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J'irai marcher par-delà les nuages
30 août 2008

Malgré les étoiles....

Longtemps. Dépouiller l'acte de toutes les arabesques du plaisir, de toutes les facilités, de toutes les passions, de toutes les excuses, de toutes les raisons, de toutes les déraisons. Le faire assez longtemps pour le dénuder de tout. De tout. Des justifications, des explications. Jusqu'à l'os. Au-delà de l'os. Etre dans la lenteur progressive de cet échange, de cette clarification. Cette décantation de l'être. Comme l'acquittement d'une dette. Même si ce n'est pas une dette. Donner à l'acte la chance de la durée. Uniquement la durée. Tenter d'atteindre la constance de la mort. Fabriquer du temps, même vain, même insignifiant, surtout insignifiant. Cette patience renouvelée. S'appliquer à l'acte, au geste. Sans rien attendre en échange, ni remissions, ni miséricorde. Accepter et s'appliquer. Et même si cet entêtement est désespéré. Désespérant. Même.

 

 

 

Dans chaque acte, dans chaque geste il y a d'abord une partie friable, fragile, faible, ça s'appelle l'enthousiasme. Après cela se durci. Cela s'appelle l'ennui. Et tout commence là. A cet endroit dur de l'ennui. Notre endroit, lâche, notre endroit inconstant, mou, indéterminé. C'est bien avec ça qu'il faut vivre.

 

 

 

Il n'y a là, ni grandeur, ni noblesse, dans cette usure du geste. Non, il n'y a rien, sinon l'affirmation et l'insistance de ne céder à rien. Tout acte prend sa dimension parce qu'un jour on consent à le faire, et à le faire longtemps. Ainsi le laboureur. Ainsi le pèlerin. Ainsi l'océan et ses marées. Ainsi l'attente amoureuse. Ainsi la solitude. Ainsi l'écriture.

 

 

 

Toute chose inutile faite longtemps allume une étoile ? Tout acte qui peu à peu nous vide, non parce qu'il nous dérobe, tout acte qui nous épuise parce qu'il réclame plus que lui-même, parce qu'il réclame notre substance, nous augmente ?

 

 

 

Le longtemps donne l'illusion du toujours et le toujours donne l'illusion de l'éternité. Illusion contre illusion. Qu'importe. Au bout du compte il ne restera que l'os. Et puis les cendres de l'os. Et puis, rien. Malgré les étoiles. Il faut bien atteindre la mort avant qu'elle nous atteigne. Il faut bien être mort avant qu'on soit mort. Car on pourrait aimer en chemin, et tout s'aggraverait, inutilement. Malgré les étoiles. Et les baisers de cendres. Crâne contre crâne. Os contre os. Illusion contre illusion. Malgré les étoiles.

Franck.

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22 août 2008

Marée......

Toujours revenir sur le mouvement des marées, sur cette eau qui m'habite. Sur l'océan qui s'agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sans fin. Comme l'errance. Et l'impossibilité de l'île, de l'oasis, d'une pose. D'un soupir. L'impossibilité du soulagement. Enfermé dans l'ouvert. C'est sans doute cela la béance. Cet inconnaissable qui gît en nous. Cet immense trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive.
Et chaque vague qui propose un désordre nouveau insupportable, invivable et pourtant vécu, dix fois, cent fois, mille fois vécu. Un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspend. Lisse. Interminable. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l'existence.
Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l'orfèvre qui taillerait l'endroit impur de la pierre, qui l'userait au point de la faute, du manque.
Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, mes carcasses éventrées, tous ces restes d'engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et les algues géantes pour brasser chaque souvenir.
L'écriture s'éloigne comme un radeau de dérive, comme un tronc de mort flottante gorgée de sel et de désespoir, saturée de vagabondage. Un tronc qui n'a plus rien de l'arbre qu'il fut. Certaines écorces nous racontent leurs histoires, mais là, que dire ? Sinon le balancement, le tangage. L'absence. Dérive. L'infinie dérive. Certains grands troncs ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l'humus, ils sont vidés de leur sève, vidé de leur temps. Longue baleine inerte. Raidie. Squelette paralysé, pétrifié. Où chaque mot devient cassant, friable. Seulement le mouvement. L'oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d'écumes, comme les dernières convulsions. Ecriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine. Les eaux des mots s'affaissent, fléchissent encore un peu. Si peu. Les mots s'enroulement dans leurs formes. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière. Et l'incantation devient une longue litanie, le dénombrement des heures, l'inventaire sordide et interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l'ombre, qui l'enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d'une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s'effacent, filigrane qui s'insinue entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l'intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement. Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance. Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l'impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses car elles enfantent des hasards ou quelques sortilèges.
Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l'horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s'enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l'indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours. Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier. Il y a dans le mouvement des eaux l'étrange prémonition de l'anéantissement. Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d'insignifiance, d'inconsistance. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l'espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d'amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l'océan et c'est une joie trouble que d'aller l'arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d'orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d'arbre vaincu aux rivages des vivants. Il flotte au bout de mes marées l'éclat d'une chandelle farouche et fière, la part indomptée de mon cheval d'orgueil, le galop sourd d'une horde primitive. Et dans l'infime qui se survit assez de nuance pour repeindre un ciel entier, et dans mes dernières écumes l'offrande et l'abandon et le saisissement.

Il y a dans mes eaux qui montent l'instinct de la prière et du renoncement, et dans l'ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde. Cette empreinte brillante et fugitive et murmurante qui lie les eaux aux cieux. Comme ces étoiles filantes qui naissent les marées.

Franck

17 août 2008

Serais-je....

Seule la lumière des mots est subversive. Ainsi le poète.
Seul le silence est subversif. Ainsi l'homme en prière.
Seul l'acte sorti de l'arc de l'amour est subversif. Ainsi l'amoureuse. Ainsi l'amoureux.
Tout le reste est bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.

Ma marche vers toi est subversive puisque je dois gagner en lumière, puisque je dois accueillir un silence grand comme un océan, puisque je dois tirer si fort sur un arc si dur. Ma marche vers toi est une révolution, une longue marche à travers toutes les murailles de Chine.
Je suis en marche. Parti tôt. Car c'est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici, point de lions, de forêt, de brigands. Ici, point de montagne infranchissable, point de ravin. Ici, ce ne sont pas les kilomètres qui usent et fatiguent, c'est la mémoire. Car c'est mon plus long voyage. Le plus dangereux. Ici point de villes obscures, point de Sodome, point de Gomorrhe. Non, ici le seul danger ne peut venir que de moi. Et mes seuls compagnons sont les mots. Ceux que je trouve avec tant de difficultés sur mes talus arides et rocailleux. Les mots. Mes mots. Que je traîne, ou qui me traînent selon la pente du soleil.
Je suis en marche. Je viens. Et je viens à moi à moi-même. Et je viens à toi en revenant des morts. Nu. Tirant sur le souffle de ma parole. Je viens en perçant mes orages, en trouant mes ténèbres. Je viens envers et contre le temps, envers et contre l'espace qui nous sépare. A rebours. A rebours du désir et contre les évidences. Je n'ai que des couleurs pour me guider vers toi, je n'ai que des musiques pour me porter, mais c'est suffisant. Tout le reste n'est que bruit, vacarme. Danse du ventre. Agitation.

Je n'ai que ma pauvreté pour toi, mais tu sais, je l'ai chèrement gagné. N'est pas pauvre et nu qui veut. Car il ne s'agit pas de se dépoitrailler pour être nu. La nudité de soi se gagne les yeux baissés, dans le silence et l'abandon, elle se gagne dans l'offrande faite au jour, elle se gagne dans l'épuisement des forces, dans le crépuscule. Elle se gagne à la flamme d'une bougie. Elle se gagne dans le recommencement après la chute. Et dans les tremblements. Et dans l'effondrement. Pour être nu il faut abandonner toutes ses guerres, toutes ses colères, s'être vidé dix fois de son sang, et avoir éprouvé ses propres larmes sans honte, sans remords. Être nu c'est le privilège des rois, des seigneurs sans royaumes, des chevalier à la triste figure. Être nu c'est ne plus attendre des autres, et être patient de soi, c'est appeler l'absence, la reconnaître et l'aimer d'un seul regard. Etre nu c'est accueillir la peur sans peur. Voilà, être nu et pauvre c'est brûler avec une infinie compassion, une infinie constance, avec l'opiniâtreté d'un laboureur et la fidélité de l'enfant à sa mère.

Serais-je assez digne pour te faire ce présent ? Serais-je assez fort et puissant pour le porter jusqu'à toi ?

Franck

12 août 2008

Plaines froides.......

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d'être encore là. Ces terres d'absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères, et sa nourriture aux bouches des pierres usées. Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s'écorchent et saignent, ces lieux cabossés par tant d'oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants. Je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre préférant l'agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut, je sais les plaintes déchirées des terres sauvages et je sais les âmes qui les hantent, je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces, et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards et cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes. Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses, elles ont abandonné leurs chairs et leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence, des distances, et façonnent nos éloignements et célèbrent nos séparations et bénissent nos accablements.

J'ai souvent cherché la musique dans ces landes fracassées de vents et je crois qu'il n'y en a pas d'audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, et tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défait de tout. Des lieux qui préparent ou qui prolongent. Qui exigent avant, et qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser, mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité et de la simplification, de la première perfection et de la dernière.

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal mauves et sévères, sans arbres, sans racine. Comme une mer de bruyères tranchantes et brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue et rêche et rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitude grave, suffoquant sous la vapeur compacte des bouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs et obstinés.

Je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang froid et ces absences, et ce vent qui m'observe et ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, et mes mains si pauvres et ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L'infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l'écriture qui gratte la glace et le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l'impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Et mon œil effaré fixe dans l'ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s'approche. Et cet épuisement. Et cette envie de nord. De glace. De fin....

Franck

5 août 2008

Généalogie de l'ombre......

Je suis un océan et j'ai perdu mes rives et rien ne me contient hormis l'inquiétude et le froid et la langueur des temps. Un océan à la dérive, en quête de ses marées, en quête d'un ciel pour mourir ou pour se reposer. Un océan rongé de sel, et bousculé de vagues éparpillées. Il y a dans mes eaux la trace des plaies et des fractures et mes eaux saignent, hors de toutes rives, sans horizon, sans appuis sur le ciel. Simplement le froid, et l'inquiétude. Et encore le froid. Un océan déjà crissant des glaces qui percent les molécules de la mémoire. Un effritement, une dislocation du sens.
Epuiser l'ombre pour nous rétablir dans la lumière, nous replacer dans nous-mêmes. Et nommer. Comment tu t'appelles ? Il n'y pas de réponse. Jamais. Déchirure peut-être.

Il faut se mettre d'accord avec ses images. Celles qui envahissent. Quand je dis lumière ici, c'est une image. Ombre, lumière ce sont des images. C'est vrai. Mais ce n'est pas réel. Réel au sens où je tape en ce moment sur le clavier. Les vérités et le réel ne font pas bon ménage. Souvent. Aujourd'hui je m'appel four, flamme. Ce sont les images qui sont là. .Peut-être enfer. Là devant. Avant toute pensée. Ce sont des images, elles sont vraies aujourd'hui, à cet instant elles viennent de faire un trou dans le réel. Ce trou, je l'appelle la déchirure. C'est pour cela que je n'ai pas vraiment de lieu. Ecrire est un lieu. Ecrire est une géographie. Une géographie perdue. Ma main, un itinéraire inconnu. J'ai des souvenirs et pas de mémoire. A la place ? La déchirure. Encore, et pour toujours.

Mes temps sont inconciliables et mes espaces ravagés.
Ecrire c'est tracer un pont entre les deux bords de la déchirure. Une suture. Unir le corps à... à quoi au fait...... Parfois c'est tomber de ce pont. Souvent.
Entre le vrai et le réel.

Comment tu t'appelles ? Mon prénom c'est Franck, mon nom c'est Nicolas, oui comme le prénom. Déjà la confusion. Le nom, c'est lui. LUI. Lui, le père, la cendre dans la bouche, lui la mort, lui la haine et le silence de glaive. Le prénom c'est moi. MOI. Moi la source, moi le fleuve incendié, le fleuve qui tend ses bras et son temps vers la mer. La mère ? Ne compliquons pas. Théâtre de marionnettes fantomatiques, où sur la scène, les morts sont plus présents que les vivants. D'ailleurs on est toujours le vivant d'un mort. Ils nous veillent. Ils écartent les chairs pour y passer leurs faces de squelette blanchâtres et nous monter leurs rires d'os. Cliquetis. Raclement. Craquement. Théâtre d'ombres osseuses. Le matin lorsqu'on est décillé des rêves et que le souvenir remonte comme un haut-le-cœur. Nausée de la mémoire où il n'y a rien à cracher. Jamais.

Aujourd'hui je m'appelle four, flamme, enfer peut-être. J'en suis les cendres.

Four. A la fin il s'arcboutait sur le rebord de four. La tête penchée. Recherchant un souffle qui le fuyait. Il avait beaucoup maigri. Mais il voulait continuer à faire son pain. Albert. Il s'appelait Albert. Il avait trente quatre ans et il épuisait ses dernières forces en face de son four. Dans la famille on ne parlait jamais d'Albert. On l'avait laissé, lui et sa tuberculose, appuyé à son four. Je n'ai vu que trois photos de lui. Il parait qu'on se ressemblait. Même mon père ne parlait pas de son père. Comme si on en voulait au mort d'être mort. Trois photos. Sur la première il est en uniforme de marin. Sur la deuxième il est en costume. La troisième est celle de son mariage. Avec Claire, ma grand-mère. Elle est assise et lui se tient debout. Droit. Sur les trois photos il a le même regard, la même expression. De grands yeux de poissons qui regardent hors du bocal. Sur aucune il ne sourit. Il a des lèvres épaisses et bien dessinées. Il n'est n'y beau, ni laid. Il semble étrange. Voilà, c'est le terme. Etrange. Etranger pour être plus précis. Sa mère n'a pas voulu qu'il fasse des études. Il essayait bien de lire en cachette quelques livres. Mais sa mère ne voulait pas dépenser d'argent pour ça. Alors tout jeune il sera au pétrin. Je ne sais même pas s'il avait eu un père. C'est la mère qui régentait. Qui comptait les sous. Elle les comptait souvent. Trop souvent pour être honnête. Alors il s'est engagé dans la marine. Il a fait le tour du monde. Et il est revenu à Limoges. Rue Jovion. A la boulangerie. Il a connu Claire. Il avait vingt-cinq ans, elle, elle en avait quinze. Ils se sont aimés en cachette. Entre deux fournées. Quand elle venait à la boulangerie c'est lui qui la servait. Et très vite elle fut enceinte. Alors ils se sont mariés. Lui il faisait le pain, elle, elle le vendait. Tout aurait pu durer ainsi indéfiniment. Jusqu'à la première toux. Albert n'avait pas le goût du bonheur.
« Claire, parles-moi de lui, comment il était Albert ? »
« Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Albert, c'était un silencieux, il ne parlait pas beaucoup. Et puis tu sais, avec la boulangerie....c'était pas une époque très facile.... »
« Mais tu l'aimais ? »
« Est-ce que tu crois qu'on avait le temps de se poser ces questions..... »
« Je suis sûr que toi, tu te les posais ces questions ».
« Albert....oui, on s'est aimé, mais en cachette, toujours en cachette. Même mariés... Albert il avait des voyages dans la tête et dans le cœur... il avait des poèmes dans la tête et dans le cœur.... Il n'était pas fait pour la boulange... J'étais jeune c'est vrai... mais tu sais, dans ma vie j'en ai vu des bonhommes...jamais des comme lui.... »
Claire dit ça, avec les larmes au bord des yeux. Pourtant, cela fait pas loin de cinquante ans qu'il est mort.
« Tu sais il était fortiche pour le feu, pour la température du four... Et puis jamais il ne ratait une fournée... Il aimait son pain, ça lui faisait presque dépit de le vendre... Lui, il l'aurait donné. Tu sais à Limoges entre les deux guerres c'était chaud... les ouvriers, ceux de la porcelaine et des chaussures avec les syndicats....ça rigolait pas. Tu sais qu'ils on tué des ouvriers....il ont chargés et ils ont tué... »
« Oui, mamie, je sais.... Albert. Parles-moi de lui »
« Tu me fatigues avec tes questions, qu'est-ce que tu veux savoir ? »
« Tout... tout, lui, papa, moi... »
« Ne me parle pas de ton père.... Et dire que je l'ai porté dans mon ventre cet indien !... dire que je l'ai porté dans l'odeur du pain, et des croissants, tu crois que ça a servit à quelque chose ? Dans la nuit je descendais avec mon gros ventre pour l'aider... lui faire du café... Tu sais quand il mettait notre pain au four, avec ses gestes rapides, sûrs, on aurait dit une danse. Les premiers pain qu'il plaçait dans le fond du four, j'avais l'impression que tout son corps allait y passer...Je le voyais faire en silence, il transpirait... il était beau... il faisait chaud, il faisait nuit et la première fournée craquait, le pain chantait, on savait qu'il allait être bon au chant, à la musique de la croûte sortie à peine du four.... Ah, ce four, c'est ça qui la tué... le chaud et froid... il était pas fait pour ça. Il l'aimait son four, son feu. Il s'en occupait de lui, ça tu peux le dire.... Plus que de moi.... »
« Tu exagères là... »
« Oui, on s'est aimé, mais c'était une autre époque, j'avais seize ans, un gamin et la boulangerie. Pourtant, quand il posait ses mains pleines de farine sur mes cuisse ou sur mes seins... »
« Attention mamie, tu dérapes... »
« Ah ah ! Je dérape...et tu dérapes pas, toi, des fois ?... Eh bien, je peux te dire qu'on en a fait devant le four... et pas qu'une fois !... dommage, il était triste, il ne savait pas dire pourquoi... il était triste, c'était dans son sang... à cause du lait de sa mère... cette garce ! Lui, il avait vu le monde... la nuit il me racontait, pendant que le pain dorait...les noirs, les jaunes, les café au lait.... Et l'océan... il parlait souvent de l'océan, des tempêtes, du ciel, des étoiles... il disait – quand je fais du pain j'y met tous mes souvenirs, c'est pour ça qu'il est bon mon pain, j'y met le bruit des vagues, la mousson, les sourires des filles- il disait ça pour me faire enrager. Il était timide. Alors le sourire des filles... tu vois ce que je veux dire...quand on s'est connu on était aussi niais l'un que l'autre... d'ailleurs t'as vu le résultat ?... ton père... »
« En fait, tes deux maris auront été marin, c'est une vocation chez toi... la marine, en plus à Limoges... tu aurais habité Brest ou Bordeaux...Mais Limoges, il faut le faire... non, je ne poserais pas la question... lequel des deux.... Parles-moi encore d'Albert. »
«  A la fin il faisait peine à voir...la tuberculose, plus des trucs qu'il avait aux poumons, peut-être la farine... et puis on pouvait pas fermer la boulangerie, tu comprends, c'était pas comme maintenant. Alors, je l'entendais tousser, en bas, devant son four. Il ne voulait pas vendre, il croyait que ça passerait. Eh bien, c'est pas passé ! c'est pas passer du tout même.... Ça l'a tué... presque d'un coup....Je me souvient de sa dernière fournée, comme si c'était hier. C'est lui qui avait pétri, c'est lui qui avait préparé tous les pains, tu sais, les gros pain, les tourtes...il toussait, il crachait... et puis ce four, j'avais l'impression qu'il lutait contre le feu, comme s'il défiait les enfers. Il avait beaucoup maigri, mais, même là, à l'article de la mort, ses gestes étaient beaux, harmonieux. Entre deux quintes. Quand tout fut finit, j'ai vu du sang sur son tricot blanc, du sang mélangé à de la farine, il me regardait en silence, ses yeux me parlaient. Tu comprends, il me disait plein de choses... c'est à ce moment là que j'ai su, que j'ai su vraiment. Il était pas fait pour ça... il avait des mains d'artiste. Mais surtout le cœur, et les rêves. Il était revenu mais quelque chose de lui était resté sur la mer. Je lui disais : Albert où tu es ? Il me souriait.....et répondait : au milieu du Pacifique...je le voyais à son regard qu'il était ailleurs... Pour le coup, il y aura été... ailleurs.... »

Je me revois devant la porte du crématorium avec le cercueil prêt à entrer. Avec ma tante nous avons eut l'autorisation de passer derrière, dans la coulisse. Il y a eut Albert, Jean et Franck. Et là Franck se prépare pour sa première fournée. Mon père revenait à son père dans une dernière fournée. Totalité des cycles. Emprise des symboles. Le livre se refermait dans la blancheur incandescente des flammes. Un corps qui appelait sa cendre. Un dieu qui réclamait son du.
Dieu ! que ton pain est étrange....
Et moi un piètre boulanger...
Epuiser l'ombre pour nous rétablir dans la lumière, nous replacer dans nous-mêmes. Et nommer. Comment tu t'appelles ? Il n'y pas de réponse. Jamais. Déchirure peut-être.

Franck

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