n'est pas exactement ça. C'est une difficulté. C'est se sentir dans une terrible fragilité. Il faut rester ouvert. Maintenir l'être à vif, à vif de sa vie comme si les mots étaient attirés par le sang, par la chair à nue.

 

Nous étions dans la salle d'attente du texte, et maintenant le temps se déploie, avec une sorte de majesté lente, de gravité exigeante. C'est le temps du couloir. Et c'est une énigme, comme si le texte proposait à chaque fois des mystères, des secrets. Comme si le texte était fait de dévoilements incomplets. Comme s'il chuchotait et qu'on n'entende qu'une partie de ce qu'il nous souffle. Des morceaux, des bribes. Comme si l'on ne pouvait pas tout recevoir, comme si l'on était toujours en-deçà de son vouloir, de son appétit.
Il y a là, quelque chose d'écrasant. D'éreintant. Parfois, pas toujours, j'ai des larmes qui montent aux yeux. Mais ce n'est pas de la tristesse. C'est l'eau du texte. Son fleuve. Elles viennent. C'est Tout.

 

On ne voudrait ne pas se trouver là, et pourtant c'est bien la seule nécessité qui s'impose, être là. A cet instant précis de notre vie, être là, et nulle part ailleurs. Etre présent à cette bataille. Assister à cette défaite, ce démembrement.
Le texte s'agrippe aux parois intérieures du corps. Plus il avance, plus son poids s'alourdit. Le geste racle un peu plus, avec le temps. Les mots résistent à se donner. A pénétrer la densité de la chair.
Le temps du couloir est un temps déraciné. Il ne compte pour rien dans nos âges. C'est un temps dérobé aux dieux. Nous sommes sans patrie, la seule qui vaut, la seule qui compte c'est nos temps d'exil. Lorsque nous sommes assez loin de nous pour accueillir la solitude que le texte exige.

 

Puis vient le temps où le texte se défait de lui-même. Où la bataille a été livrée. Vient le temps de la paix. Où le monde revient dans nos veines. Où le soleil reprend sa couleur. Et tout s'efface peu à peu, comme si rien n'avait existé. Pauvre et glorieux. Le texte se retire. Devant nous, les restes d'une mélancolie somptueuse et d'une tristesse décomposée. Devant nous l'éclatement des saisons et l'univers que l'espace d'une seconde on a tenu serré contre notre poitrine. Et le souvenir de quelques larmes.

 

L'écriture n'est pas une occupation, elle ne peut réconforter de l'ennui, puisqu'elle est la forme ultime de l'ennui. Elle ne peut consoler de nos échecs, puisqu'elle les sacre tous, jusqu'au dernier. L'écriture nous lave de rien, et nous rend ni pire, ni meilleur. Elle n'est qu'une affirmation portée à ébullition, qu'un fer rougit fiché dans le cœur. Un surcroît de désir éparpillé sur les chemins de croix de nos vies. Un écho. Un tintement de l'âme. Elle est le miroir de nos défaites et l'horizon crevé de nos rêves. Un espace creusé qui appelle la vie à l'état brut. La vie sans formes. La palpitation originelle. La pulsation. Elle est notre nuit religieuse. Elle n'est que ce cri nous retenons. Ce long hurlement dans les étoiles.

 

Au bout du texte on ne sait rien de plus sur nos peurs, sur les dangers qui nous guettent. Au bout du texte tout est à refaire. Au bout du texte rien n'a vraiment changé. Et pourtant....On est toujours une énigme pour nous, et pourtant...et pourtant...
Je vais éteindre l'écran. Oublier la salle d'attente du texte, je vais oublier le couloir et ses ombres, je vais oublier... Je vais oublier... Mon dieu faites que j'oublie tout, pour qu'à chaque fois mon désir soit plus neuf, soit plus pur !...oublier...

On est riche d'un épuisement et d'un oubli. On est riche d'un cri silencieux, d'un feu qui brûle le sang, d'une solitude qui ne craint plus son ombre. On est riche de cette disgrâce accablante.

 

Je vais aller marcher dans la ville. Juste marcher. Et oublier....Et attendre l'aube...
Franck

18 mai 2008

L'usure......

Nous sommes faits d'usure. Elle commence juste après l'enfance, au détour d'une rue vous franchissez une ombre un peu plus appuyée, une ombre vidée de ses présences, de ses fantômes, de ses fées, et c'est fini. Et déjà l'enfance est finie. Les instants ne surgiront plus d'eux-mêmes, il faut brusquement les arracher à l'ennui.

On est envahi de temps, jusqu'à l'écoeurement.
L'usure est notre mesure. L'épuisement notre horizon. L'attente notre viatique. Et l'espérance un cancer inguérissable.

Le reste n'est que jeux, illusions, reflets, miroirs déformants.
Et les mots nous trahissent, comme nous les trahissons.

Et nos histoires sont des contes de fées auxquels on s'efforce de croire, et auxquels on ne croit pas. Et même le livre le plus miraculeux a une fin. Et le soir on peut entendre la chute des chapitres où le mot fin résonne interminablement dans l’oubli ricanant.

Ecrire est une folie, la seule qui nous fasse souvenir de qui nous sommes. Parfois de qui nous ne sommes plus.
Ecrire cherche à délivrer l’enfant en nous. L’enfant prisonnier de l’ennui, et de ce temps défait qui écorche ses ailes. Souvent l’enfance, perdue dans ses rêveries, ne sait plus trouver l’espace entre la joie et la mélancolie. Alors il demeure, là, figé, pétrifié. Vitrifié, comme une terre désossée de ses promesses.
Les grandes catastrophes sont silencieuses. Un battement de paupière semble les effacer, pourtant elles ont juste le temps de traverser la chair et de passer dans le sang, comme un poison sans remède.

Alors j’écris sur un bout de trottoir, dans le passage de la vie, dans le flot continu des existences et des visages, puisant sans cesse dans les ombres lumineuses le plus clair de mon encre, la plus insouciante des solitudes.
Je n’ai jamais su faire autre chose que de me trouver dans passages encombrés de solitude.

Nous sommes faits d'usure et l'usure est notre mesure. L'épuisement notre horizon. L'attente notre viatique. Et l'espérance, la dernière forme de notre accablement.
Franck.

17 mai 2008

Aurore.....

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l'air à l'approche de l'écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grand lacs. L'eau lisse et sombre, encore inquiétante avec ses nappes de brumes qui sortent des profondeurs. Cela tient au silence. Ce silence du matin naissant qui n'a pas le même timbre que le silence nocturne. Ce silence du matin, désencombré des présences, des spectres. Silence plat. Lisse. Sans image. Dévoilé. Nu.

Il y a un temps dans les aurores où la nature attend. Elle attend le signal de quelques dieux. Et les oiseaux sont posés sur la bouche du vent, et ils attendent, et ils écoutent la lumière déchirer les ombres, et ils observent les fantômes se dissoudre dans la rosée, les diables se cacher dans les buissons, les fées s'évaporer. Cela ne dure pas. La naissance de l'aurore est toujours triste, toujours mélancolique. On sent bien que c'est un effort que de se dégager des mots de la nuit. Accoucher d'un silence neuf est une épreuve. Certains jours d'ailleurs elle n'y parvient pas, alors même en plein jour, c'est la nuit qui triomphe. Des jours qui ne sont pas des jours, des jours effondrés, épuisés. Des jours qui empoisonnent le sang de l'écriture. Rien n'est acquis, pas même la lumière.

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l'air à l'approche de l'écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grand lacs. Où la solitude change de destinée. La solitude du matin naissant qui n'a pas la même épaisseur que la solitude nocturne. Elle se déploie, se défroisse, et ce qu'elle perd en poids elle le gagne en étendue, comme une main qui défait son poing, une main dénudée, que l'on pourrait croire accueillante. Cela ne dure pas, car elle vous entre dans le corps comme une vague scélérate qui envahie la peau comme une chair de poule. Cette fraîcheur innocente du matin c'est la solitude qui déplie ses bras pour l'accolade, pour le baiser du jour. La solitude nocturne vous déborde de toute part, son poids est immense, et parce qu'il est si immense vous n'y croyez pas vraiment. C'est une extravagance, une exagération. Et certaines nuits vous la considérez comme une amie. Mais cet écrasement est une complaisance, un attristement indulgent sur vous-même.

La solitude du jour vous l'enfilez comme gant. Elle vous tient chaque parcelle de vie, elle est à votre mesure, elle est faite pour vous. C'est pour cela que vous avez cette sensation de froid au point du jour. Comme à l'approche de la mort. D'ailleurs la mort ne si trompe pas, elle aime hanter ces endroits du jours où l'ombre arrive, ou bien s'en va. Où l'ombre joue avec nos nerfs. Elle cueille les âmes au crépuscule, ou à l'aube, dans ces temps raccommodés ourlés de faufilés fragiles, faussement hésitants. L'aurore est bien ce temps où les amants se délient. Où les serments se payent. Où les dieux font notre addition. Chaque matin la solitude du jour vous laisse les poches vides. L'oeil effaré. Les dieux ne font pas crédit, vous payez d'avance. Le soleil est à ce prix. Le prix de la lucidité comme dirait le poète.

A chaque fois que l'on marche vers l'écriture, c'est comme aller au devant d'une aurore, c'est aller vers l'absolu du silence, vers l'absolu de la solitude. C'est aller vers un sacre.

On le sent à cette densité si particulière de l'air à l'approche des mots. A ce désordre, dans les saisons du sang. A la brusque gravité des heures. A cette simplification des couleurs. Comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

Franck.

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11 mai 2008

Le premier mot, après le dernier mot....

L’instable et le fugitif. Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcé tant de fois. Nommer c’était sa façon de croire en l’éternité, non pas que l’éternité l’intéressa particulièrement, il était bien trop usé pour imaginer le sans fin de cette usure, mais la mort inévitable submergeait chacune de ses heures.
Alors écrire était devenu comme ces chansons d’enfance destinées à conjurer les peurs. Dire ce n’était pas sortir hors de soi, c’était incorporer. Annuler les distances.
Maintenant il en était sûr, écrire c’était le corps du Christ, car la voix du texte est dévoreuse.

 

Alors il se disait que nommer c’était manger ses peurs, comme l’hostie du verbe. C’était les apprivoiser et déjà
commencer à les aimer. Peut-être.
Nommer est un travail solitaire et silencieux.
Douter. Il doutait de tout. Il savait que douter ce n’est pas ne pas avoir de certitude. Douter c’est n’en avoir qu’un seule. Il doutait de tout, sauf au moment de l’écriture où le sentiment d’une évidence l’étreignait, aussi puissante que fugitive.
Au bout du compte tout aggravait la conviction désastreuse de sa précarité.
Ecrire nourrissait la forme la plus achevée de sa mélancolie.

 

Le réel, le vécu, le vrai, le tangible, l’irréfutable était bien là. Trop sans doute. Le monde, ses guerres, sa désagrégation, son quotidien, sa banalité, ses foules bruyantes, sa sauvagerie, sa suffocation, son aveuglement, il en était, bien sûr, traversé. Bouleversé, même.
Alors pour ne pas être écrasé il opposait à ce monde si présent, ses landes intérieures si évanescentes. Il croyait qu’écrire c’était la dernière forme d’une sorte de résistance. Une résistance à l’état brut. Effacer ce qui tentait de le broyer.

 

Alors, désormais il connaissait touts les mots de sont malheur. Un à un il les avait incorporé. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcé dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Et chacun était devenu une île dans son océan. Et il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces îles pour qu’elles se rejoignent toutes. Toutes.

 

Ecrire était cette tentation, d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Un continent né de sa voix.

Agrandir chaque mot pour qu’il rejoigne, pour qu’il déborde, pour qu’il rencontre, pour qu’il engendre.

Et chaque rêve devait avoir la consistance d’un roc, et pour cela il fallait mâcher longuement la parole des mots. Incorporer pour annuler la distance et le temps. Nommer, nommer sans cesse, pour aggraver la tension du néant. Il égrainait son chapelet païen non pour la vie éternelle, mais pour l’éternité de la vie, non pour sa vie à lui, mais pour la vie tout court. Nommer, et tout d’abord éteindre la vieille parole par de très longs silences.
Alors il avait inventé ses paysages de miséricorde.
Le tout premier : la mer.
Parce que la mer est par nature mélancolique. Puis il y eut les vagues, les marées.

Puis les landes brumeuses et sauvages, et derrière les grands champs de neige sans fin, triste, affligé, découragé. Et les chemins errants, et les talus, et les champs de blé. Et toujours les vagues incessantes comme si déjà la mort le berçait.

Ses décors n’avaient pas de vraies formes, ils épousaient l’horizon.
La métaphore c’est tenter une connivence, c’est espérer une réconciliation, c’est appeler une fraternité. Inventer du vivant pour un mort. Donner du souffle au dernier souffle.
Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcé tant de fois. Géographie de l’absence, du retrait, entre mémoire et oubli.
Il avait dit la menace, et le sans fin, il avait dit le fragile, et le désastre, et l’effondrement. Chaque fois il avait dit la vacuité infinie de toutes choses, chaque fois il était tiraillé entre l’urgence et la lenteur. Il avait dit l’impossible, l’inaudible, et toujours l’errance et la désespérance revenaient. Il avait dit le vertige et la chute, et l’écrasement qui s’en suit, et la déchirure brûlante. Il avait dit l’attente, et les grandes passes de silence. Et toujours l’usure, la départition, l’à rebours. Il avait dit, la parcimonie aussi, la patience insondable, démesurée.
Et chaque mot était une île débordée, une île posée sur son horizon mélancolique. Chaque mot était un voyage perdu, chaque mot épuisait un peu plus son sang.

 

Alors, désormais il connaissait touts les mots de sont malheur. Un à un il les avait incorporé. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcé dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Et chacun était devenu une île dans son océan. Et il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces îles pour qu’elles se rejoignent toutes.
Toutes.
Ecrire était cette tentation, d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Qu’y a-t-il après les mots ?
Qu’y a-t-il après les îles ?
La disgrâce est-elle la seule issue ?

 

Sans doute faut-il consentir. Consentir comme la première prière. Consentir c’est déjà un regard de bonté posé sur notre vie. C’est s’ouvrir béant au pire et au meilleur, c’est n’être exempt de rien, mais encore capable de tout.
Consentir, c’est le premier mot après le dernier mot.
C’est le premier nom de la passion.
Franck.

8 mai 2008

Juste après l'attente...

Il y a longtemps….
J'avais beaucoup roulé sur la piste de latérite, croisé des dizaines de grumiers qui descendaient du nord et de l'est. La piste me menait à la frontière du Ghana. La saison des pluies n'avait commencé. Encore quelques jours. On le voyait aux nuages, à leurs formes, à leurs couleurs. A cette électricité de l'air. Quelque chose en nous s’était mis à attendre. Mécanique des fluides, des pressions, des masses, des énergies. Je roulais.

 

 

 

La route montait, puis descendait, longue brèche rouge qui séparait en deux le vert foisonnant de la forêt. La poussière rouge me collait à la peau. La 4L flottait sur la tôle ondulée. A chaque croisement de grumier, je devais mordre sur la terre meuble du bas coté. La 4L se mettait légèrement en travers. Ça durait une ou deux secondes. Ne pas freiner. Jamais. Le salaire de la peur. J'allais vendre des livres à des gens qui n'en avait rien à faire.
En ces temps là, j'écumais la Côte-d'Ivoire proposant mes collections et autres encyclopédies. Ils n'avaient pas besoins de ces livres trop chers, ces gens. Le peu d'argent qu'ils avaient, aurait du servir à autre chose. Mais c'était un temps sans compassion, sans raison. J'avais faim. C'était ma seule raison de rouler sur cette route de poussière.

 

 

 

 

La chaleur était infernale. Interminable. Et bientôt j'arriverais à la frontière, je devrais faire demi-tour. Pas de vente, donc pas d'argent. Plus d'argent. Pas de quoi payer une chambre de brousse surchauffée. Tout cela ressemblait à un terminus. Et pourtant je ne faisais que commencer. Mais déjà le goût de la fin, et de la frontière, et des bornes, et des extrémités.
Des temps trop chauds, des pays trop loin, des retours impossibles.

 

 

 

La forêt infinie c'est un peu comme un océan. C'est un peu se perdre. Il y a des routes qui ne mènent nulle part. Ne pas freiner. Il y a un moment où l'exotisme ne nous atteint plus, où la majesté des jours nous échappe en totalité. On ne sait plus qu'on est jeune. On ne sait plus vraiment d'où l'on vient. L'avenir c'est cette route droite qui monte et qui descend encadrée par deux murs de forêt et la chaleur suffocante, les vibrations de la voiture sur la tôle ondulée. La faim. Ne pas freiner. Attendre la saison des pluies. La frontière.

 

 

 

Et puis le paysage s'adoucit. Les vallées sont plus larges, la forêt devient plus rare. Et bientôt des plaines, pas vraiment plates. Juste un mouvement de houle lente. Une houle couverte de plantations. A perte de vue des plantations, ananas, banane, cacao, coton. La totale. Et puis un chemin sur la gauche avec un grand panneau : « Ferme Expérimentale ». Je roule un long moment sur le petit chemin en m'enfonçant dans une bananeraie. Et je débouche sur une immense clairière où l'herbe est courte, tondue au plus près. On dirait du gazon. Au centre, une maison. Très grande. Sorte de cube très aplati, surmonté d'un toit de tôle peinte d'un rouge marron. Les murs sont d'une blancheur éclatante. Presque trop violente. Construction typique des « villas » des blancs du coin. Sauf que là, elle est vraiment grande, vraiment perdue. Elle est légèrement surélevée. Avec un auvent sur toute la longueur. On y accède en montant un perron de trois marches.

 

 

 

La route s'arrête là. Personne. C'est un lieu incongru. A la fois beau et presque déplacé. Un lieu qui hésite entre le paradis et l'enfer. Une dissonance. Debout sur le perron j'attends. La maison semble vide. C'est la fin de l'après-midi, les couleurs se contrastent, les ombres s'allongent. Le temps s'étire un peu plus. Et la chaleur s’affaisse.

 

 

 

Il est arrivé au volant de sa Range Rover. Typique aussi. L'apparence du broussard, chemisette à manches courtes et short long beige. Chapeau de brousse. Une cinquantaine d'années, la peau tannée par le soleil. Mince, presque maigre. Sec. Déterminé. Les yeux bleus. Une image d'Epinal.
Les présentations sont rapides. Je lui dis ce que je viens faire. Mes bouquins ne l'intéressent pas. Mais il me fait signe de rentrer à l'intérieur. La pièce est semble démesuré. C'est un salon où s'agitent trois grands ventilateurs. Il a peu meuble. Dans un coin, un canapé, deux fauteuils, une table basse en bois. Dans un autre coin une salle à manger avec une table en bois précieux et au moins quinze chaises autour. Les murs sont vides. Blancs. Les seuls objets, deux gros bouquets de défenses d'éléphants se faisant face et séparant le salon de la salle à manger. Il m'offre une bière. Et me demande de m'asseoir. 
« A part vos bouquins de merde qu'est-ce qui vous amène ici ? ».

Je lui raconte. Le voyage. Le sahara. Je lui dis le fleuve, le Niger. Je lui dis l'ennui à Paris. Je lui dis le rêve. La route. L'espoir. Je lui dis la faim. Je lui dis la quête. Les horizons à découvrir, l'exaltation, le bouillonnement du sang. Et aussi l'impossibilité, la vacuité, l'insignifiance des jours. Je lui dis la mort qui hante les cellules de mon cerveau. Il écoute. Il boit sa bière, et il écoute.

 

 

 

Peu à peu la lumière baisse. Des rayons rouges de soleil colorent la pâleur des murs. A la fin, il me dit d'aller chercher des bouquins. Deux dictionnaires. Les dictionnaires se payaient en liquide. Deux, c'étaient une aubaine. Ça m'assurait le retour à Abidjan. Deux dictionnaires, c'étaient de l'essence, une chambre. Et manger. Quelques jours de gagnés. Il pose les billets sur la table, à coté des deux dictionnaires. Il repart chercher des bières. « Bon, ce soir tu reste là... les chambres ne sont pas climatisée, mais les moustiquaires suffisent... on mangera plus tard... »

 

 

 

La nuit est arrivée vite. L'obscurité a tout envahi. Il n'a rien allumé. Les moustiques. On est brusquement devenu des ombres. Des voix. « J'avais un peu plus de vingt ans quand je suis arrivé en Afrique, je venais d'avoir mon diplôme d'ingénieur agronome. Ça fait dix ans que je suis là. Et là, c'est moi. C'est moi qui inventé ce lieu, les plantations et tout.... » « Ici je suis roi...c'est mon royaume... »
C’est ainsi que sa voix s'est accordée à la nuit. Une voix qui venait du ventre. Une voix qui longtemps c'était tue. Une vois qui voulait rassembler l'essentiel. Toute sa solitude. Toutes les nuits africaines. Une voix qui s'exaltait de sa propre résonance. Trouble. Grave. Alors il a parlé longtemps. Sa vie. L'Afrique. Et puis toujours la solitude. C'est quoi la vie d'un homme?

 

 

 

« Au début tout allait bien, je rentrais souvent en France, et j'avais une maison à Abidjan sur les bords de la lagune. Tout était simple. Les femmes des fonctionnaires métropolitains, tu vois ce que je veux dire, et puis les filles ici s'était facile. Après il y a eut l'indépendance....j'ai tiré mon épingle du jeu... Je me suis mis à travailler avec le ministère de l'agriculture...et puis un jour j'ai débarqué ici. Je peux te dire petit...ça n'a pas été facile. Il n'y avait rien. Maintenant tu as vu... y'en a même, qui viennent de France pour visiter.... Mais tu comprends, ça, les plantations, c'est rien...ça n'a pas vraiment de sens. J'ai appris à faire ça, alors je l'ai fait. Le plus difficile, c'est la nuit. Le silence. La nuit. Bien sûr on entend les oiseaux, les singes, mais derrière les cris, les piaillements, les hululements...derrière...c'est un silence terrible...»

 

 

 

La voix venait maintenant du ventre de la nuit. Une voix d’entrailles, de viscères. « J'ai construit un royaume dérisoire. Ici, j'ai presque tous les pouvoirs.... En fait je les ai tous... tu m'entends, tous les pouvoirs...la vie, la mort, l'argent...personne ne vient jusqu'ici, et ceux qui viennent repartent tout de suite... et ma vie est vide, comme ce château...vide...et la nuit les mêmes monstres me visitent.... »
« Partir ?....tu rigoles, il y a des lieux qui vous tiennent, qui ne vous lâche pas, mon sang, ma chair ont pris le goût des cette vallée...on ne s'échappe pas d'un royaume, on ne s'échappe pas de sa vie. On reste. Un jour, même, on commence à attendre la mort....Alors on boit, tu sais, c'est des conneries de dire qu'on boit pour oublier. Moi, quand je bois, je n'oublie rien. Au contraire. Tout est là, encore plus fort, plus violent, mais à ce moment là, j'ai l'impression d'être plus fort, et de pouvoir vaincre. Vaincre, tu comprends, vaincre !»

 

 

 

La voix résonnait dans cette immense maison. J'écoutais. Il y avait une sorte de violence et de tristesse. De l'exaltation, de la désillusion, du dépit et de la hargne. Et puis, il y a eut la musique qui est sortie de la nuit. Tam-tam, balafon. Au début on entendait à peine. Après, avec les chants, on est entré dans le cœur de la nuit d'Afrique. « C'est le village à coté....Il y en a plusieurs autour de la plantation. Ils travaillent tous pour la plantation...Ce que tu entends c'est un retour de deuil. Ils ont pleuré, maintenant ils dansent...ça va durer toute la nuit...»

 

 

 

« La vie c'est choisir son enfer, le reconnaître, l'accepter et s'y tenir...s’y tenir…alors, il arrive que tu puisses l'aimer... mais ce n’est pas une obligation...Un jour une femme est venue vivre ici. Elle s'était trompée de paradis. Tu comprends, pour rester ici, il faut un peu plus que de l'amour. Il faut une rage. A l'époque il n'y avait pas la télé, la radio, on n'avait pas encore de groupe électrogène pour l'électricité... alors elle est partie... » « De la haine, surtout de la haine...il faut haïr fort pour rester ici... dans les villages autour, certains me vénèrent à cause de la plantation et du travail, d'autre me maudissent, me méprisent pour les mêmes raisons... mais moi j'ai un compte à régler avec la nuit, les ombres, le silence et la solitude... alors je tiens, pour un jour tordre le cou à ces cauchemars, ou alors ça sera moi qui y passerait et on me retrouvera accroché à un de ces ventilateurs... »

 

 

 

Et puis il y a eu une voix. Douce. Elle venait du fond de la pièce. Une petite voix de femme. « Patron...patron..... » « Non, pas ce soir.... Rentre chez toi.....attend !...tu la veux ? » « Non... » « Rentre chez toi... tu as tort, elle est fraîche, jeune, pour l'instant rien ne l'a pourrie... au fond, c'est moi qui la pourrie... »

 

 

 

Les ventilateurs brassaient la nuit. Il y avait les tam-tams. Je me suis levé pour aller sur la véranda. Nuit sans étoile, sans lune, la saison des pluies s'annonçait, avec ce surcroît d'étouffement et chaleur. Et d'attente. D’attente ardente, sans oubli. D’attente et d'oppression diffuse. « Ici, c'est un lieu façonné par l'homme, entièrement. Et l'homme n'y a pas place. Ici, on produit, et on se fout de savoir pour qui... »

 

« Je n'ai plus de famille, plus de dieux, plus de lieu, je n'ai que moi et ma mémoire et le silence, et les ombres, et la forêt.... »

 

 

 

Et puis la voix s’est attendrie, amolie. « Enfant j'ai rêvé... c'est ça qui fait du mal... rêver, j'ai même lu... Conrad... le Cœur des ténèbres. Et voilà que c'est moi, le cœur des ténèbres...Je suis au centre d'un rêve d'enfant et je ne peux plus en sortir... »

 

 

 

Je crois que j'ai eu envie de partir, à cet instant. Cet homme pris dans sa parole de nuit remuait mes propres rêves, et brusquement je me suis vu trente ans plus tard, désossé de ma rêverie.

 

 

 

C'était un lieu qui hésitait entre le paradis et l'enfer. Un lieu de disgrâce.

 

 

 

C'était la nuit, alors je suis resté. L'Afrique ne pardonne pas. Elle révèle. Quelque fois en creux. Mais elle révèle. Ça devait être un début et cela ressemblait à une fin.

 

 

 

Progressivement il s'approchait du murmure. Peut-être des aveux. Peut-être de la miséricorde. Ou seulement de l'enfant qu'il avait été. Je ne m’en souviens pas. Passé un certain âge, on imagine plus l'enfant derrière l'homme mûr. Pourtant....A quel moment l'enfant disparaît du regard ? Je ne l'imaginais pas enfant.

 

 

 

Autour de nous la forêt soufflait. Un immense poumon. Elle aussi attendait la saison des pluies. Un continent attendait. Et cette soirée s'enfermait dans la mélancolie de cette attente. Il y a un point d’inflexion dans l’attente, le moment où elle pénètre nos chairs.
Parfois les cris des singes. Et les chants un peu plus loin, les chants de vie et de mort.
Je ne savais pas où il voulait en venir, à qui il parlait. Nous n'étions que des ombres dans cette grande maison envahie de nuit. J'avais mal à mon voyage. J'avais mal à l'aventure, à ces routes qui ne mènent nulle part. A ces rêves épuisés.

 

 

 

« Certains soirs, petit, je n'arrive pas à trouver le sommeil, alors je viens là, sur le perron. Je m'assois. Et tu vois petit, je pleure.... Tu comprends... je pleure. Et personne n'entend, et personne ne voit...on s'est fait un royaume de pacotille et cela n'est rien, parce qu'à l'intérieur il n'y a rien. L'âme, petit, tout le monde en parle, mais on ne sait pas ce que c'est. L'âme c'est un endroit de toi qui ne t'appartient pas, c'est quelque chose que tu entretiens toute une vie, mais qui ne t'appartient jamais. L'âme c'est ce que tu donnes, que tu donnes sans compter, aux autres, au monde entier. Ce n'est pas de la bonté, la bonté c'est autre chose encore. Non, l'âme c'est ta partie rare, et elle est tellement rare que tu la dépenses sans compter, et chaque jour, chaque matin elle peut être là en toi, intacte...et tu peux recommencer à la donner... »

 

 

 

Etrange nuit d'Afrique. C'est une terre qui nous sait. Ici les masques tombent toujours, surtout dans l'électricité qui cisaille la nuit avant la saison des pluies. Et puis il y eu des barrissements dans le lointain. « Eux aussi attendent la pluie... »

Les chants s'étaient tus.
J'entendais encore quelques bruits assourdis de tam-tams. Et  toujours ce souffle de la forêt, comme une main caressante et brûlante. « Mon âme je l'ai perdu, puisque je n'ai rien donné, puisque j'ai voulu trop prendre, je l'ai perdu dans la bière et le whisky, dans les bordels de brousse, et dans des jours inutiles, suivants des jours inutiles. Un jour tu te réveilles et tu t'aperçois que tu es vide, même si tu voulais donner, tu n'as plus rien à donner. Vide. Sec, comme cette terre qui attend la pluie... à l'intérieur  il ne pleut plus depuis longtemps...et il n’y a pas de saison des pluies de l’âme… »

 

 

 

Il y a une certaine heure de la nuit où la forêt s'endort. Plus de bruit, plus de cris, ça ne dure pas très longtemps. C'est un silence étonnant. Comme une annonce. Comme des prémices. C'est presque insupportable. C'est un silence qui ne dort que d'un œil. Un silence de tension. Celui de la bête qui se prépare à bondir. Il n'y a pas de vraie paix dans la nuit de brousse, on est loin des nuits sahariennes. Ici, il n'y a pas d'éternité. Il n'y a qu'un présent étouffant et poisseux. Dans le Sahara il faut survivre, ici, il faut se survivre, et c'est ça l'enfer...  « Dans le désert tu n'attends rien, car tu sais qu'il n'y a rien à attendre, ici tu attends, tu attends la pluie, tu attends le soleil, tu attends les récoltes et quand tu as fini d'attendre tout ça, tu recommences à attendre, et un jour tu attends la mort... » « Ici, il y a toujours un drame qui veille, qui couve, une brutalité.... Non, pas brutalité...cruauté... Pourtant je l'ai aimé ce pays, cette terre, cette forêt...mais je me déteste trop pour continuer à l'aimer, ici, il faut être pur avant d'arriver, car sinon le climat, la nuit, la folie, s'agrippe à toi et tu es foutu. C'est une terre exigeante....elle use, elle use tout, l'humidité s'attaque à tout, la moisissure envahie tout, d'ailleurs elle commence par l'intérieur... tu vois petit, moi je suis moisi de l'intérieur...et le whisky n'a aucun effet contre ça....ici, tes rêves finissent par moisir, ils deviennent poisseux, collants.... »

Sa voix, fatiguée par la bière devenait poisseuse aussi, son murmure devenait presque inaudible, quelque chose semblait se perdre dans cette drôle de nuit, dans cette veillée des ombres.
Et puis nous nous sommes endormis, lui sur son fauteuil, moi  sur le canapé.

 

Et ce fût le matin, toujours plus poisseux, toujours plus lourd. Un matin chargé d'une attente sourde. De gros nuages flottaient là-haut. La brousse se réveillait avec sa rumeur, ses cris d'oiseau, de singes, ses envols, ses craquements d'arbres, de branches. Le sang épais de l'Afrique battait au rythme de la forêt et de l'attente.

 

Puis nous sommes séparé, sa gueule mal rasée paraissait si vieille, ses yeux si tristes. Et son royaume, brusquement si dérisoire.

 

 

 

Et j'ai repris la route, avec un sentiment de dévastation, comme si ma forêt intérieure était éventrée par des Caterpillar.

 

 

 

Au moment où je rejoignais la route de latérite qui me ramènerait à Abidjan un énorme coup de tonnerre ébranla l'atmosphère. Le ciel devint plus noir. La chaleur plus accablante, presque asphyxiante.

 

 

 

Et l'orage éclata, généreux et dantesque. Des gouttes larges et grasses. La saison des pluies commençait, dans un déchaînement fracassant. Le tonnerre roulait sur la canopée et vous éclatait à la face.

 

 

 

Mes essuie-glaces avaient du mal à éponger cette avalanche. Au premier petit village je me suis arrêté. Dehors il y avait deux enfants. Un petit garçon et une petite fille. Ils étaient sous la pluie diluvienne et faisaient une farandole en riant. Je suis sorti. L'eau était froide. Et bonne. L'eau me lavait de cette nuit étrange. J'étais trempé. Les enfants se sont approchés, ils m'ont pris la main, et m'ont entraîné dans leur danse de joie et de pluie. Et l'Afrique gagnait mon sang dans cette danse de deux petits enfants noirs riants aux éclats de me voir si lourd, si pataud....

 

 

 

J'ai souvent repensé à cet homme perdu, dans son royaume perdu, au bout de cette route perdue... souvent... peut-être qu'on lui ressemble un peu. Peut-être...qu'on ressemble aussi à ses deux enfants sous la première pluie de la saison des pluies...juste après l’attente.

Franck

4 mai 2008

Submerger l'accablement......

La juste mesure du contenu et du contenant. Et du geste qui porte le texte à nos lèvres. Est-ce cela écrire ?

La mesure m'ennuie. Et ma déraison n’est rien à coté de la folie qui pétrit mes mains, mes épaules, mes poumons, l’argilec_claudel_vague de tout mon corps.

Il n'y aurait pas de règle, pas de loi. Simplement la voix pleine au ventre des mots. Il n'y aurait rien de conforme dans l'écriture, et les mesures s'excèderaient elles-mêmes, se déborderaient sans cesse. L'écriture serait l'art du déséquilibre, et du trébuchement, et du sursaut qui suivrait pour éviter la chute.

Ou seulement le long soupir qui l'accompagnerait dans la chute.
L’ivresse ruisselante du désespoir. Cette mélancolie de l’avenir

C'est l'art des bâtisseurs de ponts. Relier des rives, des constellations. Tout ce qui nous habite, tout ce qui est éparpillé dans les oraisons de nos nuits. Tous nos continents démembrés.

Nous avons de drôles de cieux à l'envers du crâne, et de singuliers fleuves circulent dans nos chairs. Et l'arche des mots repose sur un souffle. Et les pierres de la voûte s'adossent les unes aux autres sans rien pour les maintenir, que de vagues rêveries, et les souvenirs se mêlent à l’oubli et font offices de ciment. Et chaque mot du texte pousse vers le suivant pour vaincre l’apesanteur, pour éviter la chute. Et cette poussée est parfois accablée. « Fragile et robuste ». Comme l'arbre qui tient dans sa poussée et la terre et le ciel. Et la terre et le ciel. L'écriture est un arbre de porcelaine aux feuilles de cristal.G_Courbet_La_Vague_datum_onbekendPS Fragile et robuste. Un grand monument de temps sculpté dans la lumière. Dérisoire et invincible. Affligé et souverain.

Et le vent se perd dans son propre reflet.
Et le vent se perd dans les roses pantelantes de nos jardins dévastés

La juste démesure du contenu et du contenant. Les écritures qui portent, qui trouent, sont celles qui sont déportées, déviées par une réfraction de la lumière. Celles qui dérivent. Les écritures à souffle sont celles qui sont essoufflées, consumées. Et je sais des écritures désaccordées qui rendraient Mozart jaloux. Le débordement. Le déluge. Et la cendre. Voilà. Seul l'excès convient à la voix. Il faut bien que l'eau déborde pour faire naître les sources. Il faut bien de la démesure pour pénétrer la pierre. Il faut bien un excès de joie ou de tristesse ou de silence, pour que la vie se survive. Il faut bien submerger la chair.

Un océan au bout de la jetée.Sans_titre_1_3
Un baiser au bout du silence.
Une opulence pour l’après.
Pour la fin.

La funambule avance dans la fragilité de son pas. Et ce qui la fait avancer, ce n'est pas son équilibre, mais l'excès de déséquilibre. Tant de déséquilibre, que l'on croit la voir danser, avec son ombrelle rouge au bout des doigts. Un pas de danse au dessus d'un cœur béant. Il faut bien submerger la chair pour inventer d’autres chairs.

C'est bien lorsque le contenu épuise le contenant que l'écriture apparaît. Il en va de même lorsque le contenant outrepasse le contenu, où, à force de formes, des sens nouveaux et inconnus apparaissent. Dans un cas comme dans l'autre c'est l'excroissance qui signe. Il en va de même pour le silence. La trace effacée de nos vanités.

Il va de même pour l'amour. Que serait un amour sans les débordements du printemps, sans ce temps devancé, inondé,teahupoo_empty_2 sans les murmures qui appellent le cri ?

Et la solitude à profusion, comme une richesse inépuisable.
Le texte tient par l'expansion des mots qui le traversent. Par l'hémorragie qui en résulte.

Et même la pénurie doit être excessive. Même le manque. Surtout le manque. Le manque en abondance.

Franck.

 

contrejour

3 mai 2008

L'ininspiration.....

Et ce n'est pas l'inspiration qui vient à nous manquer. Elle ne compte pour rien. Ce n'est pas l'inspiration, mais la volonté acharnée de vivre. Un vouloir. Un noir vouloir de vivre encore. Mourir un peu plus loin, un peu plus tard. On écrit toujours dans un après, non par inspiration, mais dans l’extension d’un temps inhabitable. Ecrire commence lorsque les muses sont mortes. Sur l’octave supérieur de l’abîme. Là où le révolu reste encore à vivre. L’accroissement d’un désastre. L’inévitable développement du fini.

Le texte s'obscurcit, non pas lorsque les mots viennent à manquer, mais par renoncement lâche à mon sang. Par concession à l’oubli et à l’ennui. Par ma chair qui capitule, par ma voix qui s’accable. Avec la mort au bout. Lorsque je ne consens pas à brûler assez vite, assez fort. A aimer sans douleur.

C'est le vouloir vivre qui fait écrire. Et le vouloir vivre nous met immanquablement en face du pire de nous-même.

C'est ce pire qui nous fait reculer.

Les mots se refusent à la mort qui en nous s'avance. A la mort avec laquelle on pourrait pactiser. Le texte s'effondre toujours sous le poids de notre indignité. Les mots ne se rendent pas, ils ne capitulent pas, ils s'éloignent de nous en nous écorchant de ne pas avoir été dit. La mort ne les capture jamais vivants. Ils sont libres. La prison est pour nous.

Au moment d'écrire nous sommes un nœud de relations, un nœud de forces dont les plus importantes tentent de nous broyer. La dignité de l'écriture réside dans cette lutte étrange, presque invisible entre nos désirs contradictoires et le brasier du sang. C'est de ce frottement que naît le texte. De cet écrasement vaincu.

Ecrire touche aux confins de l'univers, pour essayer de les dépasser, c'est le geste des dieux, qui tracent un grand cercle de feu dans lequel ils jettent les galaxies dans un grand éclat de rire.

Alors, ce n'est pas l'inspiration qui vient à manquer. C'est notre bras qui tremble. C'est la vie qui reflue en nous. Un continent qui recule, qui s'efface. Une mer vaincue qui ne survit plus aux marées d’équinoxes. Et le soleil peut alors se lever sur la vacuité de nos jours.
Franck.

1 mai 2008

Couture......

Un temps qui n'a pas de rive et qui s’effrange comme un tissu élimé. Dans quel temps se passe l'écriture ? Dans quel présent je suis ? Là, maintenant. A découdre les ourlets de l'univers, comme si brusquement il avait rétréci, comme si le temps faisait des plis, comme si l'on pouvait être prisonnier d'un bourrelet, ou d'un revers, d’un faux pli.

Point de croix sur point de saignée. Ravaudage de la mémoire. L'aiguille des mots pique les bords du trou. Pique à l'endroit du débordement. De l'écoulement. L'aiguille des mots rapièce le temps défait. Le vieux temps. Le temps usé. Le temps lustré.

Alors on retient les bords de l'univers, on essaye à chaque texte de contenir la déroute, la disparition. Et on pique pour traverser au plus profond, on tire sur le fil des souvenirs, on tire sur le fil de nos jours, le fil de nos attentes. Et ça fait toujours un peu mal. Piquer le lieu fragile de notre vie effilochée. Les chairs peuvent se déchirer.
Souvent elles se déchirent les chairs.
Souvent le texte se coupe.
Souvent c'est une catastrophe.
Souvent on se dit que c'est une tâche impossible.

Un point de croix sur un point de saignée. Chirurgie du désespoir. De la lenteur. De la constance. De l'oubli.

Ce temps qui échappe au temps. On tire sur les bords de l'univers pour les poser là, sur la page. Avec la pauvreté des mots, et notre pitoyable espérance. Bord à bord. Et piquer. Suturer cette béance, sous le regard moqueur de nos siècles. Avec cette aiguille trop grosse, avec cette aiguille qui emporte les morceaux de chair.

Et pourquoi cette joie étrange à chaque piqûre des mots ? Pourquoi cette jubilation à tisser tout ce malheur, à broder ces motifs inconnus sur cette trame infini ? Pourquoi coudre cette robe de fête sur ce linceul ? Pourquoi... ?

Franck

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