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J'irai marcher par-delà les nuages
22 août 2008

Marée......

Toujours revenir sur le mouvement des marées, sur cette eau qui m'habite. Sur l'océan qui s'agite sous ma peau, dans mon ventre, dans mes veines. Océan obscur et lancinant. Mes étendues sans fin. Comme l'errance. Et l'impossibilité de l'île, de l'oasis, d'une pose. D'un soupir. L'impossibilité du soulagement. Enfermé dans l'ouvert. C'est sans doute cela la béance. Cet inconnaissable qui gît en nous. Cet immense trop large, trop vide. Cette masse flottante qui fait de moi un continent à la dérive.
Et chaque vague qui propose un désordre nouveau insupportable, invivable et pourtant vécu, dix fois, cent fois, mille fois vécu. Un naufrage sans noyade. Avec la mort en suspend. Lisse. Interminable. Avec le scintillement des abîmes au grand large de l'existence.
Toujours revenir sur le mouvement des marées, comme une mémoire qui gonfle et qui déferle avec la précision de l'orfèvre qui taillerait l'endroit impur de la pierre, qui l'userait au point de la faute, du manque.
Toujours ces vagues lentes qui ramènent sur mes épaves, mes carcasses éventrées, tous ces restes d'engloutissements. Il y a de sombres charniers dans cette eau abandonnée à son propre mouvement. Il y a la remontée des fonds marins et les algues géantes pour brasser chaque souvenir.
L'écriture s'éloigne comme un radeau de dérive, comme un tronc de mort flottante gorgée de sel et de désespoir, saturée de vagabondage. Un tronc qui n'a plus rien de l'arbre qu'il fut. Certaines écorces nous racontent leurs histoires, mais là, que dire ? Sinon le balancement, le tangage. L'absence. Dérive. L'infinie dérive. Certains grands troncs ne se souviennent plus de la terre, de sa texture grasse et lourde, du fourmillement, de l'humus, ils sont vidés de leur sève, vidé de leur temps. Longue baleine inerte. Raidie. Squelette paralysé, pétrifié. Où chaque mot devient cassant, friable. Seulement le mouvement. L'oscillation de la langue. Paroles inconstantes. Incertaines. Rares. Désertées. Simplement les remous, le grouillement des restes d'écumes, comme les dernières convulsions. Ecriture submergée. Suffocation. Parole engloutie. Défaite de ses propres mots. Démantelée. Démunie. Misérable et vaine. Les eaux des mots s'affaissent, fléchissent encore un peu. Si peu. Les mots s'enroulement dans leurs formes. Des mots déshabillés, dépossédés de leurs vertus réparatrices, de leur force printanière. Et l'incantation devient une longue litanie, le dénombrement des heures, l'inventaire sordide et interminable de la houle. De cette houle qui roule sur l'ombre, qui l'enveloppe comme une louve attentive et sauvage. Sans impatience, mais avec cette constance exténuante. Alors il ne reste que le mouvement, le bercement d'une mémoire infirme, estropiée, amputée. Dont les visages s'effacent, filigrane qui s'insinue entre la ligne de vie et la ligne de cœur. Ligne de mort dans cette mémoire sans fin. Marée de l'intérieur des chairs. Souffle des eaux qui montent vers un destin qui les achèvera. Lent fracas mouvant. Lente tension vouée à son propre reflux. Puissance du démembrement. Les eaux se dévoilent dans leur montée, dans ce déploiement, dans cette insistance. Les eaux se dénudent et se recomposent, elles dépassent l'impossible frontière des rivages. Ces eaux sont grosses car elles enfantent des hasards ou quelques sortilèges.
Au cœur des nuits, les eaux qui montent, enfantent des silences monstrueux, les eaux qui montent décrochent l'horizon de nos yeux effarés, elles se bousculent, s'enlacent elles-mêmes, se brassent dans leurs bouillonnements, se gonflent de leurs propres mythes. Il faut les entendre souffler comme des dragons froids, imperturbables, inébranlables dans l'indifférence de notre écrasement. Il faut entendre ses marées, en nous, qui montent inexorablement, comme pour faire déborder notre vie. Hors de tout secours. Il y a dans ces marées profondes un sombre vouloir farouche, méprisant, carnassier. Il y a dans le mouvement des eaux l'étrange prémonition de l'anéantissement. Il y a dans mes eaux qui montent tant de digues rompues, tant de rêves perdus, tant de lumières blessées, il y a tant de tout ce qui brise, lamine, accable. Tant de dérisoire, d'insignifiance, d'inconsistance. Tant de silence. Tant de solitude grave. Tant de gestes inaboutis, égarés. Tant de baisers tombés dans l'espace vide des incompréhensions, tant de caresses inachevées, tant d'amours sacrifiées. Tant de sang. Et tant de peurs.

Mais il y a un point de ma vague qui échappe à l'océan et c'est une joie trouble que d'aller l'arracher à mes dernières écumes. Il y a dans mes eaux qui montent encore assez de déraison, encore assez de flamboiement, encore assez de tentation pour les soleils orange, encore assez d'orgues ruisselantes, assez de lunes pâles pour ramener mon corps d'arbre vaincu aux rivages des vivants. Il flotte au bout de mes marées l'éclat d'une chandelle farouche et fière, la part indomptée de mon cheval d'orgueil, le galop sourd d'une horde primitive. Et dans l'infime qui se survit assez de nuance pour repeindre un ciel entier, et dans mes dernières écumes l'offrande et l'abandon et le saisissement.

Il y a dans mes eaux qui montent l'instinct de la prière et du renoncement, et dans l'ultime vague la lueur si fragile de la miséricorde. Cette empreinte brillante et fugitive et murmurante qui lie les eaux aux cieux. Comme ces étoiles filantes qui naissent les marées.

Franck

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Commentaires
J
Il y a toujours quelques rouages grippés dans la carcasse des mots, usés, ballottés, trahis, atterrés, errant et divaguant sur des plages de larmes...Mais le merveilleux c'est toujours ce sursaut de vie qui sourira aux étoiles filantes...Ton texte Franck en est la plus belle preuve ...une volonté de rebondir et de transporter notre émotion au sommet de ton talent d'écrivain. MERCI !<br /> Je t'embrasse
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P
Comme le goéland qui guide les marins perdus, je dépose ici une plume. Juste une...<br /> <br /> http://tranches2vie.hautetfort.com/archive/2008/08/25/plume-de-poete.html
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Y
Un bateau ivre qui tangue à travers les marées, qui remonte ses tristes filets... Le vent du large qui souffle et me saisi, j'ai eu froid en vous lisant, le souffle des dragons regnent même aprés l'achevement de l'écriture. Comme un écho qui traverse le temps... Yasmina
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