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J'irai marcher par-delà les nuages
26 septembre 2021

Nuit du ventre…

 

Le jour replie sa lumière, tire le grand voile clair avec lenteur, faste, avec le geste large et ample du crépuscule. Le jour se retire emportant dans sa ruine les lambeaux, les hardes usées par le soleil, les images fatiguées, les paysages exténués, toutes ces couleurs éreintées, ces nuances élimées par tant de regards frivoles, irréfléchis. Sans compter la pauvreté de nos regards, l’insignifiance de nos croyances incertaines portées sur les lieux, le monde, les âmes. Capitulation du jour, abandon des vérités éphémères. Déroute de nos fraternités provisoires. Avec nos amours qui s’effilochent, nos amours trop lourdes, impossibles à endurer, impossible à hisser, oriflammes froissées, chiffons délaissés.

La nuit.

J’ai une nuit sur le bord des paupières, et jusqu’au fond de l’œil. Une nuit entre mes mots. Au creux de ma parole. Une nuit ouverte comme une déchirure florissante. J’ai une nuit plantée dans le ventre, une nuit de viscères. Une nuit intestinale. Une nuit archaïque, séculaire. Une nuit d’avant les temps, d’avant les saisons. D’avant le jour. Nuit ouverte et sans fin. Noire. Encore noire. Toujours noire. Flots noirs de ténèbres. Hémorragie d’ombres inquiétantes. Car c’est la nuit que les choses viennent, c’est la nuit que les choses naissent.

La nuit. Sans partage. Vaste lande de solitude et de dénuement. Nuit du ventre. Car nous venons de là. Du ventre et de la nuit. D’un ventre opaque, abondant et d’une nuit interminable. Nuit sans regard. Nuit du chaos décisif. Abyssal. Liquide de nuit. Flottement aveugle de nos peurs. Je suis de cette première nuit qui ne porte pas de nom, de celle qui ne se dit pas, de celle qui s’invente elle-même, de celle qui se prolonge de sa propre épaisseur. Je suis de cette nuit qui s’arrache au néant, de celle d’avant la mort, de celle d’après la mort. Temps cloaque. Temps du bercement. Temps sans mémoire, sans lendemain. Temps élémentaire, informe, brutal. Sans issue. Temps plat de mes premières noyades, de ce premier naufrage. Inondation des gestes, de la respiration dans cette mer saturée de nuit, dans ce débordement d’exigences sans forme, sans mot. Rien. Rien que cette nuit, et ce premier désir confus. Rien, que cette surenchère, que cette excroissance, que cette tumeur d’envie cellulaire. Je suis un débordement de chair, de néant, d’ombres flottantes, une simple exagération de la nuit, une outrance des ténèbres. Je suis la démesure de ce rien, qui s’épuise à s’ennuyer, à vouloir malgré tout. Vouloir comme une fatalité. Un vouloir sans grandeur. Illimité. Monstrueux.

Nuit.

Je suis d’une nuit sans possible. Une nuit bordée d’aucun crépuscule, d’aucune aube. Une nuit sans étoiles. Une nuit effarée. Affolée. Une nuit d’épouvante. De linceul. Une nuit sans rivage, sans continent. Une nuit faite de nuit. Sans autre recours qu’elle-même. Enfantement de nuit. Ombre sur ombre. Agonie sur agonie. Océan sur océan. Pierre sans visage. Pierre tremblante. Pierre recouverte de la peau d’un seul rêve. L’unique soie d’un rêve sans sommeil. Unique viatique pour passer de la nuit à la nuit. Toujours de la nuit à la nuit. L’unique muqueuse d’un rêve interminable. Membrane inquiète du désir.

L’écriture vient de cette nuit, de cette membrane, de cette inquiétude. Écriture du ventre. Écriture intestinale. Écriture ouverte, béante. Écriture qui n’a pas d’autre issue qu’elle-même. Écriture de viscères et d’ombres. Écriture du premier mouvement, qui s’exagère pour se survivre. Car juste après le chaos, se présente le premier mouvement, le premier mot, le seul, celui qui nous nomme, celui qui nous sacre, celui que l’on ne sait pas dire, celui que l’on cherchera tout au long du jour, celui qui s’effacera de nos encres. Mot trou. Mot néant. Mot nuit. Mot d’avant le silence. Mot creusé, excavé, évidé de son sens. Mot océan, au destin des marées infatigables. L’écriture vient de l’impossibilité de dire ce mot, de l’inventer même. Il est pourtant là, gisant dans le sang des veines, à l’affut de nos renoncements et de nos abandons. L’écriture est ce retour incessant au ventre, ce retour à cette première nuit sans forme. À cette première solitude débordante, comme un engloutissement. Alors c’est un désastre. C’est une exaltation. C’est le seul chemin. De nuit. Toujours de nuit. Puisque c’est là que tout s’élabore. Puisque c’est là que tout macère. Nuit, avec son suintement d’aurore. Nuit où les mots se vidangent, du cœur au sang, puis du sang aux premières lueurs du jour. Là où le rien s’effondre un peu plus pour laisser la place à la plus fragile des paroles, la plus faible, la plus vulnérable, celle née de sa propre impuissance à se dire, de cette douleur qui accompagne les résurrections, de ces chagrins accablants, de ces souvenirs poisseux.

Écriture du néant posée sur la nuit, avec juste la peau d’un rêve autour des mots. Juste une membrane frissonnante dans la chair de la langue, juste ce désir comme la première étoile dans le tout premier ciel.

Franck.

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19 septembre 2021

Inutile…

 

Que signifie ce temps de l’assèchement des eaux ?
Qu’est-ce qui nous déserte ?
Que nous dit la voix qui se tait en nous ?
Avons-nous si peu d’amour en nous ?
La grâce est ce poids qui nous fait descendre en nous, cela nous allège du monde.
La pesanteur est cette illusion d’être au monde, ce sentiment fluide de collaboration universelle au principe de réalité, de faire de l’ensemble. Être ensemble. Le grégaire rassure, il nous fait monter à la surface de nous-mêmes. La surface, le lieu des reflets. Des mirages.
Je cherche un temps creux. Un temps vide jusqu’à l’ennui. Sentir le poids de l’abandon et de l’exil
Attendre, et savoir que rien ne viendra. Rien, ni personne. Mais attendre. Sentir cette tension accablée en moi. Être défait de tout. Attendre l’attente. Dans la vitre du temps, je vois mon reflet qui s’efface. Tout est silence, sans douleur. Sans tristesse. Sans joie. Mais tout est silence. Sans horizon. Un silence abattu, exténué, dépouillé de lui-même.
Il y a des silences, pleins, gorgés, généreux, des silences glorieux, qui vibrent dans le soleil. Des silences qui font tinter les heures, battre le sang. Il y a ces temps de retrait qui étincèlent parce qu’ils portent une lueur invincible. Il y a cette absence royale, presque orgueilleuse qui dresse en nous un océan sauvage, envoutant, indomptable.
Puis ces silences déshabillés, nus, trop nus, aveuglants, suffocants. Des silences qui s’infiltrent jusqu’à l’assourdissement, acouphène de l’âme, bruissement singulier qui nous fige dans une sorte de sidération. On les sent inutiles. On se sent inutile. C’est pour cela que parfois on écrit.

Franck.

12 septembre 2021

Sans peur, sans mémoire…

 

Il y a des solitudes sans peur, sans mémoire, on s’y trouve comme dans une maison ouverte au vent. Rien n’est là, puisque tout peut y être. Le vent balaye nos temps morts.
Je me souviens du désert. Des premières douleurs dans les premiers regards. Je me souviens de ces longs jours des premières luttes, de ces solitudes encombrées. Du frottement.
Le désert nous éprouve. Plus on le croit beau, plus on s’en éloigne. La beauté est le premier leurre. J’étais loin des solitudes sans peur, sans mémoire. J’étais loin. Mais je ne le savais pas.
Je me souviens du désert, de mes temps discordants, de cette terrible solitude du début.
Pesante incompréhension. Impossible ajustement. La solitude nous réclame en entier, elle ne supporte pas les demi-mesures, les infidélités, les approximations de l’âme. Les pensées du début écorchaient le silence du désert. On le sentait à cette stridence, à cette hésitation dans la marche, au bruissement sourd de l’intérieur.
La beauté nous égare. L’immense nous fascine.
Peu à peu, les sables sont entrés en moi. Bien des pas, bien des nuits plus tard. Bien des vies plus tard. J’avais un désert comme trésor, mais je ne le savais pas. Il m’a fallu user mes peurs, épuiser ma mémoire. Il m’a fallu aller sans but, et me perdre si souvent.
Il y a des solitudes sans peur, sans mémoire, il suffit d’ouvrir sa maison au vent…La première matière de l’écriture.

Franck.

5 septembre 2021

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas…

 

Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Vivre, c’est nommer. Tout le reste est voué à une longue dérive dans les limbes.
Aimer, c’est nommer. C’est désigner le nom de l’amour.
L’inspiration fait rentrer l’air dans les poumons. Il y a l’échange, la purification des sangs. L’air traverse la gorge. Puis il est pris dans la bouche. Les cordes vocales vibrent. Le nom de l’amour est prononcé. Une fois prononcé, ce nom est inscrit. D’abord dans les chairs. Puis dans le corps. Jusqu’à la peau des os.
Écrire, c’est nommer. C’est nommer passionnément, jusqu’à ce que la langue vienne à manquer. Passer du cri au chant. De la peur à la joie.
Je ne peux atteindre le silence qu’après avoir nommé. Juste avant, c’est la nuit de la nuit. Le chaos. Écrire, c’est vouloir quitter la nuit pour rejoindre le silence. Entre les deux, il y a le nom de l’amour.
Nous sommes tous dans ce voyage. De la nuit chaotique à la nuit silencieuse. Entre les deux, il y a le nom de l’amour. Il faut sortir de la nuit pour pouvoir y revenir.
Nommer, c’est transformer le néant en infini. La frontière du mot créé agrandit l’univers. Dire le nom de l’amour, c’est agrandir l’amour. La pauvreté du mot ouvre sur la richesse de la langue.
Ce qui n’est pas nommé n’est pas vivant. Ce qui brule en nous, c’est le nom prononcé bordé par de vivants silences.
Taire n’est pas le silence. C’est le contraire de l’amour. Ne pas savoir nommer n’est pas l’ignorance, c’est la peur du vivre. Ne pas vouloir nommer, c’est détruire le nom de l’amour.
Écrire, c’est rentrer dans la lumière du nom de l’amour.
Écrire, c’est le surgissement du mot. Aimer, c’est le surgissement du nom. Nommer est dans ce surgissement. C’est faire naitre ce que le silence pourra emporter. Le silence ne vaut que par le mot qu’il contient.
Le poète écrit avec une encre mystérieuse qui s’efface à peine écrite. Les mots s’en vont dans la nuit peupler l’âme des siècles.
Les amants ne connaissent qu’un nom qu’ils prononcent interminablement dans la nuit des corps et de la chair. Le seul nom de l’autre, dit comme une litanie. Ce seul nom qui contient tous les mots de la langue. Cette langue dite avec cette encre singulière, qui s’efface à peine écrite.
Ce qui n’a pas de nom n’existe pas.
Aimer, c’est dire le nom de l’autre. C’est faire un écrin de silence pour contenir l’univers. Le silence d’avant qui est néant, le silence d’après qui est lumière. Deux silences tissés dans la langue.
Écrire est l’histoire de ce chemin qui part d’un silence, et qui va vers un silence.
Un seul silence fait boiter la langue.
Un seul silence fait pleurer la chair.
Deux silences, le premier qui bénit l’autre.
Il nous faudra nommer toutes les étoiles du ciel dans un seul poème pour apaiser la nuit et retourner au silence.

Franck.

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