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J'irai marcher par-delà les nuages
28 novembre 2021

Ce soir à la chandelle...

 

Dans la flamme de la chandelle, l'immédiat semble disparaître, la vie peut prendre son temps, comme si cette lumière ombreuse nous délivrait des heures, en nous rendant un espace enfin habitable. La flamme porte une densité nouvelle qui nous oblige à plus de pesanteur, et notre être, tant épris de cohérence, se sent assez fort pour dépasser ce qui le contredit. Le présent s'alourdit de durée. Ses bords s'épaississent, se rassemblent, se condensent, et nos terreurs s'adoucissent. Quelque chose d'intense s'élève en nous, comme si la flamme soutenait une respiration renouvelée.

Les âmes de la chandelle sont des âmes errantes, elles ont perdu leurs corps et cherchent un point d'appui pour porter leur voyage, comme des navires qui recherchent l'escale. Parce que plus qu'une flamme elle est lieu, parce que plus qu'un lieu, elle est un refuge, parce que plus qu'un refuge, elle est un royaume. Est-ce un temps réel ? Ou le simple raccourci de nos destins inquiétés ?

Il y a dans cette flamme courageuse quelque chose qui s'éprouve. De l'infime qui s'efforce. Tout ce qu'il y a de pauvre sur terre se rassemble et se reconnaît dans cet étirement du feu, dans cette hésitation verticale.
La chandelle dit l'infinie solitude et le dénuement, elle dit aussi la foi comme si celle-ci avait besoin de deux ailes pour s'envoler. Le simple et le pauvre marchent de concert, ainsi la chandelle qui offre ses ombres pour taire l'insupportable, et sa lumière pour clamer l'irréductible. La flamme des chandelles nous défait de nos rages, elle accompagne nos rémissions, et parfois elle sacre nos résurrections. Elle est une amie silencieuse qui nous apprend le silence, une amie généreuse qui écoute en dansant, une amie qui console parce qu'elle ne juge point. Un soleil à notre dimension, bleu, jaune, orange, rouge, blanc. Soleil du pauvre et du seul. Elle berce, elle réchauffe, parfois elle chante, elle enveloppe d'une soie étrange notre rêverie.
Il y a dans cette flamme quelque chose qui rassemble nos morceaux éparpillés, qui maintient l'unité de notre désir, qui contient notre abandon. Il y a là, un espace de temps et de lumière qui nous protège de nous-mêmes, de nos affaissements, de nos écroulements. La vie suffisante. La vie tolérable. Tolérante. Et les ombres enfin deviennent conciliantes.
Il y a dans cette chandelle quelque chose de grave, d'infiniment sérieux et grave, une gravité dépossédée de sa lourdeur. Rouge. Étrange silence que celui de cette flamme solitaire. Étrange lumière vacillante, qui appelle en nous la mesure et la lenteur. Étrange puissance que cette fragilité tremblante. Le temps de la flamme pauvre est toujours le temps des aveux, et le temps des chandelles est un temps de soupirs, de respiration profonde, comme s'il s'agissait de faire remonter nos douleurs sur la mèche du cœur et de les consumer. Temps sombre et clair à la fois, temps de puissance désarmée, temps qui fabrique du temps. Comme si le temps du feu était un temps gagné, arraché au néant. Comme si ce feu, précisément, ne pouvait plus être brûlure, comme si sa vocation ultime était la caresse et le murmure. Au coin des chandelles les larmes peuvent être douces, et les chagrins pardonnables.
Il y a du sang dans cette lumière c'est pourquoi on la sait vivante, il y a des chairs dans ses ombres c'est pourquoi on la sait aimante. Il y a des lèvres et peaux à aimer dans ce feu isolé, dans ce singulier instant chancelant, comme si l'émotion trouvait enfin une issue, un devenir qui la dépasse et la bénit. Temps concentré, temps rassemblé. Lumière pour les corps nus et les effleurements, lumière des baisers indécents, couleur rouge comme les chairs qui s'offrent ou comme les laves volcaniques. Au creux des bougies qui éclairent, l'ivresse disparaît et la folie s'efface, car c'est un temps des premières ou dernières vérités, et peut-être l'au-delà des vérités ; car si les évidences simples ont besoin du soleil pour se dire, les vérités essentielles ne se libèrent que dans cette presque lumière et ces presque ombres.

Quelque chose habite cette clarté tremblante, quelque chose soupire dans sa danse, est-ce une plainte ? Est-ce un gémissement ? Est-ce que mon âme cri ce soir à la bougie ? Ou n'est-ce qu'un songe, ce songe lancinant qui plie mes veines et ma chair, un songe toujours cassant ?

Quelqu'un habite ici, au cœur de cette flamme, quelqu'un qui me désigne et m'appelle, l'enfant innocent oublié par le temps qui passe, et qui résiste encore dans les décombres de ma mémoire

Il y a dans ces petites flammes le chant d'une présence. Du vivant qui exige, des visages qui implorent, il y a des mains qui se joignent, comme si l'humanité avait besoin d'opposer aux enfers ce simple feu humain.

La lueur des chandelles, comme celle des cierges éclaire en nous ces endroits oubliés, ceux que nous avons délaissés, cette part de nous-mêmes qu'on ne visite plus, nos jachères, nos ronciers, elle préside à l'office de nos noces intimes comme un fuseau ardent qui déroule le rêve et tisse entre nos larmes un voile charitable, et console, et soulage, et apaise, et apaise, et apaise...Ce soir, j'ai vu dans cette flamme un doigt incandescent qui me montrait les cieux....

Franck.

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21 novembre 2021

Infiniment.... (berceuse mélancolique)

 

Rester dans l'axe du centre. L'axe de tension. Ne pas dévier. Se faire sourd aux rumeurs du monde. À la fois, ne pas être dans le mouvement, et être dans le mouvement.
C'est l'heure des marées qui montent avec leurs souffles de nuit. C'est l'heure des marées lancinantes, des marées blanches et bouillonnantes, c'est l'heure de l'eau souveraine. Un autre mouvement. Comme la mer. La mer et la perdition dans l'immense. Dans le même. Ce même jamais pareil. Du même qui se change en même. Du même qui s'enroule en vague à lame successif. L'infini ruissellement du même. Comme si la tension de se survivre était là. Dans cette répétition qui se dépasse un peu plus à chaque fois. Cette sursomption des actes et des jours, et des conséquences. Totalisation.
La marée n'est pas grosse, avant. Avant elle est une simple écume, un reste de houle. A peine l'ébauche d'une vague. Elle est un souvenir ancien qui s'est épuisé, elle est une mémoire fatiguée. Au bout du rouleau. Avant c'est une simple écume blanche. Blanche. Pas encore une dentelle bouillonnante. Blanche. Simplement l'idée du blanc, avant qu'il soit blanc. Au départ il y a tout un ciel étalé sur la mer avec les étoiles qui scintillent et qui flottent. Noces de la transparence, qui fait le blanc de l'écume, comme après la mort. Le corps saigné à blanc. Bercement infini du ciel dans les bras de la mer. Berceuse du temps qui passe « Do.. dinn, do... dan, il est mort Bertrand, qui lo tùa c'est lo limaço, quo faÿ sa caisso c'est l'homo d'aixe, son tro lou maigro, sa prièra quatre bergèra... do dinn, do dan.... » Dors petit bonhomme ! Dors dans le blanc de la mère. Dors dans sa berceuse triste et blanche. Et Blanche. Comme l'écume de l'océan. Dors de ton sommeil d'écume. Dors dans le sein blanc et la parole blanche du lait. Dors dans l'écume des heures, dors ! Dans le lait de la mer. Infiniment naissante, infiniment mourante. Comme la mère. Mourante et blanche. Posée comme Ophélie dans le lit blanc. Blanc de mort. Dors... Avant elle c'est une simple écume. Après c'est un tonnerre, la mer qui s'offre l'abondance illimitée des possibles. Toujours identique et jamais pareil. Ne pas dévier, rester dans l'axe de la marée. Ne pas dévier de l'axe du désir. Comme lorsqu'on marche sur les eaux. Irréfutable et fragile. Comme l'enfant qui dort. Là, dans le bruit des vagues. Sur la peau blanche de la mère morte.
Je suis la source qui rêve d'océan, un océan qui s'essoufflerait à tirer ses marées. Je suis dans le mouvement de l'eau. Je flotte. Je me noie. Je dérive. Je déluge. Je cascade de mots. Je déferle. Je reflux. Je larme. Même ma terre est de l'eau. Même mon sable s'écoule. Je suis une île entourée d'îles. Je suis une eau entourée d'eau. Je vague, imprécis et confus. Vague comme une brume lascive. Et je pluie, et j'orage, et je source. Ruisselant, coulant, ravinant. Mon univers c'est l'eau, mon ciel est d'averses, mes nuages sont gorgés de torrents de tristesses et mes jours s'évaporent comme l'eau des étangs. Je suis un océan dans l'axe de mes marées, en mon centre une source.
Si mes rêves se condensent, c'est l'Amazone qui passe saturé de boues grasses et fertiles où l'opaque et l'obscure s'accouplent aux puissances invincibles du courant. Monte ta marée, petit bonhomme. Une de plus. Courage ! Vas donc chercher ces rouleaux de mémoire, et déploie-les, va plus profond racler le fond de l'océan, vas, n'hésites pas, prends les plus lourds s'il le faut ! prends les plus tristes, n'oublie pas les plus beaux ! Va chercher ta marée dans le fond de ton ventre ! Dans le fond de son ventre. Va ! Tu es l'infiniment vivant, l'infiniment mourant, tu es dans le bercement des mers qui se disent et se redisent jusqu'à l'ultime bord où le ciel agonise dans les flots. Qui a-t-il sous les eaux des mères mourantes si ce n'est de grands pans de ciel ornés de quelques étoiles ? Qui a-t-il au fond des mères si ce n'est le sommeil d'un enfant ? Qui a-t-il dans mon balancement si ce n'est un appel ou un cri, le triste mouvement, infiniment vivant, infiniment mourant, infiniment pleurant dans les os de sa mère ? C'est l'heure de la marée blanche et écumante. C'est l'heure d'appeler la nuit et ses mystères, c'est l'heure de vouloir un peu plus fort, un peu plus loin. C'est l'heure blanche des marées. Blanche comme les ailes déchirées d'un grand cygne mourant. Blanche comme les flammes qui brûlent ma prière. Blanche comme l'aveu d'un aveu. Blanche comme la peau avant l'amour dans le silence à peine froissé des caresses. Blanches caresses, et lente houle des chairs qui s'offrent au blanc du désir blanc. Monte-la ta marée ! Un peu plus de courage ! Dans chaque mouvement, c'est du temps qui déferle, dans chaque éclatement c'est l'amour qui se dresse, dans chaque écoulement c'est ton corps qui réclame, dans chaque déchaînement c'est des liens que tu brises. Et se dire, oui se dire, tout au bout, tout au bout des marées, je suis un homme vivant qui montent ses marées, infiniment vivant, infiniment mourant, et qui le soir venu, pose son front au sol et peut dormir en paix.

Franck.

17 novembre 2021

Lenteur…

 

On s’assoit pour retrouver la lenteur des temps. Alors, on respire. On puise au plus profond de l’intérieur du corps. Comme vers un continent neuf qui sortirait des eaux brumeuses. La lenteur appelle l’immobile.
Car seul l’immobile nous rendra la mesure des actes, et tracera les contours de leur gravité. On ne sait les choses importantes que dans ce mouvement de ralentissement. On ne connait les choses essentielles que dans l’immobilisation. La stase.
Le sens ne se révèle que dans l’atrophie du geste, dans l’engourdissement de la course. Dans l’agonie lente de l’impulsion. Alors, on s’assoit, pour mourir un peu plus fort. Un peu plus surement. Un peu plus loin. Avec la lumière qui se dégage de la disparition des fièvres, des grouillements, des effervescences. On ne connait le voyage qu’aux escales, on ne sait dire le désert qu’à l’ombre des oasis.
On s’assoit. On flotte. Lenteur épaisse des heures qui s’écoulent en raclant la blancheur des os. Curetage patient de nos insomnies, de nos attentes, de nos désolements. Ce vertige. La peur qui s’insinue. Temps étrange et singulier de la lenteur, comme si brusquement il devenait important de prendre avec précaution la vie, avec la mort qu’elle traine dans son ombre, et le souffle. Retenue du mouvement. Comme l’on va pieds nus sur les rochers tranchants. Parcimonie, pour échapper à l’écrasement. Puis défroisser le temps qui reste, à cause du temps perdu. Défroisser les souvenirs à cause des oublis. Lisser avec obstination la page écrite de trop de mots, de trop d’espoir, de trop de désirs inassouvis, de trop de manques. Ainsi, chaque instant, un crépuscule.
Il y a dans la lenteur du temps cette chose impalpable qui va vers la transparence. Vers l’éclat. L’étincèlement. Le reste improbable de l’usure. Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour. Comme le murmure accroit la puissance de la parole. Il y a dans ce ralentissement une dilatation de l’âme. À cause du poids, de cette distance qui n’en finit plus pour atteindre l’immobilité fulgurante. L’irradiation.
Il y a dans la lenteur un accroissement d’amour, comme cette caravane qui progresse dans les sables. Plus le but approche, plus le pas ralentit. Lent cheminement de l’écorce qui rêve en secret au caillou.
On s’assoit. On laisse monter en soi l’océan vide des regards et des gestes. On élargit les bords du manque. On entre dans son corps, car il est temps d’habiter sa chair et d’ouvrir les bras à l’éternité. On s’assoit, on se laisse traverser par l’éclair d’une solitude grave, brillante. On s’assoit dans cette dévastation du temps inerte. On longe le gouffre de nos peurs. On parcourt encore une fois nos sentiers d’errances. Le souffle se ralentit. Tout est là, puisque rien ne tremble. Tout est là, puisque les premiers mots affleurent.

Franck.

7 novembre 2021

Aurore…

 

Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. L’eau lisse et sombre, encore inquiétante avec ses nappes de brume qui sortent des profondeurs. Cela tient au silence. Ce silence du matin naissant qui n’a pas le même timbre que le silence nocturne. Ce silence du matin, désencombré des présences et des spectres. Silence plat. Lisse. Sans image. Dévoilé. Nu.
Il y a un temps dans les aurores où la nature attend. Elle attend le signal de quelques dieux. Les oiseaux sont posés sur la bouche du vent, ils attendent, ils écoutent la lumière déchirer les ombres, ils observent les fantômes se dissoudre dans la rosée, les diables se cacher dans les buissons, les fées s’évaporer. Cela ne dure pas. La naissance de l’aurore est toujours triste, toujours mélancolique. On sent bien que c’est un effort que de se dégager des mots de la nuit. Accoucher d’un silence neuf demeure une épreuve. Certains jours d’ailleurs elle n’y parvient pas, alors même en plein jour, c’est la nuit qui triomphe. Des jours qui ne sont pas des jours, des jours effondrés, épuisés. Des jours qui empoisonnent le sang de l’écriture. Rien n’est acquis, pas même la lumière.
Il y a une densité particulière, une pigmentation singulière de l’air à l’approche de l’écriture, celle qui préside aux aurores qui se lèvent sur les grands lacs. Où la solitude change de destinée. La solitude du matin naissant qui n’a pas la même épaisseur que la solitude nocturne. Elle se déploie, se défroisse, ce qu’elle perd en poids, elle le gagne en étendue, comme une main qui défait son poing, comme une main dénudée que l’on pourrait croire accueillante. Cela ne dure pas, car elle vous entre dans le corps comme une vague scélérate qui envahit la peau comme une chair de poule. Cette fraicheur innocente du matin, c’est la solitude qui déplie ses bras pour l’accolade, pour le baiser du jour. La solitude nocturne vous déborde de toutes parts, son poids est immense, et parce qu’il est si immense vous n’y croyez pas vraiment. C’est une extravagance, une exagération, certaines nuits, vous la considérez comme une amie. Mais cet écrasement reste une complaisance, un attristement indulgent sur vous-même.
La solitude du jour, vous l’enfilez comme gant. Elle vous tient chaque parcelle de vie. Elle est à votre mesure : elle est faite pour vous. C’est pour cela que vous avez cette sensation de froid au point du jour, comme à l’approche de la mort. D’ailleurs, la mort ne s’y trompe pas : elle aime hanter ces endroits du jour où l’ombre arrive ou bien s’en va, où l’ombre joue avec nos nerfs. Elle cueille les âmes au crépuscule, ou à l’aube, dans ces temps raccommodés, ourlés de surjets fragiles, faussement hésitante. L’aurore constitue bien ce temps où les amants se délient, où les serments se payent, où les dieux font notre addition. Chaque matin, la solitude du jour vous laisse les poches vides, l’œil effaré. Les dieux ne font pas crédit : vous payez d’avance. Le soleil est à ce prix, le prix de la lucidité, comme dirait le poète.
Chaque fois que l’on marche vers l’écriture, c’est comme aller au-devant d’une aurore, c’est aller vers l’absolu du silence, vers l’absolu de la solitude. C’est aller vers un sacre.
On le sent à cette densité si particulière de l’air à l’approche des mots, à ce désordre dans les saisons du sang, à la brusque gravité des heures, à cette simplification des couleurs comme lorsque le jour se lève près des grands lacs aux eaux lisses et noires, aux eaux cousues de brumes.

Franck.

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