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J'irai marcher par-delà les nuages
30 janvier 2022

Conquérir l'âme du monde...

 

Car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le bruler. Pour l'accomplir en le brulant.
La puissance ne représente rien s'il n'y a pas l'abandon et l'abandon est une pure folie s'il n'y a pas l'offrande. L'amour véritable, c'est peut-être cela, la puissance et l'offrande qui passent ensemble sous la même arche, la puissance qui s'exalte de sa disparition, la puissance saisie d'un trouble, d'une douleur sublime pour ouvrir le ciel, pour éclabousser la nuit.
Alors, il faut y aller d'une parole vraie et folle, d'une parole défaite. Défaite parce qu'en équilibre sur le fil coupant de l'âme, parce que sans cesse inachevée. Inachevable. Y aller d'une parole vraie, parce qu'indéchiffrable, puisqu'elle dit l'impossible de nos existences. La vérité n'est pas donnée, elle reste un surcroit, ou un reste plutôt. Il faut user nos vies pour la faire apparaitre. C'est pour cela qu'elle fait mal. C'est d'ailleurs comme cela que nous la reconnaissons : parce qu'elle fait mal.
La vérité du mot, c'est le silence qui le suit. La vérité de l'amour, c'est le silence qui le précède.
La vérité et la folie pour atteindre une parcelle de pureté. Car la pureté, n'est pas un état donné, une chose acquise pour l'éternité. La pureté, ce n'est pas la blancheur naïve, la candeur intouchable. Non ! Rien de tout cela. La pureté est douloureuse, aussi, parce qu'elle brule, qu'elle est une marche épuisante vers la dépossession, vers l'abandon. La pureté, c'est arracher de soi des lambeaux de mémoire, arracher la chair de ses souvenirs. C'est enflammer son sang. C'est être dans le jour et inventer la nuit. C'est être dans la nuit et accueillir chaque mot comme des lucioles. C'est savoir que les paroles du soir sont souvent encombrées, qu'il faut avant de s'en servir les blanchir dans un grand bain de silence. C'est savoir que les paroles du matin n'effacent jamais totalement la nuit parce que dans la rosée des mots, on décèle toujours quelques chagrins inconsolés. C'est faire rentrer le soleil dans la maison des mots, c'est jeter au vent des poèmes oubliés.

Alors, il faut traverser la lumière à son endroit le plus fragile, là où les ombres laissent passer les anges, là où nous déposons nos prières, nos chagrins. Là où l'aube cache encore quelques astres égarés. Il faut chercher ces instants fugaces du jour où les lueurs s'accordent à nos cœurs, ces instants qui esquivent le temps qui passe, ces petits instants fragiles qui offrent un bout d'éternité à qui savent les voir, comme lorsque nous respirons une rose en fermant les yeux en oubliant nos larmes ou en nous y abandonnant.

La vérité du mot, c'est le silence qui le suit. La vérité de l'amour, c'est le silence qui le précède, car il nous faut conquérir l'âme du monde pour l'accomplir ou le bruler, pour l'accomplir en le brulant.

Franck.

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23 janvier 2022

Je sais des plaines froides...

 

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal brunes et cassantes. Je sais ces pays désolés d'être encore là. Ces terres d'absence où seul le vent du nord trouve son souffle dans les bruyères, sa nourriture aux bouches des pierres usées. Je sais ces pays de brumes sur lesquelles les rêves s'écorchent, saignent, ces lieux cabossés par tant d'oublis, martelés par le temps et la corrosion des désirs insuffisants. Je sais ces lieux nécessiteux, miséreux, qui ne tendent plus la main pour survivre, préférant l'agonie lente des siècles. Je sais ces landes qui gémissent aux portes du ciel, ces landes sans prière, sans salut, je sais les plaintes déchirées des terres sauvages, et je sais les âmes qui les hantent, je sais leurs voyages sans fin, leurs appels, leurs errances au bord des neiges éternelles, leurs traversées des crachins de glaces, et des froids monotones. Je sais cette tristesse qui blanchit leurs regards, cette mélancolie redoutable qui séjourne sur la peau de leurs complaintes.
Les landes frileuses ne sont pas des landes amoureuses, elles ont abandonné leurs chairs et leurs soupirs et leurs tentations. Elles produisent du silence, des distances, et façonnent nos éloignements, célèbrent nos séparations et bénissent nos accablements.

J'ai souvent cherché la musique dans ces landes fracassées de vents, je crois qu'il n'y en a pas d'audible, car les déserts et les landes dépassent la musique ; en fait, ils ne sont que musique pure. Tout part de là, de ces contrées, et tout y reviendra. Ce sont les lieux de la totalité, puisque défaits de tout. Des lieux qui préparent, ou qui prolongent. Qui exigent avant, qui exigent encore plus après. Ils se laissent traverser, mais jamais pénétrer. Si la main est assez ferme et assurée, elle peut parfois les caresser, mais sans jamais pouvoir les abuser. Ce sont les lieux de la totalité, de la simplification, de la première perfection, et de la dernière.

Je sais des plaines froides au-delà du cercle polaire. Des landes de cristal mauves et sévères, sans arbre, sans racine. Comme une mer de bruyères tranchantes et brutales, une mer raidie dans son mouvement âpre, une écorce cornue, rêche et rugueuse. Je sais ces landes persistantes, ces terres usées, brisées de solitudes graves, suffoquant sous la vapeur compacte des brouillards immuables. Terre saturée. Imprégnée. Imbibée de désespoirs primitifs et obstinés.

Je sais mes plaines froides, mes landes du nord, mes lacs de brumes grises. Je sais ce sang gelé, ces absences, et ce vent qui m'observe et ces neiges démembrées qui tombent au fond de mes os. Je sais tous ces jours dépourvus, arides, insignifiants, et mes mains si pauvres, et ce regard si maigre. Je sais tout cela. Mille fois traversé. Mille fois disséqué. L'infini retour de mes landes mordantes, de mes terres sans horizon, de mes journées sans lumière. Ces terres abondantes sans limites.

Je sais ces plaines froides qui dévorent la langue, chaque mot de la langue, et l'écriture qui gratte la glace, et le texte pris dans les hurlements des bourrasques de l'impossible dire. Comme si la parole était traversée dans sa chair par un fil barbelé. Impénétrable parole qui me laisse désarmé, en exil, banni de mon propre désir, relégué, refoulé de ma propre demeure. Et mon œil effaré fixe dans l'ombre du ciel le vol bouleversant des oies sauvages vers le nord. Comme un destin mille fois répété, comme une usure lancinante et troublante. Sur le ciel gris et noir de mon enfance. Le vol des oies sauvages vers le nord. Comme une fatalité. Mille fois répétée. Laborieuse berceuse qui ne survit plus à la nuit qui s'approche. Et cet épuisement. Et cette envie de nord. De glace. De fin....

Franck

16 janvier 2022

Quelques brindilles pour le feu...

 

Je suis resté sur le bord du fleuve. Je ne sais plus combien de temps. Plusieurs jours. Là, sur le bord brûlant du fleuve. Il n'y avait rien, hormis le fleuve et le désert ; et moi, assis entre les deux, juste à la frontière des terres vides, et des eaux larges, à regarder le temps passer. Cela devait être un peu avant Bourem. A l'endroit où le fleuve se met bien à plat, là où il s'étire pour passer sur les sables incendiés. Un fleuve à plat ventre, ondulant lentement comme s'il traversait des sables mouvant ou sa propre mémoire. Temps contre temps. Usure contre usure. Etalé dans le plus large de ses eaux aux risques de perdre ses rives. D'ailleurs elles se perdaient parfois derrière le pli d'une dune ou dans l'œil humide d'un mirage.

Si la mer parle à notre âme, le fleuve, lui, parle à notre histoire. Il y a dans le fleuve l'ébauche d'un dialogue avec ce qui était avant nous, et ce qui sera après. L'homme au bord du fleuve se sait mortel. Et cela le rend triste. Infiniment triste. Comme ces journées assis sur le bord du fleuve. Le Niger. Au Mali. Il y a longtemps. Tout au début des temps.

Six, peut-être sept jours à attendre, assez de temps pour la création des mondes et des univers, assez de temps pour que s'écoule l'infini tristesse, et pour sentir la lente mélancolie du fleuve. Fleuve des terres brûlées, fleuve des enfers aux langueurs mystérieuses. Fleuve lent. Grave. Aux flots austères et silencieux. Car il y a des lieux où les paroles n'accrochent pas. Rien ne peut se dire. Tout est écrasé par lutte lente des éléments. Lutte antique, immémoriale, puissante confrontation des silences, celui du désert, celui du fleuve et pour les sacrer tous les deux, celui du soleil. La rencontre du temps et de l'espace. Je suis resté sur le bord du fleuve. Assis, sur le lieu même de la folie, de l'incommensurable folie de l'existence, à regarder le fleuve, comme si l'apocalypse devait surgir de l'horizon consumé.

Il y a des lieux où la pensée devient inutile,  vaine, presque indécente, où la raison ne peut plus se survivre, où l'intelligence n'est qu'une excroissance du malheur et d'un mauvais hasard. Il y a des lieux où toute pensée n'est qu'une écorce morte, l'enveloppe desséchée de nos vanités. Il y a des lieux où si tu ne sais pas rêver, tu meurs.

Six jours, peut-être sept, à me demander ce que je faisais là, sur les rives du fleuve, pris dans l'étau primitif, originel, radical des lieux. Lieux métaphores. Assis dans la gueule même des mythes. Il est paradoxal d'imaginer que toutes les paroles sont parties de ces lieux impossibles. Sans doute que pour poser le premier mot fallait-il un espace infini ? Peut-être fallait-il un feu solaire pour compenser le feu du mot ? Peut-être est-ce le premier mot qui brûla tout ? Peut-être...Peut-être faut-il faire traverser à notre verbe un néant embrasé, et rester assis six jours, ou sept, pour qu'il puisse signifier ?

Prends une parole, fais lui traverser un désert, et si au bout tu peux la dire sans trembler, sans pleurer, si tu sais dire chaque mot, articuler chaque syllabe, sans que ta langue ne tombe de ta bouche, alors cette parole est vraie. Alors cette parole est puits qui désaltère, fruits juteux qui nourrit, elle est chemin des étoiles, et ceux à qui tu l'offriras, entendront le puits, et recevront les fruits, et recueilleront l'or de chacune des étoiles apportées. C'est comme si les portes de la cathédrale s'ouvraient.

Le silence est beau d'une parole qu'il porte, comme le désert qui recèle un puits. Le silence est riche de l'enfant qu'il porte. Le silence est un champ labouré gorgé des graines de la moisson à venir, il est mûrissement de l'absence. Ainsi dieu et son infinie mesure, et son immense retrait. Car depuis qu'on fait parler les dieux on ne les entend plus.

Six jours, peut être sept, sans action, à rester là, assis, à raboter les gestes, à façonner l'attente, et à se laisser pénétrer par le fleuve, lent, large, comme un sang ancien chargé du temps qui passe. Comme un arbre qui devine la sève dévorer sa fibre. Car il y a des lieux où toutes actions s'épuisent, il y a des lieux où agir est dérisoire, où l'acte n'atteint plus que son propre néant, où précisément le désir de l'acte s'effondre sur lui-même. Il ne reste plus que les gestes simples, chercher l'ombre ou l'inventer, préparer le thé, manger des gâteaux secs avec quelques dattes, arpenter la rive pour trouver assez de petits bois pour faire un feu le soir. Étirer chaque geste, pour lui donner l'ampleur suffisante, le souffle, et la parcimonie, et l'efficacité nécessaire pour maintenir la vigilance, l'attention précautionneuse, sans rien oublier de l'essentiel : regarder le ciel, se perdre dans les horizons, et tout le jour désirer intensément la nuit, et la nuit venue, souhaiter  avec encore plus de force, le jour.

J'ai peu prié dans ma vie. Pourtant, là, je me souviens avoir risqué mes premières prières. Je me souviens de la timidité de ces premiers élans. Les lieux imposent bien sûr, encore faut-il vouloir s'y soumettre, accepter, et ne pas craindre l'immense vide au fond de soi ; cette peur qui surgissait. Accepter l'envahissement par le fleuve, par le sable,  cette sensation de perte absolue, comme si rien ne pourrait jamais nous sauver. Et que désormais c'était sans importance. Oui, sans importance...

Durant six jours, peut-être sept je me suis appliqué à mettre une majuscule pour honorer l'aube naissante,  j'ai mis des virgules après chaque heure, j'ai ouvert des parenthèses pour envelopper le fleuve, posé un point à l'instant du zénith, au bord de la nuit je n'avais plus que des étoiles à accrocher aux points de suspensions...

Ecrire me renvoie à ces temps où je pouvais m'assoir juste à la frontière des terres vides et des eaux larges, à regarder le temps se perdre et s'oublier. Cela devait être un peu avant Bourem. Bien avant mes premières morts, bien avant mes premières renaissances. Chaque texte est comme un jour passé sur les bords du fleuve, à retenir les gestes, et à ramasser quelques mots, comme des brindilles sèches pour allumer le soir venu le feu de ma parole, afin qu'il ne reste rien. Rien. A chaque fois rien. Ecrire est un horizon consumé.

Franck.

9 janvier 2022

L'hiver, l'océan...

 

L'hiver, l'océan nous parle une langue inconnue. Il roule son indifférence hautaine. Il y a de l'arrogance dans sa houle. Du dédain. Il parle fort, d'une voix musculeuse avec le détachement des dieux, la désinvolture des puissants, parfois de sourds ricanements. L'hiver, l'océan est un défi. Une menace. Largement ouverte sur le froid. Une béance froide et mugissante. La menace vient de ce qu'il n'y a pas d'interruption dans la virilité frontale de l'océan. L'hiver. Et le vent glace toute pensée. Glace et efface toute pensée. L'homme ne s'articule plus à l'espace, au mouvement, droit sur la plage il est une écharde, moins qu'un galet, moins qu'un coquillage. Et brusquement il le sait. Il est dans l'évidence. Aucune parole ne tient, et il le sait. Alors il se tait. Silence et vacarme vont du même pas, l'hiver, quand l'océan roule son indifférence hautaine. Et les portes de l'exil sont ainsi. Bruyantes et muettes. Inconciliantes. Incommensurables. Il n'y a pas de méditation du froid. Toute pensée est d'abord résistance. Tenir l'affirmation d'une résistance. Il n'y a pas de poésie du froid. L'imaginaire du froid est un imaginaire séparé. Coupé. Tranché. C'est d'abord l'imaginaire d'un refus.

L'hiver, l'océan nous parle une langue inconnue, que l'on comprend parce qu'on l'a toujours su. Le vacarme et le silence de la mort. L'écrasement et le froid. Le vent et son murmure lancinant. Litanie d'une mémoire inaccessible. Comme la mer dans son avancée impossible et constante. Interruption des vagues, de la terre, de la mémoire. Invraisemblable mouvement en avant. Enroulement du temps qui nous lie en se déliant. Et la parole qui accompagne. Parole inaudible hormis la voix qui la porte et la pose, là, au bout des terres connues, à l'orée de l'hiver et de l'océan. La voix chante et c'est une plainte. On sait que c'est une plainte, même si l'on n'en entend pas le sens. On sait que c'est une plainte. L'oubli est le râle de la mémoire, son chant plaintif. Quel est ce temps d'hiver ? Quel est ce temps dans le temps ? Cette vague dans la vague ? Cet océan qui bat en moi ? Ce froid qui glace ma voix ?

Je suis un égaré. Je n'ai pas trouvé ma question. Alors toutes les réponses sont fausses. Inadaptées. Nous oscillons sur nos lignes de fuite, funambule de l'errance, avec toujours une liberté de retard, à contre temps des marées, tâtonnant à travers nos phrases, à la recherche des mots, des rythmes qui sauraient s'allier à notre voix. Adoucir la discordance. L'annuler. Effacer l'horizon. Tout recommencer. Ou tout finir. Bâcler la fin. Car l'écriture ne nous rend pas la vue. Tout juste nous introduit-elle au silence. Et à l'absence. Tout juste nous pose-t-elle à un endroit de nous-même un peu plus supportable. Elle n'efface pas l'illusion. Peut-être, est-elle l'illusion suprême. La seule qui vaille, ou la plus dérisoire. Il n'y a pas d'écriture du bonheur. Aucun savoir ne nous guette au bout de la phrase. Aucune rémission. Les mots s'effacent les uns les autres, les suivants renieront ceux qui précédent, jusqu'à l'épuisement. Il n'y a pas d'accroissement de la parole, tout au plus une redite, une tentative toujours échouée. Un enroulement. Un retour. Et un effondrement d'écume dans la voix. L'océan n'a pas de centre, il n'a que des rives, des lieux de fin, des morts toujours recommencées et jamais assouvies. Il est l'épuisement inépuisable. La permanence effrayante. La mort qui s'avance en nous comme une arabesque. Pleine. Dépourvue d'ombres. Pure présence, qui nous assigne à la nôtre, la suggère, parfois la révèle.

Il y a dans l'écriture comme le sacre des saisons, un surcroît de présence, un dévoilement, un atlantique patient. L'écriture dans son incessant retour, élève notre voix pour l'accorder à celle de l'océan. Il n'y a pas d'accroissement de la parole, simplement une élévation, le sens d'un redressement, sans doute pour que la mort nous frappe à l'endroit le plus haut. Juste à l'endroit de l'étonnement.

Franck

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