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J'irai marcher par-delà les nuages
11 mai 2008

Le premier mot, après le dernier mot....

L’instable et le fugitif. Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcé tant de fois. Nommer c’était sa façon de croire en l’éternité, non pas que l’éternité l’intéressa particulièrement, il était bien trop usé pour imaginer le sans fin de cette usure, mais la mort inévitable submergeait chacune de ses heures.
Alors écrire était devenu comme ces chansons d’enfance destinées à conjurer les peurs. Dire ce n’était pas sortir hors de soi, c’était incorporer. Annuler les distances.
Maintenant il en était sûr, écrire c’était le corps du Christ, car la voix du texte est dévoreuse.

 

Alors il se disait que nommer c’était manger ses peurs, comme l’hostie du verbe. C’était les apprivoiser et déjà
commencer à les aimer. Peut-être.
Nommer est un travail solitaire et silencieux.
Douter. Il doutait de tout. Il savait que douter ce n’est pas ne pas avoir de certitude. Douter c’est n’en avoir qu’un seule. Il doutait de tout, sauf au moment de l’écriture où le sentiment d’une évidence l’étreignait, aussi puissante que fugitive.
Au bout du compte tout aggravait la conviction désastreuse de sa précarité.
Ecrire nourrissait la forme la plus achevée de sa mélancolie.

 

Le réel, le vécu, le vrai, le tangible, l’irréfutable était bien là. Trop sans doute. Le monde, ses guerres, sa désagrégation, son quotidien, sa banalité, ses foules bruyantes, sa sauvagerie, sa suffocation, son aveuglement, il en était, bien sûr, traversé. Bouleversé, même.
Alors pour ne pas être écrasé il opposait à ce monde si présent, ses landes intérieures si évanescentes. Il croyait qu’écrire c’était la dernière forme d’une sorte de résistance. Une résistance à l’état brut. Effacer ce qui tentait de le broyer.

 

Alors, désormais il connaissait touts les mots de sont malheur. Un à un il les avait incorporé. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcé dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Et chacun était devenu une île dans son océan. Et il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces îles pour qu’elles se rejoignent toutes. Toutes.

 

Ecrire était cette tentation, d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Un continent né de sa voix.

Agrandir chaque mot pour qu’il rejoigne, pour qu’il déborde, pour qu’il rencontre, pour qu’il engendre.

Et chaque rêve devait avoir la consistance d’un roc, et pour cela il fallait mâcher longuement la parole des mots. Incorporer pour annuler la distance et le temps. Nommer, nommer sans cesse, pour aggraver la tension du néant. Il égrainait son chapelet païen non pour la vie éternelle, mais pour l’éternité de la vie, non pour sa vie à lui, mais pour la vie tout court. Nommer, et tout d’abord éteindre la vieille parole par de très longs silences.
Alors il avait inventé ses paysages de miséricorde.
Le tout premier : la mer.
Parce que la mer est par nature mélancolique. Puis il y eut les vagues, les marées.

Puis les landes brumeuses et sauvages, et derrière les grands champs de neige sans fin, triste, affligé, découragé. Et les chemins errants, et les talus, et les champs de blé. Et toujours les vagues incessantes comme si déjà la mort le berçait.

Ses décors n’avaient pas de vraies formes, ils épousaient l’horizon.
La métaphore c’est tenter une connivence, c’est espérer une réconciliation, c’est appeler une fraternité. Inventer du vivant pour un mort. Donner du souffle au dernier souffle.
Il connaissait tous les mots de son malheur, il les avait prononcé tant de fois. Géographie de l’absence, du retrait, entre mémoire et oubli.
Il avait dit la menace, et le sans fin, il avait dit le fragile, et le désastre, et l’effondrement. Chaque fois il avait dit la vacuité infinie de toutes choses, chaque fois il était tiraillé entre l’urgence et la lenteur. Il avait dit l’impossible, l’inaudible, et toujours l’errance et la désespérance revenaient. Il avait dit le vertige et la chute, et l’écrasement qui s’en suit, et la déchirure brûlante. Il avait dit l’attente, et les grandes passes de silence. Et toujours l’usure, la départition, l’à rebours. Il avait dit, la parcimonie aussi, la patience insondable, démesurée.
Et chaque mot était une île débordée, une île posée sur son horizon mélancolique. Chaque mot était un voyage perdu, chaque mot épuisait un peu plus son sang.

 

Alors, désormais il connaissait touts les mots de sont malheur. Un à un il les avait incorporé. Il en avait épelé chaque lettre, il les avait prononcé dans le recueillement, il avait même bâti sa solitude autour d’eux. Et chacun était devenu une île dans son océan. Et il avait fait le rêve fou d’agrandir assez chacune de ces îles pour qu’elles se rejoignent toutes.
Toutes.
Ecrire était cette tentation, d’établir un continent aussi vaste que l’océan.
Qu’y a-t-il après les mots ?
Qu’y a-t-il après les îles ?
La disgrâce est-elle la seule issue ?

 

Sans doute faut-il consentir. Consentir comme la première prière. Consentir c’est déjà un regard de bonté posé sur notre vie. C’est s’ouvrir béant au pire et au meilleur, c’est n’être exempt de rien, mais encore capable de tout.
Consentir, c’est le premier mot après le dernier mot.
C’est le premier nom de la passion.
Franck.

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Commentaires
I
magnifique !
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S
Je lisais Michon, cet après-midi: "Tout écrivain se tient seul face à la totalité de l’être, sans béquilles..." <br /> <br /> Tout le reste est à taire tant tout le reste est beau.
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