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J'irai marcher par-delà les nuages
30 novembre 2012

Les hautes terres....

C’est un pays qui va de la nuit à la nuit, d’une absence à une autre absence, comme si le manque n’était jamais assez profond. C’est une terre de douleur, une terre lente, désolée, silencieuse. Lourde. Quelque chose s’accroche dans les landes de bruyères, des morceaux de nuit, quelque chose d’une sauvagerie enfouie, et les hauts sapins noirs gardent dans leur bras serrés de grands pans de crépuscule. C’est une terre qui va de la nuit à la nuit, solide, ivre de solitude, de pesanteur. Les bois denses, qui couvrent les contreforts des hauts plateaux, sont comme la peau des mourants, parchemins de tristesse, où s’écrit un chant désespéré.

C’est une terre noire, une terre digne, une terre de courage, une terre dressée, surgit des entrailles du silence, une terre de vent, une terre de larmes. L’immense territoire des hautes terres, entrelace la permanence au précaire, comme pour nous dire la vacuité de nos vies, comme pour nous inciter à l’humilité, à la pauvreté, à l’abandon. C’est la terre de tous les débuts et de toute les fins, on y murmure des prières, sans dieux, sans bruit, des prières qui courent entre les grandes fougères, des prières épuisées, tremblantes, lourdes comme la terre, mélancoliques comme les ruisseaux qui la traversent. C’est la terre de nos morts, et de l’oubli, on y est nu, plus surement nu qu’au premier jour, plus surement accablé qu’au dernier. C’est une terre sans parole, sans mot pour la dire, hormis le vent qui la chante, et la nuit qui la sacre.

C’est une terre pétrie de temps, de longueur, et d’attente misérable, elle semble immobile, pourtant elle pousse, puissante, en nous. Terre de patience, terre fidèle, elle déploie dans les corps noueux des hommes qui l’habitent, des savoirs millénaires, jusqu’au goût de l’immortalité.

Les arbres s’accrochent à la brume pour s’élever au ciel, ils tordent leurs racines, empoignent à pleine mains la terre noire, pour hausser au plus haut branches et feuilles, comme de larges poumons verts, si proche d’une asphyxie, si proche d’une suffocation. Ici, tout lutte, tout s’arcboute avec la même lenteur, le même entêtement, le même acharnement. Monter, monter toujours, pour échapper à l’écrasement des jours, et des saisons, à la pluie qui défigure, à la pauvreté qui dessèche, comme si la vie s’opposait à la vie, comme si la mort encourageait la mort. Les champs cabossés sont toujours trop morcelés, toujours trop loin des hommes, toujours menacés par la forêt, par l’hiver, par une déchéance, par un abattement, ils sont gorgés de nuit, de souffrance et de solitude.

Ici, la beauté éclate dans la chair, la saisi, la brasse, jusqu’à la désespérance, et l’horizon tout au bout du regard réclame le pardon de nos fautes, comme de toutes les fautes de l’humanité. Et le soir y écrase le jour dans un déchirement toujours renouvelé, toujours plus grave. Les vastes espaces des terres hautes et sombres, semblent rétrécir en nous la moindre parcelle d’espérance. Tout ici, s’écrase, le jour, la nuit, les sanglots, et jusqu’au silence. Ici, aimer est une action de grâce. Ici, dans les hautes terres du Limousin, vivre debout est une expiation, une lente pénitence qui suinte dans le sang, blanchit le regard, et crevasse les peaux tannées par le froid, le soleil, le labeur, et le manque qui coule, ici, en abondance, une manne exténuante, d’une terre qui ne nous attend pas, d’une terre qui s’efforce entre le temps qui l’use, et l’indifférence des dieux.   

 

 

Longtemps j’ai refusé que quelque chose de moi puisse venir de ces terres, moins qu’un oubli, moins qu’une négligence, une peur gisait dans mes chairs, tapie, discrète, une mélancolie engourdie. Elles sont remontées peu à peu, avec lenteur, comme une longue fatalité, ces terres noires étaient là, dans le silence de l’oubli, à distance de ma vie, elles sont remontées avec mes morts.  Une lente imprégnation, une sève venue des tourbières du haut plateau par l’effet étrange de la capillarité des origines et des fins. Elles sont remontées ces terres, imposant leur singulière profondeur, leur beauté désolée, jusqu’à m’apparaitre comme une évidence dont la prégnance diffuse mais tenace m’envahissait pesamment, aussi surement qu’une épaisse marée. Il fallut aussi tant de mort, tant de retour obligé, tant de hasard, tant de perte, tant de renoncement, tant d’appauvrissement, comme s’il avait fallut faire, d’abord, de la place en moi, pour que cette terre farouche se déploie.  Je ne sais, qui d’elle où de moi fit le premier pas. Je ne sais quel mort ouvrit la brèche.

Tout en lenteur, elle œuvrait, noire et lourde. Les vivants disparaissaient, un à un, et cette terre de Creuse, la bien nommée, les reprenait, lente digestion des corps, des souvenirs, des chagrins. Aujourd’hui il ne reste que la terre, cette terre de mes racines, et quelques tombes de pierres grises. Rocs, sur rocs. Granit, contre granit, de quoi peser sur le temps. Ecraser la mémoire, ou la faire éclater.

 

Je ne sais, qui d’elle ou de moi, fit le premier pas. L’écriture m’y ramena, toujours. L’écriture, comme si elle nous venait d’un lieu, comme si une géographie intérieure gisait en nous, en filigrane de lieux bien réels, faits de terre, de pierre, de sang. Il y a dans l’écriture les liens invisibles de notre histoire, la lente incarnation au cœur du vivant en nous. Du singulier. Et nos terres s’attachent à nos gestes, et nos pensées les plus intimes s’alourdissent peu à peu de nos origines, réelles ou mythologiques, comme si finir nous rapprochait d’un début, comme si la marque du temps se nourrissait de paradoxes. Revenir pour finir un peu mieux, un peu plus loin. 

 

 Ecrire c’est définir une frontière. A la fois une limite et un passage. Un au-delà de la limite. Ecrire est le lieu du goulet où la langue et la voix partent pour l’exil. Ecrire, parle déjà une autre langue que la notre, c’est passer la ligne imaginaire de l’être. Le pays d’avant recèle des dangers. Des vies et des morts. Le pays d’après n’a pas de nom. Rien ne le désigne. Il n’est pas innommé, il reste innommable. Ecrire le sait. La voix qui parle « l’écrire », le sait. C’est pour cela qu’elle est trouée. Ecrire trace les contours d’un lieu impossible. C’est une autre langue que la notre. Une autre voix. On n’y reconnaît pas notre vie, ni nos jours, ni nos heures. Ca ressemble un peu à notre mort. Pourtant rien n’est triste. Et même si la mélancolie s’insinue dans la voix, écrire la rend nécessaire et incomparable, surprenante et irréprochable. Le pays d’après est un pays clôt. On ne le connaît pas et pourtant on s’en souvient. L’écriture en fait le tour en un silence. Mais, dans l’infime de cet espace des univers entiers dérivent.

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